lundi 6 janvier 2014

Danser

(Billet spécialement dédié à Emma et Marc, qui furent des guides si précieux sur mon chemin de redécouverte de la danse toute l’année passée)

Mes pieds réapprennent le sol sous leur plante nue, soulagés de toute contrainte de cuir ou de toile. C’est la naissance de la danse, ce contact presque animal avec le bois du parquet, froid ou tiède selon la saison. J’y déroule mes talons, y imprime mes orteils un par un, dissociés et ravis d’être libres enfin. Parfois je leur offre l’herbe d’un jardin, le sable d’une plage solitaire, la pierre d’un rocher plat ; la danse est partout où je suis depuis bientôt un an. Mes pieds en sont les premiers avertis, tout mon corps suit après eux. J’arpente avec eux le lieu où elle va naître : avant toute chose repérer le terrain, l’apprivoiser, m’assurer de l’équilibre, du bien-être de ces pieds nus qui auront à glisser, à bondir, à tournoyer, à me soutenir et me propulser, alliés précieux.

Ma main gauche est partie chercher un bout de ciel. La droite explore l’espace en volutes douces, rejoint la première en caressant ma hanche au passage. Mes bras levés comme en incantation, mes doigts frémissent en chœur de cette quête du plus haut.

Ma taille ploie d’est en ouest, du sud au nord, d’un pôle à l’autre. Je sens mes vertèbres qui se déroulent, mes épaules qui tournoient à l’inverse de mon cou, mes hanches qui dessinent un huit cadencé, ou bien est-ce le symbole de l’infini ?

C’est le début de la danse, cette redécouverte de chaque membre, de chaque articulation, de chaque étage de mon corps. Mettre chacun en mouvement, s’assurer de leur souplesse, s’interdire la raideur, lâcher les tensions du jour, être attentive aux petites douleurs, aux petits empêchements, les respecter, ne pas forcer, étirer avec douceur, avec amour. Mon corps est un vieil ami dont je dois prendre soin, tendrement.

La danse naît souvent du sol, tout mon corps en contact avec la terre avant de s’élever plus haut, de voler peut-être, si le jour s’y prête. Moment de calme avant que le vent se lève, que le rythme se fasse plus soutenu, plus rapide, jusqu’à la tempête parfois. Oui, la danse est de ces vents qui nettoient les nuages, de ces pluies battantes qui épuisent et régénèrent. Un vivant ouragan.

Bien sûr il y a la musique, qui nous guide et nous entraîne. Mais je crois que je préfère entre tous les moments où je danse en silence, mue par ma seule envie, mon seul rythme, le battement de mon cœur et du sang dans mes veines. A l’écoute de mon souffle et du martèlement de mes pieds sur le sol, de l’air qui bruisse aux mouvements de mes bras, en lien intime avec le monde autour de moi.

Le premier rythme est fluide. Je glisse et dessine dans l’air des arabesques toutes en rondeurs, en douceur. J’entre dans la danse sans à-coups, sans forcer, en quête d’apaisement des secousses de la journée, des petites misères, de ma colère parfois. Celle-là aura son espace un peu plus tard pour s’évacuer et sortir de moi où elle ne fait que du mal.

Puis la cadence entre en scène, staccato lent ou syncopé. C’est le moment des formes nettes, des pieds qui tapent, des talons qui sonnent clair. L’énergie se propage, la fatigue se tait, le mouvement est roi, impérieux, nécessaire. C’est un appel au rythme et au courage de bouger comme on le sent au plus profond de soi. Faire taire la timidité ou l’inquiétude, le corps sait ce qu’il a à faire, ce qui est bon. Il n’y a pas de mauvais mouvement hormis celui qui le blesserait. C’est un éveil, un réveil, une expression de soi brute et sincère.

De celle-là, doucement ou vivement, émergera le chaos. Vif et lancinant, rapide et délivré de toute contrainte, il réclame l’abandon, le lâcher-prise, le cri. Je perds la notion de l’espace autour de moi, le sol se confond avec les murs, les autres danseurs sont des traces de couleurs vivantes et tressautantes. Nous communions au même rythme, chacun dans notre intérieur, dans notre chaleur, mais participant à une énergie commune. Nous dansons de tout notre cœur et nous créons un cœur commun, vibrant à l’unisson de nos sens, de nos sensations, de nos émotions, de nos colères, de nos chagrins ici projetés au loin, force centrifuge extraordinaire. Tournés tous vers le centre de la salle dans notre transe, je nous perçois parfois comme une galaxie tournoyante, la danse notre immensité.

Quand le rythme s’apaise, la danse se fait lyrique. Cadeau du chaos. De la fatigue naît un sentiment diffus de vérité. Il n’y a qu’à danser, mon corps sait des mystères que j’ignore. Je lui fais confiance, il va là où il doit aller, je le suis, ce n’est pas moi qui mène, pas ma tête en tous cas. Je flotte, je vogue, je tourne, je tournoie, je vagabonde, c’est léger et facile. Je suis bien.

Quiétude. Le temps s’arrête presque. Ralenti. Mes bras comme des algues à marée descendante, tranquilles jusqu’au bout des doigts. Souvent je retrouve le sol, havre bienvenu, mes jambes à leur tour cherchent le ciel, cherchent le repos, tremblantes parfois. Ce soir, plus tard, je prendrai un bain nocturne à la seule lueur de bougies, au son du silence ou peut-être d’un rien de Glenn Gould. Délassement, sommeil et rêves doux à venir.

La danse m’a accompagnée vingt années. Abandonnée vingt années ensuite. Mon genou blessé fut le précurseur d’autres blessures que j’ai affrontées sans danser. Aujourd’hui que les chagrins sont apaisés, les larmes séchées, je retrouve la danse non comme un exutoire mais comme une célébration, une joie sans faille. Je n’ai rien à évacuer, juste du plaisir à prendre. Juste du bonheur à vivre

Je danse, moi qui ne pensais plus jamais danser - mon genou aujourd’hui mon allié m’y autorise et a même l’air d’aimer cela puisqu’il se porte mieux que jamais. Je virevolte, moi qui ne pensais plus jamais virevolter. Et quand je valse autour de la salle, parfois, j’ai l’impression d’être dans des bras aimants, de rencontrer là, en réalité, les mots de mon amie Etty : je danse « dans les bras nus de la vie et j’y suis en sécurité… ses bras qui m’enlacent sont si doux et si protecteurs… et le battement de son cœur, je ne saurais même pas le décrire : si lent, si régulier, si doux, presque étouffé, mais si fidèle, assez fort pour ne jamais cesser, et en même temps si bon, si miséricordieux. » (Etty Hillesum - "Une vie bouleversée")

jeudi 25 novembre 2010

D'autres vies...

Dans tous les quartiers de Paris - ou banlieue - où j'ai travaillé, j'ai toujours élu un restaurant préféré, proche de mon bureau mais pas trop, peu fréquenté et surtout pas par mes collègues, où je peux m'isoler pour une heure ou un peu plus à l'heure du déjeuner. Cet endroit où je finis par avoir mes habitudes, je le fréquente assidûment ou par intermittence, le délaisse des semaines entières pour le retrouver avec plaisir plusieurs jours d'affilée, au gré de mes envies de solitude. C'est mon refuge pour les jours où je me sens triste, ceux où je suis agacée ou exaspérée par tel ou tel évènement professionnel, là aussi où je vais célébrer avec moi-même le plaisir du jour, en solitaire le plus souvent, parfois accompagnée amicalement; je n'y organise jamais de déjeuner professionnel, cela doit rester un lieu préservé, une parenthèse rien qu'à moi, un endroit où les contingences du boulot ne peuvent plus m'atteindre. La plupart du temps, j'y noircis mon petit carnet ami de notes disparates, de petites histoires comme elles viennent, du chagrin que j'ai sur le coeur ou bien de mes petits bonheurs.

Celui que j'ai choisi là où je travaille depuis trois ans maintenant - quelque part non loin de l'Opéra Garnier - est un restaurant indien vaste et chaleureux, au décor de velours rouge et d'argent, avec des reproductions de fines gravures indiennes fort jolies, et de la musique Bollywood pas trop envahissante. J'y ai "ma" table blottie près du bar, "mon" menu favori quasi invariable, mon serveur préféré et pakistanais, qui m'accueille en plaisantant et roule des yeux outrés quand il me prend la fantaisie de changer le susdit menu. Le patron m'a à la bonne et m'offre invariablement le digestif maison (que j'accepte une fois sur dix et fait semblant de boire pour ne pas le vexer), des invitations pour le dernier film de Shah Rukh Khan et parfois le disque Bollywood du jour pour ramener à la maison. On me gâte et me cajole, le personnel tout entier vient m'accueillir quand je passe la porte et défile ensuite devant ma table pour savoir si tout va bien au cours du repas. On échange des nouvelles du fils qui est parti travailler à Londres, de la famille restée au loin, je les aime bien.

J'y étais aujourd'hui pour être tranquille d'une part et fêter en tête à tête avec moi-même le bon déroulement d'un concours que je suis en train de passer, et qui a à voir avec l'écriture de scénario : après une première sélection sur le dossier déposé en septembre, j'ai été admise à passer l'épreuve écrite qui a eu lieu il y a un mois (6h30 sur table, je n'avais jamais fait un truc pareil !), et j'ai appris cette semaine que j'étais convoquée à l'oral le 2 décembre prochain, dernière étape avant la sélection finale des 20 heureux élus (sur 140 candidatures de départ). Ça plus la signature prochaine de l'achat de mon nouveau et ravissant home sweet home dans l'est parisien, j'avais envie de lever mon verre et de trinquer avec bibi !

Le déjeuner a commencé sous ces auspices et l'envie de finir tranquillement le beau livre commencé il y a quelques jours et que je lis passionnément matin et soir dans mon métro quotidien, oublieuse de tout ce qui m'entoure, émue et bouleversée par les histoires authentiques écrites là, contées avec une sorte de limpidité, de sincérité, de regard aimant et simple sur les émotions humaines qu'il livre sans jugement, qu'il analyse à l'aune de sa propre humanité, décuplée grâce à elles, sans doute.

Il, c'est Emmanuel Carrère, et le livre s'intitule "D'autres vies que la mienne". Il est le récit - en spectateur intime - d'histoires vraies et terribles : la mort d'un enfant, celle d'une jeune mère, le handicap, le cancer, et la vie bouleversée de ceux qui restent. Pourtant, au bout de ce récit d'indicibles pertes, au bout des chemins souffrants contés là, ceux des parents, des enfants, du mari, des familles amputées à jamais d'un membre essentiel, on trouve l'apaisement, l'acceptation du flot de la vie en marche, de son début à son achèvement, douleurs et chagrins compris. La Vie, comme un tout inéluctable.

Quelques larmes ont coulé sur mes joues en refermant le livre. D'émotion. De partage. D'empathie avec ces inconnus venus éclairer de leur vie un bout de la mienne. De gratitude pour l'auteur capable d'exprimer leurs ressentis, leurs sentiments, leurs chagrins, leurs chemins sans apitoiement, avec simplicité et tendresse, crûment aussi parce que la vie est crue. Et simple, et tendre. Parce qu'elle est tout ça. Leur vie, la vôtre, la mienne aussi.

D'autres vies que la mienne

dimanche 24 octobre 2010

"La vie va où ?..."

Michèle Guigon est un sourire. Un sourire derrière un accordéon valseur. Un sourire qui dit la vie, les souvenirs tendres de l’enfance, l’âge qui avance autant que la vue recule, la mémoire qui occulte les noms propres, les choix insensés à faire parfois : chimio ou ablation ?

Michèle Guigon conte son cancer comme elle chante la caresse de son papa sur ses cheveux d’enfant, ceux qu’elle perdra plus tard : avec tendresse. Et sourire toujours, et les éclats de rire du public dont je faisais partie hier soir au Théâtre du Rond-Point (décidément mon théâtre parisien préféré, j’y trouve si souvent des moments d’émotion intense, de toutes formes).

Michèle Guigon raconte tout ce qui fait sa vie, y compris ce qui l’a rapprochée de la mort, pour devenir une deuxième naissance, un « levier de vie » comme elle l’écrit. Cils et cheveux repoussés, sein « ablati », elle arpente la scène avec une joie qu’elle transmet à ceux qui l’écoutent. J’ai versé des larmes de rire à ses facéties, eu le cœur noué parfois, sans qu’il soit jamais lourd, heureuse de ce partage avec elle, comédienne qui dit « je » et nous parle de nous, aussi.

Je vais dorénavant guetter la publication du texte de la pièce : j’aimerais vraiment le garder à mes côtés, en retrouver à certains moments de ma vie les mots bouleversants, certains résonnent en moi depuis hier que je n’oublierai pas. Son hymne à la vie drôlatique et poétique, cette funambule sur accordéon le joue chaque soir à 18h30 jusqu’au 14 novembre.

Michèle Guigon
(c) photo Anne Artigau

"Plus on met l'acceptation de la mort au centre de notre vie, plus on met la vie au centre de notre vie."
Michèle Guigon
La Compagnie du P'tit Matin

dimanche 27 juin 2010

Gay Walkyrie

Il y avait hier soir place de la Bastille la rencontre de deux univers contrastés : ce n'est qu'en piétinant dans la foule qui engorgeait les sorties du métro que je me suis souvenue que c'était la Gay Pride à Paris. Moi je rejoignais l'opéra pour assister à "mon" premier Wagner, deuxième volet de l'épopée Der Ring des Nibelungen, dont L'Or du Rhin est le prologue, joué récemment à Bastille et que j'ai bêtement loupé. J'allais donc découvrir La Walkyrie, dont je ne connaissais rien, en fait, hormis, c'est bête je sais... un célèbre vol d'hélicoptères dans "Apocalypse Now".

Et bien voilà, pour faire mentir mon billet précédent, sans doute, j'ai connu hier soir ma première vraie grande émotion d'opéra ! J'avoue pourtant qu'en cette journée ensoleillée, la perspective d'aller m'enfermer 5 heures d'affilée dans une salle de concert, fut-elle aussi prestigieuse que celle de Bastille, ne m'amusait guère. N'ayant par ailleurs jusqu'à présent jamais connu l'extase en ce lieu, je m'étais intérieurement promis qu'en cas d'ennui mortel, je profiterais d'un des deux entractes pour abandonner l'affaire. Non seulement il n'en fut pas question, mais quand le rideau final s'est baissé, j'étais fort triste d'abandonner les personnages qui m'avaient fascinée plusieurs heures durant et j'aurais volontiers réclamé que l'on continue à me conter leurs aventures ! Je me demande si je ne vais pas faire un tour à Bayreuth, moi...

Pendant qu'en plein soleil retentissait une techno incessante aux basses qui affolent le coeur, que dansaient des corps maquillés, perruqués, tatoués, dénudés, que s'embrassaient à pleine bouche des filles aux cheveux rasés ou des garçons aux yeux fiévreux, dans la salle immense et sombre s'épousaient un frère et une soeur, des corps nus et ensanglantés s'amoncelaient sur le plateau, une femme en robe écarlate, fleur terrifiante, exigeait d'un dieu malheureux la mort de son fils, l'exil de sa fille adorée. Et j'avais le coeur serré.

Ce que j'ai souvent reproché aux quelques opéras qu'il m'a été donné de voir depuis quelques années (une découverte récente pour ce qui me concerne, j'ai entendu mon premier vrai opéra à Berlin en 2006) c'est la plupart du temps leurs livrets improbables et, ce n'est pas pour dire, un rien bêta, tendance roman Harlequin qui finirait mal : amoureux qui s'enflamment en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, pour se soupçonner aussi sec de trahison, sur une simple dénonciation vengeresse ou une posture équivoque, et se passer par le fil de l'épée sans autre forme de procès... Et ça m'a souvent saoulée !

Avec le Ring, on est quand même à un autre niveau de narration : un poème épique, une épopée fantastique, des sentiments humains et divins exacerbés, des thèmes universels, mythologiques, superbes et poignants, j'en ai été transportée. Le tout porté par une musique et des voix somptueuses, leitmotivs cruels et magnifiques du drame en train de se jouer.

Je veux incessamment retrouver le fil de l'histoire, connaître le destin de Siegfried encore à naître, et de Brünnhilde, la Walkyrie bannie, endormie sur un rocher protégée par une barrière de feu, par la volonté de son père Wotan, dieu du malheur des siens, aspirant à la fin, annonçant le Crépuscule des dieux.

Quand je suis ressortie dans la nuit de Bastille, émerveillée, il y avait des détritus innombrables qui jonchaient la place, des drapeaux arc-en-ciel abandonnés ou enveloppant des corps fatigués, et dans la tiédeur du taxi une fade musique qui ne pouvait couvrir celle que j'avais encore au coeur. Je crois que j'aime Wagner, au fait.

samedi 19 juin 2010

Voyageurs immobiles

Il est de ces spectacles qui me laissent frémissante de bonheur, le coeur reconnaissant, les yeux émerveillés, mouillés d'émotion.

Je me suis aperçue parfois, au cours du merveilleux spectacle de Philippe Genty (au Théâtre du Rond-Point jusqu'au 27 juin) que je devais avoir la même tête qu'un enfant écoutant un conte de Noël : bouche ouverte et yeux écarquillés, riant-pleurant tout à la fois, heureuse.

Cette émotion-là, j'avoue ne jamais l'avoir ressentie au théâtre "classique", ni à l'opéra que je fréquente depuis quelques années avec des camarades blogueurs et "prosélytes lyriques" : j'admire, j'apprécie, je passe d'excellents moments, ressens (pas toujours) un plaisir certain, mais jamais au grand jamais je n'y ai été submergée d'une vague de sensations fortes et douces et multicolores comme celles offertes par ces voyageurs-là.

J'ai versé des larmes à la course d'une marionnette, me suis émerveillée de courbes humaines dessinées par de simples feuilles de papier kraft, ai tremblé pour les drôles de naufragés d'un radeau à tiroirs secrets perdu dans une mer de toile bleue, ai ri des facéties de bébés très en formes enfermés dans des boites volantes, ai vogué dans un nuage, rêvé, volé hors de mon fauteuil oublié... moi aussi voyageuse avec eux.

Je suis fille de cirque et de danse. Le travail du corps me parle toujours plus que celui de la voix (et à celles de l'opéra, j'avoue préférer celles, plus suaves et sensuelles à mon oreille, du jazz ou du blues). L'émotion majuscule, je l'ai toujours éprouvée pour des spectacles hétéroclites, sous chapiteau souvent, mêlant danse et pantomime, théâtre et acrobatie, marionnettes et objets fous, et laissant une part au rêve, à l'imagination. A mon rêve, mon imaginaire à moi. J'aime qu'on m'emmène dans un autre part que j'ignore, mais qu'on me laisse y faire ma place, m'approprier des images pour en créer des sensations qui me sont propres.

Il me reste (il vous reste) quelques jours pour aller rendre visite encore à ces voyageurs-poètes, à ces mimes-clowns si tendres et beaux. Et drôles. Tout en musiques (très belles) et en images issues des rêves de leur auteur. Elles resteront dans les miens, éveillés ou non. Merci...

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(c) Pascal François

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(c) Marc Ginot

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(c) Brigitte Enguérand

mercredi 14 avril 2010

Cœurs à l’amble

(titre inspiré du magnifique « Nous dormirons ensemble » d’Aragon-Ferrat)

(et après relecture de ce qui suit : attention billet-bazar : j'écris parfois comme je tirerais un fil d'une pelote emmêlée, pour essayer de mettre moi-même de l'ordre dans des pensées en bataille, ma façon à moi d'essayer d'y voir un peu plus clair, je ne sais si je suis très claire moi-même ?)

Quand j’ai commencé à m’exprimer dans mon petit bout de Toile, j’ai tout d’abord eu peur de l’intime. Mon éducation m’avait appris à garder mes émotions secrètes, mes chagrins policés, à me méfier de l’indécente exubérance en toute chose. On m’avait inculqué la réserve et le silence, à taire sans faillir mes histoires par trop personnelles et mes sentiments profonds. A mes oreilles s’égrenait la litanie à apprendre de tout cœur du mystère voué à l’impudeur. Et tout était impudique, ou presque. Rien de ce qui m’était frisson – de joie forte, de peur, de pleur ou d’amour - ne regardait personne d’autre que moi-même.

C’était faux.

J’ai découvert grâce à la lecture d'abord, à l’écriture ensuite, plus intensément encore, qu’au contraire l’intime est universel, intemporel, commun à l’humanité toute entière. Mon intime à moi aussi, oui. Et cette découverte se confirme de plus en plus au fur et à mesure que les années passent et les échanges avec autrui se renforcent.

J’ai été fort surprise en affichant ici des chagrins qui m’apparaissaient infiniment personnels, de découvrir que ce sont eux qui rapprochaient le plus de moi les lecteurs de passage ou confirmés. C’est en exprimant mes perceptions les plus intimes de la vie, mes sentiments les plus profonds, que j’ai connu le plus grand partage, la résonance la plus vive avec autrui. Ce sont les émotions des autres livrées sans pudeur inutile qui m’ont le plus remuée, touchée, bouleversée, et au bout du compte, révélée à moi-même, par le partage ou la découverte de celles-là.

Il y a un diapason en chacun de nous qui vibre identiquement. Il y a un fil ténu et invincible qui nous relie les uns aux autres et qui passe par le plus profond de notre cœur. Les plus intenses de nos émotions, même si elles nous apparaissent les plus personnelles : nos souffrances, nos deuils, la joie, l’Amour, sont le dénominateur commun à tout humain, présent, passé ou à venir. Nous ne sommes ni les premiers ni les derniers à les vivre semblablement. C’est parfois dur à envisager, car il s’agit ainsi de ne plus penser son nombril comme le seul à souffrir ou à aimer, d’autres l’ont expérimenté avant lui pareillement, et oui. Manque de bol pour ceux qui aiment à s’imaginer plus de chagrin que les autres, espoir immense pour ceux qui font des pieds et des mains pour en sortir, il devient d’un seul coup plus relatif, ce chagrin-là, énorme la seconde d’avant… essayez pour voir

Je ne comprenais pas tout à fait, j'avoue, les paroles d'Etty Hillesum, mon amie si chère, quand elle disait vivre à l'unisson de l'humanité toute entière, passée et présente, et "avoir tout vécu". J’appréhende (un tout petit peu) mieux aujourd'hui l'immensité de cette perception, qu'il m'arrive de ressentir un peu moi-même aujourd'hui, mais de façon tellement indéfinissable.

J’ai lu ces jours derniers le journal d'Hélène Berr, sur la recommandation de Telle (au défunt blog regretté). Et je retrouve dans ses mots les mots d'Etty, l'une à Paris, l'autre à Amsterdam, partageant un destin commun à des millions d'humains de ce temps et se retrouvant par delà les terres et l’époque liées par ce fil d'or qui les a menées aussi jusqu’à nous.

Oui, la souffrance de ceux qui nous ont précédé résonne en nous et en ceux qui nous suivront même si on ne lui donnera ni visage ni nom, juste une connaissance, au fond de soi, collective.

Et l’amour naissant d’Hélène est le même que celui de toute jeune fille au cœur ému pour la première fois, le mien, celui de ma mère, de ma grand-mère avant moi, et d’autres mères et grand-mères que les miennes, chaine sans fin de femmes amoureuses puis mères à leur tour. Sauf Hélène et Etty qui n’ont pas vécu, sauf moi et d’autres qui n’avons pas enfanté. Mais peu importe au fond. D’autres ont porté des enfants dont je ressens le poids et la grâce autour de moi, en moi. Etty a transmis sa force à d’autres de par le monde, par sa présence, par sa mort et ses mots. Les deuils ont renforcé ma vie et celles d’autres avant et après moi, par la transmission d’un savoir secret que je m’explique mal, offert par les générations d’avant à celles du futur, impalpable et essentiel, un souffle de vie moquant l’espace et le temps, abolis, ridicules.

Oui, nos cœurs battent à l’amble et sont plus forts, toujours. De le savoir, le mien s’apaise et se réjouit. Je ne suis jamais seule au rythme des battements de milliards d’autres, un peu miens, un peu nôtres, sang commun filant dans des veines jointes ?

Je me sens maille infime d’un immense tricot. Minuscule et essentielle. Si une petite maille manque, trou il y a dans le tout irrémédiablement abimé. La petite maille que je suis vit les tensions et les relâchements du tricot tout entier, participe au dessin – au dessein – de l’ensemble entrelacé, inextricable, indispensable.

Je me sens goutte d’une vague immense, elle-même vague parmi d’autres d’un océan sans limites. Je suis une goutte, et la vague aussi, et l’océan bien sûr. Ma petite tête de goutte-maille est parfois toute retournée de tant d’immensité.

Et je l’avoue, parfois, ça ne m’arrange pas bien, c’t’histoire… C’est vrai quoi, être indissolublement liée au connard du bureau du fond, ou au facho du palier du 4è, ou au violent-ci, à la méprisante-là, vraiment, ça ne me fait pas DU TOUT plaisir. Mais je commence à prendre conscience qu’ils font partie de moi aussi, comme les témoins du chemin que nous avons à parcourir collectivement.

Parce que chaque pas que nous faisons individuellement fait avancer l’ensemble, chaque progrès en tous domaines d’un individu solitaire fait progresser l’humanité, chaque virtuose en sa spécialité donne un challenge supplémentaire à ceux qui lui succèdent. Qui iront plus loin, toujours. Quelle responsabilité. Quelle beauté…

Je ne sais en quel domaine doivent s’exercer mes progrès. Je me sens parfois maladroite à avancer même un pied devant l’autre sur mon petit chemin cahotique. Et mes colères contre les cons (du moins ceux que j’envisage comme tels, on est toujours le con de quelqu'un) me freinent sur le chemin de la croissance, sans doute, la mienne et celle du tout dont je suis une parcelle. Le pire c’est que je les aime bien mes colères… A l’amble d’autres colères venues de plus loin que moi ? Il suffit peut-être que je mette l’intensité de celles-ci au service du cœur, plutôt. (j’ai du boulot, mais une vague idée de l’immensité de la tâche, c’est déjà ça).

PS : Suite à quelques demandes par mail : oui, une avalanche de spams sur d'anciens billets m'a amenée à couper les commentaires sur tous ceux vieux de plus de 30 jours... cela devrait m'inciter à écrire au moins un billet par mois, enfin je m'avance peut-être... Sinon, vous pouvez toujours aller sur la page "Contact" si vous avez un truc à me dire (gentil de préférence, à chaque campagne de pub Invicta, je me prends immanquablement une lettre d'insultes, je les publierai un jour, c'est drôle... les bons jours)

mardi 16 mars 2010

« J’en ai tant vu qui s’en allèrent »

Mes parents n’écoutaient pas ou rarement de musique. Ma mère du violoncelle, exclusivement, instrument superbe qui arrive à me flanquer encore aujourd’hui des cafards noirs, souvenirs de résonances dans la grande maison où je préférais d’autres sons, d’autres rythmes à mon adolescence… Mon père, rien : la musique, toute musique était du « zinzin » et nos disques vinyles l’exaspéraient. Ah si, parfois, il trouvait quelque chose de joli, à dose infinitésimale… les Beatles, je crois, trouvaient un peu grâce à ses oreilles.

C’est ma sœur (Moyenne Sœur) qui faisait entrer dans la maison les sons du monde, les notes à peine tolérées. Grâce à elle j’ai fait connaissance, j’avais 10 ans, 12 ans, puis 14, de chanteurs à textes et à voix particulières, qui ouvraient mes yeux d’enfant puis d’adolescente sur des mondes inconnus, bien loin du mien préservé. Je ne connaissais pas encore l’amour, non plus.

Leny Escudero, François Béranger, Frederik Mey, Graeme Allwright et Leonard Cohen. Et puis Brel et Maxime Le Forestier première époque, Cat Stevens et les quatre scarabées. Aussi Julien Clerc et Marie Laforêt, si gaie.

Un jour, pour toujours, une voix chaude derrière une moustache batailleuse. J’écoutais « Nuits et Brouillards », en boucle, à genoux devant le tourne-disques des années 50, couplé à la belle radio lumineuse en bois verni et boutons de bakélite, qui avaient atterris dans ma chambre par la bizarrerie des attributions de meubles familiaux. Je posais une pièce de 5 francs sur le saphir sautillant pour qu’il se tienne tranquille et laboure sans faillir les sillons enchantés, au grand dam de ma sœur qui renâclait parfois à me prêter les précieuses galettes vite abimées de ce traitement barbare.

Un jour, un jour, un album précieux comme le vieil or de sa pochette où Ferrat m’offrait Aragon, première conscience que les mots pouvaient être trésors. J’écoutais Robert le Diable et l’amour d’Elsa, et ce qui perlait à mes yeux était l’eau de mon cœur, jeune et bouleversé de sentiments inconnus, de tonnerres adultes qui remuaient des émotions intimes encore profondément cachées en moi. Est-ce ainsi que l’on grandit ?

Cette voix-là ne se taira jamais en moi. La moustache, le beau sourire, la voix de Ferrat m’accompagneront ma vie durant. Il m’a donné mes toutes premières poésies. Cette chanson-là est de celle dont les paroles viennent à mes pensées sans que je les y force , quotidiennement, pour rien, pour un geste ou un mot de quelqu'un, parce que ses échos désespérés s'accordent à la vie sous nos yeux, souvent.


Ferrat chante Aragon - "J'entends, j'entends"

samedi 20 février 2010

Sens essentiels

J’ai toujours été sauvée par la beauté des choses. Et le plaisir des sens.

Je crois qu’au plus profond de mes chagrins, j’ai toujours gardé un espace pour déguster un verre de vin consolant, en humer les arômes, en admirer la robe et le palais. Au cœur de la plus insupportable de mes souffrances, j’ai réussi à l’oublier au moins quelques secondes au gré d’un fromage odorant partagé avec amitié. J’ai parfois séché des larmes trop amères aux effluves d’une viande tendre aux épices virevoltantes, ou d’une pâte chocolatée à cœur ravissant mes papilles, pourtant enchagrinées la seconde d’avant.

Il m’a été donné de trouver une parcelle de beauté en toute chose, un ange gardien bien avisé veillant à ce qu’apparaissent devant mes yeux-fontaine une goutte de rosée irisée, des pétales en corolle aux couleurs délicates, un ciel mouvant, un fruit mûr à cueillir et à goûter les pieds dans l’herbe, toutes choses admirables comme un vent tiède venant sécher les larmes versées sur une vie parfois difficile à suivre.

J’aime à croire que ceux qui me veillent, invisibles à mes côtés mais que je sens si proches parfois, aiment à placer sur mon chemin des jalons de plaisir, des bribes de beau, comme des nœuds placés sur la corde de ma vie pour me faciliter son ascension (ou sa descente, c’est selon).

Certains s’aident peut-être à vivre par l’argent, le pouvoir, le succès, d’autres par la fête et le bruit, ou la retraite et le silence, que sais-je. J’ai besoin moi, pour avancer, de frissons de plaisir sur ma peau plongeant dans une mer fraiche ou sous la caresse de mains douces, d’odeurs, de parfums, de volutes enivrantes ou chaudes pour me mettre l’eau à la bouche, de couleurs pastels ou explosives et de nature en floraison devant mes yeux émerveillés, de sons subtils et de musiques poignantes pour émouvoir mes oreilles, de saveurs fondantes et renouvelées pour me mettre d’humeur à rire et à vivre.

Combien de fois me suis-je consolée d’un ciel rose du soir ou d’une nuée d’étoiles, d’une odeur d’herbe coupée ou d’une giboulée parfumée de printemps. De combien de chagrins suis-je venue à bout à l’aide du tintement d’un verre contre un autre, de la première gorgée d’or liquide rafraichissant mon palais ravi de l’amitié et du vin partagé, un zinc frais sous mon coude.

Je mourrais de ne plus sentir, ressentir, entendre mon cœur battre au rythme d’un émerveillement passager, d’un rien, d’un souffle d’air, du vol d’un oiseau, de la courbe d’un corps émouvant, d’un fruit rebondi, de l’ombre d’un arbre accueillant, de la nacre d’un coquillage, du dessin mouvant d’une écume de vague, de tout ce qui bouge, de tout ce qui vit et meurt, de toute cette nature éphémère et changeante d’où je viens, où je retournerai.

Il n’entendrait jamais plus mon rire, ne verrait jamais pétiller mes yeux, celui qui me priverait du goût d’une framboise ou d’un grain de chocolat, de ma première gorgée de café du matin qui me rend à la vie savourée par son amertume brûlante et bienvenue.

Quand j’étais enfant, j’aimais la messe familiale du dimanche matin à cause des volutes parfumées de l’encens, du son de l’orgue, de la lumière multicolore du soleil jouant dans les vitraux, et par-dessus tout pour l’odeur de poulet rôti ou de gigot grillé qui régnait dans la maison quand nous en revenions, plaisir annoncé.

Je suis tombée amoureuse pour la première fois d’un garçon qui me faisait rire, mais je l’ai aimé plus que tout pour son odeur mâle et la saveur salée de sa peau.

Je crois que je respire les gens que j’aime autant que je les regarde. Si je pouvais goûter un inconnu, je me laisserais aller à laper sa peau discrètement pour voir s’il peut m’être sympathique.

Je crois qu’au plus profond du plus noir des désespoirs, au bord du gouffre, je pourrais être retenue de sauter par une odeur mouillée de printemps, le fauve insensé d’une feuille d’automne en vol fou.

jeudi 21 janvier 2010

Poème d'amour métropolitain

Une figure régulière du métro matinal : un homme au cheveux gris qui échange quelques feuillets faits maison contre un peu d'argent.

Ce matin, il nous propose des "poèmes d'amour fou", étrange chose à vendre dans la rame somnolente.

Nous sommes plusieurs à fouiller nos sacs pour en sortir quelques deniers, un ticket restaurant.

Je refuse la feuille photocopiée, dis que ce n'est pas la peine.

Il m'adresse un sourire, la met dans ma main d'autorité. Je souris un merci à mon tour.

Entre Réaumur-Sébastopol et Quatre Septembre, je lis les mots fous d'Apollinaire à Lou, le coeur serré, la foule autour oubliée.

Je ressors dans le froid que je ne sens plus. Peut-être la trace de la larme qui a roulé sur mon nez est-elle un peu plus fraiche au vent du matin...

lundi 14 décembre 2009

Sophie

J’ai déjà dit ici l’aversion que je ressens pour les réseaux dits « sociaux », FaceTruc et consorts. Pourtant je reconnais que FaceMachin m’a fait l'autre jour un très beau cadeau, et que je suis rentrée chez moi ensuite toute remuée de cette émotion inattendue.

J’avoue avoir créé une fiche lambda sur FaceBidule, à la seule fin d’aller parfois – rarissimement - y chercher la bobine de quelqu’un avec qui je suis en contact professionnel, ce que j’ai fait il y a quelques jours au bureau. Et puis, de fil en aiguille, ayant retrouvé à grand peine mes coordonnées d’accès à FaceMmmm, je m’y suis attardée et suis allée visiter quelques pages et cherché de qui je pourrais bien avoir envie d’avoir des nouvelles dans mes connaissances perdues de vue. Et j’ai atterri – par une chance extrême – sur la page de Sophie.

Sophie, c’est mon amie d’enfance. On s’est connues bébés ou presque. Nous avons partagé nos années de maternelle. Deux maisons séparaient nos maisons et même petites nous avions le droit de nous rendre l’une chez l’autre, un parent attentif surveillant que nous ne quittions pas le trottoir.

Elle était arrivée petite dernière d’une fratrie où la précédaient trois grands frères casse-cous. J’étais la troisième de quatre filles sages. Chez elle régnait un joyeux capharnaüm qui m’émerveillait, où je me sentais maladroite et empruntée, et j’en voulais un peu à mes parents d’être si rigides comparés aux siens. Sa mère, si belle et rieuse, n’était jamais une intruse dans nos jeux, dans mon souvenir, et nous laissait faire mille bêtises inimaginables chez moi : je me souviens d’une après-midi crêpes qui avait totalement dégénéré, chacune imaginant la crêpe la plus immonde à déguster. Et sa mère riait aux éclats avec nous devant nos mélanges camembert/banane, sans s’offusquer le moins du monde.

Chez elle, dans ces années soixante-dix, on écoutait du rock à pleine puissance sur la chaine ultra perfectionnée du salon familial, quand la musique, toute musique, était considérée comme du « zinzin » par mon père, qui en tolérait à peine l’écoute, recluses dans nos chambres.

Avec Sophie, j’ai vécu les cours de danse du mercredi après-midi et les premières cigarettes chipées à ses frères et crapotées en toussant au fond du jardin, les courses dans la campagne et les constructions de cabanes dans les champs de maïs. J’ai connu les premières boums où je faisais tapisserie pendant qu’elle collectionnait les soupirants. Ensemble nous découvrions la féminité, elle entourée de garçons dans une famille où la parole était permise, moi entourée de filles dans un univers silencieux : mes premières règles auraient sûrement été une grande surprise si elles ne m’avaient été expliquées à l’extérieur de chez moi… Petites filles curieuses, nous regardions à la volée, éberluées, l’anatomie exacerbée des filles des « Play Boy » qui trônaient sans se cacher dans les chambres de ses frères, observant nos propres corps qui changeaient sans nous paraître devoir jamais ressembler à celles-là…

Les années de lycée nous ont un peu séparées, nos amis respectifs s’accordant mal de nos styles différents, elle baba-cool, moi BCBG. Nous continuions à nous croiser, différentes mais liées par une enfance commune, des secrets partagés, une mutuelle tendresse, je crois. Et puis ses parents ont divorcé, la maison deux maisons plus loin a été vendue, elle est partie vivre dans la ville d’à-côté, pas très loin mais nous n’étions plus les amies d’avant, déjà un peu éloignées même quand il n'y avait encore que quelques mètres seulement de trottoir entre nous. Je suis partie étudier le cinéma à Paris.

La dernière fois que je l’ai vue, nous avions 20 ans. J’étais de passage chez mes parents pour un week-end, des vacances peut-être. Le téléphone a sonné. "Sophie pour toi", a dit Maman. Sophie a dit « Je voudrais te présenter ma fille. », et j’ai failli tomber par terre : j’ignorais même qu’elle était enceinte.

Je la revois dans le salon de notre maison, avec ce tout petit bébé que je n’osais toucher, incrédule, et Sophie aux yeux pleins d’amour nouveau pour le trésor gigotant, qui m’expliquait avec les mots de notre enfance que c’était rigolo d’être enceinte parce qu’on ne voyait pas ses pieds. Je me souviens de cette phrase-là et de notre rire retrouvé.

J’ai eu des nouvelles de Sophie 15 ans plus tard, elle s’était installée sur une île paradisiaque à l’autre bout de la terre et le trésor avait eu deux petites sœurs.

C’est ce bébé, qui a aujourd’hui presque 26 ans, qui m’a permis de la retrouver. Elle avait donné à sa première fille un nom ancien et inusité dont je me suis toujours rappelé, accolé superbement au nom italien de son papa. Un nom unique et beau, gravé dans ma mémoire, que j’ai tapoté sur FaceB… et qui m’a conduite à des albums photos pleins d’émotions.

Sophie ressemble aujourd’hui à celle que je l’imaginais devenir : belle et libre. Ou en tous cas c’est que les photos m’ont raconté. Elle habite toujours sur son île, ses yeux sont encore plus verts et elle a un tatouage sur l’épaule gauche. Là, dans ce décor de soleil et de mer turquoise, j’ai retrouvé le sourire de la petite fille qui partageait mes jeux dans notre campagne bretonne. Mon amie si chère.

Je ne sais si Sophie garde de moi un souvenir aussi vif que celui que j’ai d’elle. J’ai toujours eu l’impression que notre relation était déséquilibrée, qu’elle m’apportait beaucoup plus à moi qu’à elle.

D’elle, aussi délurée que j’étais raisonnable, j’ai appris qu’il convenait de ne pas l’être trop. Elle m’a offert une fenêtre ouverte dans mon enfance un peu trop régulée, un petit vent de folie possible, qu’on pouvait rêver, et choisir. La part de liberté qu’il y a en moi, je crois bien que c’est grâce à elle qu’elle a pu grandir et se développer parce que c’est au cours de nos courses d’enfants pas sages qu’elle en a semé la graine vivace. Parce que j’ai vécu à ses côtés les années où l’on se forge, où l’on apprend à devenir soi, et que son regard vert, ses refus et nos rires partagés ont immensément compté sur ce chemin-là. J’ai eu depuis d’autres amitiés, plus longues, plus abouties, plus adultes, infiniment précieuses et encore présentes à mes côtés, mais celle-là, la toute première, a le goût des apprentissages dont on fait le ciment pour sa vie. Toute sa vie.

Je lui ai envoyé un petit mot sur FesseBouc, pour lui dire que j’étais émue de l’avoir retrouvée là, que je serais heureuse de savoir si elle est heureuse, ce que je souhaite de tout mon cœur. Je lui ai donné le lien vers ce blog. Peut-être lira-t-elle ceci, peut-être pas. Peu importe, je suis heureuse d’avoir parlé d’elle ici, comme une sorte de merci indicible.

mardi 17 novembre 2009

Jocelyn Q, 30 ans

J'avoue avoir trainé hier toute la journée une tristesse diffuse à l'annonce de sa mort. Je ne savais rien de cet homme jeune, hormis que je le trouvais sympathique et bon acteur. Et j’appréciais tout autant sa compagne, qui, non contente d’être sublime, avait l’air tout à fait charmante.

Il s'est tué dimanche soir brutalement, au volant de sa voiture, et l’annonce de cette mort subite réveille, comme chaque fois que j’en apprends une similaire - qu'elle frappe des gens connus ou non - le souvenir de stupeurs anciennes, la mémoire de jours noirs. Je sens dans ma bouche le goût de métal amer de la mort de l’Autre. Oui, chaque fois revient ce méchant goût-là. J’ai envie de cracher au loin cette salive empoisonnée comme j’avais envie de le faire il y a… il y a longtemps, pour ce qui me concerne, mais de ces souvenirs-là je ressens encore les sensations physiques, c’est insensé. Comme si la moindre de mes cellules avait imprimé en elle la mémoire de cette souffrance et la revivait - de façon beaucoup plus légère, Dieu merci - à chaque évènement similaire qui vient à ma connaissance et appelle mon étrange et sincère chagrin.

Je sens en moi depuis hier une compassion absolue pour celle qui reste, dont j’imagine de loin l’étau qui l’enserre, l’incrédulité hébétée, dont je sais le poids cruel que pèseront au creux de sa poitrine les jours, les semaines, les mois à venir de sa vie jamais pareille.

Parce je me souviens de l’inéluctable cauchemar dont on ne se réveille pas ou si longtemps après, de l’infini gouffre dont il est interminable de s’extirper, de la nausée de chagrin dont on pense – on espère, parfois - qu’on va mourir aussi.

Parce que je sais les images qui se bousculent, les dernières et les anciennes, se télescopant en un patchwork insoutenable de bonheurs disparus. Je sais les minuscules choses qui se feront les pires pour rappeler l’absent. Le chagrin s’accroche à une brindille, à une tête d’épingle, à un petit rien qui peut vous écorcher vif.

Parce que je sais la vision inadmissible d’une caisse de bois où gît un corps qu’on a serré dans ses bras, avec qui on a fait l’amour, quelques jours auparavant. Et qui va brûler. Ou être dévoré. Et les éveils trempés de sueur et de peur des nuits à suivre où les cauchemars se font dignes d'un film d'horreur et de désespoir.

Parce que je sais les regrets infinis de ne pas avoir assez... Pas assez dit, fait, montré, profité, aimé, réalisé, vécu chaque bribe des instants ensemble. Parce que je sais le reproche absurde que l'on se fait de ne pas avoir soupçonné, deviné, que ces mots échangés, ce baiser distrait peut-être, étaient les derniers. Comment n'a-t-on pas senti l'urgence de ce moment unique qui ne sera suivi que de jamais plus ? Comment ??!! Et la colère abattue qu'on en ressent.

Je ne sais pas, en revanche, la douleur ou l'espoir que représente un enfant dans cette terrible équation-là. Ce doit être plus terrible encore ? Ce doit être plus facile de se raccrocher à la vie ? Je l'ignore. Je n'ai pas connu cette joie terrifiante.

Je sais aussi le temps-baume et la tendresse souriante des souvenirs qui ne font plus souffrir, un jour, bien après. Heureusement, je sais cela aussi. Mais pour ceux, si nombreux, qui sont dans l'oeil du cyclone de la perte d'un amour, là, aujourd'hui, le savoir n'est même pas un espoir. Je le sais aussi. Et je suis infiniment triste.

dimanche 27 septembre 2009

Petits démons familiers

Est-ce qu’on ne passe pas une vie entière à combattre ses démons ? Avoués ou camouflés, enfouis ou bien en vue, rigolards, bruyants, pleurnichards, insupportables ou finalement indispensables. Vieux compagnons presque sympathiques, de ceux avec qui l’on sait qu’on devra toujours composer. Dont on ne pourrait se passer ? Alors peut-être qu’on ne les combat pas autant qu’on les aime…

Je recroise parfois celui qui m’a si fort bouleversé le cœur il y a quelques mois. Auquel je m’efforce impossiblement de ne pas penser. Celui qui me jette dans les bras d’un amant gentil dont je me moque éperdument. Celui pour qui je me cramponne sur l’interrupteur OFF de mon cœur blessé, qui cicatrisera, je sais. Il a connu d’autres sutures, d’autres dérivatifs ; il s’en est remis. Il s’en remettra.

Quand je sais que je le verrai, les matins sont fébriles et gais, les vêtements voltigent en désordre, choix futile et cornélien, essentiel, auquel il ne prêtera nulle attention sans doute. Et je m’amuse de son ignorance de l’émoi qu’il suscite. Ou bien sait-il ? Se doute-t-il ? Que je bafouille quand je prononce son nom, que son visage accompagne mon endormissement du soir, souvent, que le moindre mail anodin que je lui adresse me demande une attention concentrée sur chaque mot, chaque virgule, parce que c’est pour lui, pour qu’il ait l’air encore plus anodin que tous les autres mails de ma journée alors qu’il est le plus important, que je peux le préparer des heures durant. Des heures pour quelques mots qu’il balaiera d’un regard sans enjeu aucun. Enfin je crois. Si je me trompais ? Espoir. Infime, merveilleux et démoniaque espoir.

Quand je le vois, le temps s’accélère, la parole est facile, la boule qui pèse au creux de mon ventre s’envole légère. On a tant à se dire. Parfois il évoque la femme qui partage sa vie à qui je ne peux donner de visage autre que le rasoir qui me laboure à l’intérieur. La femme-rasoir. Acérée et cruelle. Pour qu’il l’aime, pourtant, je me dis qu’elle doit être une fille bien. Pourvu que je ne la rencontre jamais. Peut-être la trouverais-je atrocement sympathique. Qu’elle reste cette lame-cauchemar que je ne peux même pas détester.

Quand nous nous séparons, mes semelles s’alourdissent. Je suis la femme-plomb. Je traine mon corps lesté de mon cœur mort un peu. J’envisage une soirée solitaire avec horreur. Appelle un ami pour rire, pour partager trop de mots et de vin amical. Trop. Avant de dormir seule. Démon.

Et pourtant, je vais bien. Je m’en étonne presque. Je regarde parfois tout cela de l’extérieur comme une spectatrice habituée au spectacle. Comme un film déjà vu. Il y a un temps infini que je n’ai été amoureuse à ce point et je crois que je goûte les instants de joie que cela me donne. Même s’ils sont sans espoir d’avenir et suivis tout aussitôt de ce brouillard de chagrin qui glace jusqu’à la moelle.

Il y a des jours où je m'étonne moi-même de mes apprentissages. D'arriver à attraper ce drôle de truc hérissé de tessons de bouteille en parvenant à trouver une extrémité moins blessante que les autres. D'y trouver de l'intérêt parce que ressentir est essentiel et passionnant. Même en y laissant des forces et le coeur essoré. Je suis vivante. Consciente. Et je ne comprends pas moi-même très bien ces derniers mots que j'écris ce soir qui viennent incohérents et évidents. Mon propre désarroi m'intéresse et je me demande ce que je pourrai en faire de bien. J'y réfléchirai mieux demain.

edit du coeur de la nuit : les mots viennent sous mes doigts la plupart du temps sans que je les contrôle vraiment. Parfois à ma propre surprise, comme ceux des paragraphes ci-dessus, que j'ai écrits tout à l'heure lucide et claire, sans bien me les expliquer pourtant, jaillis d'une source à moi-même mystérieuse. J'ai écrit "Je vais bien", donc, et c'est une forme de vrai, sûrement, puisque c'est sorti de moi avec une telle facilité. Alors pourquoi cet éveil nocturne, oppressée et pleine de larmes, le coeur-étau et l'envie mortifère de ne jamais voir finir cette nuit noire ? Parce que je L'ai vu ces derniers jours, bien sûr, et que c'est si difficile, après. Et qu'Il est source d'un bonheur exalté et fulgurant, écroulé sitôt qu'éprouvé, chaque fois, et aussi de toutes ces colères après tout et rien, qui m'épuisent et me consument en ce moment, d'énergie violente vite brûlée puis de culpabilité, mon amour non consommé défoulé ainsi sans ménagement pour d'autres qui n'y sont pour rien, les pauvres. "Je vais bien", alors, sans doute, puisque c'est sorti de mon coeur tourmenté qui ne se l'explique pas lui-même, mais c'est dur, c'est difficile, c'est invivable au coeur de cette nuit, parmi tant d'autres nuits pareilles. Et j'espère le matin plus doux sans y croire tout à fait...

jeudi 21 mai 2009

Festival

De retour de Cannes, après quelques jours seulement passés là-bas. Jamais mes séjours festivaliers n’auront été aussi passionnants et riches que celui-ci.

Je n’ai vu AUCUN film (je me suis bien présentée à une projection matinale au Marché pour le film d’Emmanuel Mouret, mais je m’étais trompée de jour… j’avais du lire mon programme à l’envers, du coup j’ai pris un café avec le projectionniste, on a bien ri). J’ai à peine mis les pieds sur la Croisette, n’ai pas monté les marches juchée sur des talons meurtriers, je n’ai pas fait la fête jusqu’à l’aube, à peine ai-je bu une coupe pétillante et croqué un petit four rescapé d’une armée de vampires italiens (mais les vampires de buffet parlent toutes les langues du monde, là-bas). Je n’ai pas vu de star, ni porté de robe de Scarlett. Cannes off, en quelque sorte, le meilleur.

Non, j’ai fait là-bas ce qui me rappelle pourquoi j’aime mon métier, qui consiste principalement (je résume) à aider des gens, auteurs, réalisateurs, producteurs, à mener à bien leurs projets, à trouver des partenaires et des sous pour ce faire, à avancer, aller plus loin.

Je me suis consacrée entièrement à eux, avec un bonheur extrême. Je reviens saoulée de rencontres et de sourires, d’espoirs et d’énergies incroyables toutes entières dévouées à des histoires magnifiques, folles, drôles, tendres. Je garde le souvenir d'heures entières passées à écouter des rêves en passe de devenir des images et sur mes épaules la chaleur d’un blouson de cuir posé là gentiment une fin de nuit fraiche par un auteur passionné avec qui nous avons parlé de projets, d’histoires, de la vie, de la mort, de choses sensibles et tendres. Une remontée de la Croisette aussi, sous un soleil chaud, bercée par l’accent d’un réalisateur foufou aux yeux rieurs emplis de mille fictions que j’aimerais tant aider à mettre sur écran la prochaine. Un chaleureux espagnol qui m’embrasse comme du bon pain après m’avoir raconté l’histoire terrible de sa famille qu’il veut écrire, produire, réaliser, pour me remercier de l’avoir écouté, si émue, la gorge serrée. Le lendemain j’organise un rendez-vous pour lui avec d’autres producteurs qui me semblent partager le même feu, le courant passe entre eux, et je les regarde, heureuse. On promet de se revoir bientôt, de me donner des nouvelles du projet. A San Sebastian en septembre, il aura avancé peut-être, je vais le suivre de très près. Et ce duo de producteurs italiens, mes chouchous depuis le dernier festival de Rome, dont je suis si fière d’avoir pu les aider à trouver un partenaire ici. On dirait bien que le film va se faire, il est si joli. On me montre les photos des enfants, me fait promettre de venir dîner à la maison à Rome la prochaine fois, je fais partie de la famille maintenant. Et on se quitte en se serrant dans les bras. J’ai des sourires plein le cœur.

On m’aurait dit qu’un jour j’aimerais Cannes que je ne l’aurais pas cru. Il y a les paillettes, le paraître, les fêtes VIP (rien que le terme « very important person » me fait courir des frissons d’horreur dans le dos, quel con faut-il être pour se croire plus « very important » que quiconque ?), il y a les airs blasés et les qui se la pètent, il y a les médisances et ce sentiment de supériorité insupportable de beaucoup. Et puis, tout à côté, il y a les gens qui « font » les films, qui écrivent, qui tournent, qui n’ont pas peur de leurs émotions, de leur fragilité, de leurs passions, qui y croient et qui vous entrainent avec eux. Que de beaux regards j’ai croisé, que de belles histoires on m’a raconté, que de conversations passionnantes avec des êtres humains formidables. J’ai beaucoup de chance.

J’admire tous ces gens, de vivre leurs passions au grand jour, de n’avoir pas peur de leurs émotions, d’oser les livrer au monde, publier, filmer, scénariser et signer de leur nom et leur prénom, les vrais ! Quelquefois, à ceux avec qui je me sens en confiance, je dis timidement que j’écris, un peu, anonymement, clandestine, en secret de tous, ma famille, la plupart de mes amis, mon boulot, comme honteuse… Et on m’encourage, voire on m’engueule gentiment, on m’exhorte à ne pas avoir peur ni honte de ce que j’écris en secret, de faire se rejoindre celle que je suis dans la vraie vie, si différente en représentation professionnelle de celle que je suis dans les pages de ce blog ou d’autres écrits. Ils me font du bien, me donnent à penser que oui, peut-être, le moment viendra bientôt de ne plus séparer mes vies, d’assumer le moi secret et de l’associer pleinement à moi-même, aux yeux de tous. De quoi ai-je peur, au fond ?

dimanche 19 avril 2009

Susan

J'ai cherché dans ma mémoire cinéphile quel scénariste aurait pu inventer une scène aussi incroyable que celle qui a révélé au monde une voix d'exception ces jours derniers, celle de Susan Boyle, écossaise de 47 ans, candidate d'une émission de télé britannique révélatrice de talents, cette fois-là en tous cas.

"A star is born" en effet, en direct l'autre soir sous les yeux du public présent dans la salle, debout et hurlant d'enthousiasme, devant quelques millions de téléspectateurs ébahis [1], et dans les heures et les jours qui ont suivi, devant les yeux éblouis de plusieurs millions d'internautes - dont je fais partie - le buzz démultipliant à l'infini sur internet la notoriété toute neuve de Susan.

J'avoue avoir visionné en boucle le fameux extrait de "Britains got talent", et que j'ai été émue aux larmes chaque fois. Susan et sa voix d'ange ont ensoleillé mon week-end. Le scénario est parfait : une héroïne inattendue et sympathique, sujette aux moqueries non déguisées du public et du jury "hype" et sans pitié, bientôt remis à sa place par la performance vocale de Susan, sans conteste...

Susan Boyle

Un billet sur mon petit blog, comme un minuscule caillou dans l'océan d'hommages à la chanteuse inattendue qui fleurissent sur le net. Pour la remercier d'un moment de beauté et d'émotion authentiques, au milieu de tout le fatras "d'émotions" frelatées qui sont le lot quotidien d'une télévision qui s'obstine à qualifier de "star" la moindre ado braillante pour peu qu'elle soit jolie et suffisamment insolente. Et aussi éphémère que la minute qui l'a vue se faire connaître.

Pourquoi nous sommes des millions à avoir adoré Susan, en dehors de la qualité exceptionnelle de sa prestation ? Sans doute parce qu'elle est arrivée là sans fioritures, sans jouer un rôle, avec une robe de dimanche et une coiffure aléatoire, simplement elle-même jusqu'à l'aveu souriant de sa vie solitaire avec son chat, et de n'avoir même jamais été embrassée... Elle aurait pu être pathétique, elle a été magnifique. Et ça fait du bien. A nous tous. A nous tous qui avons, dans des rêves fous, imaginé de vivre un jour un moment pareil.

Susan, je vous souhaite le meilleur pour la suite, de ne pas croiser trop de requins, de continuer à chanter, chanter et enchanter. Je vous souhaite de rencontrer celui qui vous embrassera le premier. Vous avez séduit des millions de gens, je vous souhaite d'en séduire un seul.

Je ne mettrai pas ici l'extrait de l'émission, il est accessible partout, on l'a vu partout, des JT du monde entier au show de Larry King sur CNN qui a interviewé Susan. On la verra bientôt chez Oprah Winfrey et sans doute dans les bacs de la FN*C et d'ailleurs. Je préfère donner ici sa version de "Cry me a River", retrouvée sur un "CD de charité" et mise en ligne très vite après sa révélation. J'en ai rarement entendu une aussi belle.


Susan Boyle - Cry Me A River - 1999 Recording (From The Scottish Daily Record Newspaper)

Notes

[1] façon de parler, en fait, j'ignore si l'émission est en direct, d'une part, et quelle audience elle a, mais peu importe

lundi 19 mai 2008

Cadeau

Samedi soir, je sortais de chez mon amie Mili, qui exposait encore quelques tableaux émouvants à l'occasion des journées portes ouvertes des ateliers de Belleville. Je profitai d'une accalmie brutale et ensoleillée entre deux accès d'orage pour me glisser dans la rue, essayant d'éviter de glisser dans la gadoue toute fraiche avec mes sandalettes incongrues. Les yeux rivés sur mes pieds, je ne l'ai pas vu tout de suite. En levant le nez vers le soleil bienvenu, tout à coup il était là. Bien fiché quelque part derrière le square de Belleville, il s'élevait en splendeur colorée. Cadeau.

arce en ciel

Pendant quelques minutes rares, la rue a vécu en communion avec cette beauté, les gens s'interpellaient, se montraient les uns aux autres la merveille de soleil et de pluie, souriaient de ce partage, de ce paysage renouvelé. On faisait descendre les petites vieilles cachées derrière leurs fenêtre, juste pour voir, venez voir ! Les gens sortaient des cafés, leurs demis à la main, alertés par le bruissement soudain si vivant de la rue grise devenue lumière. Les plus petits riaient et regardaient étonnés les adultes qui d'un seul coup se mettaient à leur ressembler. J'ai pris par les épaules le petit monsieur sourd et toujours emmitouflé qui descendait la rue dans le mauvais sens et ignorait l'arc-en-ciel tout neuf. Il a eu un peu peur sûrement quand je l'ai fait pivoter, puis il m'a remercié, est resté bouche-bée quelques instants avant de reprendre son chemin tremblotant. A la porte de mon immeuble, j'ai vu sur le visage d'un voisin revêche un sourire d'enfant. Il a répondu à mon bonjour pour la première fois depuis 5 ans. A dit quelque chose d'incompréhensible dont je n'ai capté que le mot "beau".

Je suis rentrée chez moi le coeur léger, réconciliée en cet instant avec tout le reste de la vie.

arc en ciel

PS : Oui je suis bien à Cannes, mais rien d'intéressant à dire pour le moment. Je n'ai vu ni Steven, ni Harrison, je boude. Ce soir, je monte les marches pour le film de James Gray "Two lovers", je suis contente de le voir.

dimanche 24 février 2008

Sous ma couette

Ce matin, quand je me suis réveillée, Charouk était couché à côté de mon oreiller, sa petite tête triangle posée à côté de la mienne. Il guettait mon souffle, ses yeux verts attendant que j’ouvre les miens. Il m’a gratifiée d’un petit miaulement amical, l’air de dire « Ah, enfin, tu te réveilles, paresseuse ! » (je m’étais quand même levée au radar vers les 7 heures, pour lui donner le petit déjeuner qu’il réclamait, avant de me recoucher illico et de me rendormir aussitôt). Un peu plus tard, alors que je m’étais remise sous la couette, café à portée de main, ordinateur sur les genoux, il est venu se glisser à côté de moi (oui, oui SOUS la couette, lui aussi, il adore), surveillant quand même ma réaction et prêt à battre en retraite au moindre signe de refus de ma part, ce qui est habituellement le cas. Mais j’ai l’intention de changer les draps ce soir, alors j’ai fait celle qui ne voyait pas la discrétion de sioux qu’il déployait pour arriver à ses fins… Et j’ai passé un moment avec ma bouillotte ronronnante qui soulevait de sa respiration endormie les fleurs du drap à mes côtés… Plaisir du dimanche avec un compagnon pattes de velours… Je ne connaissais pas. J’apprécie.

Cela m’a fait penser néanmoins que cela fait un sacré bail que je n’ai pas savouré les joies d’un petit déjeuner dominical amoureux (je veux dire avec un compagnon à deux pattes et sans oreilles en pointes avec un tatouage à l’intérieur, du type hominidé, vous voyez ce que je veux dire).

Et aussi vachement longtemps que je n’ai pas dormi avec quelqu’un. (Soupir)

Je veux dire, vraiment dormir. Pas juste partager un lit. Ça c’est à la portée de n’importe quelle paire d’humains. Tout amant de passage peut se prêter à l’exercice fort simple de demander « tu dors à droite ou a gauche ? » et de sombrer en ronflant et sans plus s’occuper de l’autre.

Non, je veux dire vraiment dormir AVEC l’aimé, en faire une partie intégrante de l’histoire d’amour, partager des rituels d’endormissement et de rêve, sentir un lit trop vaste quand l’autre manque à l’appel. Ne pas se contenter de sa moitié de matelas et de couette. Faire de sa place celle de l’autre aussi. Sommeils entremêlés, chaleur d’un souffle dans un cou, battements de cœurs paisibles, forme d’un dos que l’on épouse de son ventre, étreintes de jambes dont on se sait plus très bien de qui elles sont, moiteur de peaux amoureuses, odeurs mêlées et intimes connues de nous deux seulement. Ce petit grain de beauté sur sa nuque, caché sous ses cheveux caressés, je suis la seule à en connaître la forme et le goût de sel.

Et puis des mouvements comme des vagues, le lit se fait bateau quand la nuit devient houle douce. Tu pars à tribord et je te suis. Je roule au creux de mon rêve et tu me rattrapes de tes bras filets. Nous sommes en sécurité l’un dans l’autre, arrimés, solides, inconscients ensemble, tellement ensemble…

Oui. Soupir…

mercredi 26 septembre 2007

Ciel-thérapie

En cas de déprime, j’ai plusieurs remèdes possibles : film de filles, bon vin, repas gourmand, journée beauté, soirée copains, câlins et galipettes, certains de ces anti-dépresseurs avérés pouvant tout à fait être consommés simultanément, d’ailleurs.

Ciel

Il y a une autre thérapie dont je constate chaque fois à quel point elle m’est bénéfique, me plongeant dans un état de sérénité bienvenu et ramenant à de justes proportions tous les soucis auxquels j’accorde parfois un peu trop de crédit. Cependant, c’est une cure un peu compliquée à obtenir d’un claquement de doigt, il faut prendre rendez-vous et ça coûte cher, mais j’ai la chance de pouvoir la pratiquer professionnellement plusieurs fois par an et c’est déjà un énorme privilège.

Je l’ai expérimenté à nouveau ce matin, dans l’avion qui me ramenait de Biarritz (il n’y a pas d’aéroport à San Sebastian) : voler au-dessus d’une mer de nuages est pour moi une source de félicité absolue.

Ciel

Non pas que j’aime particulièrement prendre l’avion. On s’y ennuie copieusement et je n’aime pas cette sensation de me sentir « coincée », peu libre de mes mouvements. En plus on y mange le plus souvent très mal (sauf dans les avions indiens, surtout les plats végétariens), ce qui me rend toujours un peu grognon (ben oui…).

Mais le ciel… Le ciel !!! Merveille toujours renouvelée. Là-haut il fait incroyablement beau. Et je ne me lasserai jamais des levers et couchers de soleil qui rosissent l’étendue cotonneuse, des champs géométriques au-dessus desquels des petits nimbus jouent à saute-mouton, de l'incroyable beauté de la Terre. Je crois que j’ai fait des milliers de photos de cette splendeur, qui ne rendront jamais le sentiment de plénitude que m’offre le ciel. Tout devient relatif à cette altitude. Et j’ai toujours un immense remerciement en moi quand je contemple cela, retenant mon souffle pour ne pas voiler de buée mon hublot (je demande toujours à être placée près d’un hublot, sinon je trépigne). Remerciement à la Vie de m’offrir des instants si pleins, si intensément calmes et beaux.

Ciel

Merci aussi aux taxis grévistes de l’aéroport Charles-de-Gaulle et aux opérations-escargots du jour en Ile-de-France de m’avoir laissé tout le temps d’écrire ce billet pendant mes deux heures et demie de Roissybus, plus longues que mon voyage en avion, donc... Dommage, je n’avais pas de connexion wifi (je vais me plaindre à la RATP) sinon j’aurais pu mettre le billet illustré en ligne tout de suite !

lundi 18 décembre 2006

Cirque

Je ne sais s'il y a un spectacle au monde qui m'étreint plus d'émotion que celui-là.
Je ne sais ce que j'y préfère, de la musique des corps déliés, des courbes et bonds virtuoses, des ombres et des lumières de gestes, de l'intensité de l'effort invisible.
Je ne sais si c'est la poésie de la piste ou le regret poignant de ne pas y être qui me procure ce serrement de coeur, ces larmes qui perlent parfois, ce sentiment indicible que là est l'essence de moi.
Quand je suis sur le pourtour du rond de lumière et de magie, j'en veux à mes parents de ne pas être née là.
J'aurais voulu m'appeler Fratellini, moi.
Et jongler. Et m'envoler.
Et faire rêver d'autres comme moi tout en bas.
Bouleversée, je lève les yeux vers les cintres.
J'y suis un peu aussi.
Rentre les semelles un peu plus lourdes de toute cette légèreté.
Des boucles virevoltantes d'une corde qui fut lisse avant l'étreinte sauvage et belle d'une fille-liane.
Mouvements et reflets de cuivres.
Corps entremêlés au plus haut des airs.
Musique des souffles retenus.
De mon coeur qui bat plus fort.
Plus fort.
Plus fort...

cirque

cirque

cirque


cirque

cirque

cirque

cirque

cirque

cirque

lundi 13 novembre 2006

Fairy birthday !

Pour un nombre incalculable de blogueurs, dont j'ai la chance de faire partie, cette journée du 13 novembre rappelle celle de 1960 qui vit la naissance d'une fée sur le berceau de laquelle quelques autres s'étaient penchées. Des journalistes virtuels ont donc parcouru la blogosphère pour recueillir nos impressions en ce jour :

- Et toi, tu l'as connue comment la fée ?

Je l'ai connue par l'intermédiaire d'une de ses copines, sorcière de son état, je crois (les fées et les sorcières sont assez copines, souvent. Parfois ce sont les mêmes, d'ailleurs...), qui écrit un blog magnifique, le premier que j'ai lu et qui m'a fait découvrir cet univers et ses auteurs. Quand l'envie m'a pris d'ouvrir le mien, c'est tout naturellement un des thèmes de la fée que j'ai choisi (et que j'utilise toujours, c'est marqué tout là-bas, en bas de la page). Je lui ai posé deux/trois questions aussi débutantes que saugrenues sur le forum Dotclear, auxquelles elle a répondu très vite et gentiment (parfois avec perplexité, en se demandant comment j'avais bien pu faire pour m'emberlificoter pareillement...)

- Quel est son billet qui t'a fait le plus rire ou pleurer ?

Incontestablement, mon préféré c'est la "Lettre à Monsieur la Vie". J'en recommande souvent la lecture autour de moi. Celui qui m'a fait le plus marrer, c'est l'histoire des bas qui tiennent tous seuls / qui ne tiennent absolument pas tous seuls, bouchon sur les chevilles en prime (et je sais de quoi elle parle !). En revanche, je n'ai pas retrouvé le billet...

- Et tu l'as rencontrée ?

La première fois, à mon premier Paris-Carnet (le premier "vrai", celui où je suis restée plus de 3mn12). Elle m'avait d'ailleurs gentiment proposé, après ma fuite éperdue à ma première tentative, de me chaperonner la fois suivante. Puis à d'autres Paris-Carnet encore, puis dans une maison pleine de souris et de zozos et puis aussi dans un drôle d'endroit où une dame et un monsieur chantaient dans du foin et une autre dame sur une balançoire. Si ! Parfaitement ! (la fée fréquente des endroits étranges et des gens fort peu recommandables : la dame sur la balançoire a trucidé son époux pas moins de trente minutes après...)

- Elle est comment en vrai ?

C'est vraiment vraiment une fée, parce que la première fois qu'elle m'a vue, elle m'a fait un grand grand sourire (elle fait souvent des grands grands sourires) en me disant "Bonjour Traou", que j'ai failli en tomber par terre, vu qu'elle ne m'avait JAMAIS rencontrée, j'en suis sûre. Comment fait-elle ?
Sinon, elle aime se lever très très tôt même quand elle ne travaille pas et prendre le petit déjeuner avec des tas de gens qui se sont levés très tôt aussi à sa demande (je le sais, je l'ai fait).
Elle est capable d'aller assister trois fois de suite au trucidage d'un époux par une dame qui trente minutes plus tôt se balançait l'air de rien. Et même, elle veut bien aller assister à la répétition de la tuerie !!!
Ce qui est sûr, c'est qu'elle tricote aussi bien les mots que la laine où les subtilités d'un template php...

- Qu'est-ce que tu ne pourrais pas faire sans elle ?

Elle m'a appris ce que c'était qu'un orgue de verre. Je lui dois beaucoup.

- Et si la fée était un logiciel, lequel serait-ce ?

Un logiciel ? Quelle drôle de question... Un logiciel à dimension humaine, en tous cas, spécialisé dans l'aide désintéressée à autrui...


Toutes les interviews sont regroupées dans les commentaires de ce billet, chez la fée elle-même.


Kozlika, je te souhaite un très très très bel anniversaire !
Affectueusement à toi...

mercredi 1 novembre 2006

Dédale d'émotions

J'ai déjà eu l'occasion de dire ici à quel point j'aime le boulot que je fais, même s'il me vole un peu le reste de ma vie en ce moment (ceci dit, ma vie sentimentale s'apparentant peu ou prou au désert de Gobi depuis quelques temps, je peux bien rester au bureau tard le soir, personne ne se plaint d'être délaissé à cause de mon surcroît de travail automnal, c'est déjà ça...).

Et de temps en temps, mon job me fait des cadeaux royaux... Depuis deux mois, nous accueillons sans discontinuer des hôtes étrangers, principalement américains, que nous traitons avec tous les égards dûs à leur importance au regard de notre activité. Nous les emmenons donc de visites privées de lieux prestigieux en restaurants gastronomiques chics (j'ai pris un nombre absolument inavouable de kilos depuis que je fais ce boulot...), en passant par divers spectacles et manifestations pas désagréables (tiens, pas plus tard que vendredi, je dîne dans un cabaret parisien, dont la revue est célèbre dans le monde entier, typiquement le truc que je ne m'offrirais pas à titre personnel, mais auquel je suis ravie d'assister dans ce cadre).

Or, récemment, l'un de nos invités américains particulièrement VIP avait émis le souhait de visiter l'Opéra Garnier. Souhait que nous avons mis un point d'honneur à satisfaire, et je me suis proposée pour être son accompagnatrice-traductrice lors de cette visite. Hier matin, j'ai donc vécu une heure magique bien que trop courte, mon visiteur ricain ayant un avion à attraper juste après.

On entre par la rue Scribe, à l'arrière du Palais, par l'entrée dite "de l'administration", en même temps que quelques jeunes filles frêles à chignons et à la démarche "en dehors". Mon badge "Passager" autour du cou (oui, à l'Opéra, on n'est pas visiteur mais passager, comme d'un vaisseau...), j'ai suivi notre guide par des couloirs tortueux et des escaliers innombrables qu'il convient de bien connaître pour ne pas s'y égarer.

La première porte qu'on nous a ouverte n'avait l'air de rien, mais nous avons débouché... sur le plateau, rien moins !

scène

Nom d'un chien, moi Traou, sur la scène de l'Opéra !!! Vous ne pouvez pas savoir le bond qu'a fait mon coeur dans ma poitrine, la bouffée incroyable de sentiments divers et violents qui m'a cueillie là, d'un coup, face à cette salle mythique. J'ai senti les pointes de mes pieds s'ouvrir en première comme lors de la première leçon de danse de mes huit ans, ai eu envie d'arrondir mes bras devant moi, de monter sur des pointes imaginaires, d'esquisser quelques pas vacillants, les larmes pas loin de mes cils bouleversés. Que c'est fort, une émotion d'enfance qui remonte du plus loin de sa mémoire.
J'ai passé l'heure suivante à vingt centimètres au dessus du sol, fébrile et extasiée, les mirettes grandes ouvertes et pleines d'étoiles, plongée au coeur d'un rêve de petite fille presque oublié, redevenu réel, là, en quelques secondes.

Il a fallu la quitter, pourtant, cette scène rêvée, et s'égarer à nouveau dans le labyrinthe ancien, parfois sombre et sinueux, parfois éclairé d'une percée ronde et lumineuse ouverte sur Paris.

Tour Eiffel

Derrière le plateau, on trouve de longs couloirs où chaque porte est un atelier ou une réserve de costumes. On y trouve des tutus vaporeux d'une blancheur de cygne, des chaussons tous semblables sagement rangés et étiquettés, les costumes du corps de ballet et peut-être des étoiles, qui sait. Du plafond, pendent les tutus courts, tels des corolles de fleurs.
Un peu plus loin, dans l'atelier des accessoires, des mains agiles cousent des perles et des paillettes sur des tissus précieux.

tutus longs

chaussons

atelier costumes

tutus courts

atelier accessoires

On descend ensuite dans les tréfonds de l'Opéra, les sous-sols gris et vastes, au centre desquels les voix résonnent comme des orgues. Il y a là deux puits au fond desquels on devine l'eau du lac souterrain qui assure la résonance de la salle et l'équilibre mouvant du bâtiment tout entier. Parfois, sur un mur, une flèche rescapée de la dernière guerre indique la direction de l'abri le plus proche. Je me sens minuscule au coeur d'un pan tout entier d'Histoire.

En remontant, au détour d'un escalier de plus, une porte ouvre sur la fosse d'orchestre. J'ose à peine y risquer un pied timide. De là, le plafond multicolore paraît si loin, si proche...

plafond

Et puis encore des tours et des détours, on monte, on monte en colimaçon vers des salles aux noms dansants : Diaghilev, Nouréev, Petipa. Là, on est happé par des notes de piano qui s'entrecroisent d'une salle de répétition à l'autre. Parfois, par un hublot percé dans une porte, on aperçoit des corps fuselés et puissants qui égrènent dégagés et battements inlassablement, jusque sous le dôme le plus élevé où une salle circulaire a été érigée récemment. Des petites danseuses emmitouflées de laine noire s'échauffent et s'étirent sans prêter attention à mes regards émerveillés.

danseurs

salle dôme

Il y a aussi des salles vides dans lesquelles nous avons le droit d'entrer. L'espace de quelques minutes, j'ai serré dans ma main le bois sacré d'une barre qui m'a raconté le souvenir de milliers de pliés, de muscles et de pieds douloureux, de corps écartelés. J'ai imaginé jaillissant du plancher des arabesques difficiles et des portés aléatoires. Et aussi des moments d'art pur connus de ce seul espace. A l'abri des regards, juste pour l'amour de la danse.

salle répétition

barres
Cette salle-là, Mon Dieu, jamais je n'aurais imaginé la connaître un jour. C'est celle de "L'Age Heureux" de mon enfance. Je parle d'un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître... "L'Age Heureux", c'est l'épopée du petit rat Delphine Desyeux dans une série télévisée en noir et blanc, qui m'avait fait supplier mes parents - comme toutes les petites filles de ma génération - de m'inscrire à un cours de danse. Je ne sais pas si quatre murs peints en blanc ont fait plus rêver que ceux-là.

salle répétition

salle répétition

J'aurais bien aimé aller sur les toits, comme la petite Delphine, renvoyée de l'Opéra pour cette raison. Ils sont interdits désormais. Et de toute façon, les petits rats ont déserté l'Opéra, depuis la délocalisation de l'école de danse en banlieue parisienne. On m'a dit qu'il y avait encore des ruches, cependant...

toits

Quelque part, dans mes rêves des nuits à venir, il y aura sûrement quelques jolis fantômes de tutus...

tutus

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