vendredi 8 juin 2012

Jean-Baptiste et Paco

Du premier, je tiens peut-être mon amour de l’écriture. Est-ce que cela peut être inscrit dans un gène ? Sur le faire-part paru dans Ouest-France samedi dernier, il avait voulu que soit écrit « homme de lettres ». Il en avait écrit des milliers, des lettres d’amour à ses deux régions de coeur, la Bourgogne et la Bretagne, sous forme de poèmes en prose, si beaux. Et des articles, et des recueils sur des auteurs qu’il aimait. Une vie entière d’écriture.

Du deuxième, je reçus un jour d’automne 2005 réponse à un de mes commentaires de blog (était-ce chez Tarquine ou chez Samantdi ? je ne sais plus...) où il suggérait que j’ouvre le mien. D’abord interloquée, l’idée ne mit que quelques jours à faire son chemin et Traou était en ligne. Je ne sais pas si je l’ai assez remercié pour cela.

Le premier ne s’appelait pas Jean-Baptiste, c’était son nom de plume.

Le deuxième ne s’appelait pas Paco, c’était son pseudo de Toile.

Le premier m’intimidait quand j’étais enfant. Il était ombrageux et fort en gueule parfois lors de déjeuners dominicaux. On m’a dit un jour que j’avais la même façon que lui d’incliner la tête de côté quand je parlais.

Le deuxième m’a accueilli d’un sourire qui plissait ses yeux derrière les volutes d’une cigarette à un premier Paris-Carnet. Nous y avons trinqué ensuite quelquefois avec sa compagne, son frère, sa belle-soeur, grande famille de la blogosphère !

C’est en rentrant mardi soir de Bretagne où j’étais allée accompagner Jean-Baptiste pour son dernier voyage que j’ai appris le départ de Paco pour le sien.

Jean-Baptiste laisse derrière lui ma toute menue et fragile petite tante, qui tremblait de chagrin de suivre le cercueil de son compagnon de chaque jour depuis 64 ans.

Paco laisse derrière lui une grande famille, des frères et soeurs, des enfants, et des amis. Une Compagne actrice et poète et une Merveille câline à qui je pense spécialement aujourd’hui.

Jean-Baptiste me laisse en souvenir un dessin naïf fait par lui quand il était jeune homme et qu’il déclinait sur différents documents (et même une petite bague en argent dont j’ai hérité et que je porte avec fierté) : une chouette et un épi de blé qu’il appelait « les armes de la famille » (la chouette, symbole du savoir, et l’épi de blé, symbole de la terre, parce que nos ancêtres étaient pour moitié instituteurs et pour l’autre agriculteurs...).

Paco me laisse en plus du souvenir indélébile de son bon sourire l’image d’un nez rouge de clown, le symbole que Luce et lui avaient choisi comme pied de nez à la maladie, pour proclamer leur amour le jour de leur mariage, et que nous avons été nombreux à arborer avec émotion.

J’ai dit au revoir à l’un il y a quelques jours, je dirai au revoir à l’autre demain. (je ne dis jamais adieu...)

Bon voyage à tous les deux, ma tendresse vous accompagne.

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dimanche 24 avril 2011

"L'amanterie"

Le mot nous a fait rire. C'est elle qui l'a inventé, un après-midi ensoleillé de mars, alors que nous buvions du vin blanc en terrasse non loin de la Cinémathèque. La file d'attente qui s'allongeait nous avait facilement dissuadées de l'exposition Kubrick, et il faisait bon piapiater entre filles sur cette petite place, alors que nous ne nous étions pas vues depuis longtemps. Depuis que nous avions fait connaissance, d'ailleurs, pendant un week-end de blogueurs qui nous avait vues hilares deux jours durant.

L'amanterie, c'est venu comme ça. Pour qualifier une situation amoureuse incertaine et disparate que nous avons connue toutes deux. Moi encore aujourd'hui, elle plus.

L'amanterie par opposition à la conjugalité, au couple.

L'amanterie, multiplication des bras dans lesquels on se love, qu'ils soient successifs ou simultanés.

L'amanterie, relations amicalo-érotiques avec des amants différents aussi peu amoureux de moi que je ne le suis d'eux-mêmes, ce qui n'exclut ni la tendresse, ni l'affection, ni même l'amitié parfois (je suis adepte de longue date des amis-amants, l'expression est douce. La réalité qu'elle recouvre aussi. Sa version anglaise en revanche m'est agressive à l'oreille et ne signifie pas la même chose à mes yeux...).

L'amanterie ce sont les même cris et soupirs offerts à des caresses prodiguées fort différemment car il y a autant de comportements amoureux que d'amants. Le lit se fait champ de bataille ou cocon de tendresse, lieu de confidences, d'ébats et de rires, flacon d'ivresses et d'odeurs différentes au gré de l'amant du moment.

L'amanterie c'est la solitude oubliée quelques heures avec l'un, quelques jours ou semaines avec l'autre, retrouvée plus cruellement ensuite, ou ensuite apaisée, selon le degré de complicité que l'on y trouve et l'humeur de la saison. J'ai l'amanterie joyeuse ou morose, selon mon baromètre personnel, qui se met en grève, parfois et me fait préférer la solitude à l'intermittence des corps et du coeur.

L'amanterie est mono ou polyandre selon les saisons, les désirs se cristallisant en un homme ou plusieurs. Il y a l'amant gentil et gai, l'amant bougon et peu bavard mais qui sait parler aux sens comme personne, l'amant des sorties cinéma-théâtre et des discussions sans fin, l'amant bon vivant avec qui il est précieux de partager la cuisine et la cave aussi bien que le lit, l'amant qui écoute et celui qui s'épanche, l'amant qui sait quand on a besoin d'être blottie, l'amant qui l'ignore mais qui est toujours là au bon moment... Il y en a des multitudes, là où j'en souhaiterais un seul, mais puisque celui-là n'a pas daigné montrer ne serait-ce que l'ombre de lui-même depuis fort longtemps, j'ai l'amanterie vagabonde.

Il ne m'étonne plus guère que mon emblème soit le papillon...

(billet ami en écho à celui-ci, ici)

vendredi 14 mai 2010

Rencontres aléatoires

Je pourrais sans doute écrire une thèse – bon allez, un petit mémoire – sur les sites de rencontres, je l’avoue. J’ai commencé à fréquenter ces pourvoyeurs de cœurs (enfin, il paraît) il y a quelques années, après une séparation qui me plongeait dans une solitude pas bien vécue.
A l’époque, l’internet n’était pas du tout illimité, la ligne téléphonique faisait pppppppppssssszzzzzzzzcccccchhhhhhthhhhhzzzzzzz pendant une plombe avant la connexion et on se faisait salement repérer au bureau, surtout au moment de la facture, d’ailleurs, si on avait eu le malheur d’oublier de cliquer sur « déconnexion » à la fin d’un « chat » avec Mister X… Je crois que nous sommes quelques-un(e)s à avoir vécu de sombres angoisses à ce sujet, et des fins de mois acrobatiques quand ça se passait à la maison et que le montant à acquitter nous donnait un coup au cœur à défaut d’en avoir comblé la solitude…

Finalement, ce n'est pas par l'intermédiaire du net que j'ai rencontré les hommes qui ont le plus compté pour moi : au moment où je commençais à surfer, j'ai rencontré Choul "dans la vie" et c'est tant mieux. Mais c’est là ensuite que j’ai croisé Fox, quand même, et nous avons vécu ensemble une jolie histoire d’un an avant de retourner chacun vers nos plates-bandes personnelles. Et je m’abonne depuis, par intermittence car cela m’exaspère chaque fois rapidement, à ces sites pour esseulés qui ne veulent plus l’être. Ce que je suis, à mon grand dam.

J’avoue y avoir passé de bons moments : j’y ai rencontré quelques garçons charmants dont certains sont devenus des copains, ou des amants, ou des amoureux passagers, et comme j’ai appris très vite à ne pas m’attarder auprès de ceux qui m’apparaissent aussitôt emmerdants, j’ai connu en quelque sorte le meilleur qu’il se pouvait de ces rencontres, éphémères ou non. Hormis qu’à l’heure où je vous parle, le but final - à savoir ne plus fréquenter ces sites parce qu’on y a trouvé l’âme sœur – n’est pas atteint pour ce qui me concerne. A mon grand dam.

Il y a de tout dans ces supermarchés de solos. Des enthousiastes et des timides, des cons et des brillants, des obsédés sexuels ou textuels, des passagers ou des habitués, des représentants de tous milieux sociaux, types physiques, races ou modes de vie, c’en est vertigineux, et en même temps, cela donne une confirmation certaine qu’il y a finalement peu d’êtres avec qui l’alchimie mystérieuse de l’amour peut exister, quelles que soient les affinités de départ affichées. Elles ne veulent tristement rien dire. Ou alors serais-je trop difficile ?

Oui, je me montre très (excessivement ?) sélective parmi tous les messieurs en vitrine de m**tic & consorts, et j’élimine par exemple impitoyablement :

- les vingtenaires qui cherchent une « femme mûre » (p’tits cons !). Les trentenaires itou. Je ne réponds pas.

- les sexa et septuagénaires qui cherchent une jeunette (oui, oui, pour eux je suis en quelque sorte une jeunette, je vous interdis de rigoler) qui pourrait éventuellement se muer en infirmière dans quelques années ? Je ne réponds pas.

- Ceux qui m’envoient un premier mail en guise de prise de contact, en déclarant tout de go qu’ils se verraient bien vieillir à mes côtés (au vu de 10 lignes de présentation et 3 photos…). Je ne réponds pas.

- Les mêmes qui sans plus me connaître s’enquièrent de savoir si nous pourrions adopter un enfant ensemble puisque je suis trop vieille pour en avoir un ? (authentique). Je ne réponds pas

- Ceux qui n’affichent pas leur photo « pour raisons professionnelles ». En général la vraie raison « professionnelle » est qu’ils veulent éviter de se faire gauler par un éventuel client célibataire qui aurait eu la chance d’être présenté à leur épouse… ou par les copines de celle-ci…

- Ceux qui vous envoient un message circonstancié bourré de détails sur eux-mêmes et ne font aucune allusion à votre propre portrait : on se rend parfois compte que ceux-là ne lui ont même pas rendu visite et ont fait un copier-coller de leur message générique au simple vu de votre photo… Je ne réponds pas non plus.

- Ceux qui vous envoient un laconique « Bsr » ou tout message façon langage sms avec éventuellement – cerise sur le mail – un finish en forme de « kikou lol »… dont l’auteur a parfois passé les 50 balais. Je ne réponds pas.

- Plus : ceux qui vous proposent la botte, ceux qui font 10 fautes d’orthographe en 3 lignes (oui, je suis sectaire !), ceux qui veulent « une relation sans prise de tête » et/ou « croquer la vie à pleine dents » (2 expressions qui m’agacent singulièrement et dont la deuxième remporte la palme de la nunucherie à mes yeux), les désespérés qui vous engueulent parce que vous avez quand même répondu poliment que vous ne donnerez pas suite à leur message, les humoureux à deux balles, ceux qui sont très contents d’eux (pseudo : PDGtrèsbelhomme qui se définit comme « de très haut niveau, avec énormément de charisme », allez savoir pourquoi, j’ai pas envie d’aller voir…), bref, au final, il n’y en a pas tant que ça dont on se dit qu’on ferait volontiers la connaissance…

Après, on rencontre éventuellement celui dont on a trouvé le portrait sympathique et/ou intelligent et/ou drôle et/ou pas prétentieux, etc… et qui a trouvé le vôtre suffisamment attirant pour avoir envie de vous répondre aussi, ce qui déjà fait pas mal de conditions à réunir, croyez-moi !

Connaissance, ça veut dire en général un rendez-vous pour prendre un verre. Pour ma part, j’évite les discussions virtuelles interminables par mail, et je ne pratique pas msn. Juste un verre, pas un dîner, oh là ! ça va pas la tête ! Hors de question de se retrouver coincé(e) tout un dîner avec quelqu’un dont on sait parfois au bout de 5 minutes qu’on n’a rien à se dire…

Le « verre de contact » (si j’ose m’exprimer ainsi et si vous me pardonnez ce jeu de mot vaseux, oui je sais) peut donc s’avérer joyeux, ou compassé, ou laborieux, ou intéressant, ou passionnant, ou amical, ou terriblement ennuyeux, ou électrique. J’en ai connu quelques-uns, de toutes ces sortes-là, si, si, et j’ai maintenant pour règle de ne pas m’attarder plus de temps qu’il n’est nécessaire si le courant ne passe absolument pas, ce qui n’est généralement pas rattrapable, il faut être lucide. J’ai parfois abrégé un silence pénible ou une conversation qui n’en était pas une au bout d’un quart d’heure, poliment, souriante mais décidée, le plus souvent au grand soulagement de mon interlocuteur qui ne s’imaginait pas en faire autant. Que voulez-vous, je déteste m’emmerder. J’ai parfois dû faire face quand même à la déception voire à la colère du monsieur si lui se plaisait en ma compagnie ou ne s’imaginait pas si ennuyeux, ou si lourd (valable pour ceux qui essaient de vous embrasser dans le cou, ou ailleurs, au bout de 12 minutes chrono). J’ai même une fois pris littéralement la fuite sous les vociférations et les insultes d’un fou furieux : il avait choisi une terrasse de café dans une petite rue abritée pour plus de discrétion « car il était suivi et surveillé », et – ne cherchant visiblement qu’un auditoire - m’entretenait fébrilement depuis une bonne vingtaine de minutes du livre qu’il préparait depuis 15 ans et qui « allait faire tomber des têtes ». Il envisageait d’ailleurs de quitter la France pour se mettre à l’abri avant la publication de ce brûlot (dont il refusait de me dire le sujet « dangereux »), regardait derrière son épaule toutes les 10 minutes, tics nerveux à l’appui, éclats de voix subits, etc… un fou furieux, vous dis-je. Ce sont des choses qui arrivent…

Si le verre se passe bien, et parfois c’est un plaisir, on se revoit, on dîne ensemble, on sort un dimanche, éventuellement on s’envoie en l’air tout de suite, ça arrive aussi. Et quelquefois on noue une relation, amicale, sexuelle, amoureuse pour un peu de temps ou beaucoup, ou rien du tout, il n’y a pas de règle dans ces relations humaines-là pas plus que dans toute autre. Parfois on souhaite que cela dure et cela s’estompe très vite. Parfois on n’y croit pas vraiment et on se retrouve couple pour un temps, voire vieux amis. J’aime ces surprises-là, j’en ai eu quelques-unes.

Parfois aussi, il y a des déceptions sans coupable : on prend un premier verre qui passe comme l’éclair, alors un deuxième puis un dîner improvisé. Et un autre dîner sans tarder et un troisième et ainsi de suite. La parole est facile, gaie, passionnante, on découvre un autre qu’on aime bien, qu’on a envie de connaître de plus en plus et cela a l’air réciproque. On se surprend à chaque soirée à finir fort tard, les chaises retournées sur les tables autour de la nôtre sans qu’on se soit avisés de l’heure tardive et que le personnel du restaurant nous attend pour fermer. Et l’on se sms en rentrant qu’on a passé un si agréable moment, encore… On partage suffisamment de choses pour se ressembler un peu, et on en découvre des nouvelles chez l’autre qui nous séduisent et nous surprennent, et dont on a envie qu’il nous les fasse découvrir. On lui trouve du charme, de la séduction, on aime ses yeux qui plissent quand il rit et même ses goûts culinaires ou vestimentaires ou sportifs discutables à nos yeux, mais on est prêt(e) à l’indulgence. On se surprend à guetter le téléphone ou le mail et à se dire que c’est bien long cette semaine avant le prochain dîner… On espère cette sensation partagée mais on n’en est pas très sûr(e)… On aimerait un signe, autre qu’amical, et il se fait attendre, alors on doute, et on est un peu triste. A la fin d’une autre bonne soirée où aucun geste équivoque n’a été esquissé (à notre grand dam), où l’on frôle l’autre en se demandant si… un bonsoir tard dans la nuit fait déraper le baiser sur la joue qui finit non loin des lèvres attendues, voire carrément dessus, non on ne l’a pas fait tout à fait exprès mais si quand même un peu, aidé(e) par quelques verres étourdissants, peut-être. Et ces lèvres-là ne répondent pas. Aucunement, sauf en sourire, un peu gêné peut-être ? Alors on rit aussi, on plaisante et on s’éloigne avec un signe de main amical. Et l’on sait que l’alchimie n’a pas fonctionné cette fois encore, sans raison, sans explication, puisque l’alchimie n’en supporte aucune, ni pour ni contre. C’est comme ça, c’est tout.

Alourdi(e) de cette solitude annoncée, renouvelée une fois encore, on ne peut s’empêcher de se demander vaguement si on ne souffrirait pas d’un handicap certain de la relation amoureuse, d’un blocage non identifié qui nous empêche de rencontrer l’Autre. Ou d'un défaut certain de fabrication, à nos yeux invisible ? On quémande l’aide de Miroir qui nous renvoie l’image cruelle d’un être difforme, gros et laid, celui-là même qu’un être sympathique vient de refuser d’embrasser, la preuve. Miroir nous dit qu’on n’est pas fait(e) pour plaire, trop de rides et de bourrelets et de cheveux blancs naissants, sans nul doute, trop de paroles bêtes et de gestes disgracieux, aussi, c’est certain certain, lucide Miroir, meilleur ennemi du solitaire. A l’heure où l’on n’est pas encore capable de se dire que c’est juste une histoire bête : on a rencontré quelqu’un qui nous plaît, on ne lui plaît pas pareillement en retour certes, mais rides et bourrelets et esprit n’ont sans doute rien à voir avec ça. Il est un peu trop tôt pour contredire la méchanceté de Miroir. Un peu trop tôt pour penser clairement que cette histoire-là a eu son pendant parfois : nous aussi il nous est arrivé de ne pas avoir envie d'embrasser quelqu'un qu'on aimait bien. Qu'on n'aimait juste pas de cette façon-là.

On pense malgré tout qu’on va retourner un jour sur le site, parce que la vie « réelle » ne donne pas tant d’occasions finalement de rencontrer de potentiels partenaires. Et qu’on n’a pas pris le parti de la solitude, même si elle semble au fond notre lot. Fatigué(e) pourtant de devoir recommencer cette ronde…Encore. Toujours ?

dimanche 28 juin 2009

Etrange maladie

J’avais oublié les symptômes. A quel point ça submerge, vague invincible contre laquelle on ne peut rien. J’avais oublié les nuits agitées pleines de songes dont on ne sait au réveil s’ils furent des rêves terrifiants ou des cauchemars gais.

J’avais oublié cette boule au creux du ventre qui s’alourdit ou s’allège au fil des heures, au fil des pensées, au fil du mal qui ronge.

J’avais oublié la faim inassouvie d’un impossible met, et qu’on ne parvient plus à se nourrir. A boire, si, et il vaudrait mieux pas.

J’avais oublié les pensées folles, les « si » et les « mais », les paroles espérées qui ne viendront pas, l’espoir trop bref qui s’envole avant de revenir à la terre ferme du découragement.

J’avais oublié la fièvre insupportable qui dévaste, la fuite impossible. Rester là et attendre que ça passe car aucun médicament ne soulage. Le seul remède au mal en est sa cause, et il ne peut être prescrit.

Trouver des dérivatifs pour penser à autre chose qu’à cet Autre qui a allumé les flammes inextinguibles, qui a ouvert la porte du congélateur où était enfermé un cœur. Depuis si longtemps. Alors l’énergie qu’on aurait voulu consacrer à L’aimer, décuplée, affolante, la mettre au service de cartons de déménagement, s’épuiser. Et espérer l’eau bretonne glaciale dans quelques semaines pour calmer le feu. Un peu.

vendredi 5 juin 2009

Bleu

Je contemple mon avant-bras bleu et jaune, marbré de marron. Là, à l’intérieur, la peau est d’ordinaire si fine et blanche, presque transparente.

Un gadin majuscule. Accident de tong sur escalier de bois usé-ciré. Dévalé sur les fesses jusqu’au palier salvateur, tentant de me retenir de mon bras nu. Eût-ce été un colimaçon que j’aurais peut-être continué jusqu’en bas, glissant sans secours jusqu’aux tréfonds de la terre.

Aujourd’hui l’hématome m’est amer, journée triste. Hier il me faisait rire, journée gaie. Comme les moindres anecdotes de nos vies prennent les couleurs de nos soucis ou de nos joies, c’est bête au fond.

Une altercation mineure au bureau m’exaspère les nerfs, inutilement, mais je n’arrive pas à « laisser pisser ». Sans doute n’ai-je jamais su faire ça.

Un monsieur dans mes pensées s’avère être accompagné, dans sa vie, déjà, alors je fuis à toutes jambes, pas pour moi, ça. Et j’enlève Fantomette [1] de ce lieu, crainte du ridicule. Je me suis fait des idées. J’ai été bête, je le serai encore.

J’ignore où je serai dans un mois, sur quel décor se fermeront mes yeux le soir. Bientôt plus de maison, pas encore de nouvelle. Inconfortable. Tout ce que je sais, c’est qu’elle ne sera pas en Bretagne. Je n’ai pas trouvé le chemin.

Les vacances sont à portée de pensée. Je les imagine calmes, familiales, amicales, mais toujours pas amoureuses. Et cela m’attriste, cette année encore, pas de main dans la mienne sur les routes du monde ou le cocon de ma maison bretonne. Est-ce que je serai seule désormais toute ma vie ? Ça me fait peur, souvent. Mais je dois bien y être pour quelque chose.

Ce jour est morose. Je me suis enfermée ce midi dans mon restau-refuge, un livre-baume devant mes yeux. C’était « 80 étés » de Jeanne Herry, un talent si doux de phrases simples et sentiments-ancres qu’il m’a tiré des larmes, mi-joie, mi-envie. Que fais-je de mon talent à moi quand d’autres savent si bien l’employer, le livrer ? Avec autant d’évidence et de simplicité. Je hais d’un coup mes circonlocutions et subterfuges de bazar.

Mon corps m’encombre et se déplace sans grâce. Mes pensées tournent dans le mauvais sens et ne produisent rien de bon. J'ai dû me faire un bleu géant à l'intérieur aussi. Je ne m’aime pas beaucoup ce soir. Jusqu'à demain, au moins.

Notes

[1] allusion réservée aux lecteurs d'un billet précédent, mis hors ligne. Merci de vos gentils commentaires en tous cas. Ce furent quelques jours d'une excitation bienvenue, même si elle s'est éteinte aussi vite...

dimanche 12 avril 2009

Bonheur, bonheurs ? (propos désordonnés)

Une vaste question circule sur les blogs, que Fajua m’envoie aujourd’hui : ‘C’est quoi le bonheur ? ». Heureusement qu’il est spécifié qu’on peut y répondre « à sa façon », après tout, c’est très personnel, le bonheur, enfin je crois.

J’avoue que « le » Bonheur, avec un grand B, s’il existe, je l’ignore tout à fait. Je suppose que c’est réservé à de grands mystiques, des chanceux qui ont trouvé leur place dans ce monde pas facile, des miraculés ayant échappé aux épreuves classiques de la vie, ou des inconscients. Bienheureux les simples d’esprit…

Moi je ne sais que les petits bonheurs, mes préférés. Les moments de bien-être fulgurants ou tranquilles, le cœur transporté pour un instant fugace, éphémère, mais dont les effluves se prolongeront, avec un peu de chance. J’ai déjà écrit ici, souvent, mes bonheurs, que d’aucuns qualifieront peut-être de simples plaisirs, qui passent pour moi souvent par les sens : bonheur(s) chaque jour de sentir, goûter, voir, entendre, toucher, caresser, respirer la vie. Plus forts, au bout du compte, que tous les désespoirs.

C’est drôle, en réfléchissant à cette immense notion, je me suis rendue compte que je suis très douée pour le bonheur à contretemps : le bonheur de l’attente, le bonheur rêvé, le bonheur du souvenir. Avant le bonheur, c’est déjà le bonheur, après le bonheur, c’est encore le bonheur. Je le jure !

Un autre blogueur, il y a quelques temps, m’interrogeait sur mon « petit bonheur » préféré (ou était-ce « petit plaisir » ? Les deux notions sont si liées pour moi…) Je n’avais le droit d’en donner qu’un seul, et de ne pas trop y réfléchir. Et celui qui m’est venu immédiatement à l’esprit (et que je savoure plus encore désormais quand il m’arrive de le vivre, d’ailleurs), c’est ce bonheur/plaisir que j’éprouve d’arriver la première à un rendez-vous, dans un bar ami, et d’y attendre quelqu’un que j’aime, de savoir qu’il sera là bientôt. Ces quelques minutes sont parmi les plus heureuses de celles que j’ai la chance de vivre, c’est drôle. Commander un verre et savourer en solo une première gorgée de vin blanc frais, lever mon verre à la beauté de l’instant présent, si consciente du privilège d’avoir un ami, un être aimé à attendre, heureuse de savourer l’écoulement des minutes, confiante, à ne rien faire d’autre qu’être là pleinement, sans impatience, ces moments-là sont des trésors.

Je jouis tout autant du bonheur rêvé, imaginé, projeté. En le sachant du domaine de l’irréel, sans me leurrer sur son incertitude, mais heureuse à l’avance d’un hypothétique avenir, heureuse de savoir que je pourrais l’être… C’est ce que j’ai vécu ces derniers mois, en rêvant ma vie bretonne, une maison près de la mer, une nouvelle vie, j’en voyais les couleurs, j’en goûtais les saveurs, et ce voyage mental m’a rendue heureuse. Absolument. Aujourd’hui le rêve a cédé la place à l’incertitude, une certaine déception sans doute, mais ces semaines d’imagination de ma nouvelle vie à venir ont été du bonheur quoi qu’il en soit. Et l’espoir est toujours là. Finalement, il m’arrive d’être heureuse tout simplement d’espérer qu’un jour je vais l’être.

Je sais aussi que, finalement, mes bonheurs passés ont laissé une trace indélébile en moi. Ils sont aujourd’hui peut-être mon meilleur remède aux jours difficiles, aux douleurs à venir. Oui, se souvenir du bonheur, c’est heureux, encore. La mémoire des moments magiques, le souvenir d’une peau chaude à l’odeur aimée contre la mienne, le souvenir de l’amour dans les yeux d’un autre, c’est un peu de mon bonheur à moi. Le bonheur c’est aussi, apaisée, s’en souvenir quand il appartient au passé.

A l’heure où j’écris ces lignes, je suis au cœur d’un week end familial. Une vaste maison envahie, mes parents si heureux de me voir. Ce matin, j’ai acheté du pain craquant au village, suis revenue à la maison par le chemin des écoliers, le long de la côte. Me suis assise sur un vieux banc de pierre moussue pour regarder les bateaux aux mâts cliquetants, les reflets du soleil et des nuages dans la mer émeraude, avant de retrouver la maison embaumée des parfums du repas dominical. L’empreinte de mes pas dans le sable, les fous-rires de mes neveux, les petites nouvelles échangées, le vin dans les verres entrechoqués, le plaisir de se retrouver, c’est du bonheur avant, c’est du bonheur maintenant, c’est du bonheur plus tard, de savoir que ça existe quelque part. Et même si je me laisse aller parfois à la mélancolie de me retrouver seule, je sais que cette vie coule en moi comme un cœur battant, plus forte que les maux de l’âme, et que le bonheur, si ce n’est pas ça, ça y ressemble drôlement. Le mien en tous cas.

jeudi 2 avril 2009

Ouvrir la malle

Dans mon grenier il y a une malle. Close, soigneusement. Je suis seule à en avoir la clé, mais je ne sais plus très bien ce que j'en ai fait. Elle n'est ni poussiéreuse, ni pleine de toiles d'araignée, cette malle, pas du tout oubliée. Non, juste absolument fermée. Je l'entretiens, sais sa présence. Quand je passe, je sais qu'elle est là, près de moi, pleine de... De quoi au juste ? De souvenirs déchus, de sentiments mortifères, de petites hontes bues, de tourments indicibles, mes trésors noirs à moi. Rien qu'à moi.

Il y a longtemps que je sais qu'un jour il me faudra l'ouvrir, sous peine de ne pas vivre totalement. Mais j'étais trop occupée, depuis beaucoup trop d'années. J'avais une vie à vivre tant bien que mal, des priorités matérielles, des souffrances à traverser, un chemin cahotique à arpenter les yeux vers le sol pour ne pas trop me casser la gueule, des gens à aimer, des mains à tenir ou à agripper, des regards à croiser, certains à garder. Trop occupée vous dis-je. Trop chargée déjà du poids des évènements pour y ajouter ces secrets-là. Peur de m'alourdir encore. Ou de m'alléger à trop de frais, peut-être.

Je sais que dans la malle, il y a des lambeaux de moi qui m'empêchent de vivre. Il y a un puzzle dont j'arriverais trop difficilement à assembler les pièces toute seule. Elle sont tranchantes, ces pièces-là. C'est pour ça que j'ai enfermé le puzzle et les lambeaux blessés. Pour ne pas me couper cruellement. C'est comme une partie de moi trop encombrante dont je me serais amputée. Que j'ai occultée pendant un temps infini. Mais ce membre-là me fait mal de loin, de plus en plus.

En cette époque de ma vie où je ne sais vers où diriger mes pas, toute tendue vers une envie de changement indéfini en tous domaines de ma vie; en cette période où retombe comme un soufflé trop attendu la belle énergie que j'avais dirigée vers la Bretagne; en ces mois printaniers où je vois mes espoirs de migration se flétrir comme feuille d'automne; en ce temps de doute et de tristesse confuse, la malle se rappelle à mon bon souvenir. Elle ne cesse de me tomber sur le pied, ces dernières semaines, l'air de me dire "C'est bien beau de vouloir changer, partir. Mais si tu me déménages avec tout le reste, sera-ce vraiment un changement?"

J'ai fêté mes 45 ans, renoncé à avoir un enfant, accepté pas mal de tours et détours de ma vie-labyrinthe. Ceci réglé, il est temps d'ouvrir la malle. Pour recoudre les lambeaux, assembler le puzzle douloureux, affronter ce moi-même qui me fait peur parce qu'il est tellement moi.

J'ai retrouvé la clé : elle pendait autour de mon cou, attachée à un ruban ancien, scintillante. Je faisais juste semblant de ne pas la voir là chaque jour de ma vie. Mes mains tremblent au moment de m'en servir. Mais je crois qu'au bout du ruban délavé, j'ai l'espoir de découvrir le secret de ma solitude, cette salope qui me tue chaque jour un peu plus.

Quelqu'un va m'assister, j'en ai besoin. J'espère que le contenu de la malle ne sera pas trop nauséabond, pas trop long à inventorier, pas trop plein de démons, pas trop désespéré. Et que le regarder en face, le décrire pour la première fois à haute voix, me guérira de moi.

mercredi 1 octobre 2008

Chronique de Saint Louis 3 – Les perles de Paulette

Or donc Paulette et moi avons joué les colocataires depuis jeudi dernier, par la force des choses mais je crois que nous nous en félicitons mutuellement. On aurait pu plus mal tomber.

Paulette a 75 ans, 2 fils, 2 petits-fils, et un très joli sourire qui devait la rendre craquante il y a quelques dizaines d’années de cela. Encore maintenant, il illumine son visage ridé. J’aime bien la regarder quand nous rions toutes les deux.

Y’a pas à dire, elle est sourde. J’ai la voix qui fatigue (et les voisins des chambres autour doivent se dire que je braille drôlement). Elle prétend qu’elle dort très peu, alors si c’est ça, c’est qu’elle doit ronfler toute éveillée une bonne partie de la nuit…

A ces menus détails près, Paulette s’avère une compagne de chambre charmante et facile à vivre. Elle aime bavarder parce qu’elle s’ennuie à cent sous de l’heure. Il faut dire qu’elle n’a prévu pour toute occupation que la lecture de « Notre temps » et un annuaire de mots fléchés niveau très moyen (hier elle m’a avoué avoir séché un bon moment sur « met breton » en cinq lettres, commençant par C… elle aurait dû me demander [1]), mots fléchés dont elle regarde les réponses un peu souvent, alors forcément, vu la longueur du temps qu’on a à tuer, elle en a vite fait le tour…

Elle me regarde comme un OVNI avec mon ordinateur perpétuellement allumé, me demande ce que je fais avec. Je lui explique : internet (yeux effarés de Paulette), e-mails (ah oui, comme mes petits-fils, dit Paulette, qui ne voit pas du tout de quoi il retourne), musique (moue de Paulette), DVD (air perplexe de Paulette), je n’ai pas prononcé le mot blog, je crois que c’est définitivement hors de portée… En revanche, je lui ai donné un petit cours de téléphone portable. Elle ignorait jusqu'à l'existence de son répertoire.

Paulette est dotée d’un bon sens nature qui s’exprime par des aphorismes définitifs. Toute allusion à sa santé se clôt invariablement par un « Faudrait pas vieillir » convaincu. Et elle tient des propos sur l’égalité humaine devant le malheur et la mort qui valent leur pesant de macarons…

Elle est fascinée par Véronique, la trisomique de la chambre d’en-face qu’elle voit de son lit, et me fait part régulièrement du « malheur » dont il s'agit pour une famille d’avoir un enfant anormal, constatant invariablement que celui-ci n’épargne ni riches ni pauvres, « ni même les gens célèbres, regardez Lino Ventura, lui aussi, sa fille… ». Et elle dodeline de la tête, navrée.

Je lui ai appris la mort de Paul Newman l’autre matin. Elle a enchainé aussi sec sur l’égalité des puissants et des faibles devant la grande faucheuse, ajoutant :

- C’est comme cet acteur, là, vous savez celui qui jouait des castagnettes…

Moi, perplexe, un acteur qui jouait des castagnettes ? Je cherche dans mes souvenirs de latin lovers musicaux, tendance Luis Mariano.

- Non, vraiment je ne vois pas, Paulette. Elle sursaute d’un coup :

- J’ai dit castagnettes, non, non, pas castagnettes, comment ça s’appelle donc ? Des claquettes ! Voilà, cet acteur qui faisait des claquettes !

- Ah oui, dis-je, Jean-Pierre Cassel.

- Ben oui, vous voyez, lui aussi il est mort. Elle garde une minute de silence, en hommage au danseur de claquettes, sans doute, puis enquille d'un même ton : C’est comme cet autre, là, qui jouait avec Sissi dans « Le Vieux Fusil », comment s’appelait-il ?

- Philippe Noiret, c’était Philippe Noiret.

- Oui, c’est ça. Mort aussi. Comme quoi, même célèbres, hein, pas épargnés non plus...

Une telle évidence d'analyse me laisse coite.

Elle revient sur Véronique l’autre matin, admirant la gentillesse de l’équipe soignante à son égard et le dévouement des aides-soignantes qui la font manger. Je lui dis que cela fait partie des tâches leur incombant et qu’il y a de nombreux patients dans un hôpital qui ne sont pas capables de se nourrir ou se laver seuls. Elle reste songeuse un moment, continuant à contempler le repas de Véronique, qu’elle voit bien de son lit, de l’autre côté du couloir, puis me dit en baissant la voix :

- Peut-être qu’elle a des parents célèbres. C’est peut-être pour ça qu’ils sont si attentionnés avec elle…

J’en suis restée comme deux ronds de flan (d’où vient cette expression, au fait ?). Et j’ai grondé gentiment Paulette de soupçonner l’équipe soignante d’avoir des favoritismes de cette sorte. Que diable lui était passé par la tête pour arriver à cette supposition ? C’est le syndrome Lino Ventura qui avait dû faire son chemin depuis la veille, sans doute… Sacrée Paulette.

Au fil de ces quelques jours, nous prenons des habitudes de vie commune, c'est drôle. J'améliore l'ordinaire avec toutes les douceurs qu'on m'apporte, elle est aussi gourmande que moi, Paulette. En retour, comme elle est la plus valide de nous deux, elle va nous chercher un vrai café à la cafétéria après le déjeuner, dont nous nous félicitons toutes les deux... Je lui attache ses colliers autour du cou le matin car elle tremble un peu, les médicaments sans doute, et elle me raconte : celui offert par ses collègues pour son départ en retraite et celui de son cinquantième anniversaire de mariage : ils avaient fait une croisière en Corse avec son mari, mort l'année d'après, et tiens il aimait beaucoup la moutarde, comme vous (j'ai demandé qu'on m'apporte de la moutarde pour masquer l'insipidité des plats). Paulette saute souvent du coq à l'âne dans nos conversations, faut suivre.

Je suis partie hier après-midi. J’ai embrassé Paulette, ses joues parcheminées étaient toutes douces. On était émues toutes les deux. Je lui ai laissé des gâteaux pour ses derniers repas ici ; elle sort aujourd’hui. Je suis allée dire au revoir à Véronique, qui m’a fait un sourire merveilleux que je n’oublierai pas. Quant à Monsieur G. qui trottinait dans les couloirs comme à son habitude (et cherchait ce jour-là à gagner les ascenseurs pour quitter le service, voire l’hôpital, tout nu sous sa chemise jaune, rattrapé régulièrement par les infirmières…), il est venu se poser un moment à côté de moi pendant que j’attendais qu’on me fasse les papiers de sortie. Il m’a demandé énigmatiquement et gravement « Qu’est-ce qu’on peut ramasser ? », il a eu l’air triste que je ne trouve rien pour lui à « ramasser », et il s’est endormi, assis, le menton tombant sur la poitrine. Je ne crois pas qu’il ait entendu mon au revoir.

Notes

[1] c’était CREPE, pour ceux qui sécheraient comme Paulette

dimanche 28 septembre 2008

Chronique de Saint Louis 2 – Tranches de vie

Tant de vies rassemblées. Tant d’histoires et d’accidents de parcours. J’écoute la vie emprisonnée ici, douloureuse pour certains, soulagée d’être prise en charge pour d’autres.

Les malades. Certains valides, d’autres à différents stades de handicap, diminués un peu ou beaucoup, avec espoir ou sans.

Je fais partie des privilégiés. Je parle, je ris, j’ai de l’appétit, je bouge, je plaisante avec les infirmières, je comprends ce que les médecins me disent, on me parle en responsable de moi-même. La douleur s’estompe peu à peu. Je sais que bientôt j’abandonnerai ma béquille, je vais rentrer chez moi, retrouver mon autonomie, ma vie. D’autres ici sont tellement plus fragiles, promis à la dépendance, sans doute pour longtemps ou toujours. Leur séjour ici promet d’être long ou renouvelé sans fin, jusqu’à la fin…

Il y a Véronique, trisomique, 40 ans paraît-il, elle en affiche 25 de moins. Elle reste allongée tout le jour durant, elle dort ou reste le regard fixé au loin, on lui met des dessins animés qu’elle ne regarde pas, qu’elle écoute peut-être, on la fait manger. Quand on la met dans son fauteuil, elle pleure, appelle, veut retrouver son lit. Il y a des peluches en guirlande au-dessus, comme pour un enfant. Elle les veut au-dessus d’elle, rassurée de leur présence. Qu’a-t-elle Véronique ? Je ne sais pas. Que va-t-elle devenir ? Qui s’occupe d’elle ? Je ne lui vois pas de visiteurs.

Il y a Monsieur G. tout perdu. Il erre dans les couloirs, les cheveux ébouriffés tout raides au sommet de son crâne, pieds nus, en chemise de nuit jaune de l’Assistance Publique (tiens, ce n’est pas celle qui se ferme derrière). Il s’arrête devant les chambres ouvertes (il fait chaud, nous ouvrons les portes, créant une espèce de communauté d’une chambre à l’autre, on suit ce qui se passe). Monsieur G. dit « Coucou » avec un sourire égaré. Demande « C’est mon lit ? ». On lui répond non, on lui indique la direction de sa chambre. Il ne la retrouve jamais tout seul. Et puis il s’ennuie sans doute. Alors, il suit la tournée des infirmières, tripote les boutons des appareils, regarde ce qui est inscrit sur l’ordinateur, tourne sur lui-même, refait « Coucou » à quiconque croise son regard, cherche son lit encore et toujours. Il a l’air d’un gentil grand-père ahuri. Si ça se trouve, dans une autre vie, ce vieil homme hirsute et pieds nus en chemise de nuit jaune était un homme fort sérieux aux cheveux bien peignés, en costume trois-pièces et bureau directorial, qui n’aurait jamais envisagé de dire « Coucou » à qui que ce soit…

Il y a cette femme au teint cireux de momie, que l’on promène dans son lit, parfois en fauteuil roulant, maigrissime et bardée de tuyaux. Elle est si frêle qu’elle soulève à peine son drap. Peut-être va-t-elle disparaître tout simplement, comme une bulle dans un souffle d’air.

Et tout les autres qui vivent, souffrent et peut-être meurent tout autour de moi, qui dorment bouche ouverte ou papotent des heures au téléphone, ceux qui regardent n’importe quoi à la télé ou bien par la fenêtre en ayant l’air de ne rien voir, ceux qui restent muets ou hagards, ceux qui cherchent le dialogue, ceux qui vous regardent marcher avec envie, qui vous sourient. On rencontre beaucoup de sourires ici.

Et puis il y a l’équipe soignante. Les toubibs et les internes, on s’y perd un peu, ce ne sont jamais les mêmes. Ils sont insaisissables et rares. Compétents, sûrement, mais ce n’est pas à eux qu’on confie le plus volontiers ses tourments, ils ont l’air au-dessus de ça. Non, quand il y a quelque chose qui ne va pas, on alerte plus volontiers les infirmiers et infirmières, en premier. Eux, ils sont là, présents, attentifs, rigolards ou sérieux, solides, d’une gentillesse à toute épreuve, d’une grande fermeté aussi, nécessaire pour exhorter quelqu’un à ouvrir les yeux, ne pas se laisser sombrer, se lever, se laver, manger, vivre. Ils portent des pyjamas blancs auxquels ils accrochent leur montre au niveau de la poitrine (j'ai demandé, c'est pour éviter de les mouiller lors de leurs nombreux lavages de mains), des chaussures improbables, genre sabots Scholl ou les affreux Crocs multicolores de l’été. Je les regarde avec admiration et reconnaissance. Ils font un boulot insensé et qui force le respect. Comment on fait pour se consacrer aux maux des autres toute la journée, en s’oubliant soi ? Et garder le rire et la force ? Chapeau.

samedi 27 septembre 2008

Chronique de Saint Louis 1 – Du sang et des macarons !

(Si c’est pas un titre de la mort qui tue, ça coco. On va en faire une saga en douze volumes de ce truc !)

Arrivée jeudi en début d’après-midi au 6è étage du secteur Lavande. Les couloirs font un peu Brazil, mais après ça va, ce n’est pas laid, lumineux et vaste, jaune et bleu.

Je commence par faire bugger l’ordinateur des admissions parce que les urgences n’ont pas enregistré ma sortie la semaine dernière et que je suis donc déjà virtuellement présente dans la maison. Alors la dame est obligée de remplir ma fiche A LA MAIN, et tout le monde regarde cette fiche griffonnée avec étonnement, voire suspicion. Voilà que je me fais remarquer d’entrée.

L’ange gardien qui m’a accompagnée jusqu’ici m’a épargné les allées et venues pour les formalités et de porter mon sac trop lourd (j’ignore combien de temps je reste, bien obligée de prévoir… J’ai apporté une flopée de provisions pour pallier la médiocrité de la cuisine. Et plein de DVD. Et des livres. Et mon ordinateur. Et…)

De mon lit, je vois Paris. Il fait chaud et je suis toute rouge, tant pis.

Ma voisine de chambre s’appelle Paulette, elle bavarde volontiers, est passablement sourde, et manie son téléphone portable qui date un peu comme si c’était un bâton de dynamite. Tout à l’heure, en voyant le nom de son petit-fils affiché à l’écran dans les appels en absence, elle me dit sérieusement « Je le rappellerais bien, mais je n’ai pas son numéro… ». J’ai rigolé et je le lui ai appelé, son petit-fils, elle était épatée.
Elle est sympa, Paulette, elle a surtout une vertu inestimable dans un hôpital : elle ne regarde pas la télé ! Je garde un souvenir cauchemardesque de ma dernière opération : une semaine aux côtés d’une folle dont le premier geste au réveil était d’allumer le poste, ne l’éteignant qu’au coucher, et enquillant toute la journée feuilletons débiles et jeux itou, le son à fond les ballons. Elle m’avait déclaré avec fierté que chez elle, il y avait des télés dans toutes les pièces, que de toute façon, c’était le seul moyen de tenir ses cinq enfants…
Vive Paulette et ses mots fléchés, donc, même si sa « dureté d’oreille » (faut pas dire sourde, ça la vexe) m’oblige à hausser sérieusement la voix pour nos bavardages et donne lieu à des conversations surréalistes façon Professeur Tournesol puisqu’elle comprend de travers la plupart des mots qu’on prononce devant elle. J'aime la mine de chipie conspiratrice qu'elle prend quand nous décidons d'ouvrir la fenêtre malgré l'interdiction "Si on nous gronde, on dira qu'elle s'est ouverte toute seule...", elle a l'air d'avoir 70 ans de moins d'un coup.

On m’a fait subir gentiment un interrogatoire portant aussi bien sur mes antécédents médicaux que ma pratique religieuse (j’ai répondu scientologue, on s’amuse comme on peut, mais j’ai démenti tout de suite, pas envie que ça reste dans les archives). On m’a accroché au poignet un bracelet inviolable avec mon nom et un code barre. J’aime pas. En revanche, j’aime bien les petits infirmiers de l’après-midi (je dis « petits » parce qu’ils sont tout jeunots… ça ne me rajeunit pas), ils sont adorables et plutôt jolis à regarder, c’est bon pour le moral.

Le premier matin, on m’a vidée de mon sang ou presque, pour faire trois milliards d’analyses. L’élève infirmière qu’on avait mandatée pour effectuer la prise de sang avait l’air très novice et surtout très désorganisée, s’installant d’un côté, puis de l’autre, puis changeant d’avis une troisième fois, m’énumérant en pagaille les analyses à effectuer et le nombre de tubes nécessaires (merde, il y en a une vingtaine au bas mot dans son plateau), me nettoyant la saignée du coude avant de retourner dans le couloir chercher un truc oublié, retour égaré « ah, si il était là, j’avais pas vu », me re-nettoyant, mettant ses gants, les enlevant, re-re-nettoyant, avant d’enfin chercher une veine, piquant son attirail dedans et cherchant ensuite maladroitement ses tubes hors de portée. J’étais mal barrée. Au troisième tube, le sang ne coulait plus, et il en restait encore une quinzaine à remplir. Elle me regarde, plus angoissée que moi « J’espère qu’on va y arriver » dit-elle, tremblante. Oui, moi aussi, j’aimerais bien qu’on y arrive, et vite. Quand elle a parlé de me repiquer ailleurs (y'avait peut-être plus de sang dans cette veine-là), j’ai dit OK, mais je préfèrerais que ce soit quelqu’un d’autre, rien de personnel mais bon… Elle n’a pas demandé son reste et est allée chercher une infirmière chevronnée qui a rempli les tubes sans coup férir et avec une dextérité rassurante. Reste juste à savoir ce que mon sang va raconter, maintenant…

Chance, j’ai internet. Merci mon portable 3G, même si ça coûte un œil, ça fait du bien de se sentir reliée au monde : lire ses mails, écrire un billet, comme à la maison ou presque.

La bouffe est… blanche. Ce doit être un concept. Jamais vu des pommes de terre couleur de neige comme ça, assorties à une tranche de rôti de porc qui vous donne une furieuse envie de vous convertir illico à l’islam ou au judaïsme. Le pain est triste, la vinaigrette aqueuse, les prunes ont la consistance d’une pomme verte et l’acidité d’un citron.

Heureusement, un commando-macarons spécialement entrainé, composé de Vazyblogueurs fous, n’écoutant que son courage et bravant les dangers, a investi hier après-midi le secteur Lavande, armé d’une collection de douceurs multicolores spéciales « remonte-moral », auxquelles Paulette et moi avons fait un sort au dessert. Ils m’ont également fait découvrir un jardin ravissant et ensoleillé, à portée de béquille pour moi, où nous nous sommes posés pour papoter. Qu’est-ce que ça fait du bien ! Merci les zamis !

macarons

mercredi 24 septembre 2008

Je suis une énigme pour la science

Or donc, non contente de m'avoir fait don de deux béquilles tout ce qu'il y a de design et d'une attelle couture, alors que ce n'était même pas mon anniversaire, l'aimable APHP (Assistance Publique Hôpitaux de Paris) a décidé de m'offrir quelques jours de vacances tous frais payés (merci à tous et à moi-même, donc, puisque c'est nous qu'on paye...[1]) à compter de demain et pour une durée indéterminée (ils ont dit quelques jours, donc c'est au moins deux, mais ils refusent de me dire combien de temps durera ce quelques, ça fait partie de la surprise).

Je suis donc en train de préparer mes petites affaires parce qu'il est hors de question qu'ils m'attifent avec l'uniforme traditionnel dont ils m'ont déjà gratifiée la semaine dernière, vous savez le truc sexy qui s'attache dans le dos et qui dévoile bien les fesses pour peu qu'on ait l'idée saugrenue d'aller balader sa perf dans le couloir.

Dans mon sac, "quelques" tenues confort et décentes si jamais il prend l'idée à Boss de venir me voir, mon ordi avec de la musique et des DVD, un casque, un bouquin goûteux (enfin j'espère), et j'ai passé commande aux copains de chocolat, gâteaux, C*ca et douceurs diverses parce que j'ai déjà fait connaissance avec la cuisine locale et c'est pas brillant. En plus il vont me faire dîner à 18 heures, j'adore...

Et pendant que je serai là-bas, j'espère qu'ils ne me tortureront pas trop pour - enfin - trouver ce que j'ai, parce que pour l'instant ils me regardent tous avec l'air d'une poule qui a trouvé un couteau et en se grattant l'occiput, ce qui ne fait pas bien avancer mon schmilblick personnel. Aucune amélioration notable n'est intervenue depuis une semaine dans mes déplacements, alors si ça continue à ce train-là, je suis bonne pour me faire offrir un déambulateur à Noël et vous m'excuserez, je trouve que j'ai pas l'âge, merde ! Au boulot, bande d'incapables !!!

Grave question : est-ce qu'il y a des accès internet dans les hôpitaux, de nos jours ? Sinon comment je vais continuer à faire les exercices que la fée nous donne pour le passage en Dotclear 2 ? J'espère que je pourrais copier chez un(e) petit(e) camarade en rentrant...

Notes

[1] Note à Gamacé : je fais exprès de parler mal ;-)

samedi 14 juin 2008

Une feuille au vent

Je suis une feuille volant au gré d'un vent malin
Malin léger, malin coquin
Je volette joyeusement sans plus me soucier du lendemain
Il souffle sur moi comme un zéphyr serein

Et puis certains jours il devient le Malin
Quand il se fait fétide, puant de chagrin
Ou juste mistral amer, relent mesquin

vendredi 30 mai 2008

Bulle de doute

Vous avez construit autour de vous une bulle de doute, a dit Toubib, et dans une bulle comme celle-là, personne ne peut entrer…

Je ne vous ai jamais parlé de Toubib. Parce que je ne le revoyais plus depuis plus de deux ans. Et parce qu’il fait partie de ces gens étranges et essentiels qu’il m’est arrivé de croiser avec bonheur dans ma vie, mais qui ne font pas appel à la pure rationalité dans leur appréhension du monde et des hommes. Et risquent donc d’être incompris par certains.

Je n’ai jamais fréquenté de médecin vraiment traditionnel. En tous cas plus depuis l’adolescence et le vieux médecin de famille qui m’avait connue au berceau et comptabilisait sans faillir et avec bonhommie mes vaccins, rougeole, oreillons, varicelle et tutti quanti. Et un vague refroidissement de loin en loin. J’ai la chance d’être de nature robuste.

Quand les choses ont un peu dérapé dans ma vie et que quelques chagrins m’ont mise à terre, j’ai été amenée à fréquenter des médecins qui envisageaient leurs patients autrement que comme des amas organiques à remettre en état de marche. Plutôt comme des ensembles corps-esprit, voire corps et âme, dont il convenait de rétablir l’équilibre subtil de façon harmonieuse, c'est-à-dire sans privilégier la marche du corps en tout premier lieu, ce que font le plus souvent les médecins dit traditionnels. Même si ceux-là peuvent aussi, à condition d’être dotés d’un minimum de bon sens, considérer que le corps peut ne pas fonctionner de façon optimale quand la tête ne va pas.

Dans la catégorie des médecins prenant en compte l’âme, j’en ai connu un pendant plusieurs années qu’un de mes amis appelait avec un amusement mêlé d’un rien de mépris « ton mage », car il employait des méthodes quelque peu singulières (genre baguette de sourcier et magnétisme, ce serait trop long et complexe à vous raconter), mais qui m’a bien aidée pendant une période, même s’il m’intimidait et me disait parfois des choses parfaitement obscures qui me laissaient perplexe… Il exerçait dans un vaste bureau au décor improbable dans lequel régnait un capharnaüm innommable et sympathique, même si j’avais parfois peur de me prendre une pile de livres sur la tête quand j’attendais dans sa salle d’attente biscornue et encombrée. Il est celui qui m’a fait connaître mon premier atelier d’écriture, car il croyait à l’expression artistique comme thérapie de tout premier ordre et envoyait régulièrement des patients parfois interloqués faire de la danse ou de la peinture.

C’est au moment de la mort de Choul qu’une amie m’a parlé de Toubib. Et durant trois années de visites régulières, je crois bien que c’est lui qui a grandement contribué à me sortir du trou.

Toubib est médecin généraliste mais pratique « l’étiomédecine », c'est-à-dire la médecine qui s’intéresse à la cause d’un mal plutôt qu’à ses effets. C’est parfois frustrant car Toubib a souvent l’air de s’en battre l’œil des symptômes dont on lui fait part et qui peuvent être gênants. Il ne prescrit rien pour les soulager ou fort rarement, il cherche d’où ils viennent. Et il trouve.

Toubib a un œil infaillible et incroyablement bienveillant pour détecter et comprendre les blessures de l’âme qui abiment le corps, qui abiment la vie, la rendent parfois insupportable. Il est sans concession, mais fait preuve d’infiniment de compassion, et de pas mal d’humour aussi, quand le contexte le permet.

Je me souviens lui avoir parlé un jour de maux de gorge à répétition qui m’ennuyaient généralement tout au long de l’hiver. C’était la fin de la consultation et il griffonnait des hiéroglyphes incompréhensibles aux simples mortels (il est bien toubib, il a une écriture insensée) sur les petites fiches me concernant. Il a à peine levé la tête, m’a jeté un œil vaguement amusé, et a déclaré « Ah oui, vous avez sans doute un problème avec le pardon… ». C’était le tout début de notre « collaboration » et je ne connaissais pas encore l’animal. J’en étais restée comme deux ronds de flan. Voyant ma surprise, il me dit « Oui, vous savez, les expressions populaires ont souvent du vrai : on a quelque chose en travers de la gorge. » Je balbutiai un je ne sais quoi, parce que je voyais parfaitement ce qu’il voulait dire : il se trouve que je peux être particulièrement rancunière, éprouve souvent une peine infinie à pardonner, et qu’à l’époque, ce devait être le cas envers une ou deux personnes essentielles… Il m’a beaucoup fait avancer sur ce sujet, ce jour-là et par la suite, là où un médecin plus traditionnel m’aurait peut-être juste collé quelques antibios ou des pastilles. J’ai beaucoup moins mal à la gorge, merci.

C’est ainsi, en décryptant les maux, et en traitant aussi directement ceux de l’âme affirmés – pour moi à cette époque, un deuil intolérable à traverser – qu’il arrive à nous remettre comme il dit « sur les rails de la vie », après des périodes de sortie de route plus ou moins sévères. Je lui dois beaucoup.

Je suis retournée le voir ces dernières semaines car je ressentais depuis quelques mois un profond besoin de son aide pour quelques colères violentes et destructrices que je n’arrivais plus à contrôler, pour qu’il m’aide aussi à comprendre et supporter mieux peut-être cette solitude qui m’affecte parfois de façon insupportable.

Il a dit « Vous avez construit une bulle de doute autour de vous, et dans cette bulle, il est impossible d’entrer ». Le doute, c’est celui que je nourris vis-à-vis de moi-même et qui ne fait que s’amplifier au fil de mon temps solitaire : « Mais enfin, qu’est-ce que j’ai qui cloche pour ne pas parvenir à rencontrer quelqu’un ? ». Cette remise en cause, qui se fait de plus en plus présente et douloureuse à mesure que le temps passe ne sert à rien d’autre qu’à empêcher l’autre de s’approcher de moi, car elle se voit, elle se sent, elle éloigne… Voilà, c’est à peu près ce que j’ai compris et ce que je peux résumer de notre conversation. Je lui dis « Alors, qu’est-ce que je fais maintenant, vous me donnez une pilule briseuse de bulle ? ». Il se marre et me dit que d’en être consciente et de lutter contre ces interrogations stériles sur le pourquoi du comment je suis seule (ou presque, les « aventurettes » de 3 jours, 3 semaines ou 3 mois comptent pour peu de chose), peuvent suffire à retrouver le chemin de celui qui m’attend sans aucun doute quelque part ou bien à qui il faut juste laisser le temps d’arriver de là où il se trouve. Il dit « Si celui qui est fait pour vous est à Hong Kong, ça risque d’être un peu plus long, c’est sûr ». Euh Hong-Kong, franchement, ça ne m’arrange pas bien… Et Toubib se marre encore. J’ai beaucoup pleuré dans son bureau, mais on y a aussi souvent ri ensemble, c’est important.

J’ai trouvé avec Toubib l’interlocuteur parfait, d’une humanité rare, pour m’aider à guérir mes maux, en les identifiant et les affrontant en toute conscience, la seule thérapie qui me convient. Pas toujours évident à traverser, c’est souvent cahotique, et douloureux de remise en question, mais au final j’en sors toujours convaincue, apaisée, plus forte.

Reste plus qu’à coincer la bulle…

samedi 3 novembre 2007

Désolée

Elle dit "Je suis désolée". Ses yeux liquides, pas de rire cette fois. Il ne comprend pas tout de suite alors elle répète "Je suis désolée", dit qu’elle ne voit pas comment continuer.

Un peu plus tôt, elle est arrivée la première au bar du rendez-vous. Haut perchée sur un tabouret, accoudée au zinc comme elle aime. Elle a gardé son manteau rouge à cause de l’air frais qui arrive de la porte ouverte. Il ne peut pas la manquer, la fille en rouge qui grignote du pop-corn trop salé en buvant d’un verre aux reflets cassis. Elle lit le journal aussi. Ou fait un peu semblant, trop occupée à se donner du courage en répétant à l’intérieur "Je suis désolée".

Est-ce qu’il a remarqué qu’elle a un peu coupé ses cheveux ? Il dit qu’elle est jolie, qu’il est content de la voir. Il l’embrasse. Elle remise un peu plus loin son "Je suis désolée", pas maintenant, plus tard. Elle aussi elle est si contente de le voir. Lui, ses cheveux sont un peu trop longs, un peu bouclés dans le cou. Il s’assoit sur un tabouret aussi, emprisonne entre les siennes ses jambes à elle bottées très haut. Il pose les mains sur ses genoux, répète qu’elle est si jolie.

Tant de rires. Tant de rires entre eux depuis le début. Il l’embrasse quand elle rit. Sa bouche, ou sa main. Et pourtant. Désolée.

Tant de mots aussi. Peu de silences, sauf quand ils se regardent, gourmands. Quand ils se recueillent du même vin, quand ils goûtent le même met, picorent dans l’assiette de l’autre, partagent bouchées et gorgées de plaisir.

C’est rare, cela. Précieux. Et pourtant. Désolée. Elle se convainc depuis plusieurs jours que ce sera mieux comme ça. Parce que… parce que tant d’indicible entre eux. Parce qu’elle veut ceci et qu’il veut cela. Parce qu’elle a joué trop de fois la maitresse occasionnelle. Pas cette fois. Elle veut tout. Elle veut trop peut-être. En tous cas quelque chose qu’il ne peut lui donner, croit-elle. Et que même si la solitude ressemble de plus en plus à du verre pilé dans sa bouche, dans son cœur, elle a toujours préféré ce verre pilé sanglant à l’inconfort de certains bras trop absents. L’intermittence du cœur, jamais.

Mais que c’est difficile ce soir. Quelques verres plus tard, ils sont si gais. Enlacés rue des Abbesses, à la recherche d’un autre lieu pour assouvir leur faim. Il y a si longtemps qu’elle n’avait tenu une main solide dans la rue. Si longtemps qu’un bras n’avait entouré sa taille. Elle aurait envie de s’abandonner à ce bras-là, sauf que… tant de raisons valables, sûrement. Désolée.

Elle le dit sans presque y penser. Le mot a mijoté tellement de temps qu’il sort sans effort, désolée. Elle a un peu peur mais elle continue… dit qu’elle ne voit pas comment continuer. Parce que.

Elle aimerait qu’il ne soit pas si gentil, pas si désolé lui aussi. Qu'il ne soit pas si compréhensif. Elle aimerait peut-être qu’il proteste un peu, mais non. Elle a raison. Tellement raison sûrement. Il s’en veut de lui avoir fait de la peine, embrasse sa main encore une fois, la repose doucement, ne la reprendra pas.

Il l’accompagne au métro, demande s’il peut lui prendre le bras dans la rue, n’enlacera plus sa taille. Caresse sa joue, dit « Prends bien soin de toi ». Va rentrer à pied.

Sous terre, dans le wagon hurlant, elle a un peu envie de pleurer. Regarde un couple qui s’embrasse. Vide et triste. Demain, sûrement, elle se demandera si elle a vraiment bien fait.

mercredi 17 octobre 2007

Ouf, ça fait du bien.

Phrase volée au billet du jour de Anne-Chiboum car c’est celle que j’ai pu me dire ces derniers jours en sortant de mon boulot réconfortant.

Vos mots si gentils l’ont été aussi et merci à tous d’être présents pour moi, qui suis si peu présente auprès de vous tous en revanche.

Bon, ce n’est pas la première fois et ça n’arrive pas si souvent, mais j’avoue que le week-end a été empli de pensées moroses voire un peu plus que ça, et que je me suis fais un méga-coup de mou de dimanche soir solitaire. Je hais les dimanches ! Enfin certains.

Pourtant, je suis plutôt d’un naturel positif et j’ai tendance à voir le verre à moitié plein la plupart du temps. Je bataille avec pas mal de succès contre les façons nocives qu’on a parfois de se pourrir la vie soi-même à ressasser stérilement des vieux trucs qui n’ont que l’importance qu’on leur donne. Je me félicite d’être dotée d’un sens de l’humour assez féroce qui me fait voir du drôle au fond des pires trous noirs. J’accepte assez sereinement et placidement que la vie soit ce qu’elle est dans la plupart des cas et le plus souvent je m’en réjouis, même.

Je suis aussi pleinement consciente de la chance qui est la mienne dans plein de domaines, à commencer par le boulot incroyablement gratifiant et intéressant qui est le mien. Pas plus tard qu’hier mes amis, j’ai enchainé professionnellement un déjeuner dans un des plus beaux lieux que je connaisse autour de Paris en compagnie de gens créatifs et passionnants, que j’ai accompagnés ensuite à une visite privée du Louvre le jour de fermeture, privilège royal, émerveillement de salles vides emplies de beauté rien que pour nous (c’est bien la première fois que je vois la Joconde sans 300 têtes de japonais devant moi !). Un bref passage au bureau pour expédier quelques dossiers nécessiteux, et je rejoignais ce petit monde à Pleyel pour un concert divin. Et pas plus tard que vendredi je m’envole pour Rome. Dur métier, non ?

Alors voilà, je suis pleinement consciente que dans mon panier à moi, il y a des trésors comme ça. Et aussi quelques amis chers, une famille qui m’aime même de loin, un appart où je me sens bien, des envies, des projets, le fait de n’être ni malade, ni difforme, et pleinement présente à moi-même. Et une capacité à m’émerveiller et à jouir de la beauté, de l’art, du plaisir simple de vivre, d’un bon vin, d’une caresse, d’une couleur, d’un souffle d’air, d’un ciel de nuages, de ma ville, d’un objet anodin, d’un instant souriant, d’une odeur, d’une saine colère, d’être là.

Privilégiée, immensément, je suis. Je sais. Et pourtant parfois, ça grippe, ça gratte, ça pince, ça pique les yeux, ça serre le cœur, ça noue le ventre, ça donne envie de mourir, ça pue, ça irrite, ça révolte, ça a un sale goût de chagrin, de bonheur interdit, trop lointain, impossible. Pourquoi ?

Pourquoi moi qui me tiens bien plantée sur mes deux jambes la plupart du temps, énergique et vaillante, je tombe au fond du même trou hérissé de pieux cruels chaque fois que je réalise que l’histoire du moment va sans doute s’avérer aussi foireuse que la précédente ? Pourquoi je ne suis pas douée pour ça ? Merde ! Et ça arrive chaque fois à me mettre à genoux. Parce qu’après l’espoir chaque fois de ne l’être plus, je vois se profiler encore le spectre d’une méchante femme revêche et aigrie qui s’appelle « Seule » et qui me fait cauchemarder de devenir celle-là.

Cauchemar qui me fait disparaître sous des oreillers noirs aux relents délétères de « à quoi bon », de ceux qui me font me sentir vieille et laide et inutile. Et stérile et dramatique. Et me feraient voir le rose le plus bonbon en noir charbon.

Heureusement j’ai encore le cœur aux batailles, y compris contre moi-même et mes pentes vertigineuses ou douces vers le malheur. J’arrive à planter un piolet volontaire pour ne pas les dévaler trop loin. Et même, même, je pense arriver à traiter avec humour – grinçant peut-être, mais humour quand même – le malotru charmant qui a pu me faire penser (rêver) quelques temps que peut-être un bonheur à deux dont je commence à oublier le goût était de nouveau à ma portée. Séduisant salaud. Et ce n’est même pas de sa faute. Il n’est pas responsable de mes projections. Je sais.

Alors j’y retourne. Bon gré mal gré et en avalant mes couleuvres à moi. A partir de la semaine prochaine, mon emploi du temps devrait être un peu allégé et peut-être retrouverais-je des chemins bloguesques qui m’ont aidée tant de fois à en adoucir d’autres trop acérés. Les mêmes, souvent, ou qui y ressemblaient fichtrement. Je ne perds pas complètement espoir. Est-ce cela qui me fait vivre ? Je n’exclus même pas de retomber amoureuse. Demain, ou un autre jour.

dimanche 14 octobre 2007

Heureusement

Il y a des films de filles le dimanche soir à la télé...
Pour conjurer les désarrois
des week-ends noirs
des dimanches à oublier
Pas envie d'écrire
Pour dire quoi ?
l'impression d'être un hamster dans sa roue
la solitude à taire
l'écriture qui fuit
celle des autres qui m'éblouit
me renvoie à ma propre vacuité
Bordel ! Pas facile tous les jours
d'être soi
de continuer
à avancer
mettre un pied devant l'autre
Demain matin... j'y arriverai...sûrement
il faudra bien
J'ai appris à faire semblant, ça aide je sais. Je sais.
Je prends un avion cette semaine
à défaut d'autre chose
Perspective de nuages

vendredi 6 juillet 2007

Il est grand temps que je parte en vacances

Parce que j'ai des envies de sauter à la gorge de plein de gens ces jours-ci :

Le gars du bureau qui me saoûle dix fois par jour parce qu'il veut un mur PARME dans les nouveaux bureaux (ça va chercher dans les combien un collègueticide par noyade dans un pot de peinture violine ?)

Le syndic de l'immeuble qui déclare benoitement et sans ciller que oui il a décidé d'attendre pour les travaux de l'ascenseur (en panne depuis avril 2006) parce qu'il ne voulait rien entreprendre avant d'être sûr qu'on lui renouvelle son mandat.

La caissière revêche du rayon "beauté" de Mon*p' qui m'interpelle haut et fort comme si j'étais la pire des voleuses à la tire parce que j'ai décidé d'emporter mon démaquillant dans la partie "alimentation" pour tout payer avec ma carte bleue.

Ma gardienne (que j'adore mais qui fait trop ch... parfois) qui me dit "Ma Chérrrrie, je t'ai déposé un paquet chez toi pour t'éviter d'aller le chercher à la loge". Certainement, ça part d'un bon sentiment mais j'ai HORREUR qu'on entre chez moi en mon absence sans me prévenir avant (des fois que j'aurais laissé le cadavre d'un amant au milieu du salon en me disant que j'allais le découper ce soir tranquillement en sortant du bureau, hein ? Ou une culotte échouée dans l'entrée ? Ou des cadavres de bouteilles éparpillés ?...).

Le gars (en général en chemise manches courtes + cravate, le duo de choc que j'adore...) qui tient la barre du métro bien haut exposant à dix centimètres de mes narines son aisselle trempée qui ignore visiblement l'invention du déodorant.

Heureusement, il y a quelques trucs qui me calment ou me font plaisir :

Mon nouveau bureau à venir qui est trop top. A partir de septembre, à la place de l'Arc de Triomphe et de l'Obélisque, je verrai l'Opéra Garnier tous les jours et ça, c'est du luxe et du bonheur !

J'ai perdu quelques kilos (farpaitement !), je remets des vieux jeans et mon petit maillot Princesse T*m T*m ne me boudinera pas trop la semaine prochaine sur ma plage chérie à moi. Youpi !

Le Paris-Carnet de mercredi soir (où je suis arrivée déjà un peu pompette après un cocktail boulot où j'avais boulotté tout un pain surprise à moi toute seule, oui oui, Fauvette ;-) ) était fort sympathique et riche en découvertes nouvelles et retrouvailles joyeuses. J'en suis revenue un peu plus pompette encore (mais c'est bon) et riche d'une baleine bleue surmontée d'un cavalier jaune, rien que pour moi... (en revanche, j'avoue apprécier plus que moyennement de me voir qualifier de "dame d'âge respectable" dans le compte-rendu passablement mufle d'un jeune gandin présent qui ne sait visiblement pas parler aux femmes... de tous âges, d'ailleurs.).

Bon, il est temps que je m'en aille. Que je me repose un peu. Que je retrouve ma Bretagne, que je la respire et m'en abreuve. Que je recommence là-bas à écrire, peut-être : trois semaines entre deux billets ici, quant aux Ricochets, je rame depuis un mois pour m'y remettre... Je manque de temps, d'énergie, le peu que j'écris me déplait et reste hors ligne. En fait je sais fort bien ce que j'ai : un foutu mal du pays carabiné. Il n'y a qu'une solution pour me sortir de ça et c'est pour dans une semaine. Je me suis même déjà renseignée sur les horaires de marée, qu'est-ce que vous croyez ! (vous voyez à quoi j'en suis réduite. Je recycle de vieux billets ! Ce vieux billet-là, d'ailleurs, si elle le veut bien, je le dédie à Anita, elle saura pourquoi).

dimanche 17 juin 2007

Le temps ne fait rien à l’affaire…

Il y a certaines manies, terreurs, mauvaises habitudes, façons de réagir, dont on ne se débarrassera jamais, nom de nom !?

Moi, par exemple, à mon âge canonique [1], je continue à me comporter comme la dernière des niguedouilles quand je me trouve face à quelqu’un qui m’impressionne et/ou un homme qui me plait (vraiment). Je m’en taperais la tête contre les murs tellement ça m’énerve.

Exemple : rendez-vous professionnel avec Kate l’autre jour. Kate est middle-trentenaire, très jolie, traits fins, menue et blonde avec le tic répandu de passer sa main dans ses cheveux toutes les 20 secondes pour les mettre à droite quand ils sont à gauche et à gauche quand ils sont à droite.

Elle est charmante, réellement. Sympathique, vive, brillante et pro jusqu’au bout de ses ongles à peine manucurés. Kate a le style nature : pas ou peu maquillée, jean deuxième peau, petit top blanc décolleté chic bien qu’en coton, des sandales simplissimes qui ont du coûter un œil, et à peine un ou deux bijoux discrets en or. Elle fait des gestes gracieux en parlant, a un avis sur tout, dit « Je ne pense pas que... » avec un froncement de son joli nez, impose son avis, sourit, rit, occupe l’espace, a des idées subites, vous pose la main sur le bras pour vous convaincre, cherche un document dans sa besace achetée chez Colette, en sort un doudou oublié par un de ses enfants (elle dit « mes enfants ». Combien en a-t-elle avec son look d’adolescente ? Deux ? Trois ? Douze ?...), part en vous embrassant chaleureusement et en vous remerciant chaudement de l’avoir reçue et aidée. Et ne rappelle jamais sauf quand elle a besoin de vous.

Kate m’impressionne. Elle est sûre d’elle, péremptoire avec élégance. Quand elle m’affirme des trucs qui m’apparaissent erronés, j’ai un mal de chien à le lui dire. Et tout le long du rendez-vous, pendant qu’elle prend mille poses toutes plus gracieuses et décontractées les unes que les autres sur sa chaise, je me sens comme le capitaine Haddock qui se demande s’il doit dormir avec sa barbe sur ou sous le drap, ne sachant quoi faire de mes bras (croisés ? posés ? ballants ?) et optant à la fin pour une position où je me trouve raide comme un piquet. Et pourtant, Kate est productrice et je trouve qu’elle produit des grosses daubes (qui rapportent, c’est ce qui lui donne tant d’aplomb…), alors pourquoi suis-je impressionnée ? Je suis une assez bonne professionnelle moi-même, alors pourquoi me met-elle à peu de choses près dans le même état que les filles canons-stars-des-boums de mon adolescence qui me faisaient me sentir aussi séduisante que Madame Mim et me donnaient envie de disparaître sous terre ?!!! Le pire c’est qu’elle est atrocement sympa. Kate, tu m’énerves ! Mais moins que je ne m’énerve moi-même en ta présence !

Je suis donc atteinte du même agaçant et handicapant syndrome en présence d’un homme qui me séduit, plus encore s’il a des raisons particulières de m’impressionner (cultivé-brillant et/ou d’une grande beauté et/ou ayant réalisé-écrit-créé quelque chose que j’admire). Je dirais même que dans ce cas, les symptômes sont aggravés jusqu’à la catastrophe.

Je suis capable en effet de rester aussi muette qu’une carpe s’il m’adresse la parole, ou au mieux de bredouiller trois mots incohérents. J’oublie tout ce que je sais et tout sens logique, et mes propos dénotent alors d’une inculture crasse et d’un QI digne d’une huitre. Pour me rattraper, il m’arrive de proférer des blagues d’un mauvais goût atroce (alors que je fais preuve d’un humour exquis et délicat d’ordinaire, je le jure) ou d’éclater d’un rire franc à la moindre plaisanterie trash et très nettement en dessous de la ceinture, à la stupéfaction générale, y compris la mienne… Quand je m’aperçois que personne d’autre ne rit dans l’auditoire gêné, je tousse.

Je peux aussi me transformer illico en Pierre Richard au féminin avec options prise de pieds dans le tapis et renversage intempestif de verre de vin. Eventuellement, si je suis en grande forme, je peux aussi revenir des toilettes avec ma jupe coincée dans mon collant : j’étais allée vérifier dans un miroir la bosse en train de grossir sur mon front suite à la rencontre de plein fouet de l’encadrement de la porte alors que je tentais une sortie gracieuse et souriante. (une de mes copines a fait très fort dans le genre, traversant élégamment toute une salle de mariage en trainant derrière elle quelques 5 mètres de papier toilette rose flottant délicatement à sa suite – elle avait coincé l’extrémité du rouleau en remontant son collant, foutus collants !).

Le pire dans ce cas, c’est que s’il y a à proximité un mec au QI de bulot, à l’humour Vermot, à l'oeil égrillard et peu habile de ses mouvements, il se dit immédiatement en me voyant « C’est elle, mon double, mon âme-sœur !!! Enfin !!! » Et j’ai un mal de chien à m’en dépêtrer et à le convaincre du contraire, sous l’œil goguenard de celui qui me met dans un pareil état et qui se dit, lui, que nous allons fort bien ensemble… La loose…

Du même acabit, j’ai aussi en tête quelques épisodes « cheveux gras » que je ne pense pas être la seule à avoir connu. Si, si, vous savez, vous sautez dans un pantalon de jogging, un T-shirt informe et des vieilles baskets avachies, juste pour aller acheter un citron qui vous manque à l’épicerie en bas de l’immeuble. Vous coincez vos cheveux pas frais lavés n’importe comment dans un élastique fluo ou avec un stylo bille (si, si), et vous mettez une paire de lunettes moches parce que vous avez enlevé vos lentilles. C’est vrai quoi, on ne va pas se fendre d’un brushing-mascara-robette sexy juste pour aller acheter UN CITRON ! Et bien, si, il aurait fallu… Pas de veine. Parce qu’en bas de l’immeuble, pile à ce moment-là, il y a le nouveau voisin méga-canon, et avec un peu de chance, chez l’épicier, vous croisez le mec qui ne vous déplait pas en ce moment et qui ne va sûrement pas avoir l’idée de vous inviter à dîner là maintenant, ou alors (top du top) un ex qui passait dans le quartier, avec sa nouvelle nana qui vous regarde narquoisement et qui lui dira ensuite « Je ne vois vraiment pas ce que tu lui as trouvé, elle est grave, non ? ». Il y a des citrons qui coûtent drôlement cher…

Il y a des jours, je me bafferais, vrai de vrai.
Tiens, je vais aller prendre un shampoing, just in case...

Notes

[1] L'âge canonique est l'âge requis par le droit canon pour l'exercice de certaines fonctions. C'est, en particulier, l'âge minimum de quarante ans à partir duquel, une femme peut entrer au service d'un ecclésiastique (garantie de responsabilité, de maturité et de faible attrait... nécessaires qualités pour être "bonne du curé", ça remonte le moral, non ?).

mardi 17 avril 2007

De la maternité - ou pas

Je viens de regarder sur France 5 un documentaire intitulé « Destins de femmes sans enfant », qui m’a un peu laissée sur ma faim. Je m’y attendais un peu, cela dit, car il est rare qu’un documentaire traitant d’un sujet qui vous concerne personnellement n’apparaisse pas comme « incomplet », puisqu’il n’appréhendera jamais la subtilité de chaque parcours de vie, en particulier de celui du spectateur ou de la spectatrice qui attend de s’y retrouver au moins un peu.

En l’occurrence, la réalisatrice a donné la parole à quatre femmes ayant choisi leur non-maternité, ou ne regrettant pas que les circonstances de la vie les en aient privées. Deux d’entre elles sont artistes : une comédienne qui parle de son spectacle comme de son « bébé », une musicienne qui travaille avec des femmes enceintes… Les deux autres sont également des femmes aux parcours professionnels épanouissants : une psychologue dont la thèse était précisément consacrée aux femmes n’ayant pas procréé, et une reporter-écrivain parcourant le monde et faisant le récit de ses voyages. Chacune d’entre elles faisant le constat souriant et convaincu qu’il n’y avait nulle place pour un enfant dans sa vie.

Le passage qui m’a le plus intéressée – et émue – dans ce film, ce sont les interviews croisées de la femme-reporter, celle qui indique le plus fermement un choix précoce et certain de ne vouloir à aucun prix d’un enfant, et de son compagnon photographe, grand voyageur également. La cinquantaine tous les deux,vivant ensemble depuis près de 20 ans. L’homme est sympathique, souriant, et exprime, lui, une faille, un vague regret dans ce choix, ou plutôt l’expression d’un doute : « Et si nous étions passés à côté de quelque chose ? ». Et sa compagne a l’air de découvrir ce doute chez son compagnon à ce moment précis. Il y avait là une sorte de vertige, tout à coup, dans un film jusque là assez « consensuel »…

Après tout, c’en était le sujet : celles qui vivaient bien et sciemment le fait de n’être pas mère. Nulle intervention ici d’une nullipare désespérée, d’une femme enchainant traitement sur traitement pour enfanter à tout prix, aucune témoignant n’avoir pas choisi de rester stérile. Ce n’était pas là le propos.

Cela fait longtemps, pour ma part, que je m’interroge sur la part de choix dans ma propre non-maternité. Plus j’avance, et plus j’ai l’impression qu’on ne « subit » rien. Que ce ne sont pas les circonstances et les évènements qui s’imposent à nous, mais que nous allons le plus souvent vers eux. Que nous trouvons plus facile ou confortable de dire « Je n’ai pas eu le choix » au lieu de considérer qu’il y en avait peut-être un autre, que l’on n’a parfois tout simplement pas vu, pas voulu voir.

J’ai souhaité, à deux reprises, avec deux hommes, avoir un enfant. Pour des raisons différentes (l’un plus là pour le concrétiser, l’autre le refusant), ce projet, ce souhait, n’a pu être mené à bien. Les autres hommes de ma vie, je n’ai pas eu le temps ou l’envie (ou le temps d’avoir envie) d’avoir un enfant avec eux. Et en ce qui me concerne, c’est un projet que je ne conçois de ne mener qu’à deux. Je n’aurais jamais pu envisager une maternité seule, ou contre l’avis du père souhaité, de la même façon que je n’ai jamais envisagé de me porter candidate à l’adoption en célibataire. Je ne me sens pas les épaules d’assumer cela en solitaire.

J’ai parfois parlé de ce manque-là, de ce qui est parfois une souffrance, surtout à ce moment charnière de ma vie où je suis en train de passer du « C’est encore possible » au très prochain « C’est fini pour moi ». Mais au fond, est-ce qu’il n’y a pas une part de choix, là-dedans ? Il m’est arrivé d’éconduire des hommes qui avaient cette envie de vie commune et de famille avec moi. En toute connaissance de cause. Parce que moi, je n’en avais pas envie avec eux. Et j’ai choisi peut-être au contraire de m'engager avec des hommes avec qui ce type de projet n’était pas viable. Alors ? Est-ce qu’une part de moi est responsable de cela ? Sans doute que oui. Cela fait aussi partie de mon chemin. Et j’ai choisi mon chemin, je crois, c’est pour cela qu’il est le mien…

Je me dis parfois aussi que sans doute, à plusieurs moments de ma vie, cela m’a arrangée de ne pas être mère, de n’avoir pas d’attaches, pas d’obligations familiales. Cela m’arrange encore, quand je décide de partir en voyage sans me préoccuper d’autre chose que de mes possibilités d’absences professionnelles, quand je fais des projets pour moi seule, quand j’ai des envies de silence. Je peux être égoïste. J’appartiens à moi seule.

Appartient à moi seule également le revers de la médaille : la solitude trop amère parfois et la peur de « finir » seule, sans personne après moi. Le regret de ne rien donner, de ne rien transmettre, de ne pas aider un être à grandir, à "l'élever" peut-être. Le manque tellement flagrant, tellement douloureux parfois devant le spectacle de la relation unique d’un enfant et de sa mère. C’est pour cette raison que cela fait des années que je n’ai pas tenu un bébé dans mes bras : un petit corps chaud et vivant, cette odeur de chair douce, cette fragilité confiante abandonnée… je ne peux pas. De la même façon que je reste le plus souvent muette devant ces joies de parents qui me sont trop douloureusement étrangères, les émerveillements maternels exprimés par mes copines ou les blogueuses-mamans (qu’elles ne m’en veuillent pas, mais je crois qu’elles comprennent).

Mais je sens aussi, tout doucement, le chemin qui se fait en moi. Cet âge charnière qui éloigne chaque jour un peu plus de moi le simple « possible » de la maternité est aussi celui qui chaque jour un peu plus me fait passer de la renonciation, qui peut être amère, à l’acceptation qui est – ou sera – sereine et apaisée. C’est drôle, les « ricochets » que j’effectue de conserve avec d’autres blogueurs, s’ils peuvent remuer les tripes en obligeant à se pencher sur des zones de turbulences du passé, me font prendre conscience plus encore du caractère éphémère des tourments, même ceux qui paraissent interminables quand on est plongé dedans. Et comme ils peuvent vous mener loin à condition de faire le choix d’en faire des tremplins et pas des boulets (ou de transformer les boulets en tremplins avec un peu de boulot, de volonté ou de lâcher-prise, ça ne se fait pas en un claquement de doigt, à moins d’être Superman ou Wonder Woman, ce que je ne suis pas et la plupart d’entre nous non plus).

Et ça, la réaction que l’on offre aux évènements, à ce qui EST, c’est un choix. Toujours. J’en suis certaine, intimement. Même si ça peut prendre du temps, beaucoup de temps, d’apprendre que refuser ce qui EST n’est qu’inutile et douloureux.

Alors je poursuis ma route, et je choisis, autant que faire se pourra, de vivre cela du mieux possible. Il y aura encore des jours de chute et de chagrin, et parfois aussi un sentiment d’injustice cruelle. Et une révolte contre ce fait qui – sauf miracle, j’ai 43 ans et pas de papa potentiel par les temps qui courent – EST que je n’ai pas d’enfant et que sans doute je n’en aurai pas.

De deux choses l’une : soit je décide de me pourrir la vie avec cette absence-là, soit je décide de l’accepter et peut-être même d’en faire quelque chose. Il va me falloir peut-être un peu de temps et d’énergie (et quelques larmes quelquefois) pour ça, mais j’ai envie d’y travailler, ça vaut le coup.

mercredi 21 mars 2007

A propos de...

A propos de ce « Credo » de l’autre jour, même si je sais que je vais me faire engueuler par quelqu’un qui va m’appeler furibond pour me dire que je n’ai pas à me justifier de ce que j’écris. Je sais, je sais…

Juste quelques mots après ces quelques jours de réflexion à l’air breton, pendant lesquels j’ai relu attentivement les commentaires, que je n’avais eu que le temps de survoler entre boulot et sorties (je mène une vie de bâton de chaise).

Dans leur majorité, ces commentaires m’ont frappé par leur bienveillante tolérance à l’égard de convictions pas forcément partagées. Je n’ai eu finalement que peu de « jugements », par rapport à ce que je disais. Et ce que je disais était fort peu, quand j’y réfléchis. Parce que si je me relis une fois encore – et Dieu sait que ce billet m’a demandé du temps et de la réécriture – je constate que je n’y révèle finalement pas grand-chose du « contenu » ou du détail de ma conviction. Et que certains commentateurs se sont engouffrés dans une brèche qu’il ne me semblait pas avoir encore ouverte, exposant – parfois fort longuement, beaucoup plus longuement que mon propre billet - théories et convictions en vrac, qu’elles soient similaires ou différentes, et me prenant un peu de vitesse, j’avoue. Et je crois que j’ai eu grand tort de ne pas m’en tenir aux mêmes précautions d’écriture que pour le billet et de répondre en commentaire sur un ou deux points, trop vite, de façon incomplète et en résumant des choses que j’avais peut-être l’intention d’évoquer différemment ou de façon plus développée plus tard.

Alors j’avais juste envie de dire une ou deux choses. Et d’abord merci à Luciole, car son commentaire m’a permis de toucher du doigt ce que je n’avais jamais formulé ainsi auparavant : cette conviction de « vie après la vie » est quelque chose de profondément intime. Peut-être est-ce ce que j’ai de plus personnel, de plus précieux.

J’ai ouvert ce blog par plaisir des mots, pour le bonheur d’écrire, et parce que la confrontation de mon écriture au regard des autres était quelque chose que j’expérimentais depuis quelques années par le biais d’ateliers d’écriture « réels », et que je trouvais cela merveilleusement enrichissant. Très vite, j’ai été rattrapée par l’intime dans ce qui est devenu une sorte de journal virtuel, même si je réserve encore beaucoup d’aspects de ma vie et de mes pensées à mon seul petit carnet-papier au fond de mon sac.

Je n’ai jamais souhaité que ce blog devienne autre chose que ce lieu intime. Je ne me reconnaitrais pas dans un blog-débat, un blog-forum. Ici je ne révèle rien d’autre que moi-même et conçois parfaitement que certains puissent trouver cela impudique ou chiant ou contraire à leurs propres opinions. Qu’ils passent leur chemin, je n’ai rien d’autre à offrir que mes mots, rien d’autre que ce que je suis. Et je ne cherche pas à convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit. Ce que "j'affirme" ici n'est valable que pour moi. Quelquefois, je le partage. Quelquefois non. Peu importe.

Quand je parle – quand je tente de parler - de ma conviction intime à propos de la non-réalité de la mort, je parle de quelque chose de tout à fait similaire à ma relation chaotique avec mon propre corps. D'aussi personnel, je veux dire. C’est un parcours de vie. C’est aussi ancré en moi que la plus profonde de mes souffrances ou la plus exaltante de mes joies contées ici. C’est le carnet d’un voyage fabuleux au même titre que mes carnets indiens. C’est juste le voyage le plus important de ma vie, peut-être. Et je n’attends aucune caution. Je demande juste le respect de mes convictions comme je respecte celles des autres contraires aux miennes. J’en parle au même titre que de certaines choses essentielles de ma vie ici, des chagrins, des émotions, des souffrances ou des rires. Pourquoi m’interdirais-je d’en parler au même titre que de tout le reste de ma vie ? Si cela peut-être litigieux pour certains, c’est leur problème, pas le mien.

Alors je demanderais juste à certains de mes commentateurs - parce que je n'ai nulle envie, moi, de modérer les commentaires - de modérer leurs propos (non il n’y a aucun « grave péril dans mon discours »… on croit rêver...), ou la longueur de ceux-ci pendant qu’on y est, et aussi d’éviter de proférer des jugements de valeur aussi inutiles que prétentieux sur le commentateur précédent. En ce domaine particulier comme en tant d’autres, PERSONNE ne détient LA vérité et tenter de la démontrer ou l’imposer aux autres n’est autre que ridicule. Est-ce si difficile pour certains de n'envisager leurs convictions que personnellement ?

Je m’exprimerai peut-être encore sur le sujet, sous quelle forme, je n’en sais rien encore. Mais je ne m’efforcerai à rien d’autre que ce qui m’a menée jusqu’à présent en ce lieu : le plaisir, l’évidence, les mots, les sentiments… Si quelque chose vient sous mes doigts à ce sujet, je l’écrirai. C'est tout.

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