Je pourrais sans doute écrire une thèse – bon allez, un petit mémoire – sur les sites de rencontres, je l’avoue. J’ai commencé à fréquenter ces pourvoyeurs de cœurs (enfin, il paraît) il y a quelques années, après une séparation qui me plongeait dans une solitude pas bien vécue.
A l’époque, l’internet n’était pas du tout illimité, la ligne téléphonique faisait pppppppppssssszzzzzzzzcccccchhhhhhthhhhhzzzzzzz pendant une plombe avant la connexion et on se faisait salement repérer au bureau, surtout au moment de la facture, d’ailleurs, si on avait eu le malheur d’oublier de cliquer sur « déconnexion » à la fin d’un « chat » avec Mister X… Je crois que nous sommes quelques-un(e)s à avoir vécu de sombres angoisses à ce sujet, et des fins de mois acrobatiques quand ça se passait à la maison et que le montant à acquitter nous donnait un coup au cœur à défaut d’en avoir comblé la solitude…
Finalement, ce n'est pas par l'intermédiaire du net que j'ai rencontré les hommes qui ont le plus compté pour moi : au moment où je commençais à surfer, j'ai rencontré Choul "dans la vie" et c'est tant mieux. Mais c’est là ensuite que j’ai croisé Fox, quand même, et nous avons vécu ensemble une jolie histoire d’un an avant de retourner chacun vers nos plates-bandes personnelles. Et je m’abonne depuis, par intermittence car cela m’exaspère chaque fois rapidement, à ces sites pour esseulés qui ne veulent plus l’être. Ce que je suis, à mon grand dam.
J’avoue y avoir passé de bons moments : j’y ai rencontré quelques garçons charmants dont certains sont devenus des copains, ou des amants, ou des amoureux passagers, et comme j’ai appris très vite à ne pas m’attarder auprès de ceux qui m’apparaissent aussitôt emmerdants, j’ai connu en quelque sorte le meilleur qu’il se pouvait de ces rencontres, éphémères ou non. Hormis qu’à l’heure où je vous parle, le but final - à savoir ne plus fréquenter ces sites parce qu’on y a trouvé l’âme sœur – n’est pas atteint pour ce qui me concerne. A mon grand dam.
Il y a de tout dans ces supermarchés de solos. Des enthousiastes et des timides, des cons et des brillants, des obsédés sexuels ou textuels, des passagers ou des habitués, des représentants de tous milieux sociaux, types physiques, races ou modes de vie, c’en est vertigineux, et en même temps, cela donne une confirmation certaine qu’il y a finalement peu d’êtres avec qui l’alchimie mystérieuse de l’amour peut exister, quelles que soient les affinités de départ affichées. Elles ne veulent tristement rien dire. Ou alors serais-je trop difficile ?
Oui, je me montre très (excessivement ?) sélective parmi tous les messieurs en vitrine de m**tic & consorts, et j’élimine par exemple impitoyablement :
- les vingtenaires qui cherchent une « femme mûre » (p’tits cons !). Les trentenaires itou. Je ne réponds pas.
- les sexa et septuagénaires qui cherchent une jeunette (oui, oui, pour eux je suis en quelque sorte une jeunette, je vous interdis de rigoler) qui pourrait éventuellement se muer en infirmière dans quelques années ? Je ne réponds pas.
- Ceux qui m’envoient un premier mail en guise de prise de contact, en déclarant tout de go qu’ils se verraient bien vieillir à mes côtés (au vu de 10 lignes de présentation et 3 photos…). Je ne réponds pas.
- Les mêmes qui sans plus me connaître s’enquièrent de savoir si nous pourrions adopter un enfant ensemble puisque je suis trop vieille pour en avoir un ? (authentique). Je ne réponds pas
- Ceux qui n’affichent pas leur photo « pour raisons professionnelles ». En général la vraie raison « professionnelle » est qu’ils veulent éviter de se faire gauler par un éventuel client célibataire qui aurait eu la chance d’être présenté à leur épouse… ou par les copines de celle-ci…
- Ceux qui vous envoient un message circonstancié bourré de détails sur eux-mêmes et ne font aucune allusion à votre propre portrait : on se rend parfois compte que ceux-là ne lui ont même pas rendu visite et ont fait un copier-coller de leur message générique au simple vu de votre photo… Je ne réponds pas non plus.
- Ceux qui vous envoient un laconique « Bsr » ou tout message façon langage sms avec éventuellement – cerise sur le mail – un finish en forme de « kikou lol »… dont l’auteur a parfois passé les 50 balais. Je ne réponds pas.
- Plus : ceux qui vous proposent la botte, ceux qui font 10 fautes d’orthographe en 3 lignes (oui, je suis sectaire !), ceux qui veulent « une relation sans prise de tête » et/ou « croquer la vie à pleine dents » (2 expressions qui m’agacent singulièrement et dont la deuxième remporte la palme de la nunucherie à mes yeux), les désespérés qui vous engueulent parce que vous avez quand même répondu poliment que vous ne donnerez pas suite à leur message, les humoureux à deux balles, ceux qui sont très contents d’eux (pseudo : PDGtrèsbelhomme qui se définit comme « de très haut niveau, avec énormément de charisme », allez savoir pourquoi, j’ai pas envie d’aller voir…), bref, au final, il n’y en a pas tant que ça dont on se dit qu’on ferait volontiers la connaissance…
Après, on rencontre éventuellement celui dont on a trouvé le portrait sympathique et/ou intelligent et/ou drôle et/ou pas prétentieux, etc… et qui a trouvé le vôtre suffisamment attirant pour avoir envie de vous répondre aussi, ce qui déjà fait pas mal de conditions à réunir, croyez-moi !
Connaissance, ça veut dire en général un rendez-vous pour prendre un verre. Pour ma part, j’évite les discussions virtuelles interminables par mail, et je ne pratique pas msn. Juste un verre, pas un dîner, oh là ! ça va pas la tête ! Hors de question de se retrouver coincé(e) tout un dîner avec quelqu’un dont on sait parfois au bout de 5 minutes qu’on n’a rien à se dire…
Le « verre de contact » (si j’ose m’exprimer ainsi et si vous me pardonnez ce jeu de mot vaseux, oui je sais) peut donc s’avérer joyeux, ou compassé, ou laborieux, ou intéressant, ou passionnant, ou amical, ou terriblement ennuyeux, ou électrique. J’en ai connu quelques-uns, de toutes ces sortes-là, si, si, et j’ai maintenant pour règle de ne pas m’attarder plus de temps qu’il n’est nécessaire si le courant ne passe absolument pas, ce qui n’est généralement pas rattrapable, il faut être lucide. J’ai parfois abrégé un silence pénible ou une conversation qui n’en était pas une au bout d’un quart d’heure, poliment, souriante mais décidée, le plus souvent au grand soulagement de mon interlocuteur qui ne s’imaginait pas en faire autant. Que voulez-vous, je déteste m’emmerder. J’ai parfois dû faire face quand même à la déception voire à la colère du monsieur si lui se plaisait en ma compagnie ou ne s’imaginait pas si ennuyeux, ou si lourd (valable pour ceux qui essaient de vous embrasser dans le cou, ou ailleurs, au bout de 12 minutes chrono). J’ai même une fois pris littéralement la fuite sous les vociférations et les insultes d’un fou furieux : il avait choisi une terrasse de café dans une petite rue abritée pour plus de discrétion « car il était suivi et surveillé », et – ne cherchant visiblement qu’un auditoire - m’entretenait fébrilement depuis une bonne vingtaine de minutes du livre qu’il préparait depuis 15 ans et qui « allait faire tomber des têtes ». Il envisageait d’ailleurs de quitter la France pour se mettre à l’abri avant la publication de ce brûlot (dont il refusait de me dire le sujet « dangereux »), regardait derrière son épaule toutes les 10 minutes, tics nerveux à l’appui, éclats de voix subits, etc… un fou furieux, vous dis-je. Ce sont des choses qui arrivent…
Si le verre se passe bien, et parfois c’est un plaisir, on se revoit, on dîne ensemble, on sort un dimanche, éventuellement on s’envoie en l’air tout de suite, ça arrive aussi. Et quelquefois on noue une relation, amicale, sexuelle, amoureuse pour un peu de temps ou beaucoup, ou rien du tout, il n’y a pas de règle dans ces relations humaines-là pas plus que dans toute autre. Parfois on souhaite que cela dure et cela s’estompe très vite. Parfois on n’y croit pas vraiment et on se retrouve couple pour un temps, voire vieux amis. J’aime ces surprises-là, j’en ai eu quelques-unes.
Parfois aussi, il y a des déceptions sans coupable : on prend un premier verre qui passe comme l’éclair, alors un deuxième puis un dîner improvisé. Et un autre dîner sans tarder et un troisième et ainsi de suite. La parole est facile, gaie, passionnante, on découvre un autre qu’on aime bien, qu’on a envie de connaître de plus en plus et cela a l’air réciproque. On se surprend à chaque soirée à finir fort tard, les chaises retournées sur les tables autour de la nôtre sans qu’on se soit avisés de l’heure tardive et que le personnel du restaurant nous attend pour fermer. Et l’on se sms en rentrant qu’on a passé un si agréable moment, encore… On partage suffisamment de choses pour se ressembler un peu, et on en découvre des nouvelles chez l’autre qui nous séduisent et nous surprennent, et dont on a envie qu’il nous les fasse découvrir. On lui trouve du charme, de la séduction, on aime ses yeux qui plissent quand il rit et même ses goûts culinaires ou vestimentaires ou sportifs discutables à nos yeux, mais on est prêt(e) à l’indulgence. On se surprend à guetter le téléphone ou le mail et à se dire que c’est bien long cette semaine avant le prochain dîner… On espère cette sensation partagée mais on n’en est pas très sûr(e)… On aimerait un signe, autre qu’amical, et il se fait attendre, alors on doute, et on est un peu triste. A la fin d’une autre bonne soirée où aucun geste équivoque n’a été esquissé (à notre grand dam), où l’on frôle l’autre en se demandant si… un bonsoir tard dans la nuit fait déraper le baiser sur la joue qui finit non loin des lèvres attendues, voire carrément dessus, non on ne l’a pas fait tout à fait exprès mais si quand même un peu, aidé(e) par quelques verres étourdissants, peut-être. Et ces lèvres-là ne répondent pas. Aucunement, sauf en sourire, un peu gêné peut-être ? Alors on rit aussi, on plaisante et on s’éloigne avec un signe de main amical. Et l’on sait que l’alchimie n’a pas fonctionné cette fois encore, sans raison, sans explication, puisque l’alchimie n’en supporte aucune, ni pour ni contre. C’est comme ça, c’est tout.
Alourdi(e) de cette solitude annoncée, renouvelée une fois encore, on ne peut s’empêcher de se demander vaguement si on ne souffrirait pas d’un handicap certain de la relation amoureuse, d’un blocage non identifié qui nous empêche de rencontrer l’Autre. Ou d'un défaut certain de fabrication, à nos yeux invisible ? On quémande l’aide de Miroir qui nous renvoie l’image cruelle d’un être difforme, gros et laid, celui-là même qu’un être sympathique vient de refuser d’embrasser, la preuve. Miroir nous dit qu’on n’est pas fait(e) pour plaire, trop de rides et de bourrelets et de cheveux blancs naissants, sans nul doute, trop de paroles bêtes et de gestes disgracieux, aussi, c’est certain certain, lucide Miroir, meilleur ennemi du solitaire. A l’heure où l’on n’est pas encore capable de se dire que c’est juste une histoire bête : on a rencontré quelqu’un qui nous plaît, on ne lui plaît pas pareillement en retour certes, mais rides et bourrelets et esprit n’ont sans doute rien à voir avec ça. Il est un peu trop tôt pour contredire la méchanceté de Miroir. Un peu trop tôt pour penser clairement que cette histoire-là a eu son pendant parfois : nous aussi il nous est arrivé de ne pas avoir envie d'embrasser quelqu'un qu'on aimait bien. Qu'on n'aimait juste pas de cette façon-là.
On pense malgré tout qu’on va retourner un jour sur le site, parce que la vie « réelle » ne donne pas tant d’occasions finalement de rencontrer de potentiels partenaires. Et qu’on n’a pas pris le parti de la solitude, même si elle semble au fond notre lot. Fatigué(e) pourtant de devoir recommencer cette ronde…Encore. Toujours ?