Festival

De retour de Cannes, après quelques jours seulement passés là-bas. Jamais mes séjours festivaliers n’auront été aussi passionnants et riches que celui-ci.

Je n’ai vu AUCUN film (je me suis bien présentée à une projection matinale au Marché pour le film d’Emmanuel Mouret, mais je m’étais trompée de jour… j’avais du lire mon programme à l’envers, du coup j’ai pris un café avec le projectionniste, on a bien ri). J’ai à peine mis les pieds sur la Croisette, n’ai pas monté les marches juchée sur des talons meurtriers, je n’ai pas fait la fête jusqu’à l’aube, à peine ai-je bu une coupe pétillante et croqué un petit four rescapé d’une armée de vampires italiens (mais les vampires de buffet parlent toutes les langues du monde, là-bas). Je n’ai pas vu de star, ni porté de robe de Scarlett. Cannes off, en quelque sorte, le meilleur.

Non, j’ai fait là-bas ce qui me rappelle pourquoi j’aime mon métier, qui consiste principalement (je résume) à aider des gens, auteurs, réalisateurs, producteurs, à mener à bien leurs projets, à trouver des partenaires et des sous pour ce faire, à avancer, aller plus loin.

Je me suis consacrée entièrement à eux, avec un bonheur extrême. Je reviens saoulée de rencontres et de sourires, d’espoirs et d’énergies incroyables toutes entières dévouées à des histoires magnifiques, folles, drôles, tendres. Je garde le souvenir d'heures entières passées à écouter des rêves en passe de devenir des images et sur mes épaules la chaleur d’un blouson de cuir posé là gentiment une fin de nuit fraiche par un auteur passionné avec qui nous avons parlé de projets, d’histoires, de la vie, de la mort, de choses sensibles et tendres. Une remontée de la Croisette aussi, sous un soleil chaud, bercée par l’accent d’un réalisateur foufou aux yeux rieurs emplis de mille fictions que j’aimerais tant aider à mettre sur écran la prochaine. Un chaleureux espagnol qui m’embrasse comme du bon pain après m’avoir raconté l’histoire terrible de sa famille qu’il veut écrire, produire, réaliser, pour me remercier de l’avoir écouté, si émue, la gorge serrée. Le lendemain j’organise un rendez-vous pour lui avec d’autres producteurs qui me semblent partager le même feu, le courant passe entre eux, et je les regarde, heureuse. On promet de se revoir bientôt, de me donner des nouvelles du projet. A San Sebastian en septembre, il aura avancé peut-être, je vais le suivre de très près. Et ce duo de producteurs italiens, mes chouchous depuis le dernier festival de Rome, dont je suis si fière d’avoir pu les aider à trouver un partenaire ici. On dirait bien que le film va se faire, il est si joli. On me montre les photos des enfants, me fait promettre de venir dîner à la maison à Rome la prochaine fois, je fais partie de la famille maintenant. Et on se quitte en se serrant dans les bras. J’ai des sourires plein le cœur.

On m’aurait dit qu’un jour j’aimerais Cannes que je ne l’aurais pas cru. Il y a les paillettes, le paraître, les fêtes VIP (rien que le terme « very important person » me fait courir des frissons d’horreur dans le dos, quel con faut-il être pour se croire plus « very important » que quiconque ?), il y a les airs blasés et les qui se la pètent, il y a les médisances et ce sentiment de supériorité insupportable de beaucoup. Et puis, tout à côté, il y a les gens qui « font » les films, qui écrivent, qui tournent, qui n’ont pas peur de leurs émotions, de leur fragilité, de leurs passions, qui y croient et qui vous entrainent avec eux. Que de beaux regards j’ai croisé, que de belles histoires on m’a raconté, que de conversations passionnantes avec des êtres humains formidables. J’ai beaucoup de chance.

J’admire tous ces gens, de vivre leurs passions au grand jour, de n’avoir pas peur de leurs émotions, d’oser les livrer au monde, publier, filmer, scénariser et signer de leur nom et leur prénom, les vrais ! Quelquefois, à ceux avec qui je me sens en confiance, je dis timidement que j’écris, un peu, anonymement, clandestine, en secret de tous, ma famille, la plupart de mes amis, mon boulot, comme honteuse… Et on m’encourage, voire on m’engueule gentiment, on m’exhorte à ne pas avoir peur ni honte de ce que j’écris en secret, de faire se rejoindre celle que je suis dans la vraie vie, si différente en représentation professionnelle de celle que je suis dans les pages de ce blog ou d’autres écrits. Ils me font du bien, me donnent à penser que oui, peut-être, le moment viendra bientôt de ne plus séparer mes vies, d’assumer le moi secret et de l’associer pleinement à moi-même, aux yeux de tous. De quoi ai-je peur, au fond ?

Commentaires

1. Le jeudi 21 mai 2009, 11:02 par Pablo

Cela explique pourquoi je ne t'ai pas vue lorsque je t'ai guettée sur une ou deux vidéos que je me suis mis à voir sur le site du festival (c'était lassant, en fait, de voir les poses si fausses de tous ces gens sur le tapis rouge). Ça m'émeut toujours la passion avec laquelle tu vis le cinéma, parce que j'ai l'impression que ça, c'est aussi du cinéma, du vrai : ce que tu fais et ce que tu racontes et la façon dont tu le racontes... De quoi as-tu peur ? Dès que tu auras fini de réviser ta malle : de rien ! Bon courage et bon cinéma.

2. Le jeudi 21 mai 2009, 11:41 par Colette48

Bonjour,
Une amie m'a recommandé ce blog et je l'en remercie.
Pour ce que j'y ai lu, je ne dirais pas que c'est de la peur, mais plutôt de la pudeur. Merci de nous démontrer que certaines personnes ont encore le sens des valeurs humaines.
Je ne vais pas manquer de remonter le cours de ce blog pour y découvrir vos autres écrits.
Bonne journée.

3. Le jeudi 21 mai 2009, 11:52 par Agaagla

tu donnes envie... et que tu fais bien de rappeler tout ce qui fait naître ces films...

4. Le jeudi 21 mai 2009, 13:25 par mitsou

Ben voila ! que d'émotion dans tes mots ! encore et encore... Je ne peux rien dire de plus tu es trop forte ...

5. Le jeudi 21 mai 2009, 16:13 par celle qui ne merite pas le nom de copine

peur de ce que tu pourrais ecrire peut etre?

6. Le jeudi 21 mai 2009, 17:45 par yves duel

Tiens, c'est marrant, c'était ma dernière conversation avec une vieille copine, pas vue depuis 40 ans (évidemment, on s'est vus à l'enterrement d'une vieille copine --cancer du sein puis leucémie)

"de quoi ai-je peur, au fond ?" : hé bien, on passe les 60 premières années à se poser la question. Après ça va mieux --qu'on y ait répondu ou pas !

(comme j'en ai 62, tu vois pourquoi je suis en pleine forme ! je t'embrasse)

7. Le jeudi 21 mai 2009, 17:49 par gilda

J'aime beaucoup, tu parles de Cannes comme j'aimerais pouvoir parler d'un salon du livre.

Ne comprends que trop ce que tu écris au sujet de ceux qui dévoilent et assument leurs émotions, leurs sentiments. Je viens doublement (familial et social d'origine, puis professionnel) d'un milieu où ça ne se fait pas et j'ai bigrement du mal à me débarrasser de ces oripeaux-là.
Si tu veux bien m'ajouter à la liste de ceux qui t'encouragent à la réunification, j'en serai honorée.
Quand on sait à quoi s'attendre, l'épreuve est moins dure et peut être au bout du compte source d'apaisement, l'obstacle une fois franchi - je dis ça je patauge en plein, mais bon -.

8. Le jeudi 21 mai 2009, 19:29 par jmj

ça fait bien longtemps que je vis, grâce au blog, une partie de la vie de Traou, j'apprécie beaucoup son écriture et l'intensité des émotions. Il y a peu, j'ai renoué avec le ciné-club, et là j'ai rencontré une personne que j'ai identifié à Traou, à ce qu'elle dit dans son billet, elle parcourt le monde, surtout l'Afrique pour aider et faire connaitre des réalisateurs, elle anime des salles dans un petit bled des hautes pyrénées, si elles se connaissaient elles auraient beaucoup à dire et à partager. Pourquoi pas à San Sebastian prochainement et si j'étais l'intercesseur, j'en serais très heureux

9. Le vendredi 22 mai 2009, 08:33 par valclair

Je m'étais dit: tiens, voilà le festival de Cannes, Traou y est sans doute, cela nous vaudra peut-être un de ces merveilleux billets d'ambiance dont cette chère et trop rare amie sait nous régaler...

Je ne m'étais pas trompé. Mais ça va plus loin que l'ambiance. Beau billet émouvant sur la passion du cinéma et la passion de ton métier. J'imagine bien avec quel coeur tu le fais.

Quant à la réunification , je constate que nous sommes plusieurs à avoir envie d'assumer ce que nous sommes vraiment au delà de nos personnages sociaux ou familiaux, chacun avec nos méthodes, nos petits pas en avant et nos petits pas de côté lorsqu'on s'effraie un peu trop. Fondamentalement je crois que c'est sain, on a tout à y gagner.

10. Le dimanche 24 mai 2009, 17:21 par chondre

Ben oui. J'ai mâté des heures de montées des marches et niet, nada, queudale, pas le moindre Jim sur le tapis rouge...

11. Le lundi 25 mai 2009, 09:25 par Anne

Ton feu à toi pour les raconteurs d'histoires est contagieux (mais nous sommes sans doute faciles à contaminer, nouzôtres amoureux de tes mots et de tes regards !).

A te lire, je rêve de beaux films à découvrir, et ça, c'est magique.