mardi 9 mars 2010

En 8 millimètres

Le grain est comme poudré, les traits imprécis, les mouvements un peu plus rapides que dans la réalité. La lumière est délicate, parfois traversée de l’éclair blanc d’une brûlure de pellicule. Je regarde cette vie accélérée avec la mémoire du bruit du projecteur que mon père louait parfois, toute la famille réunie le dimanche après-midi, les fauteuils tournés vers la cheminée de granit. On enlevait les bibelots d’étain qui couraient sur son manteau de pierre et le mur blanc gardait la trace de leurs contours. On fermait les volets, calait le projecteur avec un livre ou deux pour corriger l’oblique du petit rectangle de vie colorée qui tressautait alors devant nous, hilares de se reconnaître là, silencieux et agités.

D’un landau aux larges roues rayonnées émerge une toute petite fille au bonnet blanc-pompon. Il passe de gauche à droite de l’image, une fois, deux fois, trois fois. Avec Maman, avec Papa, avec Grande Sœur, avec Moyenne Sœur. On pose presque comme sur des photos, on marche lentement, on se retourne vers la caméra intimidante, on est très sérieux. Sauf la toute petite fille qui a été moi et qui pointe une langue interloquée devant ce drôle d'oeil noir.

Un jardin dont je ne me souviens pas. Ma mère, belle et fine, jupe étroite, cardigan, escarpins, donne une fleur à la toute petite, écarte d’une main la moyenne qui sautille devant l’objectif, masquant le tableau prévu « la petite et la fleur », dans lequel elle n’a pas sa place à cet instant précis. La petite hume, toute à son rôle d’enfant au jardin, perd la fleur écrasée, la ramasse au sol, derrière en l'air sous la petite robe trop courte, équilibre instable et ravissant. La mère fait un « Oh » muet. Fin du tableau.

Un pique-nique de campagne, une couverture écossaise sur laquelle les grandes font semblant de dormir, rient des galipettes de la plus petite qui refuse de s'allonger, suce son pouce et rit aux éclats dans le cou de sa maman, ravie d'être rebelle. Derrière la caméra 8 millimètres, mon père, fantôme des films, omniprésent et invisible.

Vélo rouge et patins à roulettes aux lanières de cuir cassantes, les bras écartés façon balancier sur la digue de Dinard en hiver. Je regarde mes sœurs aux jambes rapides drapées de jupes grises identiques, petites filles sages des années soixante en chaussettes blanches. J’ai un foulard fleuri noué sous le menton dans la poussette qu'elles ont connue avant moi.

Une maison, "LA" maison aux arbustes miniatures sous lesquels je blottirai mes secrets une décennie après. Un muret d’ardoise mis là exprès pour faire grimper et sauter au sol les petites filles, mouvement perpétuel en robes-corolles claires. Un chiot aux oreilles si gigantesques qu’il marche dessus dans les virages un peu raides de ses courses folles. Il a la langue pendante et roule dans l’herbe sous les chahuts des petites. Pas très loin du poirier à peine planté sous lequel il sera enterré, vieux compagnon perclus, dans 17 ans de là.

Le même jardin sous la neige, cagoules et batailles. La petite pose sur la boule immense roulée à plusieurs dans la pente douce, tenue par les mains de Grande et Moyenne de part et d’autre. Quelqu’un prend une photo aussi, fixée par des coins de plastique racornis dans l’album 69/70, où la neige a pris une teinte trop sombre, ça arrive parfois avec les pellicules de nos Instamatic Kodak.

Un tricycle bleu déjà vu avec Petite Fille transporte maintenant Petite Sœur. Ma mère a 10 ans de moins que moi aujourd’hui et quatre filles. Petite Sœur proteste et grimace au soleil de face. On m’appelle en renfort pour conduire Tricycle Bleu par le guidon vers la caméra. Je m’acquitte de la mission avec un rien de componction, grande soeur devenue à mon tour.

Des jeux de ballon, une balançoire, des allers-retours sans fin debout sur les pédales dans l’allée de goudron. Les petites grimpent sans cesse sur le dos des plus grandes, attentionnées. Les arbres poussent à toute allure, comme les quatre filles de la grande maison. Nous aurons du chagrin quand on la vendra, dans longtemps, abri d'enfance. On est habillées pareilles, par paires, les grandes, les petites. Je déteste ça.

Des communions. La même aube blanche utilisée à travers les années. Et la grosse croix d'argent. Premières photos d’Instamatic : cadeau du parrain avec une Bible. Ou un buvard de voyage. De longues tables de déjeuners sans fin dont on est l'héroïne en blanc, un peu ridicule. La famille réunie pose pour les portraits de groupe dans le jardin. Premiers appareils à retardateur : Parrain court se mettre en place en boutonnant son veston après avoir appuyé sur le déclencheur. Les femmes sont en robes courtes acidulées, jambes fines aux genoux veloutés de collants Dim. Leurs maris n'aiment pas les collants et le disent. Les têtes sont brunes et coiffées 70. Têtes aujourd’hui grises, blanches ou chauves, dodelinantes, égarées ou parties pour une destination inconnue.

Et la plage, et la mer, et les jeux de vagues et de sable. Dinard, omniprésent théâtre de l’enfance. Courbées vers les coquillages à collecter, en courses éperdues vers la mer ou les rochers. Rieuses ou boudeuses tentant de fuir la caméra. Petite Sœur un peu apeurée avance et recule sous l’assaut d’une vaguelette microscopique avant de s’apprivoiser, de s’abandonner à l'eau amie. On la filmera intrépide l'année d'après. Matelas rouge et bleu et un dauphin de plastique. Ma mère s’éloigne pour nager, et je devine dans ses paroles muettes et ses gestes de la main qu’elle interdit qu’on l’éclabousse aujourd'hui. Une paire de maillots rayés identiques pour les grandes, puis les petites, à quelques années d’intervalle qui semblent des minutes. Ou des culottes de bain en vichy faites main, leurs élastiques fâchés avec l’eau de mer dévoilant les fesses blanches sous le dos doré. On a les cheveux courts et mouillés et l’air plus heureux que nulle part ailleurs, les yeux plissés, allongées dans l’eau qui miroite de soleil breton.

Et puis, comme une fulgurance, sur la plage de l’hiver 65 qui accueille mes premiers pas, un homme en noir, fugitivement imprimé sur la pellicule, vient prêter main forte à Moyenne Sœur qui tente de me faire garder l’équilibre. La main de l’homme en noir me remet d’aplomb sur le sable mouillé et s’éloigne en courant. Mon Papi à la rescousse, pour que je tienne debout, hier comme aujourd'hui.

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dimanche 31 mai 2009

Henri

Quand je pense à lui aujourd’hui, c’est son prénom que j’utilise. C’est assez récent. Je ne l’ai longtemps appelé que Papi.

Cela fait plus de 40 ans qu’il m’accompagne, ami désormais. Cela fait plus de 40 qu’il est mort, peu importe.

J’avais 4 ans et je me souviens du silence de la maison, du regard attristé sur mes jeux. Sans doute me demandait-on d’être sage. Ma mère m’avait pris la main pour aller le voir dans son lit, son beau sourire, ses yeux si bons. Sans doute suis-je la dernière chose gaie qu’il ait vue.

Ma petite sœur n’avait que 2 ans et ne s’en souvient pas. Mes grands cousins en avaient 8, mes sœurs 10 et 13. Eux et elles l’avaient mieux connu que moi, comprenaient ce qui se passait et éprouvaient du chagrin. Moi j’ignorais tout à fait ce qu’était le chagrin à ce moment-là, j’avais bien le temps d’apprendre. Et j’avais quand même eu le temps de le connaître, de graver dans ma toute fraîche mémoire des souvenirs indélébiles. Merveilleux.

Je me souviens de sa blouse blanche et de l’odeur du bois dans son atelier, de la sciure au sol et des planches interminables encore à couper.

Je me souviens d’une histoire avec un renard, que j’écoutais perchée sur l’accoudoir de son fauteuil. Je me souviens d’avoir fait le zouave une fois, de joie sans doute, et je suis tombée de l’accoudoir, en arrière sur la cheminée de granit. Je ne me souviens pas de l’hôpital.

Toutes les années qui ont suivi, c’est à lui que j’ai confié mes peines d’enfant, le soir avant de m’endormir. Et je plongeais dans le sommeil, apaisée toujours, la sensation d’une caresse de sa main sur ma joue. Je ne crois pas l’avoir confié à quiconque à ce moment-là, c’était entre lui et moi.

Des années plus tard, j’ai aimé des hommes qui lui ressemblaient, je crois. Gentils et fantasques. Créatifs et au regard doux sur moi.

Aujourd’hui encore, il est l’ami à qui je pense quand je suis triste, à qui je confie mes chagrins par la pensée. Je ne l'ennuie jamais. Il m'écoute toujours avec bienveillance. J’ai une photo de lui dans mon portefeuille, à côté de celle d’Etty. Une photo de mon jeune grand-père dont j’aime tant le regard. Cet Henri-là, j’aimerais bien lui proposer d’aller prendre un verre au zinc, trinquer à nos années communes, par delà le temps et l’espace, comme une passerelle au-dessus de nos vies distantes, si proches.

Aujourd’hui j’étais un peu triste et j’ai pensé à lui, comme souvent. Et j’ai réalisé que je n’avais jamais parlé de lui ici, alors qu’il est quelqu’un de si important dans ma vie. Henri, mon ami…

samedi 9 juin 2007

1991 - L’épopée du jus d’orange

C'est la première fois que je publie ici un billet de mes "Ricochets". Je vous invite d'ailleurs à aller lire les "Petits Cailloux" de mes comparses blogueurs, il y a de vraies pépites...



Depuis 2 ans, je « travaillote » de-ci de-là, n’arrive pas à avoir une activité régulière comme intermittente du spectacle. Je mettrai un moment avant de me rendre compte à quel point j’ai besoin de stabilité professionnelle et financière pour n’être pas angoissée tout le temps.

Un soir au restaurant, les larmes me viennent aux yeux parce que je capte à la table d’à-côté le récit enthousiaste de son travail d’une fille de mon âge à son amoureux. Julio s’affole de mes yeux mouillés, les embrasse, me câline, ne comprend pas. Qu’ai-je besoin de m’inquiéter ? Il est là.

Précisément, amoureuse d’un homme comme lui, j’ai plus que besoin de stabilité et de sécurité… Il est fantasque, passionné, inventif, touche-à-tout. J’admire ses créations, ses idées foisonnantes, il m’émerveille, me fait rêver, je l’aime, mais il est l’homme le moins rassurant de la terre ! Il fait fortune un jour, est ruiné le lendemain pour avoir tout réinvesti sur un coup de tête dans un projet aussi mirifique qu’aléatoire. Il m’offre des cadeaux ruineux et je découvre qu’il est poursuivi par moult créanciers en colère. Et lui, ça le fait rire. « Ne t’inquiète pas, Poussin, ce n’est que de l’argent, ce n’est pas grave. ». Il ne possède ni carte bancaire, ni chéquier, que des espèces, toujours. Quant nous partons à l’étranger et qu’il se retrouve à court, il me rembourse au retour les sommes que j'ai dépensées pour nous en… francs CFA, virés d’une société inconnue au fin fond de la Côte d’Ivoire... à la grande surprise (et méfiance) de mon banquier.

Parce que j’aime un jus d’oranges pressées le matin, il m’a offert un de ces presse-agrumes en métal, lourd et encombrant avec un bras qui tourne et ne laisse aucune chance à la pauvre orange coincée dans l’acier. Un matin, il affiche cet air rêveur et concentré qu’il a quand une idée germe, c'est-à-dire souvent. J’aime bien assister à ce processus : bientôt il va mettre l’idée en mots et en dessins, ébaucher des calculs et des hypothèses, s’engager dans des culs-de-sac, repartir en arrière, trouver des solutions, d’autres impossibilités, les contourner… C’est fascinant.

L’idée du jour est la suivante : pour que son Poussin (moi, donc) puisse boire du jus de fruits frais le matin sans avoir à s’embêter à le faire, pourquoi ne pas commercialiser des oranges, directement remplies de leur jus, qu’il n’y aurait plus qu’à verser dans un verre ou boire à même le fruit, par un orifice/goulot prévu à cet effet ?... Je suis éberluée.

Le soir même, sur une nappe en papier de bistrot, il griffonne un schéma, un « extracteur de pulpe d’orange » qui introduirait ensuite dans le fruit une espèce de structure à baleines pour le maintenir dans sa forme. Ensuite, on réintroduirait le jus. On ferme par un clapet, un bouchon à vis, je ne sais, et hop ! Je suis sceptique et compréhensive. Je le trouve génial, souvent, mais là, j’ai un doute. Le lendemain, il met trois affaires dans une valise, décide illico de partir pour Taïwan où il a déjà prévenu Untel qu’il accourait pour faire fabriquer le prototype… Disparaît 10 jours. M’appelle à n’importe quelle heure pour me crier son amour et son enthousiasme. « Ca va être révolutionnaire, Poussin ! Je t’aime ! Je reviens vite ! Tu me manques. ». Une semaine après, il appelle du Japon où il est parti rencontrer d’éventuels financiers. Revient par l’Allemagne, plus grand consommateur européen de jus de fruits où il a peut-être une possibilité de…
Je me souviens du prototype de plastique bleu dont il m’explique le fonctionnement, sa main refermée comme une orange. J’embrasse sa main. Il me regarde, surpris dans son rêve enthousiaste, sourit de son beau sourire des lèvres et des yeux.

Ici commencent des mois d’expérimentations diverses. Il a trouvé un fabricant de jus d’orange intéressé en Allemagne, des financiers je ne sais où. On fait des tests. Une matière transparente, qui ressemble à du plastique, biodégradable et écologique cependant (à base de riz ? je ne me souviens plus) a été mise au point pour recouvrir l’intérieur du fruit et que le jus se conserve quelques jours. On fait des essais avec l’engin à baleines : les oranges explosent toutes. On en fait venir du Maroc, plus costaudes que les espagnoles. On teste les floridiennes, aussi. Elles arrivent de partout par cargo ou avion. Sont impitoyablement rejetées en fonction de leur fragilité, leur manque de sucre, leur vitesse de dégradation. Le brevet est déposé pour le monde entier et pour tous les fruits existants ou à venir. Le goulot - qui ne doit pas dépasser de l’écorce pour conserver au fruit sa forme ronde - est à l’étude. Julio m’annonce triomphant qu’il a conçu un truc qui permettra à tous les types de bouches de boire à même le fruit, même les becs-de-lièvre, ah, ah !

Je suis, attendrie, la saga du jus d’orange, au fil des mois. Il y a des périodes enthousiastes suivies de périodes de doutes et de découragement. Les fonds manquent, il faut en chercher ailleurs. Les tests échouent ou ne donnent pas les résultats escomptés. Il y a parfois des triomphes et des espoirs fous : on a trouvé la bonne orange ! Il faut déchanter quelques temps après pour d’autres raisons techniques. Il ne perd pas la foi. Jamais.

Le projet « Orange Poussin » mourra en même temps que lui deux ans plus tard. Comme d’autres que j’aimais (une cité inspirée de l’œuvre de Dali, qui me tenait particulièrement à cœur). Qu’est-il advenu des prototypes, des cargos d’orange, du film transparent bio et breveté ? Je n’en sais rien et peu importe. J’ai toujours mon presse-agrumes si lourd mais je l’ai descendu à la cave. Je ne bois plus de jus d’orange le matin.

dimanche 28 janvier 2007

Une bien belle idée

Celle de Kozlika-Anna Fedorovna, qui après avoir semé chez elle ses petits cailloux-souvenirs à rebours, année par année, invite les blogueurs à la rejoindre et à faire des ricochets avec elle en se plongeant dans le passé.

L'idée de faire partie des petits poucets et de remonter le temps en cherchant derrière moi des cailloux blancs que je pourrais raconter m'a à la fois séduite et donné des frissons de "peur" douce. Est-ce qu'on ne prend pas le risque de se confronter à des souvenirs heureusement oubliés en explorant le passé ? Est-ce que je tiens vraiment à évoquer certaines années que je suis bienheureuse de savoir loin derrière moi ?

Et puis non, on peut parler d'un instant, d'une seconde de ces années-là. Ou d'une couleur, ou d'un parfum, ou d'une rencontre.

Alors j'y vais.

Comme j'ai, a priori, fort peu de souvenirs de mes premières années, je pars à l'envers, de 2006 vers 1964. Cela me donnera le temps de creuser ma mémoire, d'interroger le temps. Et à raison d'un billet par semaine, cela me mène... fin novembre, la semaine de ma fête, tiens.

Je crois que je ne publierai pas ces ricochets ici. Ou pas toujours. Allez je ne prévois rien, je me laisse voguer au gré de cette jolie rivière, ballottée avec émotion par les ronds dans l'eau des uns et des autres, les compagnons des petits cailloux...

(Pour lire les règles du "jeu", allez voir sur le blog dédié à cette balade : Petits cailloux et ricochets)

mercredi 28 juin 2006

Histoire du Corps – une sorte d’épilogue…

Sur une plage, un jour. Je prenais des photos d’enfants jouant dans le sable. Il faisait chaud. Je tournais autour d’eux avec mon appareil, essayant de me faire la plus discrète possible pour capter leurs gestes, leurs regards, leurs jeux. Et tout à coup cette sensation d’un regard sur moi. Celui d’une femme d’un certain âge, que je connaissais un peu. Dont je connaissais surtout les sculptures, fort belles ; nous en avions même offert une à ma mère.

Elle me regardait tranquillement et je m’approchai pour échanger quelques mots avec elle.

- Vous devriez être modèle vivant, me dit-elle. Vous avez un corps intéressant pour un sculpteur, ou un peintre…

J’ai dû avoir l’air éberlué car elle a ri et m’a précisé que le regard de ces artistes sur le corps était sans ambiguïté et que je ne devais pas le craindre. Que c’était très naturel.

J’ai remercié poliment, je crois. Mais au fond de moi je me disais « Mais ça va pas la tête ! Poser nue ?! Et puis quoi encore ?!... »

En me quittant, elle me dit une dernière fois, souriante : « Vraiment, pensez-y… ».

J’y ai pensé. L’idée a fait son chemin, jusqu’à devenir « Pourquoi pas ? ». Et puis un jour dans un journal, une annonce d’un peintre qui cherchait un modèle. J’y suis allée, le personnage m’a plu, et ses tableaux aussi (je ne crois pas que j’aurais pu poser pour quelqu’un dont j’aurais trouvé la peinture affreuse…). Il avait besoin de modèles pour une série particulière de dessins, illustrations d’un livre consacré à Crébillon (auteur libertin du 18è dont l’œuvre la plus connue s’intitule « La Nuit et le Moment ») dont je n’ai jamais su s’il était sorti ou non.

De ces séances de pose hebdomadaires, une dizaine en tout, je garde un souvenir paisible. J’ai aimé infiniment les heures calmes passées dans ce magnifique atelier si haut de plafond avec une verrière qui m’inondait d’une lumière douce. Il y avait là toute une vie de tableaux, de livres, et une collection impressionnante de disques, CD et vinyles, qui couvraient tout un mur. Quand j’arrivais, il me demandait « Qu’est-ce qui vous ferait plaisir aujourd’hui ? Jazz ? Classique ? ». Il était aussi fervent de musique que de littérature ou de peinture. Et la séance était rythmée de piano ou de cordes, d’un saxophone doux ou puissant, de voix pures et syncopées. Parfois on parlait, de livres, de musique, beaucoup. Parfois il n’y avait ni musique ni paroles, rien qu’un silence recueilli, troublé seulement par le bruit du crayon sur le papier, tous deux réfugiés dans nos concentrations différentes, celle de son regard de moi à la toile, du trait appliqué, celle de ma pose parfois fourmillante, de mes vagabondages intérieurs, de la conscience aigüe du geste, du mouvement, de mon corps exposé là.

Sans gêne. Aucunement. Jamais. Même la première fois. La nudité était naturelle et aisée. Et je réalisai chaque semaine un peu plus le chemin parcouru jusqu’au dévoilement de ce corps autrefois détesté et caché. Ce n’était pas une revanche, non, une petite victoire, peut-être. Mais surtout le témoignage de l’acceptation, enfin.

J’aurais eu envie, pendant ces heures immobiles, de mettre sur le papier tout ce qui montait à mon esprit de sensations, de pensées tourbillonnantes. J’aurais voulu pouvoir traduire en mots la sensualité douce du regard du peintre sur moi, la perception exacerbée de chaque parcelle de peau, de mon enveloppe, de la même façon que j’ai conscience de chacun de mes muscles, infiniment vivants, lorsque je fais du sport. J’aurais dû écrire l’équilibre fragile de poses ankylosées parfois, le frisson caché qui court de la pointe d’un pied à l’extrémité d’une main trop immobile, le corps tendu ou replié, délié ou ramassé, l’œil dessinateur qu’on devine plus qu’on ne voit, qui passe de droite à gauche, croque un dos ou juste un cou, un bras, une esquisse de geste.

Poser dans une académie, devant plus d’une paire d’yeux à la fois, j’y ai pensé, je n’ai pas osé. « Mon » peintre me le déconseillait formellement « Vous êtes folle ! C’est toujours mal chauffé ! ». J’ai donc épargné à quelques élèves studieux de s’exercer aux croquis de rondeurs en leur révélant les miennes. Puisqu’il est bien certain qu’au vu de mes hanches, un fusain apprendra plus sûrement la courbe que la ligne droite à la main qui le tient. Cette courbe-là, c’est moi. Et bien moi.

De ces séances, il ne me reste rien. Pas un croquis, pas un dessin, pas même une vague esquisse que j’aurais récupérée chiffonnée. Ce n’est pas grave. Ces moments-là étaient précieux en eux-mêmes. J’ai en moi le souvenir des poses, de croquis aperçus que je n’oublierai pas, que je pourrais reproduire si j’avais ce talent. Quelques années plus tard, j’ai renouvelé l’expérience avec un autre peintre. Qui m’avait offert un ou deux dessins : bizarrement... ce sont des portraits.

Benoi Lacroix

Je remercie Benoi Lacroix d'avoir bien voulu me prêter ce dessin (je n'en suis nullement le modèle). Je vous recommande la visite de sa très belle galerie de croquis d'après modèle.

lundi 26 juin 2006

Histoire du corps (Tome 3)

Et puis un jour, on ose relever la tête. Enfin, pour moi, cela s’est traduit comme cela : j’ai commencé à arpenter la vie en ne contemplant plus le sol, courbée que j’étais sous le poids de mon encombrant boulet, mais redressée, regardant les autres dans les yeux, et l’horizon vers lequel j’allais.

Parce que les choses se sont un peu arrangées d’abord. J’ai pris pas mal de centimètres qui ont réparti mes rondeurs plus harmonieusement. J’ai laissé pousser mes cheveux et je me suis sentie plus « fille », et bientôt plus femme. Quel évènement ! J’ai laissé derrière moi les accessoires adolescents pas très esthétiques, les bagues ornant désormais plus mes doigts que mes dents. Et un jour je me suis rendue compte que moi aussi je pouvais séduire ! Quelle révélation !

Oh bien sûr, tout cela prend un peu de temps. Il faut se faire à l’idée. Prendre d’autres habitudes que celle de se recroqueviller, que celle d’avoir honte, et peur.

Le premier qui m’a dit qu’il me trouvait jolie, je l’ai pris pour un fou. Le premier qui m’a dit « je t’aime », j’ai regardé derrière moi pour être sûre que c’était bien à moi qu’il s’adressait. La première fois que dans la rue un homme s’est exclamé en me croisant : « Oh les jolis yeux ! », je suis rentrée chez moi troublée et me suis examinée avec perplexité dans le secret de ma salle de bains : j’avais vaguement notion qu’ils étaient bleus, mais que cela pouvait être joli ne m’avait jamais effleuré. En tous cas chez moi personne ne me l’avait jamais dit… (on n’était pas très compliment, faut dire, peut-être par peur de nous rendre orgueilleuses ? Je ne sais pas)

Je me suis doucement « réassociée » avec mon corps. L’ai considéré petit à petit avec moins de rancœur, un peu moins de gêne. Et quand je disais « je », il faisait à nouveau partie de ce « je »… Parce que quand on n’aime pas son corps, on le considère comme un étranger, et surtout, surtout, on vit dans la perpétuelle attente qu’il soit autre. Alors il ne fait tout simplement pas partie de soi. Quand on dit « je », c’est de cet autre corps qu’on parle : le corps rêvé, le corps attendu, le corps espéré. Celui qu’on retrouvera un jour sûrement parce que celui qu’on a est certainement une erreur de distribution. Ce corps-là n’est tout simplement pas soi. C’est impossible. Et l’on s’en veut totalement dissociée, alors on l’ignore, ou bien on lui fait du mal. On s’en venge. On le combat. Peu importe puisqu’il n’est pas nous-même mais autre. Et indésirable, ô combien.

Et puis un jour, cet indésirable suscite le désir. C’est fou.
Au début on se cache, on se camoufle, on veut l’ombre et le noir. Il faut du temps et de l’amour pour accepter enfin de se découvrir. Être très très très sûre de l’amour de l’autre, de sa sincérité pour entendre enfin « Tu es belle » sans le refuser. Y croire, pour la première fois, c’est immense. Et il faut encore beaucoup plus de temps et des déclics qui peuvent être différents pour chacun pour comprendre enfin que l’amour n’a tout bonnement rien à voir avec ça…

Savoir un jour qu’on sera belle dans le regard de l’autre qu’on soit grosse ou maigre, bigleuse, chauve, malade, boiteuse ou absente, le jour où on fait la différence entre aimer et contempler, entre paraître et être, et où l’on se fout du regard de ceux qui ne la connaissent pas, cette différence, on est prêt(e) enfin. A refermer la boucle. A vivre en étant un tout, sans division. A affronter un peu mieux le reste qui n’est pas simple non plus, mais entière au moins. Pas non plus tous les jours, il y a des rechutes. Mais cahin-caha, être soi, essayer de le devenir en tous cas.

(...à suivre "Histoire du corps, épilogue"

vendredi 16 juin 2006

Histoire du corps (Tome 2)

Je fais partie d’une famille de minces. Chez moi, on n'aimait pas les gros. On ne l'était pas. On s'en félicitait. On critiquait ceux qui l'étaient. On déplorait leur manque de goût, de volonté, d'égards pour les autres. On s'en moquait, aussi. On disait "Et bien, elle est chouette, celle-là !" ou "C'est épouvantable d'être comme ça, quand même !". Et surtout "Mais qu'est-ce qu'il a bien pu lui trouver ?!!!" quand une coupable d'être grosse, ou laide, ou les deux (qu’on n’appelait plus alors que « la pauvre fille… » avec un air de commisération), avait trouvé le moyen, malgré ce lourd handicap, d'être fiancée, ou mariée...

Le bourrelet était coupable, la rondeur limitée à de strictes mensurations en deçà desquelles elle s'appelait appâts et au-delà disgrâce. Bien sûr, être trop maigre n'était "pas chouette" non plus mais plus excusable peut-être, plus poli, moins débordant, moins voyant. Le corps était normé, quantifié, mesuré. Marque de savoir-vivre, il ne devait être ni "trop", ni "pas assez". On admettait, à la rigueur, la maladie contre laquelle on ne peut rien et qui rend obèse ; on tolérait - difficilement - la laideur congénitale d'un corps ou d'un visage, mais en riant sous cape, et en considérant néanmoins que le malade était condamné : que peut-on bien devenir quand on est gros ou laid ? Et surtout grosse ou laide......

J’étais enfant, puis adolescente et j’entendais tout cela, douloureusement. J'ai longtemps cru que l'être profond d'un gros n'était pas autre chose que sa grosseur, puisqu'on en faisait tant de cas. Que la seule réalité d'une laide était sa laideur. Et je me sentais l'une et l'autre et j'étais terrifiée puisque je ne serais plus que ça. Et qu’il n’y avait dès lors aucune chance de séduire ni d’être aimée. CQFD.

Je ne crois pas que mes parents aient jamais eu conscience de la cruauté de leurs propos, de ce que cela pouvait représenter pour l’adolescente boulotte que j’étais. Ils ne sont pas des monstres, non, juste maladroits. Ils continuent aujourd’hui à tenir des propos similaires sans vraiment mesurer je pense ce que cela signifie pour quelqu’un qui n’est pas bien dans son corps (une de mes nièces – qui adore ses grands-parents qui sont par ailleurs tout à fait charmants et aimants – les a qualifiés drôlement un jour de « grossophobes »…). Cela fait longtemps que j’ai renoncé à les espérer autres que ce qu’ils sont et de leur faire entendre « raison ». C’est inutile. Et j’entretiens d’excellents rapports avec eux grâce à cette acceptation. Je ne sais pourquoi ce sujet résonne autant pour eux. J’ai appris – très récemment - que mon père était gros quand il était enfant ! Est-ce que son racisme anti-gros est le fruit de moqueries anciennes ? Une revanche ? Je ne sais. Quant à ma mère, elle était mince et très belle. Je ne crois pas qu’elle ait jamais imaginé ce que pouvait vivre celle de ses filles qui portait le poids de ces rondeurs coupables et moquées…

J'ai grandi entre deux soeurs filiformes, celle qui me précédait et celle qui me suivait. De celles qui, à l'adolescence sont un peu maigrichonnes, toutes en bras et en jambes, perdant leur silhouette dégingandée dans des pulls et des pantalons qui ne les collent jamais, aux manches et aux jambes toujours trop courtes. De celles qui plus tard deviennent des femmes longues et fines.

Je les regardais avec tant d'envie ces deux soeurs qui, à quelques années d'écart, ont représenté le même inaccessible rêve. Je ne me souviens plus du nombre de prières que j'ai faites et qui demandaient à tous les saints de la création et à d'autres que j'inventais de me donner ces bras et ces jambes allumettes, cette manière inégalable de porter le moindre vêtement comme des sacs sans forme dans lesquels on aurait pu mettre quelqu'un d'autre en plus...

Moi, des formes, j'en avais trop et mes vêtements n'arrivaient jamais à les cacher tout à fait. Je tirais sur mes pulls pour habiller un peu plus mes fesses, mes cuisses, mon ventre. Nous étions dans les années 70 et la mode impitoyable dessinait les jambes, les hanches, les seins qui apparaissaient et on n'avait pas besoin de ceux-là en plus !

Je me sentais laide et je crois bien que je l'étais, affublée de lunettes affreuses, d'un appareil dentaire disgracieux, d'une coupe de cheveux qui me faisait appeler monsieur dans les magasins (mon père n'aimant que les cheveux très courts imposait à ses quatre filles une coupe quasi-militaire.....) Parfois je me souvenais de l'histoire du vilain petit canard, et j'étais prise d'un vague espoir. Et puis je croisais mon reflet pathétique dans un miroir…

Je croyais que j'étais foutue.

Bien des années après, ma plus grande victoire, mon plus extrême plaisir, c'était de croiser des gens de cette époque-là qui ne me reconnaissaient pas, et ne voulaient pas y croire quand je déclinais mon identité.
Et puis j'ai découvert que j'avais quand même le droit d'être aimée...

(...à suivre "Histoire du corps - tome 3")

jeudi 15 juin 2006

Rire aux larmes

Vous savez que j'ai un esprit scientifique.
Or récemment, j'ai fait une découverte bouleversante !
En observant la matière de plus près...
j'ai vu des atomes...
qui jouaient entre eux...
et qui se tordaient de rire !
Ils s'esclaffaient !
Vous vous rendez compte...
des conséquences incalculables que cela peut avoir ?
Je n'ose pas trop en parler, parce que j'entend d'ici les savants !
- Monsieur, le rire est le propre de l'homme !
Eh oui !...
Et pourtant !
Moi, j'ai vu, de mes yeux vu...
des atomes qui : <<Ha, ha, ha!>!>
Maintenant, de quoi riaient-ils ?
Peut-être de moi?
Mais je n'en suis pas sûr !
Il serait intéressant de le savoir.
Parce que si l'on savait ce qui amuse les atomes,
on leur fournirait matière à rire...
Si bien qu'on ne les ferait plus éclater que de rire.
Et que deviendrait la fission nucléaire ?
Une explosion de joie !

Raymond Devos

mardi 13 juin 2006

Histoire du corps (Tome 1)

Il y a quelques temps, je suis tombée en arrêt devant la vitrine d’une librairie, où il y avait ceci :

Tome 3

(vous aurez peut-être reconnu une célèbre photo du film d’Antonioni « Blow up »). En fait, je ne me suis pas acheté ce livre, car il est le troisième tome d’une série, dont voici, à rebours, le tome 2 :

Tome 2

et qui commence par celui-là, que j’ai donc rapporté chez moi :

Tome 1

J’ai un peu de mal à le lire en continuité, car il est énorme. Impossible de le balader avec soi pour le lire dans le métro. Alors il est posé chez moi, je l’ouvre au hasard quand j’ai le temps, tombe toujours sur des extraits passionnants, mais il est difficile de m’immerger dedans comme je le souhaiterais. Parce que le sujet m’intéresse fichtrement.

Le corps… La perception du corps. Par soi-même, par les autres, par la société. Des différences historiques, culturelles, géographiques, sociales. Tant de corps différents. Tant de difficultés pour l’assumer parfois. Tant de culte, tant de détestation. Notre incarnation, notre véhicule sur cette terre peut être source de joies ineffables autant que de souffrances extrêmes, objet d’attentions exacerbées ou de reniement absolu. Malmené ou entretenu, ignoré ou magnifié, admiré ou moqué, acteur privilégié de l’enfance, grand ordonnateur du tourbillon de l’adolescence, siège des émotions, du désir, du plaisir ou de la jouissance, objet et sujet de l’amour, lieu merveilleux de perpétuation, témoin impitoyable du vieillissement, de la maladie, jusqu’à son abandon…

Ici et là, j’ai lu dans des blogs-amis (Coumarine, Alauda…) des textes sur la perception que l’on a de son propre corps. Il m’est souvent arrivé d’écrire sur ce sujet au cours des années, d’essayer de dire, d’analyser ma propre relation avec le mien, tantôt haï, tantôt aimé, rarement, plutôt toléré.

Aujourd’hui, après un long parcours souvent difficile, je crois bien que j’ai fait la paix avec ce corps. Plus ou moins. Je bataille toujours un peu contre lui, mais moins. Il me semble être plus en harmonie avec lui qu’autrefois, c’est certain. On a fait du chemin tous les deux. Je ne sais pas comment va se passer ma relation à son vieillissement. Je suis amie avec lui depuis à peine quelques temps qu’il va me faire ce coup-là, je le sens !

Ce billet s’intitule (Tome 1) car il est le prélude à d’autres billets, sûrement. Je n’en aurai pas fini avec lui en quelques lignes. Certainement.

Au commencement, il y a un corps rond de petite fille. De la peau lisse, douce et blanche recouvrant de la chair fragile, des bras potelés avec une chaînette en or qui se calait dans le pli joyeux entre poignet et menotte, des petites quilles costaudes faites pour galoper partout jusqu'à la fatigue, des pieds menus dont la peau tendre ignorait encore la corne, un ventre joliment rebondi que je n'aurais pas songé à rentrer, des fesses rondelettes surmontées de deux fossettes. Je sentais bon, forcément.

Au-dessus, il y avait un petit visage aux joues rondes, aux yeux bleus écarquillés devant le spectacle de la vie. J'étais une petite fille joyeuse et sautillante, la fossette unique qui ponctuait ma joue droite devait se creuser souvent au gré de mes rires. Et je crois que je riais beaucoup.

Ce n'est que plus tard que j'ai moins ri, que sont apparus sur les photos mes premiers airs tristes, mes premiers rictus boudeurs ou gênés. Quand j'ai commencé à traîner mon corps comme l'énorme boulet qu'il m'était devenu. Quand je l'ai identifié, et pour très longtemps, comme ma laideur, mon péché.

Mon corps fut une plaie. Longtemps. Ma plaie, ma souffrance, ma honte, mon bouc-émissaire, mon excuse pour ne pas vivre, l'objet de mes attentions douces ou vengeresses, le centre encombrant de ma vie, mon nombril géant qui me reliait au monde et m'en isolait. Une île dont j’étais prisonnière et dont j'ai cherché à m'évader infiniment, un corps étranger que je voulais rejeter, une offense à ma vue, à mes sens dont il était pourtant le siège et le garant. Mon corps était plein de barreaux que j'y avais scellés et que je n'arrivais plus à scier. Un corps plein de ratés, de bégaiements, de fissures et de fêlures. Le contraire d'une oeuvre d'art, une erreur, sûrement, de la Nature qui s’était trompée en me façonnant. Mon corps était jalonné de portes que je franchissais toujours en espérant en trouver une autre derrière et qui me ramenaient perpétuellement à lui. Toujours à lui, mon corps. Mon labyrinthe, ma planète, mon pays, comme une région lointaine dont j’aurais été la seule à parler la langue.

Mon corps est un puzzle, un assemblage, une construction, un amas, un magma de peau, d'os, de chair, de graisse, de sang, de corne, de cartilage, de liquide, d'acide, de milliards de petites cellules avec des noyaux, comme des fruits. Et des pépins sûrement. Mon corps est une machine qui ronronne jour et nuit sans que je m'en occupe. Qui produit quoi ? De la chaleur, de l'énergie, du mouvement, des déchets. Mon corps est une horloge aux milliards de rouages, petits, insignifiants, invincibles. J'ai essayé de les maîtriser, d'en arrêter certains parfois. Je n'ai pas réussi.

(...à suivre "Histoires du corps - tome 2")

lundi 1 mai 2006

Couettes et houpettes

Suite à la mise en ligne sur un billet récent, pour rire, d'une photo de moi petite (avec couettes), une mignonne "chaine" s'est mise en route de blog en blog et des photos de blogueurs-minots ont fleuri ici et là. J'ai eu envie de les rassembler, et invite tous ceux et celles qui le souhaiteraient à venir enrichir l'album, en m'envoyant leur photo sur mon mail : traou(at)traou(point)net ou bien en faisant un trackback ici-même ou un lien dans les commentaires si vous faites un billet avec votre bobine, j'irai y récupérer la photo.. Les couettes, houpettes et épis ne sont pas obligatoires. Toutes les coiffures sont acceptées, même les bonnets ! Merci de préciser avec vos photos quel âge vous aviez et, question subsidiaire, quel est le saint du jour de votre naissance ! (pour vous aider à retrouver les dates correspondantes, vous pouvez chercher là). Pour ceux qui ne sont pas très "branchés saints du jours", je précise que c'est juste pour le plaisir de chercher les dates... et de découvrir des prénoms totalement inconnus au bataillon !

De A à Z, donc (88 participant(e)s recensé(e)s le 28 septembre 2008) : Akynou, Alice, Anne-Chiboum, Anne Bonaventure, Aymeric, Bailili, Breizh-Anne, Brol, Caramels, Cécile, Céleste, Céline, Chondre, Claude, Corine, Coumarine, Dite, Domahom, Elle_groggy, En campagne Madeleine, Erin, Fauvette, Féerisette, Filou, Framboise, François Granger, Gatito, Gazelle, Gei, Gilda, Goon, Gourmande, Jahida, Jean (Nuages), Ka, Kozlika, Labosonic, LaCuillerEnBois, Lady Tango, La Luciérnaga, La Miss, Laouenanig, LaVitaNuda, Leeloolene, Libellul, Lou, Luciole, Matoo, Michel V., Mijo, Moi, Nawal, Nady, Obni, Orpheus, Pablo, Palpatine, Pancho & Madame Pancho, Pappolène, Peio, Pim, Pivoine, Pomme, Pralinette, Samantdi, Sambucucciu, sLeAbO, Snèv, Stella Maris, Swâmi Petaramesh, Tanette, Teberli, Telle, Tirui, Tita, Traou, Urbain, Valclair, Valérie de Haute Savoie, Vlad & Dilou & Pénélope, Vroumette, Xuan-Lay, Yves Duel & Denise, Zub.

(il y a des points de suspension pour les infos que je n'ai pas, vous pouvez me les préciser dans les commentaires, je complèterai)

Akynou, à 2 ans et 7 ans et demi (née à la Sainte Lustucru, si, si)

Akynou

Akynou

Alice à 4 ans (née à la Sainte Euphémie)

Alice

Anne (Chiboum) à 4 ans (née à la Saint Régnobert)

Chiboum

Anne Bonaventure à 7 ans (née à la Saint Ardalion)

Anne Bonaventure

Anne (Breizh Anne) à 4 ans (née à la Saint Fursy)

BreizhAnne

Aymeric à 6 mois (né à la Saint...)

Aymeric

Bailili à 2 ans (née à la Saint Théodule)

Bailili

Brol à 5 ans (né à la Saint Prosdocime)

Brol

Caramels à 4 ou 5 ans (né à la Saint Eustache)

Caramels

Cécile à 3 ans (née à la Saint Néophyte, et non pas à la Saint Bambi, cherchez pas...)

Cécile

Céleste

Céleste

Céline à 2 ans (Née à la Saint Castule)

Céline

Chondre à 4 ans (né à la Saint Quiriaque)

Chondre

Claude à 4 ou 5 ans (né à la Saint Aquilin)

Claude

Corine à 1 an (née à la Saint Agrippin)

Corine

Coumarine à 5 ans (née à la Sainte Diémode)

Coumarine

Dite à 7 ans (née à la Sainte Felicula)

Dite

Domahom à 4 ans (né à la Saint...)

Domahom

Elle_groggy à 6 ans (née à la Saint Emidius)

Elle_groggy

Erin à 9 ans sur la première photo, presque 5 ans sur la deuxième (née à la Saint Décorose)

Erin

Erin

Fauvette à 6 ou 7 ans (née à la Saint Saturnin)

Fauvette

Féerisette à 4 ou 5 ans (née à la Saint Léobon).

Féerisette

Féerisette

Filou à 3 et 5 ans (né à la Saint Béat)

Filou

Filou

Framboise à 3 ans (née à la Saint Palémon)

Framboise

François Granger à je ne sais trop quel âge... 7 ? 8 ans ?... (né à la Saint Zotique)

François Granger

Gatito à 2 ou 3 ans (né à la Saint Amour)

Gatito

Gazelle à 2 ans et demi (née à la Sainte Lydie)

Gazelle

Gilda à 5 et 6 ans (née à la Saint Saens)

Gilda

Gilda

Gei à 6 ans (né à la Saint Wulfran)

Gei

Goon à 1 an (né à la Saint Adelelmus)

Goon

Gourmande à 3 ans (née à la Saint Dathe)

Gourmande

Gourmande

Jahida à 5 ans (née à la Saint Polychrone)

Jahida

Jean (Nuages) à 6 ans (né à la Sainte Adelinde)

Nuages

Nuages

Ka à 6 ans (né à la Sainte Rame)

Ka

Kozlika à 5 ans (née à la Saint Mitre)!

Kozlika

Labosonic à quelques mois et à 3/4 ans (né à la Saint Thespésios)

Labosonic

Labosonic

LaCuillerEnBois à 6 ans (née à la Sainte Sessétrude)

LaCuillerEnBois

Lady Tango à 18 mois (née à la Saint Euprépite)

Lady Tango

La Luciérnaga à 2 et 6 ans (née à la Sainte Austregilde)

La Luciérnaga

La Luciérnaga

La Miss à 12 ans (née à la Saint Sérapion)

La Miss

Laouenanig à 3 ans (née à la Sainte Thérèse d'Aquin)

Laouenanig

LaVitaNuda à quelques mois (né à la Saint Vitalique)

LaVitaNuda

Leeloolene à 7 ans (née à la Saint Sinice)

Leeloolene

Libellul à quel âge, on ne sait pas trop... (née à la Saint Théodore de Sikion)

Libellul

Libellul

Lou à 4 ans (née à la Saint Néophyte)

Lou

Luciole à différents âges et sans Saint du jour (à compléter)...

Luciole

Luciole

Luciole

Madeleine à 7 ans, 9 ans et un peu plus tard (née à la Saint Ranulphe)

Madeleine

Madeleine

Madeleine

Matoo à 2 ans (né à la Saint Helmétrude)

Matoo

Matoo

Michel V. à 7 ou 8 ans (né à la Saint Norbert)

Michel V.

Mijo à 3 ans (née à la Saint Lifard)

Mijo

Moi à 5 et 8 ans (né à la Saint...)

Moi

Moi

Nawal à 1 an (née à la Saint Nicéphore)

Nawal

Nady à.... ans (née à la Sainte Lioba)

Nady

Obni à 9 ans (né à la Sainte Euphrosyne).

Obni

Orpheus à 5 et 6 ans (né à la Saint...)

Orpheus

Orpheus

Pablo à 2 ans et demi (né à la Saint Maimboeuf)

Pablo

Palpatine à 2 ans ou presque (né à la Saint Birin)

Palpatine

Palpatine

Pancho à 4 ans (né à la Saint Idulphe)

et Madame Pancho à 18 mois (née à la Sainte Calliope)

Pancho

Madame Pancho

Pappolène à 2 ans et 4 ans 1/2 (née à la Saint Otto de Bamberg)

Pappolène

Pappolène

Peio à 4 ou 5 ans (né à la Saint...)

Peio

Pim à 3 puis 4 ans (née à la Saint Mamertin).

Pim

Pim

Pivoine à 6 ans et demi (née à la Saint Mathieu)

Pivoine

Pomme à 4 ans, (née à la Saint Métrobe)

Pomme

Pralinette à 4 ans (née à la Saint Ursmar)

Pralinette

Samantdi à 6 ans (née à la Saint Chrodegang).

Samantdi

Sambucucciu à 8 ou 9 ans (né à la Saint Malrub)

Sambucucciu

sLeAbO à ..... ans (né à la Saint Hildegonde)

sLeAbO

Snèv à 4 ou 5 ans (né à la Saint Athénodore)

Snèv

Stella Maris à 9 ans (née à la Sainte Lutgarde)

Stella Maris

Swâmi Petaramesh à 18 mois environ (né à la Saint Taxerror, parfaitement, le premier qui trouve la date gagne une retraite à l'ashram) Ces photos et une autre tout aussi belle sont )

Swâmi Petaramesh

Swâmi Petaramesh

Tanette à 5 ans (née à la Saint Dismas)

Tanette

Teberli à 2 ans (née à la Saint Arnulf)

Teberli

Telle à 3 ans (née à la Saint Tarcise)

Telle

Tirui à 4 ans (né à la Saint Armentaire)

Tirui

Tita à 4 ans (née à la Sainte Pulchérie)

Tita

Traou à 3 ans (née à la Saint Rioc)

Traou

Urbain à 3 ans puis 11 ans (né à la Saint Sosthène), le mari de Madeleine.

Urbain

Urbain

Valclair à 20 ans (né à la Saint Epimaque d'Egypte) et 10 ou 11 ans avant...

Valclair

Valclair

Valérie de Haute-Savoie, pas bien vieille...

Valérie de Haute Savoie

Vlad à 3 ans (née à la Saint Acepsimas). C'est celle qui a du chocolat sur les joues et tient le poupon noir, sa jumelle Dilou à peu près au même âge. Et leur soeur Pénélope à 5/6 ans (née à la Saint Frumence)...

Vlad

Dilou

Pénélope

Vroumette à 7 ou 8 ans (née à la Sainte Encratide)

Vroumette

Xuan-Lay, à 9 ou 10 ans (né à la Saint Mathurin)

Xuan Lay

Yves Duel et Denise, sa maman (pas d'indication d'âge sur la photo et de date anniversaire... à compléter)

Yves Duel

Denise

Zub à 10 ans (né à la Saint Barsimée)

Zub

vendredi 10 février 2006

Marcel et Paulette

Quand je vais chez les unes ou les autres, ou d’autres encore, je suis toujours touchée des histoires de famille, des histoires de mémoire, de la recherche du passé. J’aime qu’il soit posé ici pour ne plus être oublié, peut-être.

Je fais partie d’une famille où on ne dit rien, on ne raconte pas. L’oubli nous guette. C’est dommage. J’ai un peu passé le relais à mes neveux pour qu’ils interrogent leurs grands-parents. Les récits sont plus enclins à sauter une génération, j’ai l’impression. Et les enfants sont toujours friands de savoir comment c’était… avant.

Parfois j’ai capté des histoires. Eparses, décousues, imprécises. J’essaierai moi aussi peut-être de les déposer ici, pour ne pas les oublier à mon tour…

Ils s’appelaient Marcel et Paulette. C’étaient des cousins, de ceux qui ne vous disent absolument rien quand on est petit : ils sont vieux, ils ont deux grandes filles beaucoup trop grandes pour jouer avec et qui d’ailleurs ne les accompagnent jamais, ils viennent de loin, tous les cinq ans en moyenne, pour une communion, un mariage ou un enterrement, lui pique un peu quand il vous embrasse la joue, on est obligée d’être très sage à table pendant que les grands parlent de trucs très ennuyeux qu’on ne comprend pas, et de passer le plateau de petits toasts à l’apéritif comme une bonne petite fille polie alors qu’on rêverait de se les empiffrer tranquillou au fond de la cuisine, ou d’aller courir et se crotter dans le jardin. Bref, Marcel et Paulette, quoi, pas très glamour les prénoms, déjà.

Lui était bedonnant, barbichu et jovial, et partageait avec elle un accent bourguignon à couper au couteau (ils roulaient les « r » comme Colette devait le faire à l’époque des « Claudine », ils venaient du même coin). Elle, une femme toujours très élégante, souvent en tailleur blanc, et qui fascinait la petite fille que j’étais avec ses sourcils totalement épilés et redessinés au crayon roux. Je trouvais que ça faisait comme mes poupées.

Voilà, de vieux cousins pas très intéressants pour moi, ma foi. C’est tout. Jusqu’au jour où...

Un jour, donc. J’étais déjà plus âgée, peut-être étudiante. Un petit déjeuner chez mes parents, arrivée du courrier, une invitation pour l’anniversaire de mariage de Marcel et Paulette, lequel, je ne sais plus, une dizaine en tous cas, de ceux qu’on célèbre plus que les autres.

Et mes parents, mi-amusés, mi-choqués, de s’interroger mutuellement « Mais enfin, de quel mariage parlent-il ? Le premier ou le deuxième ? ». Je dresse l’oreille : « Comment ça, le premier ou le deuxième ? ». Et c’est là que j’apprends que les cousins se sont dit oui deux fois, à pas mal d’années d’intervalle, avec un divorce entre les deux ! Comme Burton-Taylor ! Marcel et Paulette !!!

J’interroge ma mère « Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? ». Ma mère me répond « Mais enfin, tu sais bien ! » (ma mère, c’est comme pour les recettes de cuisine, elle croit toujours que « je sais bien »…). Non, je ne sais rien du tout, moi. Alors elle va finir par me raconter la belle histoire. Je vous raconte à mon tour le peu que j’en sais, le peu dont je me souviens. Je vais faire simple pour essayer de ne pas trop broder, de ne pas trop romancer. L’histoire suffit.

Elle est banale au début. Ils sont mariés. Depuis un moment. Ils n’ont pas d’enfant. Elle ne peut pas en avoir. Il la trompe. Une relation suivie, avec sa secrétaire peut-être. Et la maîtresse tombe enceinte. Nous sommes au début des années cinquante.

Alors Paulette s’en va. Elle dit à Marcel qu’elle ne peut pas avoir d’enfant, qu’elle ne peut lui refuser ce bonheur d’avoir une famille, et qu’elle s’efface. Et elle disparaît. Elle part ailleurs, vivre une autre vie, je ne sais où ni pour faire quoi. Sans aucun doute elle a souffert, énormément.

Les années passent. Marcel s’est donc remarié. Une petite fille est née, puis une deuxième. Il a une famille. Un troisième enfant est annoncé. Et ça se passe mal. La maman est de santé fragile et meurt en mettant au monde un bébé qui ne survivra pas non plus. Marcel est tout seul. Avec deux petites filles. A la fin des années cinquante.

Comment cela s’est-il passé exactement, je crois que nul ne le sait. C’est vraiment leur secret. Peut-être avait-il toujours su où elle était, Paulette, et qu’il l’a appelé à l’aide dans son désarroi. Peut-être le surveillait-elle de loin et est-elle accourue à son secours. Ou bien quelqu’un l’a prévenue… Toujours est-il que Paulette est revenue. Pour s’occuper de lui, et des deux petites filles. Elle est restée, s’en est occupée comme de ses propres enfants, mais n’a jamais occulté leur maman. Elle faisait faire leur prière aux petites le soir devant sa photo sur la table de chevet, pour lui dire bonsoir et la recommander au Bon Dieu. Elle les a aimées autant qu’elle aimait leur père, d’ailleurs ils se sont remariés. Une nouvelle famille. Et moi qui ai entendu Paulette beaucoup plus tard parler de ses petits-enfants avec tendresse et fierté, je peux vous dire qu’elle était VRAIMENT leur grand-mère.

Ils sont morts tous les deux maintenant, mais j’ai souvent pensé à eux depuis. Différemment. Je me suis souvent demandé si je serais capable d’autant d’amour que Paulette : s’en aller pour que l’homme qu’elle aimait ait droit à un bonheur qu’elle ne pouvait lui donner, et revenir pour aimer à nouveau cet homme, et les enfants d’une autre femme, sa rivale…

Les vieux cousins un peu ridicules ou ennuyeux n’existent plus. Ils sont un homme et une femme avec leurs faiblesses, leurs passions, leurs souffrances et leur amour. Tellement d’amour. Marcel et Paulette, où que vous soyez aujourd’hui, ensemble je pense, je voulais juste vous dire : Total respect.

samedi 4 février 2006

Une inconnue

Je tiens beaucoup à ce tableau. Quand mes parents ont vendu la maison de mon enfance pour s'installer dans une plus petite et qu'ils ont réparti quelques meubles et objets entre leurs filles, c'est la seule chose ou presque que je souhaitais vraiment avoir. Ça tombe bien, mes soeurs n'y tenaient pas particulièrement.

Il était déjà très abimé, et affiche désormais un état piteux depuis que Django, le chat de mon voisin Manu qu'il m'est arrivé de garder quelques week-end, a jugé bon de s'en servir comme tremplin lors d'une chasse à la mouche (ça m'apprendra à mettre les tableaux par terre...). Depuis, la toile est désolidarisée du cadre et ma tendance naturelle à la procrastination fait qu'il est ainsi depuis des mois...

Inconnue

Quand j'étais petite, ce tableau était chez ma grand-mère, avec son pendant : le portrait d'un homme, son mari, dont je ne me souviens pas très bien. L'air assez sévère je crois, habillé de noir sur un fond noir, comme elle. Assez austère, l'arrière-grand-père, il avait beau s'appeler Narcisse (!), il n'avait pas l'air très printanier... A la mort de ma grand-mère, dans l'imbécilité parfois des partages familiaux, les deux tableaux ont été séparés

Elle, j'ignore son nom. Ma mère m'a promis de faire des recherches familiales, sinon, j'irai voir à l'état-civil pour retrouver leur acte de mariage. Elle était la femme de mon arrière-grand-père, mais elle n'est pas mon arrière-grand-mère : elle est morte très jeune (tuberculose, je crois); lui s'est remarié et a eu ensuite six garçons, dont le cinquième (je crois) était mon grand-père Henry chéri, le père de ma maman...

Je trouve assez émouvant de penser que si cette jolie femme au regard doux n'était pas morte, je ne serais pas là pour en parler...

mardi 31 janvier 2006

Traou's bobine

Bon, à la demande de Luciole, Alice et En campagne, et pour contrer les vils marchandages d'Ursun et François Granger (voir commentaires du billet précédent), je me décide à vous livrer une 'tite photo de ma pomme :

Tite Traou

En plus, je ne doute pas que ce sera d'un grand secours pour les quelques Paris-Carnetteurs qui souhaiteraient me reconnaître plus facilement demain soir.

Je me dois cependant d'apporter quelques précisions :

  • Je ne porte plus beaucoup ce petit manteau bleu, bien que délicieusement vintage (il me boudine)
  • Boss m'a supplié récemment de laisser tomber les couettes, surtout les jours où nous avons des rendez-vous communs ou pour les conseils d'administration... Je ne sais pas pourquoi, c'est mignon, pourtant.
  • Quant au total look chaussures + chaussettes blanches, j'essaie d'arrêter.

Voilà, hormis ces quelques détails, je trouve cette photo vachement ressemblante !

mardi 22 novembre 2005

"Grand-père"

Grimault
Je ne sais si c'est le précédent billet, mais depuis hier, je pense à mes grands-pères.... Les vrais, que j'ai très peu connus, et dont, de l'un d'entre eux - pas celui qui peignait des menus pendant la guerre de 14 - je garde un souvenir extasié. Un jour je reparlerai de lui, sûrement.... Henry, l'aventurier immobile qui m'a fait tant rêver....

Mais j'ai eu d'autres "grands-pères". Comme je me suis choisi des frères parfois, moi qui n'ai que des soeurs, il m'est arrivé - rarement - de rencontrer des gens âgés qui sont devenus un peu mes grands-parents de substitution.

Et - j'ai beaucoup de chance - Paul Grimault, le créateur du "Roi et l'Oiseau", fut de ceux-là. Mon premier studio, celui où j'ai fait mes premières armes de boulot et de cuisine, était juste au-dessus de ses ateliers, à Paris dans le 13è arrondissement. Cet atelier qui avait connu les frères Prévert, Jacques Demy, Max Ernst...

Je le croisais de temps en temps ce grand monsieur au regard doux que je saluais timidement. Un matin de janvier, il m'embrassa sur les deux joues, pour me souhaiter chaleureusement une bonne année. Et par la suite, quand il me croisait dans l'entrée de l'immeuble, lui arrivant dans son atelier, moi sortant de mon petit chez-moi, il m'adressait un signe de main joyeux ou m'embrassait en s'exclamant : "Oh, mon rayon de soleil, une bonne journée qui s'annonce !". Et je rougissais, de plaisir et de confusion.

Je suis allée parfois le voir dans son atelier : il me montrait ses planches du "Roi et l'Oiseau" et de centaines d'autres dessins animés, me racontait des histoires d'un autre temps du cinéma. J'étais si timide, si bien élevée. Aujourd'hui je regrette de n'avoir pas été plus souvent lui rendre visite, juste parce que j'avais peur de le déranger, alors qu'il me le reprochait parfois gentiment. Il était si plein de poésie et de talent. Je suis heureuse de l'avoir connu un peu.....

J'ai retrouvé une jolie dédicace qu'il m'avait faite sur le catalogue de l'exposition qui lui avait été consacrée au Palais de Chaillot.
Une tendre pensée pour mon presque grand-père, ce soir.....

signature

lundi 21 novembre 2005

Réveillons de guerre

1914
1915

Ces deux menus reposent dans un petit cadre, posé dans un coin du salon chez mes parents. Je les ai scannés avec ma soeur lors de mon dernier week-end là-bas. Ils m'ont toujours émue.

Ce sont les menus des réveillons 1914 et 1915 écrits et peints par mon grand-père paternel alors qu'il était prisonnier en Allemagne. Il semble que les prisonniers avaient cette tradition de mettre en commun leurs colis pour que tous puissent faire un meilleur repas les jours de fête. On voit ici que le réveillon 1915 avait été plus frugal que le précédent :

1914 :
Hors d'oeuvre / boudin blanc
Entrée / Jambon de Mayence (ou Mayenne ?)
Roti / Poulet Schiessplatz (?) mayonnaise
Légumes / Pommes à la russe
Fromages / Gruyère - ? - Camembert
Fruits et desserts / Pommes Duchesse - Oranges - Tartine flamande - Petits gâteaux
Vins et liqueurs / Bière Regensburg (le nom du camp, je crois) - Vin .... ? - Cognac

1915 :
Jambon
Rôti de veau mayonnaise
Petit pois
Gâteau de riz
Crème au chocolat
Petits fours
Biscuits
Oranges
Bière - Café - Liqueurs - Cigares

Je garde de mon grand-père, mort quand j'étais toute petite, le vague souvenir d'un grand homme sévère.
J'ai toujours été touchée d'imaginer cet homme et ses compagnons de captivité, ces soldats, en train d'enluminer et de peindre des fleurs fragiles sur des menus de guerre juste parce que c'était Noël... Pour l'espoir.

jeudi 3 novembre 2005

Souvenirs...

Ces mots ont été écrits il y a trois ans. Pendant une période difficile, j’ai noirci fiévreusement des carnets entiers de textes disparates, enfermés depuis au fond d’un tiroir. Je les ai relus et j’ai eu envie d’en livrer de petits bouts ici. Peut-être juste parce qu’enfermés ils (m’)étouffent ?… Ainsi je les disperse au vent du présent, je souffle doucement dessus pour qu’ils voguent vers d’autres horizons que les miens. Ils évoquent une époque révolue, mais parlent du bois dont je suis faite. Les larmes versées ont arrosé la terre dans laquelle je continue de pousser, de guingois, certes, mais je continue ! Mes branches, mes feuilles et mes bourgeons ont cette couleur-là, un peu, et aussi la couleur de mes rires et celle de mes espoirs. Je me revendique multicolore….


Je tombe amoureuse d’hommes imprudents. Pas raisonnables. Insolents avec la chance. Qui vivent vite et fort, connaissent des joies intenses et des désespoirs brûlants. Ils aiment avec passion, en dépit de tout, se moquent des règles et des tabous. Ils vont vite et haut, retombent dans des profondeurs connues d’eux seuls. Ils consument leurs vies de tant d’élans et de vitesse, s’arrêtant parfois pour me regarder tendrement et me trouver digne d’être aimée d’eux. Cadeau.

Pas étonnant qu’ils meurent. Qu’ils dérapent seuls à vive allure dans un vilain virage mouillé de pluie, ou se jettent du bout d’un lacet montagnard au fond d’un ravin assassin. Ils se broient tout seuls, ignorant la sécurité d’une ceinture ou d’une allure modérée. Cela est réservé à d’autres. Ils roulent « à tombeau ouvert » et cette expression a été inventée pour eux. Leurs cercueils les attendent à chaque tournant de leurs vies de têtes et cœurs brûlés, sachant bien qu’un jour ils vont les rejoindre. Aussi sûrement que violemment.

Et me laisser seule. Par deux fois.

(...)

J’ai parfois du mal à me souvenir de vos visages, de vos traits, de vos sourires. Et cet oubli vient si vite. Je regarde vos photos et même celles-là, parfois, ne m’évoquent rien de mouvant, de vivant. Vous êtes juste des visages en couleur ou en noir et blanc, pas plus réels que des mannequins de publicité glacés. Du papier. Je vous tords ou vous chiffonne pour vous faire bouger. Dérisoires dessins animés. Mais rien ne vient. Ce papier-là est plus mort que vous. Je n’aime pas les photos. Celles des vivants, si. Pas les vôtres. C’est un peu comme lorsque l’on répète son propre prénom à l’infini, sur tous les tons. Au bout d’un moment, ce mot si familier ne signifie plus rien, n’est plus « soi », n’évoque rien d’autre que quelques lettres bizarrement assemblées. Des sons, quoi de plus ? Vos photos ne sont plus rien d’autre que des assemblages de traits et d’ombres, vos sourires-mêmes des formes sans vie que je suis du bout des doigts sans parvenir à y adjoindre le moindre souvenir. Quelquefois, si : dans les noirs de ma tête, un flash : un geste, une main, une bribe de rire, un angle de visage, un son, un mot venu de loin, une odeur fugace, un effleurement sur ma peau et vous êtes là, l’un de vous, tout entier, éphémère, mais si présent que je pourrais hurler. Aussi vite disparu qu’apparu. Un cadeau vif. Et cruel. Et doux. Vous êtes toujours avec moi. J’ai juste du mal à vous saisir. Je happe tout ce que je peux de vous. Si lointains, mais toujours en moi.