Henri

Quand je pense à lui aujourd’hui, c’est son prénom que j’utilise. C’est assez récent. Je ne l’ai longtemps appelé que Papi.

Cela fait plus de 40 ans qu’il m’accompagne, ami désormais. Cela fait plus de 40 qu’il est mort, peu importe.

J’avais 4 ans et je me souviens du silence de la maison, du regard attristé sur mes jeux. Sans doute me demandait-on d’être sage. Ma mère m’avait pris la main pour aller le voir dans son lit, son beau sourire, ses yeux si bons. Sans doute suis-je la dernière chose gaie qu’il ait vue.

Ma petite sœur n’avait que 2 ans et ne s’en souvient pas. Mes grands cousins en avaient 8, mes sœurs 10 et 13. Eux et elles l’avaient mieux connu que moi, comprenaient ce qui se passait et éprouvaient du chagrin. Moi j’ignorais tout à fait ce qu’était le chagrin à ce moment-là, j’avais bien le temps d’apprendre. Et j’avais quand même eu le temps de le connaître, de graver dans ma toute fraîche mémoire des souvenirs indélébiles. Merveilleux.

Je me souviens de sa blouse blanche et de l’odeur du bois dans son atelier, de la sciure au sol et des planches interminables encore à couper.

Je me souviens d’une histoire avec un renard, que j’écoutais perchée sur l’accoudoir de son fauteuil. Je me souviens d’avoir fait le zouave une fois, de joie sans doute, et je suis tombée de l’accoudoir, en arrière sur la cheminée de granit. Je ne me souviens pas de l’hôpital.

Toutes les années qui ont suivi, c’est à lui que j’ai confié mes peines d’enfant, le soir avant de m’endormir. Et je plongeais dans le sommeil, apaisée toujours, la sensation d’une caresse de sa main sur ma joue. Je ne crois pas l’avoir confié à quiconque à ce moment-là, c’était entre lui et moi.

Des années plus tard, j’ai aimé des hommes qui lui ressemblaient, je crois. Gentils et fantasques. Créatifs et au regard doux sur moi.

Aujourd’hui encore, il est l’ami à qui je pense quand je suis triste, à qui je confie mes chagrins par la pensée. Je ne l'ennuie jamais. Il m'écoute toujours avec bienveillance. J’ai une photo de lui dans mon portefeuille, à côté de celle d’Etty. Une photo de mon jeune grand-père dont j’aime tant le regard. Cet Henri-là, j’aimerais bien lui proposer d’aller prendre un verre au zinc, trinquer à nos années communes, par delà le temps et l’espace, comme une passerelle au-dessus de nos vies distantes, si proches.

Aujourd’hui j’étais un peu triste et j’ai pensé à lui, comme souvent. Et j’ai réalisé que je n’avais jamais parlé de lui ici, alors qu’il est quelqu’un de si important dans ma vie. Henri, mon ami…

Commentaires

1. Le dimanche 31 mai 2009, 18:55 par Coumarine

Et tu nous en parles de manière si touchante, Traou
Et tu nous le rends présent...
Étrange comme un homme que tu as si peu connu, t'accompagne aujourd'hui encore et tout au long de ces quarante ans...
J'espère qu'il a pu te murmurer des choses gentilles en ces moments où tu sens un peu triste.
Je t'embrasse

2. Le dimanche 31 mai 2009, 18:56 par psona

Très beau...

3. Le lundi 1 juin 2009, 13:29 par Pierre

Elle est émouvante cette histoire...
Ça m'a fait penser à mon grand-père, mort quand j'avais six ans. Entre les vrais souvenirs et ceux qui ont été entretenus par ma mère, ou par des films de famille, je ne fais plus la distinction. Mais je sais que c'est une personne qui compte dans ma vie. Peut-être parce que je lui ressemble, paraît-il...

4. Le lundi 1 juin 2009, 14:00 par Pablo

Quelle belle immortalité que celle-là. Bonjour à Henri de ce côté-ci de l'écran de l'existence

5. Le lundi 1 juin 2009, 20:21 par mikado

Pendant quelques années après ma mort, j'aimerai avoir une vivante qui conserve au chaud un ou deux de mes sourires. Dans une boite en fer-blanc, parmi quelques trombones et un caramel mou - implantée au milieu de sa mémoire.
Et pour ça, ce n'est pas trop cher payé, d'inventer des histoires avec un renard dedans...

6. Le mardi 2 juin 2009, 09:15 par Anne

C'est l'essence de notre passage bref sur terre, il me semble, que de laisser ces traces d'amour derrière nous. Pas impérissables, mais tellement importantes...

7. Le mercredi 3 juin 2009, 10:04 par ahardaysnight

Très beau texte sur ton grand père.

8. Le mercredi 3 juin 2009, 23:27 par Fauvette

Avec toute la tendresse que tu as reçue, tu peux avancer, avancer, Traou tu es protégée, Henri est là.
Que d'amour, c'est d'une beauté qui chavire.