Jocelyn Q, 30 ans

J'avoue avoir trainé hier toute la journée une tristesse diffuse à l'annonce de sa mort. Je ne savais rien de cet homme jeune, hormis que je le trouvais sympathique et bon acteur. Et j’appréciais tout autant sa compagne, qui, non contente d’être sublime, avait l’air tout à fait charmante.

Il s'est tué dimanche soir brutalement, au volant de sa voiture, et l’annonce de cette mort subite réveille, comme chaque fois que j’en apprends une similaire - qu'elle frappe des gens connus ou non - le souvenir de stupeurs anciennes, la mémoire de jours noirs. Je sens dans ma bouche le goût de métal amer de la mort de l’Autre. Oui, chaque fois revient ce méchant goût-là. J’ai envie de cracher au loin cette salive empoisonnée comme j’avais envie de le faire il y a… il y a longtemps, pour ce qui me concerne, mais de ces souvenirs-là je ressens encore les sensations physiques, c’est insensé. Comme si la moindre de mes cellules avait imprimé en elle la mémoire de cette souffrance et la revivait - de façon beaucoup plus légère, Dieu merci - à chaque évènement similaire qui vient à ma connaissance et appelle mon étrange et sincère chagrin.

Je sens en moi depuis hier une compassion absolue pour celle qui reste, dont j’imagine de loin l’étau qui l’enserre, l’incrédulité hébétée, dont je sais le poids cruel que pèseront au creux de sa poitrine les jours, les semaines, les mois à venir de sa vie jamais pareille.

Parce je me souviens de l’inéluctable cauchemar dont on ne se réveille pas ou si longtemps après, de l’infini gouffre dont il est interminable de s’extirper, de la nausée de chagrin dont on pense – on espère, parfois - qu’on va mourir aussi.

Parce que je sais les images qui se bousculent, les dernières et les anciennes, se télescopant en un patchwork insoutenable de bonheurs disparus. Je sais les minuscules choses qui se feront les pires pour rappeler l’absent. Le chagrin s’accroche à une brindille, à une tête d’épingle, à un petit rien qui peut vous écorcher vif.

Parce que je sais la vision inadmissible d’une caisse de bois où gît un corps qu’on a serré dans ses bras, avec qui on a fait l’amour, quelques jours auparavant. Et qui va brûler. Ou être dévoré. Et les éveils trempés de sueur et de peur des nuits à suivre où les cauchemars se font dignes d'un film d'horreur et de désespoir.

Parce que je sais les regrets infinis de ne pas avoir assez... Pas assez dit, fait, montré, profité, aimé, réalisé, vécu chaque bribe des instants ensemble. Parce que je sais le reproche absurde que l'on se fait de ne pas avoir soupçonné, deviné, que ces mots échangés, ce baiser distrait peut-être, étaient les derniers. Comment n'a-t-on pas senti l'urgence de ce moment unique qui ne sera suivi que de jamais plus ? Comment ??!! Et la colère abattue qu'on en ressent.

Je ne sais pas, en revanche, la douleur ou l'espoir que représente un enfant dans cette terrible équation-là. Ce doit être plus terrible encore ? Ce doit être plus facile de se raccrocher à la vie ? Je l'ignore. Je n'ai pas connu cette joie terrifiante.

Je sais aussi le temps-baume et la tendresse souriante des souvenirs qui ne font plus souffrir, un jour, bien après. Heureusement, je sais cela aussi. Mais pour ceux, si nombreux, qui sont dans l'oeil du cyclone de la perte d'un amour, là, aujourd'hui, le savoir n'est même pas un espoir. Je le sais aussi. Et je suis infiniment triste.

Commentaires

1. Le mardi 17 novembre 2009, 16:40 par Pablo

Comment accompagner quelqu'un dans son infinie tristesse, comme celle que tu ressens maintenant, je ne le sais pas. Juste te faire signe, c'est tout, je t'embrasse.

2. Le mardi 17 novembre 2009, 19:02 par La Sardine Masquée du Port

Le souvenir qui rebondit, se ravive, rapproche d'inconnus soudains si semblables, le goût amer, oui, c'est exactement ça...

3. Le mardi 17 novembre 2009, 21:01 par valclair

C'est curieux ça, Traou, je parcourais en diagonale et dans l'indifférence cette nécro tout à l'heure dans le Monde en me demandant qui était cet acteur dont le nom ne me disait rien et j'ai eu soudain un espèce de flash, j'ai pensé à toi, je me suis ça doit remuer de sacrés trucs chez Traou et alors je me suis mis à lire cet article tout à fait différemment.
Bises affectueuses.

4. Le mercredi 18 novembre 2009, 11:05 par Anne

Tendresses à toi pour ces mauvais souvenirs... Quant à ce qui est pire ou plus facile... pff. C'est de toute façon pire, de perdre quelqu'un qu'on aime. Le reste...

5. Le jeudi 19 novembre 2009, 08:41 par Coumarine

Je viens juste te dire ma tendresse attentive...

6. Le jeudi 19 novembre 2009, 15:07 par Isabelle

Tu viens de faire remonter en moi a peu près les mêmes émotions que toi même si je ne te connais pas. Perdre quelqu'un qu'on aime plus que tout est ... indescriptible. J'ai pleurer un bon coup en te lisant. C'est difficile mais cela m'a fait un peu de bien. Merci et je suis avec toi dans nos émotions. :)