lundi 4 septembre 2006

Ecrire

Extirper les mots de soi, parfois.
Les chercher au fond du cœur, de l’âme, du ventre.
Les chasser, les traquer, leur tendre des pièges. Les domestiquer, les apprivoiser, ou juste les convaincre de rester.
Parfois ils coulent d’eux-même, jaillis d’une source mystérieuse, capricieuse.
Les caresser, les polir, leur donner la forme, l’âpreté ou la douceur de l’instant.
Hésiter, rejeter, choisir. Les mitonner, les assaisonner, les faire mijoter, laisser reposer.

En attraper un au vol. Schlac ! Comme on ferait d’un moustique.
Que fais-tu là, toi ? De quel recoin de ma tête t’es-tu échappé ? Que signifies-tu ? Je ne te connais pas. Je ne te reconnais pas. Tu ne veux rien dire. Pas encore.
Ce petit mot tout seul, le protéger, le nourrir, le regarder grandir, prendre de l’assurance, lui trouver des compagnons, des ornements, un décor quadrillé blanc.

Ne jamais forcer le mot à entrer dans le puzzle. Le laisser prendre sa place et s’épanouir là. Harmonie. Ou parfois le prendre par surprise, bousculer ses habitudes, lui dire si, tu seras là, et tu verras, tu seras bien…

Laisser la douceur se poser sur le papier, exsuder les parfums, capter le moindre bruissement. Les poumons emplis d’air jusqu’à l’ivresse, jusqu’au vertige, conter les nuits de rêve ou d’ombres douces, les instants de lumière, le délice d’un frisson, l’envie de courir, de voler, le désir. De tout. Et les jours paisibles.

Parfois tenter de dire l’indicible. L’obscurité terrifiée et le jour blafard. La peur à fleur de peau. Cracher les éclats de verre sanglants d’un amour fracassé. Crier sans bruit. Sanglots secs et brûlants. Ecrire les mots saccadés et tranchants, s’en débarrasser. Mais ils reviennent. Trop nombreux pour moi seule. Seule au milieu d’eux. Hostiles.

Ils consolent, pourtant, un jour. Gardent les souvenirs prisonniers de phrases cadenassées. On les jette en paquets, dans l’eau ou le feu. Ou la glace d’un cœur qui se croit foutu.

Mots terriens, mots du vivant. Mots de l’invisible et du néant. Mots inconnus à apprendre. Mots familiers, ressassés. Vous flottez tous, là, autour de moi. Je ne sais que faire de vous, souvent. Mais parfois, je vous attrape, je vous malaxe, je vous savoure. Je vous admire chez d’autres, vous me faites rire, m’émerveillez.

Et je vous écris aussi, oh oui, quand vous voulez bien me parler...

mardi 30 mai 2006

Redémarrage ?

Ce blog fonctionne au ralenti depuis quelques semaines. Pour cause de travail accru, mais pas seulement… Parce que je tourne autour comme un lion dans sa cage en ne sachant plus très bien qu’en faire.

Quelqu’un m’a lue. Et m’a fait reproche de certains de mes écrits. Quelqu’un de « proche », bien que notre « proximité » m’apparaisse de plus en plus factice au fil des ans.

Je me suis d’abord interrogée : Arrêter ? Reprendre ailleurs, sous un autre nom ? Mais Traou fait un peu partie de moi, maintenant, cela m’ennuirait de l’abandonner au bord du net.

Alors j’ai « bridé le moteur ». Ai raconté l’anecdotique et l’anodin. Me suis réfugiée derrière des fictions, des inventions irréfutables. Derrière des « on » et des « il y a » au lieu de dire « je ». Ai concocté des faux poèmes, moi qui ne sait pas faire de vers, pour parler d’une femme de pierre et de mousse, de mots en vrac, et faire semblant que ce n’était pas complètement de moi que je parlais : exercice de style ou littéraire. C’est tout ! C’est tout !

Mais je m’ennuie de ce frein non souhaité. J’ai envie de me sentir ici chez moi à nouveau. M’y mettre nue si je le souhaite. Et les doigts dans mon nez si ça me chante. Y rire bêtement et y autoriser mes larmes. Tout ça quoi. J’avais à peine l’impression d’avoir « commencé » et il faudrait déjà renoncer ? Non, je ne veux pas. J’arrêterai peut-être un jour mais le faire sous le coup d’une déception, d’une « brimade », ce serait trop con.

Mais Dieu que c’est difficile de se livrer sous des regards connus. C’est un thème que je retrouve ici et là, problématique pour bon nombre de mes blogs-amis, ces derniers temps. Plus facile de se raconter à des inconnus qu’à la famille. Surtout quand l’œil de celle-ci n’est pas forcément bienveillant.

Parce que oui, il s’agit de quelqu’un de ma famille. Nous portons le même nom. Relations conflictuelles. Depuis toujours, ou presque. Et de cet espace qui est le mien, où j’ai mis tant de moi, rires et douleurs mêlés, sentiments profonds parfois jamais exprimés ailleurs, je n’ai entendu de sa bouche que critiques acerbes sur les quelques malheureux passages où je me suis autorisée à parler de la famille, à mots couverts, en changeant les noms, avec tendresse, ou une fois en forçant le trait parce qu’il s’agissait d’un billet d’humour… J’ai entendu « C’est à moi » « Ça ne t’appartient pas », « Si tu crois que c’est agréable de lire quelque chose sur soi comme ça… »… J’ai entendu « Je, Je, Je, Je… » de la part de quelqu’un qui m’a déclaré doctement ne pas aimer les blogs « parce que ce n’est que de l’ego », après m’avoir fait la démonstration sans faille de l’état surdimensionné du sien. Et quand j’écris « un lieu ami » (j’avais failli écrire « un lieu amical », mais ça sonnait mieux comme ça) et que je m’entends reprocher l’expression parce qu’il s’agissait de SES amis et non des miens, je me dis que tout cela vole fort bas et que je me dois de l’ignorer. Mais c’est difficile. Si difficile. Je doute encore d’y arriver tout à fait aujourd’hui. Blessée.

Parce que de mes chagrins exprimés, de mes douleurs passées ou présentes livrées ici, je n’ai pas entendu le moindre mot. Pas un. Comme dans la vie, d’ailleurs.

Je ne trouve pas, moi, que les blogs ne soient que de l’ego. Oui, ça en est. Mais tellement plus que ça : tellement d’échanges, d’empathie, de rencontres. Je n’ai pas envie de me passer de ça. Cela rend ma vie plus douce depuis bientôt huit mois.

Depuis peu de temps, je me suis même enhardie à donner l’adresse de ce blog à quelques personnes choisies. Parce que j’avais envie de me dévoiler un peu plus à leurs yeux, que cela me faisait plaisir de leur donner une « clé » d’un chez-moi qu’ils ne connaissaient pas. J’ai eu des réactions… tendres (un bisou spécial à Fox, que cela fait rire, lui, quand il m’arrive de forcer le trait à son sujet). Une personne m’a dit ne pas souhaiter le lire, par peur d’être « indiscrète », mais peut-être plus tard puisqu’elle en avait la permission. C’était joliment dit, je respecte cela et je l’en remercie.

En relisant certains billets, je me dis que je n’ai rien écrit ici qui puisse blesser qui que ce soit, sauf quelqu’un qui n’aurait pas beaucoup d’humour peut-être. (Quand je dis par exemple que ma mère ne fait pas bien les confitures, c’est pour de rire, voyons. C’est juste que je les fais un tout petit peu mieux qu’elle (si !) et que je me venge ainsi de la foultitude de plats qu’elle réussit mieux que moi, je le jure !) Ou peut-être que je me trompe, ce que j'écris peut-il être choquant pour d'autres ?

Avec le recul, les reproches entendus me paraissent dictés par une rivalité de quelques dizaines d’années non réglée, un dépit de je ne sais quoi, une jalousie mal placée, une volonté de me reprocher quelque chose, quoi que ce soit, ou tout autre raison que j’ignore… Je vais m'efforcer de ne pas en tenir compte. L’auteur de ces critiques a affirmé ne plus me lire. Je ne sais si c’est vrai, et peu m’importe désormais.

Oh, il va me falloir un peu de temps encore et pas mal de volonté pour me détacher de ce regard possible. Comment font-ils ceux qui se racontent à visage découvert dans des livres diffusés en nombre, médiatisés ? Il faut une certaine dose de courage pour assumer ses mots au regard de tous, il me semble… Mon audience est beaucoup plus réduite, heureusement (beaucoup plus d’ailleurs depuis que je me suis sentie contrainte à appuyer sur la pédale de frein). Je vais me réapproprier l’espace petit à petit, oser ci ou ça, ne pas tricher, le moins possible comme je le fais depuis le début, suivre l’envie du jour, humer le vent, rire et vous faire rire encore j’espère, conter mes désarrois - pardonnez-moi, baguenauder et vous rapporter mes souvenirs de balades, jouer à Tintin-reporter quelquefois et me prendre pour un personnage de fiction si ça se trouve, jouer avec les mots, m’émouvoir de ceux des autres, les vôtres, me livrer et me cacher selon l’humeur… qu'elle soit légère ou qu'elle soit grave. Pour moi. Mais peut-être pas juste pour moi...

jeudi 27 avril 2006

De pierre et de mousse

Femme de pierre et de mousse

Femme de pierre et de mousse
Hiératique et paisible
Pierre tendre offerte au vent

Je sais tes pleurs invisibles
Solitaires et silencieux
Et ce que ton regard lointain
Compte de regrets de ce qui n’a pas été

Femme de pierre et de mousse
J’entends tes fêlures de soleil et de glace
Fragile squelette dessiné de ton corps roc

Moussue et froide au regard
Qui sait ce qui bouillonne en toi
Condamnée au maintien d’une pose fière
Sous peine d’effritement, sous peine d’éclater

Femme de pierre et de mousse
Belle, pour combien de temps encore
Emoi des regards, bientôt oubliée

Je pense à toi quand le soir tombe, solitaire
Nocturne où ta mousse frissonne
Sans que rien n'esquisse ton réchauffement

Femme de pierre et de mousse
Si semblables nous sommes
Quand le cœur se serre, pierre
Quand le temps paraît arrêté

Contours découpés sur le ciel
Clair avoué, sombre caché
Parfois deviné, parfois murmuré

Femme de pierre et de mousse
Ton nom en est recouvert
Dans ce grand cimetière
Je ne peux te nommer

Alors quelques mots volent
Pour t’accompagner
Là où tu rêves peut-être
D’échapper à l’éternité

Femme de pierre et de mousse

Père Lachaise - avril 2006

jeudi 22 décembre 2005

J - pas beaucoup de temps...

Sur le départ
Derniers détails
Excitation
Un peu les jetons
Pourquoi ? L'avion ?
J'sais pas bien
Deviendra réel demain
Au revoir blogs
Le mien, les vôtres
Des mots au retour
Des photos
Des émotions
Des rêves
Des souvenirs
A venir aujourd'hui !

Je souhaite
Plein de jours chauds et doux
Pour vous
Jusqu'à l'an prochain
Merci de vos mots amicaux
Qui m'accompagnent
Tout là-bas là-bas

A.....

mercredi 14 décembre 2005

Soulagement

Je me rends compte que depuis deux semaines, je n'ai pas beaucoup "joué". Avec les mots. Pas de Dyptique chez Akynou, pas de jonglage chez Obni qui m'a pourtant offert mon gravatar de Noël. Pas de Paroles plurielles avec Coumarine (j'avais pourtant envie de participer pour la première fois). Pas de Coïtus Impromptus (pourtant "Monstres", c'était assez inspirant, j'ai même rêvé du texte de Shaggoo, brrrr....)... Et j'ai même assez peu lu les textes des uns et des autres. Pas envie de fiction, faut croire.

Pour tout vous avouer, j'étais préoccupée. Et même beaucoup plus que ça. Inquiète. Enormément. Mais je ne voulais pas en parler ici, par superstition sans doute. Et depuis 48 heures, ça va mieux....

On l'appelle Pomme. Elle est la fille de mon amie Y. Elle a 25 ans. Elle en avait 16 quand on lui a diagnostiqué une maladie génétique assez rare, qui s'est attaquée tour à tour à ses articulations, sa peau, et différents organes. Il y a trois ans, grave alerte : elle avait été hospitalisée pendant plus de deux mois dont un en soins intensifs, et quelques jours pendant lequel le diagnostic vital était plus que réservé. J'ai souvenir de ces heures terribles où l'on se relayait auprès de Y. pour ne jamais la laisser seule, essayer de la faire manger un peu, dormir un peu, puisqu'elle n'avait le droit d'être auprès de sa fille qu'une heure par jour et se rongeait le reste du temps. On assistait, impuissants, à cette souffrance que je ne peux même pas toucher du doigt : la torture d'une mère qui craint pour la vie de son enfant.

Elle s'en est sortie, Pomme. Avec une moitié de foie et la rate en moins, un traitement et une surveillance à vie, mais elle s'en est sortie. Et elle a repris des études brillantes, la vie avec ses amis, son copain, sa famille, des projets. Et même au fur et à mesure, un peu moins de cachets à prendre chaque jour, chacun de ceux qui lui était retiré constituant une petite victoire en soi. Elle est belle comme une madone, longue et très pâle (le soleil lui est formellement interdit), et il y a au fond de ses yeux la lueur intense et forte de ceux que la vie a malmené bien tôt.

Demander de ses nouvelles devenait un plaisir, parce que depuis trois ans, elles étaient meilleures chaque fois.

Et puis voilà, il y a presque trois semaines, un méchant camion a renversé le scooter de Pomme, lui a roulé sur la jambe. Et jusqu'à lundi dernier, nous ne savions pas si elle allait la garder, sa jambe. Bordel ! la colère, la tristesse, la rage, la stupéfaction qu'on a tous ressentis... Non, pas encore Pomme !

J'ai ressorti toutes les pensées d'amour que j'envoyais vers elle déjà il y a trois ans, que d'aucuns appellent prières, et je les ai jointes à celles de tous ceux qui l'aiment, qui aiment sa maman. Un égrégore qui avait pas mal marché à l'époque... et qui a fait son office encore cette fois, du moins j'aime à le croire.

Depuis lundi, le diagnostic est tombé. Le mot horrible que personne ne voulait prononcer a été écarté. Elle garde sa jambe. Opérée une fois ou deux déjà, hérissée de broches, et dont elle ne pourra se resservir que dans au moins six mois après des greffes osseuses et pas mal de souffrance sûrement.... Elle passera Noël chez elle ou peut-être entourée de sa famille dans cette clinique spécialisée où on l'a transférée aujourd'hui, peu importe. L'air est plus léger depuis lundi. Mon coeur aussi.

Je vais partir en vacances plus sereine, recommencer à écrire des histoires et des bêtises, lui en envoyer certaines pour la faire rire, et continuer à penser très fort à elle, et à sa maman, que j'aime tendrement....

mardi 8 novembre 2005

Emotion visuelle (mais pas seulement)

J'habite au coeur de Belleville. Ce tableau et moi on s'est rencontrés il y a deux ans, lors des quelques journées "portes ouvertes" annuelles des nombreux ateliers du quartier.

mili

Je rentrais chez moi avec des sacs de courses au bout des bras. Je n'avais pas eu encore le temps de faire le tour des ateliers. J'ai vu une grille largement ouverte juste à côté de chez moi, j'ai décidé de faire une première incursion rapide là, d'aller chercher le plan des ateliers ouverts avant d'arpenter plus largement les rues alentours.

Je suis entrée chez Mili et je suis tombée en arrêt devant ce tableau. Il faisait partie de toute une série de personnages similaires, en chemin sur des escaliers roulants, se croisant. Pourquoi celui-là m'a-t-il "appelée" plus que les autres, je ne sais pas. Je suis restée plantée devant, les bras ballants avec mes sacs Franprix, et tout à coup, sans crier gare, j'ai eu les larmes aux yeux.

C'était le matin je crois, il n'y avait pas encore grand monde dans l'atelier. Mili, le (la) peintre s'est approchée de moi, elle a vu mes yeux brouillés. Du coup elle était tout émue elle aussi. Elle m'a offert quelque chose à boire. J'avais du mal à lui dire pourquoi ce tableau, ces personnages me causaient un si vif émoi. Tout ce que je savais, c'est que je ne pouvais laisser personne m'enlever cette émotion-là. Il fallait que je l'emporte avec moi.

Cela fait deux ans que je vois ce tableau chaque jour et s'il ne me met plus les larmes aux yeux (heureusement !), il continue à "m'appeler", j'y reconnais un bout de moi sans doute. Mili appelle cette série "les non-rencontres"....

Je vais visiter son atelier de temps en temps. J'aime sa peinture et son sourire. Vous pouvez voir ce qu'elle fait ici.

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