dimanche 11 juillet 2010

Hadrien

Paris se tait. Paris reste immobile de trop de chaleur. Comme mon chat étendu autant qu'il peut cherche la petite fraicheur du carrelage de la salle de bains. Il y laisse des poils par paquets, aurait envie d'être nu sûrement autant que moi. Le plus fin des voiles se fait pelisse aujourd'hui, la peau moite est déjà une trop chaude couverture. Je rêve de mer. Plus que quelques jours. La marée m'attend à 10h26 jeudi prochain. J'ai noté dans mon agenda ce rendez-vous essentiel. Je prendrai la route au petit matin pour l'honorer.

Ne pas bouger. Etendue à l'ombre, j'ai achevé la lecture des "Mémoires d'Hadrien" de Marguerite Yourcenar, dans une sorte d'extase calme. Je ne sais pourquoi, ce livre m'attendait depuis 30 ans dans ma bibliothèque. Je le savais là pourtant, mais remettais toujours son approche à plus tard. Peut-être en avais-je besoin seulement maintenant ? Je dois à l'ami Chondre de l'avoir ouvert il y a quelques temps, lu très lentement, chaque mot virtuose méritant d'être savouré, réfléchi, aimé. Il n'est pas de ces livres qui se lisent comme on se désaltère avec désinvolture, il est un nectar précieux dont chaque mot fait sens, riche même de sa simplicité.

J'ai parcouru parfois des pages en soulignant des mots, des phrases, des paragraphes d'un trait de crayon dans la marge, pour y revenir, pour m'en nourrir encore. Du roman lui-même, de cette vie d'Hadrien, empereur de Rome, racontée par lui à l'orée de la mort, sage et lucide, mais aussi des notes de l'auteur publiées à la fin de l'édition de poche, réflexions brillantes sur l'écriture elle-même, les choix et les doutes d'un auteur face à son oeuvre.

J'ai été impressionnée et touchée qu'elle ait écrit une première version de ce roman érudit entre sa 20è et sa 25è année ! Texte entièrement détruit par elle-même et dont elle affirma qu'il "méritait de l'être"... Les "Mémoires d'Hadrien" seront finalement publiées en 1951, elle avait 48 ans et dit du texte premier : "En tous cas, j'étais trop jeune. Il est des livres qu'on ne doit pas oser avant d'avoir dépassé quarante ans. On risque, avant cet âge, de méconnaître l'existence des grandes frontières naturelles qui séparent, de personne à personne, de siècle à siècle, l'infinie variété des êtres..."

Je crois que je reviendrai souvent rendre visite à Hadrien, goûter à nouveau ses mots apaisés de vieil homme qui parlent de la vie, du mystère du sommeil, de l'approche de la mort, du pouvoir, des hommes, de l'amour, du deuil de l'être aimé, du labyrinthe de la douleur, de la foi, de tout ce qui compose l'aventure humaine, intemporelle.

"Ne jamais perdre de vue le graphique d'une vie humaine, qui ne se compose pas, quoi qu'on dise, d'une horizontale et de deux perpendiculaires, mais bien plutôt de trois lignes sinueuses, étirées à l'infini, sans cesse rapprochées et divergeant sans cesse : ce qu'un homme a cru être, ce qu'il a voulu être, et ce qu'il fut."

Marguerite Yourcenar

vendredi 14 août 2009

"Dans la main du diable" ou le rapt de l'écriture

J’ai lu en cet été paresseux – quoique très occupé de cette paresse, le temps coule sans que je m’en aperçoive – « Dans la main du diable » de Anne-Marie Garat, que l’on m’avait offert il y a quelques mois et dont je reportais l’abord, à cause de son millier de pages dans sa version poche chez Babel (édition originale Actes Sud), et aussi parce que je lis finalement fort peu à Paris, hormis dans les transports en commun (je ne lis que très rarement au lit, par exemple, la position m’est inconfortable et je baille au bout d’une demi-page).

Je me suis donc a(ban)donnée avec délices à la lecture de ce pavé, des heures durant, dans mon jardin principalement et aussi dans mon lit au cœur de la nuit, incapable de lutter contre l’appel invincible des péripéties vécues l’année 1913-1914 par Gabrielle Demachy, héroïne magnifique, et la galerie de personnages rencontrés par elle au cours de ces aventures. « Dans la main du diable » est de ces livres pour lesquels on repousse le sommeil pour tourner une page de plus, puis encore une autre, sans fin, pour connaître la suite, oh si, encore un petit peu et après j’éteins, après celle-là, absolument. La prochaine…

Dans la main du diable

Il est de ces romans qui font trembler de plaisir, de peur délicieuse, de compassion non feinte pour les épreuves des personnages, de frissons sensuels et de cœur battant. On y sent des parfums, on y entend le bruit des foules et le murmure des complots, on partage l’émoi des amours débutantes et l’élan fougueux des amants. On y vit des deuils terribles et l’on se réjouit des trêves. On a envie de rassurer les héros, de leur dire que ça va s’arranger, forcément, ce serait trop horrible si… Et l’on referme le livre avec un rien de chagrin.

« Dans la main du diable » est de ceux-là et je ne saurais trop conseiller sa lecture aux amateurs de fresques romanesques, de feuilletons à rebondissements passionnants, de plongées dans un monde inconnu peuplé de mille histoires. Je vous laisse en découvrir les tours et les détours palpitants, et ne vous en ferai pas ici de résumé ou autre analyse (le style est remarquable et aussi foisonnant que l’intrigue, avec des consonances et tournures propres à l’époque), je ne veux évoquer que mon plaisir et remercier l’auteur pour son grand talent.

Je me suis précipitée sur le net, une fois l’ouvrage refermé, soulagement et regrets mêlés, pour connaître les autres romans d’Anne-Marie Garat, que je lisais pour la première fois. J’ai découvert que je connaissais son visage (d’où, je ne sais pas, une impression de l’avoir déjà croisée) et que « Dans la main du diable » avait une suite, que je me promets de découvrir prochainement, après une petite pause peut-être (c’est épuisant !), pour retrouver en héroïne, autour de la deuxième guerre mondiale cette fois, et en jeune femme, la petite Millie de 4 ans de la «Main du diable », et savoir ce qu’il est advenu de Gabrielle, son institutrice, laissées toutes deux sur le pont d’un transatlantique à l’orée de la Grande Guerre.

J’ai lu aussi, magie du net, des interviews de l’auteur, des présentations de la dame, engagée et plutôt sympathique, amoureuse de la fiction et du cinéma qu’elle a enseigné (l’œuvre regorge de références cinématographiques).

J’ai été fort intéressée (interpellée, dirais-je, si ce terme ne m’agaçait pas) par ses propos sur l’écriture elle-même, qu’elle définit comme un « rapt ». Et sur le fait qu’elle ait pris une fois une année sabbatique pour écrire, qui s’est avérée stérile, avant de réaliser que de jongler entre famille, activité professionnelle et temps de création était un mode de fonctionnement qui lui convenait et parfaitement propice à l’écriture dans son cas.

Bon, sans doute chacun a-t-il un mode de fonctionnement particulier concernant l’écriture ou toute forme de création, mais j’avoue que – au vu du talent de la dame et de la qualité et quantité de sa production – je me suis sentie un peu bête, moi, avec mes proclamations de mon incapacité à écrire autre que du format court, étant donné mes activités (professionnelles, amicales et de loisir seulement, je ne peux même pas me réclamer d’une famille).

Sans doute l’écriture ne m’est-elle qu’un agréable divertissement dilettante, même si je le pratique depuis que je sais tenir un crayon entre mes doigts et que j’aurais du mal à m’en passer, et non le « rapt » dont elle parle. Je l’ai parfois évoqué ici, j’ai un projet d’écriture plus élaboré que les billets de ce blog, entamé l’année dernière, un roman en l’occurrence (j’ai également un scénario, achevé celui-là, que j’essaie de remanier pendant ces vacances, mais l’écriture scénaristique est très différente). Or ce roman, je n’arrive pas à en voir le bout, et j’envisage parfois la possibilité de m’arrêter de travailler provisoirement pour l’achever (il y a encore du boulot !), ne voyant pas d’autre possibilité pour ma part. Est-ce un leurre ?

Est-ce que, quand l’écriture vous est une réelle urgence, on ne trouve pas le temps pour elle, de quelque façon que ce soit ? Je connais des gens – publiés - qui écrivent par petits bouts, une heure par jour, avant le lever des enfants, après leur coucher, avant le boulot, entre deux, sur un coin de table, à tout prix, avec souvent une réelle discipline, pour arriver à trouver l’énergie et la concentration nécessaires au cœur d’un planning infernal. Et qui y arrivent. Moi non.

Je crois que je suis fondamentalement une paresseuse. Très active, mais paresseuse, et procrastineuse-née. Et que j’aime l’écriture, mais la vie aussi, qui me réclame, qui m’accapare. Il y a les plaisirs et les rires à entretenir, les larmes et le vin à verser, les moments amicaux à partager et l’intensité d’une tâche professionnelle à passionner, les rues à arpenter, les gens à regarder, à écouter. Il y a des dialogues émouvants et des moments à ne pas perdre, d’autres précieux à ne rien faire, si doux, les petits riens du quotidien à humer ou supporter, les petites misères à faire semblant d’ignorer et les secondes, les minutes, les heures, à vivre sans les compter. Quand je vous dis que je suis très occupée !

Pourtant j’aime quand l’écriture me submerge. Quand je m’y perds, quand je m’y noie. Quand je vis avec mes personnages, confondue en eux, mon souffle sur leur bouche, mes larmes dans leurs yeux, leur rire jaillissant de moi, leurs émotions à fleur de ma peau. J’ai souvenir d’avoir perdu parfois le fil du temps au gré de leurs émois et pérégrinations qui naissaient sous mes doigts au même rythme que mon cœur, de relever la tête, surprise du jour couchant, affamée d’un coup, emportée que j’étais avec eux depuis le petit matin, sans trêve. Vertigineux.

C’est un vertige que je n’arrive pas à recréer au quotidien, un fil que je n’arrive pas à renouer sur commande, juste pour une heure, je n’y parviens pas, je n’en ai peut-être pas l’urgence ? Que faire ?

Pour l’instant mes personnages dorment, et ils me manquent, mais je n’arrive pas à m’organiser de rendez-vous quotidien avec eux. Je ne les ai même pas emmenés avec moi durant ces vacances, que je voulais consacrer au « rien », et à mon scénario en priorité sur lequel il y a moins de travail à apporter et dont je voudrais peut-être essayer de faire quelque chose à la rentrée, puisque ses premiers lecteurs ont eu la bonté d’y trouver quelque intérêt.

Je refuse de me contraindre à l’écriture. Elle vient sous mes doigts si elle veut, comme elle peut, je ne peux en faire un devoir, je l’accepte comme elle me visite, légère, et si elle me rend heureuse. Je peux écrire parce que je souffre, mais pas dans la souffrance d’écrire… Or donc, je crois que je vais m’accepter en dilettante des mots et, sauf solution non encore imaginée (un mécène, une potion magique, une crise aiguë qui me jetterait à corps perdu dans la création et ravalerait la fresque de 1000 pages d’Anne-Marie Garat au rang d’historiette…), je crois bien que je vais me satisfaire encore quelques temps au moins de ce format court dans lequel je me sens à l’aise, de mon statut de picoreuse d’écriture (c’est mignon, picoreuse, je m’en ferais bien un titre de carte de visite), et ne pas m’angoisser de ne pas ou « pas assez » écrire.

Il n’y a pas d’obligation, pas de besoin. On écrit ce qu’on doit. Point. Ce blog et mes quelques pages en dehors sont peut-être mon écriture à moi. Ni plus. Ni moins.

mardi 2 décembre 2008

Toute Etty, enfin...

Etty

Cela fait bientôt 7 années qu'elle m'accompagne quotidiennement. Elle est mon amie si chère, ma soeur bienveillante. Son regard m'accueille chaque fois que j'ouvre mon agenda, essentiel. Ses mots lumineux m'ont aidée à franchir un précipice, il y a quelques années, j'en ai parlé ici déjà. Je la lis et la relis sans cesse, chaque fois émerveillée, émue, souriante, bouleversée, chaque fois plus éclairée de sa lumière, chaque fois un peu plus apaisée grâce au chemin qu'elle m'aide à parcourir. Mon exemplaire de son journal est mille fois annoté, souligné. Il porte des points d'exclamation dans les marges, peut-être des traces de larmes - d'émotion ou de joie - sur certaines pages. Des passages entiers me semblent faire partie de moi aujourd'hui et le livre s'ouvre tout seul à la page 119, celle qui dit la douceur des "bras nus de la vie".

Cela faisait longtemps que j'espérais la traduction et la publication de l'intégralité de ses écrits : "Une vie bouleversée" n'était constitué que d'extraits de son journal associés à quelques lettres écrites du camp de Westerbork, antichambre d'Auschwitz où elle mourût.

Je me suis donc offert ce merveilleux cadeau de Noël ce matin : l'intégralité du journal et une centaine de lettres d'Etty. Et quelques photos joyeuses ou douces d'elle, de ses amis, de sa famille, et même de cette "petite marocaine" dont elle parle à plusieurs reprises, la photo d'une très jeune fille aux yeux noirs accrochée au-dessus de son bureau et qui la regardait écrire. Je l'accrocherai peut-être au-dessus du mien, tiens...

Sur la quatrième de couverture de ce recueil, on lit ces quelques mots qui me semblent si bien la décrire, elle et ses écrits : "... une jeune femme d'exception : non pas une sainte étrangère au monde, mais une personnalité audacieuse et libertine, amoureuse de la vie, qui tente de dompter des dons intellectuels et artistiques dont le foisonnement anarchique l'entrave. C'est aussi un merveilleux journal intime, la chronique minutieuse et inlasable d'une passion, avec ses moments exaltants et ses crises de jalousie, et en contrepoint des tentatives toujours recommencées pour reconquérir un peu de distance et de sérénité. Enfin cette oeuvre nous confronte au mystère d'un cheminement spirituel qui est un refuge sans être un rejet du monde et des hommes, qui semble au contraire être un acquiescement, parfois même un émerveillement..."

Etty, mon amie, tu vas m'accompagner en Bretagne pour cette fin d'année. Je savoure à l'avance le bonheur de te retrouver toute entière.

mardi 18 décembre 2007

Une bonne nouvelle...

spécialement pour l'ami Yves Duel !
Le Baleinié - Tome 3 est sorti pour son petit Noël !
Et je me demande s'il n'est pas encore meilleur que les deux précédents.

Baleinié

Allez, juste pour le plaisir, rien qu'un très joli "petit tracas" :

azétérie n.f. : fleur du jardin qu'on hésite à cueillir parce que si on la cueille elle n'y sera plus.

Pour ceux qui ne connaîtraient pas ce pur petit bonheur de lecture (je riais et souriais toute seule dans l'autobus tout à l'heure en savourant mon petit livre bleu), je vous renvoie - parce que je suis cossarde - à mon précédent billet au moment de la sortie du tome 2, qui date déjà d'il y a deux ans. Il était temps !

mercredi 29 mars 2006

Ecrire aux écrivains

Il m’est arrivé parfois d’écrire à des écrivains, d’avoir l’urgence personnelle de leur faire savoir que leur livre avait compté pour moi, de les en remercier. Je ne l’ai pas fait très souvent mais à chaque fois ils m’ont répondu.

La première fois, c’était il y a longtemps, à Ghislaine Schoeller, qui venait de publier une biographie de Jane Digby, personnage fascinant dont j’avais entendu parler auparavant et dont le destin exceptionnel m’avait fait rêver de réaliser un jour un film sur elle (que personne ne l’ai déjà fait m’étonne, d’ailleurs, il faudrait peut-être que je remette ça à l’ordre du jour ?). Très brièvement : Jane Digby, devenue Lady Ellenborough, scandalisa l’Angleterre puritaine du 19è siècle en demandant le divorce à 21 ans et parcourut ensuite l’Europe en femme libre, séductrice, notamment inspiratrice de Balzac pour un personnage du « Lys dans la Vallée », et finit sa vie dans le désert sous le nom de Jane Digby-El Mezrab, épouse apaisée et aimante d’un cheick syrien….

La deuxième fois, c’était à Yann Moix. J’avais été émerveillée par son premier roman « Jubilations vers le ciel », dont les fulgurances de talent m’avaient bluffée (c’est sans doute le mot juste concernant Moix). Et je lui avais écrit une lettre enthousiaste lui disant tout le bien que je pensais de ce brouillon foisonnant et si prometteur, l’ébauche d’un écrivain mais quelle ébauche ! C’était violent et coloré, cruellement drôle, exagérément lyrique et mordant, ça parlait (gueulait) de vie, d’amour, de sexe, de mort, j’en avais eu des frissons parfois. Même si je me rendais bien compte que ce jeune auteur n’avait pu vivre tout ça et que ce n’était pour certaines pages qu’une démonstration brillante, une débauche d’imagination, voire de fantasme. Moix m’avait appelée quelques jours plus tard, tout ému de cette première lectrice qui se manifestait ainsi, et nous avions dîné ensemble. Finalement le personnage m’avait agacée (il m’agace toujours), et après quelques contacts, je lui avais fait savoir que je trouvais qu’il galvaudait son talent dans d’inutiles émissions télé débiles, où on l’invitait pour son bagou et où il aimait à faire des déclarations péremptoires et qui se voulaient iconoclastes sur tout et n’importe quoi. Nos relations en étaient restées là. Et chacun de ses livres par la suite m’est tombé des mains au bout de 20 pages… Il a un vrai talent d’écriture mais il le met au service, selon mon point de vue, de sujets très factices, voire « modes ». Mais quand il a réalisé « Podium », d’après un de ses romans, j’avoue que je suis bon public et que j’ai trouvé ça plutôt drôle.

La troisième fois, c’était à Anna Gavalda… J’ai une relation particulière avec sa première publication, le recueil de nouvelles « Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part ». Je l’ai lu longtemps après sa publication au Dilettante. J’en avais beaucoup entendu parler, j’aimais le titre, j’aimais la fille dont je lisais les chroniques dans quoi déjà ? Télérama ? et que je trouvais plutôt sympa... Et en plus j’adore les nouvelles ! Comment se fait-il que j’aie attendu si longtemps pour lire ce bouquin, je ne sais pas. Mais comme le hasard n’existe pas, peut-être fallait-il que je tombe dessus ce jour-là. Ce jour-là c’était le jour de la mort de Choul, et je n’ai pas été prévenue tout de suite, il s’est même écoulé pas mal d’heures avant que la nouvelle me cueille. Ce jour-là, j’étais allée baguenauder à l’heure du déjeuner, boutiques, sandwich, menu shopping, légère, petit nuage, le jour-même il m’avait dit des mots si doux… bref. Et je tombe sur ce petit bouquin, qui venait tout juste de sortir en poche. Je l’achète et je commence à le lire. Et je suis émue. Et ces mots me parlent si joliment. Je lis une nouvelle, puis deux, puis trois. Et j’avoue je rentre au bureau et j’y suis seule, et il ne se passe rien, et je continue à lire. C’est émouvant, ou drôle, ou bouleversant. Je pense à Choul. Je me dis que, s’il ne l’a pas déjà lu, ça lui plaira énormément. Qu’il faut que je le lui offre. Le soir, ma presque-heure de métro bi-quotidienne. Je m’installe, finit le livre. Je ne sais pas s’il y a du monde, du bruit, je suis dans ma bulle avec les mots et je savoure leur musique. Je pense à lui, à quel point ça va lui plaire. Je referme le livre, il est pour lui, sûr et certain. Sauf que non.

Je ne sais pas pourquoi, quelques jours après, je me suis mise devant mon ordinateur et j’ai écrit une longue longue longue lettre à Anna Gavalda. Pour lui dire que j’aimais la présence amicale de ce petit livre à mes côtés. Qu’il représentait pour moi les quelques heures où Choul était mort et je ne le savais pas encore. Un peu de bonheur insouciant volé au temps, une parenthèse précieuse de chagrin épargné. Pourquoi ai-je éprouvé le besoin de lui écrire tout cela, je ne sais pas. Je l’ai fait, c’est tout. Je me souviens lui avoir dit aussi que j’attendrais sûrement un peu pour lire son nouveau livre qui venait de sortir et qui s’intitulait « Je l’aimais », que j’attendrais qu’il sorte en poche, sans doute… J’ai envoyé la lettre au Dilettante, et quelques jours plus tard, j’ai reçu dans une enveloppe rose une petite carte pleine de douceur signée « Anna (Gavalda) ».

Deux ans plus tard, je crois, je baguenaudais (j’adore ce mot) cette fois au sous-sol du BHV, peut-être pour acheter de quoi installer une étagère de guingois dans mes toilettes, qui sait… J’aime beaucoup le sous-sol du BHV, même si à mes débuts parisiens, j’étais toujours affolée d’aller là-bas, tellement perdue dans ce dédale de vis, boulons, câbles, outils, et trucs inconnus que je me demandais parfois si on ne retrouverait pas mon squelette entre deux rayons bien des années après (c’était une blague avec un copain à moi…). Quant tout à coup, j’entends une annonce au haut-parleur : « Nous vous rappelons que Anna Gavalda est au rayon librairie pour dédicacer son nouveau livre « Ensemble, c’est tout ». Alors je suis montée à l’étage des livres. Je l’ai regardée un moment : elle prenait son temps avec chaque personne qui lui donnait un livre à signer, parlait, posait des questions, souriait (mon Dieu, qu’elle est jolie !), et faisait même de petits dessins avec des crayons de couleur, son chien dormant sur ses genoux (le même qui était sur la couverture de « Je voudrais que quelqu’un…. »). J’ai pris un livre et je suis allée la voir. Et je l’ai remerciée pour son petit mot-tendresse au milieu de jours sombres. Elle s’est souvenue de moi, ou bien a fait gentiment semblant. On a parlé un peu, mais il y avait des gens qui attendaient derrière moi. Elle m’a écrit une jolie dédicace amicale, m’a souri encore une fois et je suis repartie.

J’ai lu son livre, qui n’est pas « littérairement » parfait, loin de là. Il y a même des passages qui donnent la priorité au langage parlé… Mais nom d’un chien, elle sait camper des personnages qu’on ne peut s’empêcher d’aimer ! Et que j’étais drôlement triste de quitter après avoir refermé ce pavé. C’est dans ce livre que je citais l’autre jour qu’elle parle avec amour de Sempé. Alors j’ai retrouvé dans mes archives un exemplaire de ma carte de vœux de l’année d’avant, qui était un dessin de Sempé. Il faudrait que je la retrouve, cette carte : un couple tout modeste à l’air penaud, bien qu’arborant tous deux des nez rouges de carnaval, à la porte d’un restaurant décoré pour un réveillon de premier de l’an, où un homme et une femme à l’air revêche sont en train de mettre le couvert sur de longues tables. Et l’homme les réprimande sèchement : « Non, on vous l’a déjà dit ! Pas avant une demie-heure, trois quarts d’heure ! ».

Je lui ai envoyé la carte en la remerciant pour m’avoir tant fait aimer ces personnages. Et je lui disais qu’il me semblait que ceux-ci pourraient vivre sur grand écran tellement son écriture était « cinématographique ». Elle m’a répondu très gentiment quelques jours après, en me précisant que Claude Berri venait d’acheter les droits. Je crois que le film est en tournage, ou que ça ne saurait tarder….

J’ai une tendresse certaine pour Anna Gavalda. Il paraît qu’il n’est pas de bon aloi de l’aimer, qu’elle est trop « facile à lire ». Madeleine m’a « mise en garde » à ce sujet (merci Madeleine :-)). Sans doute elle a trop de succès, elle est trop jolie, elle a trop fait parler d’elle, cela suscite parfois une jalousie déguisée en mépris ou condescendance… Je n’ai pas beaucoup aimé « Je l’aimais », en fait, que j’ai fini par lire, et j’ai quelques réserves sur le style de « Ensemble c’est tout », mais en aucun cas sur son contenu tellement émouvant et attachant. Et c’est déjà beaucoup.

En fait je crois que nous sommes tous épouvantablement jaloux d’elle (moi je le suis !) d’avoir trouvé un aussi beau titre que « Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part. ». Et je la remercierai toujours pour ce livre-là. Et son humanité dont je ne doute pas une seconde qu’elle est sincère.

Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part

jeudi 17 novembre 2005

Etty...

EttyUn mois déjà que je "blogotte" (comme on dirait je "parlotte", j'ai un sentiment d'imperfection et de maladresse par rapport à cet espace que je me suis ouvert, dont j'ai le sentiment encore de ne pas trop savoir quoi en faire....).

Un mois donc, et l'envie de parler de choses, de gens, de sentiments, de petits riens qui me sont importants même si parfois futiles, sans réussir à vraiment bien m'y prendre, pour l'instant.

Et depuis le début, l'envie, la nécessité de parler d'Etty, mais comment ? Depuis plusieurs jours, je me suis replongée dans son journal dont je connais tant de passages "par coeur" (absolument "avec mon coeur"), et je voudrais le citer tout entier tellement les mots qu'elle écrit me sont essentiels.

Etty, c'est ma soeur, mon amie, mon double (enfin, pas complètement, je n'en suis pas à son "niveau"), celle que j'appelle comme un baume sur mes plaies, celle que j'interroge pour essayer de comprendre cette cruelle et drôle de vie.

Je l'ai découverte il y a trois ans et demi, juste après la mort de Schoul, alors que je me débattais de toutes mes forces pour ne pas replonger dans le gouffre sans fond dans lequel j'avais sombré 9 ans auparavant après la mort de Julio (enfin, il n'est pas sans fond ce gouffre noir, puisqu'un jour on finit par y donner un coup de talon pour remonter, mais quand on est dedans, il apparaît sans fin). Je cherchais de l'aide, de l'air pour respirer. Je me faisais l'effet d'être un oiseau entré par erreur dans une maison et qui volette follement pour retrouver une issue en se cognant violemment et douloureusement contre tous les murs.

Le journal d'Etty a été pour moi une fenêtre ouverte par laquelle j'ai pu m'envoler, et elle m'accompagne aujourd'hui comme une amie fidèle dont les mots limpides me montrent le chemin que j'aimerais bien emprunter à sa suite, mais c'est loin d'être facile !

Elle s'appelait Etty Hillesum. Elle est morte à 29 ans, le 30 novembre 1943 à Auschwitz et a écrit dans les deux terribles années qui ont précédé - qu'elle-même qualifie des plus belles de sa vie - à Amsterdam, un journal bouleversant. André Comte-Sponville qui m'a permis de la découvrir le résume fort bien : "Sans haine, sans colère , presque sans peur : ce n'est qu'un chant d'amour et d'acceptation, une lente et difficile montée vers la paix et la lumière."

J'ai aimé Etty immédiatement parce qu'elle n'avait rien d'une "surfemme" (comme on dirait un "surhomme"). Au long de son récit, on la voit avancer puis reculer, douter, vivre le quotidien d'une jeune femme de son âge pour le moins "délurée" pour son époque : elle dit elle-même avoir connu beaucoup d'hommes, partage la vie d'un homme beaucoup plus âgé qu'elle alors qu'elle va nouer une relation "amoureuse" de maître à élève, avec celui qui va la guider dans son parcours "spirituel". Elle connaît des périodes de déprime intense suivies de joies profondes, s'interroge sur le désir, le couple, sa difficulté à supporter ses parents ou son frère parfois, se reproche de ne pas écrire comme elle le souhaiterait, dit "je me fais parfois obstacle à moi-même". Elle connaît bien sûr en cette période de guerre les difficultés quotidiennes augmentées des lois anti-juives de plus en plus restrictives.

Et au coeur de ce quotidien, on va la voir "fleurir", sa perception de la vie va s'affiner, se conforter, monter de plus en plus haut dans l'acceptation sereine de ce qui advient, et son amour de la vie être proclamé malgré tout. Certains rescapés d'Auschwitz qui l'avaient connue ont rapporté que même là-bas, elle était "lumineuse".

Bien sûr, elle parle de Dieu, mais j'ai toujours aimé qu'elle en parle sans dogme, sans y mettre de "morale" ou de limites. Dieu comme synonyme d'Amour, c'est tout.

J'ai l'impression de parler d'elle si mal, si incomplètement. Et qu'aucun de mes mots ne pourra égaler la beauté des siens, leur clarté cristalline, leur espoir, leur humour aussi. Et je suis fort loin de son regard ouvert sur quelque chose de plus grand que le quotidien. Au moment où les lois anti-juives réduisaient jour après jour le périmètre où les Juifs avaient le droit de circuler, d'habiter, de stationner, elle écrivait :
"... de temps en temps je ressens cette impossibilité comme une privation accablante et frustrante, mais la plupart du temps j'ai cette certitude : même si on ne nous laisse qu'une ruelle exiguë à arpenter, au-dessus d'elle il y aura toujours le ciel tout entier."

De relire ces quelques mots, de les écrire ici, me donne envie de me replonger encore au coeur de ce texte si bref mais si riche, le seul que nous ayons en France, avec une ou deux biographies, et les quelques lettres de la fin de l'ouvrage écrites à ses amis du camp de Westerbork où les Juifs transitaient avant de partir vers Auschwitz, terribles témoignages de la vie quotidienne du camp. Nous sommes nombreux je crois à espérer qu'on traduise ici d'autres textes d'elle qui sont très connus en Hollande (des écoles portent le nom d'Etty, là-bas, beau parrainage).

Parmi toutes les pages merveilleuses qu'elle a écrites dans ces deux années, je voudrais dire ici celle vers laquelle je reviens toujours (mon livre où des passages sont soulignés à chaque page s'ouvre souvent naturellement à celle-là) :

"Impressions d'hier soir, dans ma petite chambre. Je m'étais couchée de bonne heure et, de mon lit, je regardais au-dehors par la baie ouverte. On aurait dit, une fois de plus, que la vie avec tous ses secrets était tout près de moi, que je pouvais la toucher. J'avais l'impression de reposer contre la poitrine nue de la vie et d'entendre le doux battement régulier de son coeur. J'étais étendue entre les bras nus de la vie et j'y étais en sécurité, à couvert.
Et je pensais : comme c'est étrange ! C'est la guerre. Il y a des camps de concentration. De petites cruautés s'ajoutent à d'autres cruautés. En passant dans les rues, je peux dire de beaucoup de maisons : ici un fils est en prison, là le père est retenu en otage, ici encore on a à supporter la condamnation à mort d'un fils de dix-huit ans. Et ces rues et ces maisons se trouvent tout près de chez moi. Je connais l'air traqué des gens, l'accumulation de la souffrance humaine, je connais les persécutions, l'oppression, l'arbitraire, la haine impuissante et tout ce sadisme. Je connais tout cela et je continue à regarder au fond des yeux le moindre fragment de réalité qui s'impose à moi.
Et pourtant, quand je cesse d'être sur mes gardes pour m'abandonner à moi-même, me voilà tout à coup reposant contre la poitrine nue de la vie, et ses bras qui m'enlacent sont si doux et si protecteurs - et le battement de son coeur, je ne saurais même pas le décrire : si lent, si régulier, si doux, presque étouffé, mais si fidèle, assez fort pour ne jamais cesser, et en même temps si bon, si miséricordieux.
Tel est une fois pour toute mon sentiment de la vie, et je crois qu'aucune guerre au monde, aucune cruauté humaine si absurde soit-elle, n'y pourra rien changer."

Il arrivera peut-être encore, je crois, que j'aie envie d'offrir ici d'autres mots d'Etty que ceux-là.....

samedi 29 octobre 2005

"Quelques messages personnels" de Pierre Clémenti

Clémenti Quelqu'un qui sait que j'aime Pierre Clémenti m'a offert ce petit livre. J'en ai acheté deux exemplaires à mon tour ce matin pour l'offrir à des personnes que ces messages personnels toucheront, à n'en pas douter.
En fait, je me rends compte à la lecture de sa filmographie, que j'ai vu peu de ses films, et que j'ai été marquée comme tout le monde par ses deux rôles les plus "grands publics" : l'inquiétant client de Catherine Deneuve dans "Belle de jour" de Bunuel, et l'adolescent candide de "Benjamin ou les mémoires d'un puceau" de Michel Deville. J'ai croisé au détour d'autres films son regard fiévreux et son jeu intense et j'admire qu'il ait choisi d'autres chemins que celui qu'offrait le cinéma commercial à son physique de jeune premier. Il fut, avec Jean-Pierre Kalfon et Bulle Ogier, le défenseur d'un théâtre et d'un cinéma volontairement éloignés des sirènes commerciales de la gloire.

Le livre a été écrit pendant les 18 mois de son incarcération à Rome, alors qu'il avait été arrêté chez lui pour détention de drogues. Je m'attendais, étant donné le personnage et le contexte de ce livre, à y trouver une écriture peut-être violente et désordonnée, je ne sais pourquoi.... Ses mots sont au contraire clairs, limpides, posés, même lorsqu'ils dénoncent plutôt violemment - et c'est le sujet principal du livre - le système carcéral italien, et de façon générale ce que l'enfermement forcé fait des hommes....

L'écriture est simple et belle et j'avais presque l'impression de l'entendre dire ces mots, ceux d'un acteur, d'un artiste tel qu'il l'entendait : "Je pense que l'art doit être au service du peuple, et c'est pourquoi il me semble qu'il est inconciliable avec le statut de l'idole, qui est au-dessus du peuple, qui le domine et l'humilie, qui se fait servir par lui. Je vois l'artiste comme un ouvrier parmi les autres. Il doit accomplir sa tâche quotidienne, de représenter les joies et les souffrances , avec sérieux et humilité."
A l'ère d'émissions télé dont le but semble être de mettre à la une de magazines-poubelles des candidats éphémères, à peine ont-ils chanté (braillé serait plus juste) la moindre note à une heure de grande écoute, cela fait rêver....

Ces pages sont principalement la chronique de sa révolte face à l'injustice de son incarcération, de son incompréhension et de son abattement parfois. Il y a aussi au détour d'une page l'évocation de ses débuts, de beaux portraits de Bunuel, de Fellini à qui il refusât un rôle mais qui vint témoigner pour lui au procès.

Celui qui fut Jésus pour Philippe Garrel, l'Ange de la Mort pour Bunuel, et un cannibale pour Pasolini et Liliana Cavani, est mort en décembre 1999, le lendemain de la tempête. En 1971, en prison, il écrivait à une amie : "Depuis ma naissance, je poursuis, solitaire, la recherche du sens de ce merveilleux voyage que tous les hommes commencent à leur naissance."
Je ne sais s'il avait trouvé....

vendredi 21 octobre 2005

Trouvé dans une vieille église de Baltimore en 1692, auteur inconnu...

Allez tranquillement parmi le vacarme et la hâte, et souvenez-vous de la paix qui peut exister dans le silence. Sans aliénation, vivez autant que possible en bons termes avec toute personne. Dites doucement et clairement votre vérité et écoutez les autres, même le simple d’esprit et l’ignorant ; ils ont eux aussi leur histoire. Evitez les individus bruyants et agressifs, ils sont une vexation pour l’esprit. Ne vous comparez avec personne : vous risqueriez de devenir vain ou vaniteux. Il y a toujours plus grand et plus petit que vous. Jouissez de vos projets aussi bien que de vos accomplissements. Soyez toujours intéressé à votre carrière, si modeste soit-elle ; c’est une véritable possession dans les prospérités changeantes du temps. Soyez prudent dans vos affaires, car le monde est plein de fourberies. Mais ne soyez pas aveugle en ce qui concerne la vertu qui existe ; plusieurs individus recherchent les grands idéaux ; et partout la vie est remplie d’héroïsme. Soyez vous-même. Surtout n’affectez pas l’amitié. Non plus ne soyez cynique en amour, car il est en face de toute stérilité et de tout désenchantement aussi éternel que l’herbe. Prenez avec bonté le conseil des années, en renonçant avec grâce à votre jeunesse. Fortifiez une puissance d’esprit pour vous protéger en cas de malheur soudain. Mais ne vous chagrinez pas avec vos chimères. De nombreuses peurs naissent de la fatigue et de la solitude. Au-delà d’une discipline saine, soyez doux avec vous-même. Vous êtes un enfant de l’univers ; pas moins que les arbres et les étoiles, vous avez le droit d’être ici. Et qu’il vous soit clair ou non, l’univers se déroule sans doute comme il le devrait. Soyez en paix avec Dieu, quelle que soit votre conception de lui, et quels que soient vos travaux et vos rêves, gardez dans le désarroi bruyant de la vie, la paix dans votre âme. Avec toutes ses perfidies, ses besognes fastidieuses et ses rêves brisés, le monde est pourtant beau. Prenez attention. Tâchez d’être heureux.

Rien à dire.... Juste relire ces mots, de temps en temps. Les garder là pour les jours où j'en ai besoin. Merci à l'auteur inconnu.