Gay Walkyrie

Il y avait hier soir place de la Bastille la rencontre de deux univers contrastés : ce n'est qu'en piétinant dans la foule qui engorgeait les sorties du métro que je me suis souvenue que c'était la Gay Pride à Paris. Moi je rejoignais l'opéra pour assister à "mon" premier Wagner, deuxième volet de l'épopée Der Ring des Nibelungen, dont L'Or du Rhin est le prologue, joué récemment à Bastille et que j'ai bêtement loupé. J'allais donc découvrir La Walkyrie, dont je ne connaissais rien, en fait, hormis, c'est bête je sais... un célèbre vol d'hélicoptères dans "Apocalypse Now".

Et bien voilà, pour faire mentir mon billet précédent, sans doute, j'ai connu hier soir ma première vraie grande émotion d'opéra ! J'avoue pourtant qu'en cette journée ensoleillée, la perspective d'aller m'enfermer 5 heures d'affilée dans une salle de concert, fut-elle aussi prestigieuse que celle de Bastille, ne m'amusait guère. N'ayant par ailleurs jusqu'à présent jamais connu l'extase en ce lieu, je m'étais intérieurement promis qu'en cas d'ennui mortel, je profiterais d'un des deux entractes pour abandonner l'affaire. Non seulement il n'en fut pas question, mais quand le rideau final s'est baissé, j'étais fort triste d'abandonner les personnages qui m'avaient fascinée plusieurs heures durant et j'aurais volontiers réclamé que l'on continue à me conter leurs aventures ! Je me demande si je ne vais pas faire un tour à Bayreuth, moi...

Pendant qu'en plein soleil retentissait une techno incessante aux basses qui affolent le coeur, que dansaient des corps maquillés, perruqués, tatoués, dénudés, que s'embrassaient à pleine bouche des filles aux cheveux rasés ou des garçons aux yeux fiévreux, dans la salle immense et sombre s'épousaient un frère et une soeur, des corps nus et ensanglantés s'amoncelaient sur le plateau, une femme en robe écarlate, fleur terrifiante, exigeait d'un dieu malheureux la mort de son fils, l'exil de sa fille adorée. Et j'avais le coeur serré.

Ce que j'ai souvent reproché aux quelques opéras qu'il m'a été donné de voir depuis quelques années (une découverte récente pour ce qui me concerne, j'ai entendu mon premier vrai opéra à Berlin en 2006) c'est la plupart du temps leurs livrets improbables et, ce n'est pas pour dire, un rien bêta, tendance roman Harlequin qui finirait mal : amoureux qui s'enflamment en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, pour se soupçonner aussi sec de trahison, sur une simple dénonciation vengeresse ou une posture équivoque, et se passer par le fil de l'épée sans autre forme de procès... Et ça m'a souvent saoulée !

Avec le Ring, on est quand même à un autre niveau de narration : un poème épique, une épopée fantastique, des sentiments humains et divins exacerbés, des thèmes universels, mythologiques, superbes et poignants, j'en ai été transportée. Le tout porté par une musique et des voix somptueuses, leitmotivs cruels et magnifiques du drame en train de se jouer.

Je veux incessamment retrouver le fil de l'histoire, connaître le destin de Siegfried encore à naître, et de Brünnhilde, la Walkyrie bannie, endormie sur un rocher protégée par une barrière de feu, par la volonté de son père Wotan, dieu du malheur des siens, aspirant à la fin, annonçant le Crépuscule des dieux.

Quand je suis ressortie dans la nuit de Bastille, émerveillée, il y avait des détritus innombrables qui jonchaient la place, des drapeaux arc-en-ciel abandonnés ou enveloppant des corps fatigués, et dans la tiédeur du taxi une fade musique qui ne pouvait couvrir celle que j'avais encore au coeur. Je crois que j'aime Wagner, au fait.

Commentaires

1. Le dimanche 27 juin 2010, 12:42 par Fajua

Tu nous fait excellemment partager ton plaisir

2. Le dimanche 27 juin 2010, 13:43 par Fauvette

Ah je suis contente ! Transportée n'est-ce pas ? Oui, moi aussi j'aime ces opéras-la. J'espère que tu as acheté le programme, il éclaire bien l'ensemble de l'œuvre.
Et puis, cette musique, quel tourbillon, quel bonheur !

3. Le lundi 28 juin 2010, 07:46 par anita

J'ai un rapport étrange avec la musique de Wagner. Moi que le musique laisse généralement froide et circonspecte, n'y connaissant pas grand chose, les rares fois où je j'emet spontanément un avis négatif... c'est du Wagner.
Au moins puis-je dire que je le reconnais. :-D

4. Le lundi 28 juin 2010, 08:11 par Anne

Ah ? Moi Wagner me colle un peu des frissons... de peur. « Quand j'écoute trop Wagner, j'ai envie d'envahir la Pologne », dirait Woody Allen, et bien c'est exactement l'effet qu'il me fait !!

5. Le lundi 28 juin 2010, 11:23 par Traou

Hello Fajua, tu as retrouvé ton blog, c'est bien, je suis contente ! Bises

Fauvette, nous nous retrouvons sur des spectacles fort différents. Et oui, contrairement à notre conversation de l'autre jour, j'ai adoré !!!

Anita et Anne, je ne connaissais moi aussi il y a peu de Wagner que la citation hilarante de Woody Allen, ce qui, associé à la charge des hélicos sur fond de chevauchée des Walkyries dans "Apocalypse Now", ne me laissait augurer qu'une musique guerrière et violente. J'ai été surprise en la découvrant par la suite - et plus encore l'autre soir - de la découvrir douce aussi (même ladite chevauchée, si, si) et subtile et mélodieuse et... j'adore, j'avoue !!!! (mais je peux comprendre, et en tous cas, ça me fait drôlement plaisir de vous retrouver ici ! Bises)

6. Le vendredi 2 juillet 2010, 14:19 par Patrick

Ah oui, tout de même... "transportée", hein ? Sacré Wagner ! comme quoi les suggestions de la "puissance romantique", ça marche encore à tous les coups ;-)

Mais bon... cinq heures, pfff, quelle santé !