D'autres vies...

Dans tous les quartiers de Paris - ou banlieue - où j'ai travaillé, j'ai toujours élu un restaurant préféré, proche de mon bureau mais pas trop, peu fréquenté et surtout pas par mes collègues, où je peux m'isoler pour une heure ou un peu plus à l'heure du déjeuner. Cet endroit où je finis par avoir mes habitudes, je le fréquente assidûment ou par intermittence, le délaisse des semaines entières pour le retrouver avec plaisir plusieurs jours d'affilée, au gré de mes envies de solitude. C'est mon refuge pour les jours où je me sens triste, ceux où je suis agacée ou exaspérée par tel ou tel évènement professionnel, là aussi où je vais célébrer avec moi-même le plaisir du jour, en solitaire le plus souvent, parfois accompagnée amicalement; je n'y organise jamais de déjeuner professionnel, cela doit rester un lieu préservé, une parenthèse rien qu'à moi, un endroit où les contingences du boulot ne peuvent plus m'atteindre. La plupart du temps, j'y noircis mon petit carnet ami de notes disparates, de petites histoires comme elles viennent, du chagrin que j'ai sur le coeur ou bien de mes petits bonheurs.

Celui que j'ai choisi là où je travaille depuis trois ans maintenant - quelque part non loin de l'Opéra Garnier - est un restaurant indien vaste et chaleureux, au décor de velours rouge et d'argent, avec des reproductions de fines gravures indiennes fort jolies, et de la musique Bollywood pas trop envahissante. J'y ai "ma" table blottie près du bar, "mon" menu favori quasi invariable, mon serveur préféré et pakistanais, qui m'accueille en plaisantant et roule des yeux outrés quand il me prend la fantaisie de changer le susdit menu. Le patron m'a à la bonne et m'offre invariablement le digestif maison (que j'accepte une fois sur dix et fait semblant de boire pour ne pas le vexer), des invitations pour le dernier film de Shah Rukh Khan et parfois le disque Bollywood du jour pour ramener à la maison. On me gâte et me cajole, le personnel tout entier vient m'accueillir quand je passe la porte et défile ensuite devant ma table pour savoir si tout va bien au cours du repas. On échange des nouvelles du fils qui est parti travailler à Londres, de la famille restée au loin, je les aime bien.

J'y étais aujourd'hui pour être tranquille d'une part et fêter en tête à tête avec moi-même le bon déroulement d'un concours que je suis en train de passer, et qui a à voir avec l'écriture de scénario : après une première sélection sur le dossier déposé en septembre, j'ai été admise à passer l'épreuve écrite qui a eu lieu il y a un mois (6h30 sur table, je n'avais jamais fait un truc pareil !), et j'ai appris cette semaine que j'étais convoquée à l'oral le 2 décembre prochain, dernière étape avant la sélection finale des 20 heureux élus (sur 140 candidatures de départ). Ça plus la signature prochaine de l'achat de mon nouveau et ravissant home sweet home dans l'est parisien, j'avais envie de lever mon verre et de trinquer avec bibi !

Le déjeuner a commencé sous ces auspices et l'envie de finir tranquillement le beau livre commencé il y a quelques jours et que je lis passionnément matin et soir dans mon métro quotidien, oublieuse de tout ce qui m'entoure, émue et bouleversée par les histoires authentiques écrites là, contées avec une sorte de limpidité, de sincérité, de regard aimant et simple sur les émotions humaines qu'il livre sans jugement, qu'il analyse à l'aune de sa propre humanité, décuplée grâce à elles, sans doute.

Il, c'est Emmanuel Carrère, et le livre s'intitule "D'autres vies que la mienne". Il est le récit - en spectateur intime - d'histoires vraies et terribles : la mort d'un enfant, celle d'une jeune mère, le handicap, le cancer, et la vie bouleversée de ceux qui restent. Pourtant, au bout de ce récit d'indicibles pertes, au bout des chemins souffrants contés là, ceux des parents, des enfants, du mari, des familles amputées à jamais d'un membre essentiel, on trouve l'apaisement, l'acceptation du flot de la vie en marche, de son début à son achèvement, douleurs et chagrins compris. La Vie, comme un tout inéluctable.

Quelques larmes ont coulé sur mes joues en refermant le livre. D'émotion. De partage. D'empathie avec ces inconnus venus éclairer de leur vie un bout de la mienne. De gratitude pour l'auteur capable d'exprimer leurs ressentis, leurs sentiments, leurs chagrins, leurs chemins sans apitoiement, avec simplicité et tendresse, crûment aussi parce que la vie est crue. Et simple, et tendre. Parce qu'elle est tout ça. Leur vie, la vôtre, la mienne aussi.

D'autres vies que la mienne

Commentaires

1. Le jeudi 25 novembre 2010, 19:08 par Chomp'

Je te l'ai déjà dit ?
Surtout ne change rien, Traou,
ne change rien ...

;-)

2. Le jeudi 25 novembre 2010, 20:07 par telle

bravo bravo bravo, je suis contente pour toi, c'est déjà gagné ! j'ai confiance

(et je me réjouis égoïstement de bientôt voir un de tes films)

Ce livre, je l'ai beaucoup aimé aussi, pour sa simplicité et son authenticité.

Bises claquantes

3. Le jeudi 25 novembre 2010, 21:51 par Gilsoub

Juste bravo et quoi d'autre te dire que je suis content pour toi ;-)

4. Le jeudi 25 novembre 2010, 21:57 par Fajua

:)

5. Le jeudi 25 novembre 2010, 22:29 par anita

Ah vive toi! que je suis contente! Je t'embrasse ma mignonez!

6. Le vendredi 26 novembre 2010, 05:51 par Valérie de Haute Savoie

J'avais aussi beaucoup aimé ce livre, j'aime beaucoup Emmanuel Carrère.
Tu achètes un appartement à Paris, tu renonces donc pour l'instant à retourner en Bretagne. Je croise fort les doigts pour que tu ais ce concours, je crois bien que c'est vers cette date qu'un de mes frères aura le résultat de celui qu'il a passé dernièrement.

7. Le vendredi 26 novembre 2010, 07:45 par Anne

Bravo !!! Dis donc !

Et tu es la deuxième personne dont je tiens le goût en haute estime à parler de ce livre en ces termes, signe qu'il va falloir que je me le procure.

8. Le dimanche 28 novembre 2010, 07:33 par tanette2

Je ne commente pas souvent mais je lis avec toujours autant de plaisir tes billets si bien écrits. Je croise les doigts pour ta réussite à ce concours.Je te souhaite une bonne journée.

9. Le dimanche 28 novembre 2010, 12:14 par François Granger

Plein de pensés pour ton concours, tous mes voeux t'accompagnent !

J'aime bien aussi les restaurants ou l'on se sent accueilli ! Ca date du temps ou j'étais sur les routes toute la semaine. Suivant mes destinations, je retrouvais avec plaisir certains restaurants ou le sourire d'accueil du garçon ou de la patronne me donnais l'impression d'être reconnu d'une fois sur l'autre. Ca fait du bien au voyageur solitaire ;-)

10. Le dimanche 28 novembre 2010, 22:04 par Traou

Hello Chomp' et merci de tes passages toujours amicaux :-)

Ciel Telle, tu vas vite en besogne !!! Et tu vois bien loin dans le futur (ou le conditionnel)... Pour l'instant l'heure est aux doigts croisés, je compte sur toi ! Bises

Merci Gilsoub, j'espère que la route est bonne pour toi.

Fajua, un sourire en retour. A bientôt ? (tu ne viens pas à Paris des fois ?)

Ah toi Anita, puisque tu arrives de ton (notre) ouest, on trinque ensemble très vite !

Oui, Valérie, la Bretagne est remise à une date ultérieure... De jolies choses se présentent ici et les opportunités professionnelles ne montrent pas leur nez pour l'instant, alors je reste parisienne. Bonne chance pour tous les concours en cours ! Merci à toi

Et dans les commentaires ci-dessus, Anne, tu as encore quelques autres témoignages de lecteurs de ce livre. Attention, il est aussi difficile... Je t'embrasse.

Tanette, merci de tes visites et de tes encouragements, je vous tiendrai au courant ici, sûrement.

François, cela me fait plaisir de te lire. D'ailleurs tiens, cela me ferait plaisir de vous retrouver avec ton Elle dans un restaurant amical un de ces jours... Des bises à partager

11. Le mardi 30 novembre 2010, 17:49 par Fajua

Extrêmement rarement, Traou... Question de budget, souvent. Et toi, le Sud ? ;)

12. Le jeudi 2 décembre 2010, 19:56 par Fauvette

Ce livre m'a, moi aussi bcp émue, je l'ai même relu récemment !
As-tu lu le précédent ?

Oula, nous sommes le 2 décembre ! Maintenant tu vas encore attendre la réponse !
Je t'embrasse bien fort.

13. Le lundi 6 décembre 2010, 18:54 par Pablo

(Et l'oral s'est bien passé ? ) Moi je trinque pour toi, à cette nouvelle étape de ta, ou tes, vies !