lundi 18 juillet 2011

Scénario de vacances

C’est arrivé : j’ai laissé plus d’un mois passer sans publier de billet, faisant un « trou » dans les archives de ce blog depuis longtemps réduit à l’état de joli souvenir, celui d’une époque de moi à la fois révolue et constructrice, d’un lieu d’écriture et de confidences que je serais peut-être heureuse de retrouver un jour, qui sait ?

J’ai troqué ces petits carnets réguliers et intimes de ma vie contre les émois de personnages de fiction, enfin pas tant que ça, certains ressemblent drôlement aux gens qui m’entourent et à moi-même. J’ai pris la route de la Bretagne il y a quelques jours, la voiture pleine de ces compagnons joyeux, qui envahissent ma vie depuis 6 mois et à qui je me réjouis de consacrer pleinement les quatre prochaines semaines pour leur donner la parole, les faire s’entrecroiser, se rencontrer, s’émouvoir, s’aimer ou se battre.

Le concours que j’ai passé en fin d’année dernière et heureusement réussi m’a donné accès à un atelier d’écriture de scénario au cours duquel j’ai l’occasion de développer le mien sous des regards professionnels et surtout avec des échéances de remise des différentes étapes d’écriture obligatoires, essentielles à la paresseuse que je suis pour fournir un travail régulier.

Le premier septembre j’ai donc à remettre ma première version de continuité dialoguée (le scénario complet, la précédente étape d’écriture était le séquencier : toutes les scènes du film avec l’action détaillée mais sans les dialogues). Alors mon été est studieux et sédentaire car il va être bien court pour mener à bien ce gros boulot : pas de week-end de 15 août en Cantal parmi d’autres blogueurs, pas de Baléares amicales, pas de virée finistérienne, je bosse ! Les regrets que j’en ai sont tempérés par la raison. Je connais trop ma tendance naturelle à me laisser vivre, à m’assoupir pour des siestes douces, à préférer un verre du soir au travail nécessaire, à la remise au lendemain. J’apprends depuis 6 mois une discipline inconnue, puisque je me sais une sorte de Cadichon de l’écriture, toute soumise à la carotte et au bâton. La carotte, c’est ma satisfaction personnelle d’écrire enfin à visage découvert, d’affirmer et de montrer mes écrits en chair et en os et sous mon propre nom (même si je vais modifier quelque peu celui-ci – en y accolant le nom de ma mère que j’ai toujours aimé – pour faire une distinction entre mon activité professionnelle et mon existence en tant que -apprentie-scénariste). C’est aussi la légitimité que me donne aux yeux des producteurs potentiels le passage par cet atelier dont l’enseignement est dispensé au sein d’une école réputée. Le bâton, ce serait je pense l’exclusion dudit atelier, et le non-paiement des frais afférents par l’organisme de formation professionnelle qui a accepté de me prendre en charge (au titre des contrats de professionnalisation réservés au plus de 45 ans et plus de 20 ans d’expérience professionnelle, youpi ! j’ai été ravie d’afficher mon âge !). Alors depuis janvier, je cumule mon activité professionnelle habituelle avec l’atelier et c’est intense ! Et c’est super ! Même si – on me pose parfois la question – je n’ai absolument aucune garantie que le scénario que j’écris deviendra un film un jour, il me faudra pour cela rencontrer un producteur et un réalisateur que mon histoire intéressera puis, le cas échéant, des financiers d’accord pour le monter, et ensuite, tout au bout, peut-être un public, tout ceci restant tout à fait aléatoire, mais l’espoir fait vivre !

Je suis et serai donc, jusqu’à la fin de cette année, dans un cocon d’imagination et de construction d’une histoire et de personnages au long cours, et ceux-ci forment mon cercle d’amis et ma famille la plupart du temps. J’ai pris le temps d’emménager fin janvier dans un nouvel appartement dont l’écrin de verdure est fort agréable pour travailler, mais je délaisse la vraie vie, un peu. Un peu trop. Ma vie sociale en souffre, ma vie amoureuse je ne vous en parle même pas… S’il m’était donné de vivre de mes écrits, je ne suis pas sûre que ce serait souhaitable : c’est une activité tellement solitaire et je le suis déjà terriblement.

Et je m’en veux – lisant les blogs aussi peu que j’alimente le mien - de passer peut-être à côté des soucis des uns, des joies des autres, des souffrances de quelques-uns. Qu’ils me pardonnent, retrouvons-nous bientôt, ici ou ailleurs !

lundi 11 octobre 2010

Cinq ans

Je reviens de quelques jours ensoleillés dans ma Bretagne aimée. Derniers bains de l’année, seule sur mes plages claires. Energisée, vivifiée par la caresse des vagues fraiches, lavée des miasmes de petits chagrins parisiens oubliés là, prête à embrasser le monde à nouveau. Mon pays d’eau et de lande émeraude me dote de tous les courages, toujours. Je repars vers Paris pleine de promesses à moi-même, de mots à apprivoiser, dont je ne sais pas très bien ce qu’ils m’offriront. Mais curieuse, sans fin.

Je me souviens soudain qu’un jour d’octobre 2005, ce blog est né. Cinq ans. Petit anniversaire qu’il ne convient pas tant que cela de célébrer, mais qui m’invite à me retourner vers ces années si vite écoulées.

Aujourd’hui, cet espace où je me nomme Traou est une ombre de blog, un souvenir de moi auquel je tiens mais qui n’attire plus guère ma plume et mes épanchements. Mes mots prennent d’autres chemins. Je tiens cependant à maintenir en vie cet aimable compagnon à qui je dois beaucoup : il a porté des fardeaux dont je voulais débarrasser mes épaules, m’a aidé à orienter la lumière différemment sur des évènements de ma vie, à les percevoir comme des cadeaux, à la fin.

Par-dessus tout, il a été un joyeux dérivatif à ma solitude, un vecteur de rencontres passionnantes et riches, des amitiés ou des camaraderies en sont nées qui me sont précieuses, et si je ne souhaite pas fermer cet espace, c’est essentiellement pour ces rencontres-là. Il arrive encore aujourd’hui que parvienne jusqu’à moi le salut amical d’un(e) inconnu(e) ayant atterri dans mes archives à la faveur d’une requête internet et ces signes-là je ne veux pas m’en priver, quand bien même sont-ils rares et aléatoires.

Cinq ans après, je ne me vois plus alimenter ce blog de mes écrits jour après jour comme je l’ai fait pendant un peu de temps, mais je n’exclus pas d’y revenir un jour de façon régulière, peut-être, pour y conter d’autres voyages, lointains ou immobiles, d’autres émotions, d’autres sentiments, d’autres évènements, d’autres amours ou d’autres chagrins. Je tente de mettre ceux-là sous des formes autres, fiction, récit, scénario, et le blog n’est plus à l'heure actuelle le meilleur support pour cela sous mes doigts. Mais je ne lui dis pas adieu. J'y reviendrai même dans les temps qui viennent, de façon irrégulière, comme on passe aérer une maison d'été au coeur de l'hiver, pour qu'elle n'ait pas l'air abandonnée, ne sente pas trop le renfermé au moment des retrouvailles...

Et je fais l’apologie de l’écriture bloguesque à d’autres qui cherchent leur plume, je leur dis les cadeaux qu’ils pourront recevoir de livrer leurs écrits au regard des autres, comme je les ai reçus moi-même. Aujourd’hui, je quête d’autres regards, d’autres chemins à arpenter, le stylo à la main, dont je ne sais où ils me mèneront. A un autre bout de moi, sans doute.

mercredi 3 février 2010

Où est l'artiste ?

Une scénariste/écrivain rencontrée professionnellement m’a offert l’autre jour – sachant que j’écris « dans la clandestinité » - un livre qui a selon ses dires changé sa vie… J’ai trouvé sympathique qu’elle veuille ainsi – peut-être – m’aider à changer la mienne. Il est vrai que je souffre parfois depuis quelques temps de consacrer la majeure partie de ma vie professionnelle à aider des créateurs à créer, alors que je me l’interdis moi-même, du moins aux yeux de tous. Je suis parfois ébahie de la facilité de ceux que je côtoie jour après jour à se déclarer auteur, écrivain, conteur d’histoires, sans dissimulation, avec fierté et simplicité. Moi j’avoue parfois péniblement que moi aussi il m’arrive de me servir d’un stylo ou d’un clavier, mais je reste idiotement mystérieuse sur mes « œuvres », la plupart du temps. Et je commence à en souffrir.

Il est vrai que je viens d’une famille où chaque fois qu’il m’est arrivé d’affirmer que j’écrivais, la réaction était quasi aussi gênée que si j’annonçais pratiquer le striptease dans des bars louches pour boucler mes fins de mois. J’ai récemment fait l’expérience à la table familiale d’avouer avoir posé comme modèle (donc nue) pour un peintre il y a quelques années : c’est passé presque comme une lettre à la poste. Je crois que chez moi, il est moins grave et impliquant de montrer ses fesses que ses émotions ! Alors j’ai encore un peu de chemin à faire pour oser les assumer, les affirmer, autrement qu’anonymement.

Alors je lis ce livre chaudement recommandé qui s’intitule en anglais « The artist way », traduit en français par « Libérez votre créativité », de Julia Cameron, dont plusieurs personnes m’ont parlé depuis comme la grande prêtresse du Créateur qui vit – se cache le plus souvent – en chacun de nous. Elle y parle notamment des « artistes fantômes » et déçus que nous pouvons devenir, en ne nous autorisant pas à créer. Et du palliatif que nous trouvons parfois à nous consacrer à la création des autres. Je me suis sentie un rien visée…

J’avoue que son bouquin m’apparaît parfois un peu trop new age et simpliste, voire cucul-la-praline, mais il comporte quelques bonnes pistes à explorer, surtout en ces temps où ma plume me boude quelque peu (ou bien c’est moi qui la boude, peu importe, le non-résultat est le même).

Depuis quelques temps, je m’astreins – selon les instructions de la prêtresse – aux « pages du matin », trois obligatoires, manuscrites, le matin au réveil. On doit noircir trois pages, même si toute inspiration semble encore embuée de sommeil. Et c’est très étonnant.

On a interdiction de les relire. Ou alors beaucoup plus tard, quand le petit artiste intérieur aura émergé. Alors je ne me souviens pas vraiment de ce que j’ai écrit ces matins-là. Des bribes de rêve, des grognements matinaux, des peurs de la journée à venir, les yeux écarquillés de mon chat, attentif et impatient de son petit déjeuner (il lui arrive de traverser mon cahier pour mieux attirer l’attention) ? Je sais que des images émergent, venues d’on ne sait quel recoin de la nuit : le souvenir d’une peur d’enfant le jour de la rentrée devant un préau de bois immense, un geste gracieux de ma mère, un baiser imaginaire ou réel, une question répétitive « que pourrais-je bien écrire pour noircir ces foutues trois pages et aller prendre mon café ». Des mots sans contrôle et sans but, qui donnent au final envie d’autres mots. Quelquefois la fin de la troisième page arrive trop vite, mur contre lequel je me contente de buter, en attendant la suite. Laquelle, on verra. La curiosité des mots me revient doucement. Peut-être un jour offrirais-je ce livre moi aussi ?

mardi 6 juin 2006

Anges de papier

- Je ne voyais pas ça comme ça, dit l’ange nouveau. Il y a de tout ici. C’est un peu… un peu le foutoir, non ?

Il rougit de son audace. L’ange plus ancien sourit, habitué qu’il était à la déception des plus jeunes.

- C’est parce qu’ici, ce n’est qu’une transition, dit-il, tu n’es pas encore au bout du chemin. Ici, il faut se nourrir, se préparer, s’entraîner, prendre des forces avant la longue route qui reste encore. Certains resteront ici longtemps, longtemps, une éternité avant de comprendre, reproduisant sans fin les comportements imbéciles de leur vie. Ils espionnent les autres, essaient de les faire tomber, se battent pour des riens. Ils n’avancent pas. Ou si lentement. D’autres savent qu’il leur faut avancer. Alors ils déploient leurs bras comme si c’étaient les ailes qu’ils n’ont pas encore. Ils essaient. Ils s’élèvent un peu, retombent, recommencent, se jettent dans le vide, s’entraident, s’enlacent…. Et un jour peuvent aller plus loin.

Collage Anges

Juste un collage maladroit, de bric et de broc, un jour, il y a longtemps.
Parce que pas envie d'écrire ce soir...
Avec dedans des bouts de ciel, des semblants d'ailes, des mains qui se tendent...

(moi-même, je me trouve assez obscure, parfois...)

samedi 13 mai 2006

Marre de faire le clown

Ceci est ma participation au Dyptique 2.3 d'Akynou sur une photo d'elle-même.



clown Akynou

Bon sang, j’espère qu’il ne m’a pas reconnue !… Non, c’est impossible : pas avec ces vêtements merdiques, ce nez rouge ridicule !… Oh, je vous en prie, faites qu’il ne m’ait pas reconnue ! Je vais rester allongée un moment. C’est à moi, pourtant, je sens qu’ils s’impatientent. Andy a déjà dit deux fois sa réplique pour que je me relève. Rien à foutre ! Qu’est-ce qu’il croit ? Que je suis sourde ? Non, je vais rester là jusqu’à ce que l’autre s’en aille. Ah, ça y est, je vois ses pieds qui s’éloignent… Il était temps, Isadora se penche sur moi pour me relever. Oui, oui, j’arrive, je vais le jouer votre sketch débile !

J’en ai marre… Mais qu’est-ce que j’en ai marre…. Il faut que je leur parle.

Ce soir. Ce soir je vais leur parler. Pas trop tard après le dîner pour qu’ils ne soient pas encore trop défoncés. Oh la la, j’ai les jetons. Je suis sûre que ça ne va pas bien se passer du tout…

Comment je commence ? « Hum, hum.. Maman, Papa, il faut que je vous parle… » Non, déjà ils vont détester : « Hum, hum, Isadora, Andy, j’ai quelque chose à vous dire… »

Isadora ! Andy ! Bordel, je m’y ferai jamais ! C’est pathétique. Isabelle et André, c’était pas assez bien pour eux ?…

Isadora , c’est en hommage à la grande, bien sûr, Duncan… Qui doit se retourner dans sa tombe si elle voit comment ma mère danse… Andy, je ne sais plus très bien… Warhol, peut-être ?… C’est surtout parce qu’il trouvait qu’André ça faisait plouc. Moi j’aime bien André. C’est le prénom de Bourvil… Faut pas que je leur dise des trucs pareils, ils me trouvent déjà complètement réac.

Bon, Isadora, Andy, il faut que je vous dise… Et je voudrais que vous m’écoutiez, sans m’interrompre, s’il vous plait. Je vous en prie. Juste cette fois, ne criez pas… Voilà : je vais aller habiter chez Papie et Mamie. Oui, je sais, vous ne leur parlez plus, mais moi si. On s’entend bien. Ils me comprennent.

Je ne peux plus continuer comme ça. Le spectacle de rue, c’est pas mon truc. Je ne veux plus faire le clown sur des pavés mouillés. Je déteste le regard des gens. Ça ne m’amuse pas. Je n’ai jamais aimé ça. Je veux des habits normaux, jolis, et consacrer du temps à mes études pour avoir un vrai métier plus tard. Pour gagner de l’argent, habiter ailleurs que dans une caravane, oui, oui, une maison ou un appartement, en prenant un crédit sur vingt ans. J’envisage d’entrer à Sciences Po, alors il faut que je travaille. Je ne vais plus pouvoir jouer avec vous, essayez de comprendre…

Quand j’étais petite déjà, j’aurais bien aimé avoir des parents « normaux », qui viennent me chercher à l’école avec autre chose qu’une camionnette à fleurs et des plumes dans les cheveux. Quand on partait sur les routes pendant des mois, en Inde ou ailleurs, c’était sympa, mais après j’ai galéré pour rattraper les autres en classe. Il paraît que je suis douée, alors maintenant ça va, mais je n’ai plus envie de ça. J’ai envie de vivre autrement, de manger à une table avec des couverts et pas assise en tailleur par terre avec les doigts. Et puis, je vais vous dire : j’aime pas le tofu. Les graines germées non plus. Quelquefois, je vous dis que je vais passer la journée chez une copine, c’est pas vrai, je vais chez Mamie et elle me fait du rosbif. Saignant.

J’aime pas vos habits, j’aime pas votre musique psychédélique, j’aime pas vos amis : ils sont gentils mais ça me fait pas rire de les voir tout nus en train de fumer des trucs zarbis. Moi j’aime chatter avec mes copains sur mon ordinateur, écouter des trucs qui ont du rythme et des paroles qui veulent dire quelque chose, les fringues de marque, et je pense à mon avenir. Et au vôtre aussi parce qu’au train où ça va, quand vous aurez l’âge de la retraite, va falloir que j’assure vos vieux jours… Oui, j’y pense, moi, à ça. Bien obligée. Et ce n’est pas drôle.

Alors voilà, il fallait que je vous le dise parce que ce matin, pendant qu’on «jouait» place des Abbesses, un mec de mon lycée est passé et j’ai eu tellement peur qu’il me reconnaisse. Et qu’il le raconte à tout le monde. La honte. Il ne manquerait plus qu’ils apprennent comment je m’appelle. Au lycée, tout le monde m’appelle Kat. Je tremble à l’idée que quelqu’un apprenne un jour que c’est le diminutif de… Katmanda.

lundi 8 mai 2006

Petites histoires de famille

Mon grand-père s’appelait Henri.
« Henri-Désiré, comme Landru ! » avait-il coutume de dire, avant d’ajouter avec un gros rire : « Mais moi je n’ai jamais fait frire ta grand-mère ! Et pourtant ce n’est pas l’envie qui m’en manque quelquefois ! ».
Ils s’étaient connus pendant la guerre, celle qu’on appelait la Grande, parce qu’on croyait qu’elle serait la dernière. Mon père était né quelques 19 ans plus tard, petit dernier d’une famille de huit garçons qui ressemblaient tous étrangement à leur père, tels qu’on peut les apercevoir sur quelques photos jaunes de l’époque.
« Regardez-moi ça, tonnait mon grand-père, on ne pourra pas accuser votre grand-mère d’inconstance ! Ils ont tous quelque chose de moi ! ».

Mon frère aussi lui ressemble, je crois, de plus en plus d’ailleurs et ça doit bien lui plaire, même si son gros rire hante l’éther désormais.

Mon frère – qui s’appelle aussi Henri, tout court, les traditions familiales ont leurs limites - a hérité de lui son humeur fantasque, ses talents d’inventeur loufoque et ses passions exclusives et saugrenues à mes yeux : il fait partie de la « secte des adorateurs de pi » (c’est moi qui les surnomme comme ça), ceux qui passent leur vie à chercher de nouvelles décimales au nombre mythique. Personnellement, ce genre d’occupation me rend d’humeur léthargique, rien que d’y penser, tiens, je baaaiiilllee… Pardon.

Depuis tout petit, il adore fabriquer, collectionner, essayer des assemblages biscornus et bizarroïdes. Il a eu sa période maquettes de bateaux, qui squattaient pendant des semaines la table de la salle à manger et bousillait de colle mes pinces à épiler dont il se servait pour assembler les petites pièces. Il y a eu la période avions télécommandés qu’il faisait voler dans le jardin et qui se fracassaient dans le cerisier. Aujourd’hui, il est dans le design : il conçoit de la vaisselle dans laquelle il est parfois difficile de manger, des objets de déco qu’on ne sait pas dans quel sens regarder, des chaussures excentriques avec lesquelles je ne me vois pas faire cent mètres, même lentement… Son dernier chantier, ce sont des bijoux en tissu dont j’ai recyclé un exemplaire en doudou pour mon fils, qui adore baver dessus.

Mon fils, je l'ai appelé comme son arrière-grand-père : Désiré...


Ceci est ma participation au "Dis-moi dix mots" de Kozlika.

samedi 6 mai 2006

Des mots

Il y a des mots-bulles, légers et éphémères
Des mots-papier un peu froissés
Des mots-velours doux à l’oreille

Il y a des mots oubliés dont on voudrait se rappeler
Il y a des mots-souvenirs que l’on chérit
Et d’autres qui font mal encore aujourd’hui

Il y a des mots qu’on n’oubliera jamais
Qu’on porte avec soi comme des mots de vie
Dont ceux qui les ont prononcés les ont peut-être oubliés

Il y a des mots-rires pour les jours noirs
Il y a des mots-clowns pour contrer le désespoir
Il y a des mots-amis qui réchauffent l’âme

Il y a des mots terribles qu’on a prononcé un jour
Il y a des mots-colère qu’on regrette trop tard
Il y a des mots-espoir qui font avancer
Il y a des mots qu’on jette et qui vont rester

Il y a des mots qu’on croyait anodins et qui déclenchent des guerres
Il y a des mots-flèches qui ratent leur cible
Il y a des mots-bombes qui explosent très tard

Il y a des mots-musique qu’on pourrait fredonner
Il y a des mots-rêve auxquels s’accrocher
Il y a des mots-couleurs qui égaient le temps

Il y a des mots-silence qui se taisent trop
Il y a des mots-fracas que l’on hurle tout bas
Il y a des mots timides qu’on voudrait courageux

Il y a des mots-bijoux que l’on porte en parure
Il y a des mots-mensonges dont on n’est pas très fier
Il y a des mots-aveux et l’on ne vous croit pas

Il y a des mots-eau qui étanchent nos soifs
Il y a des mots-feu qui embrasent les cœurs
Il y a des mots-foudre qui fracassent à jamais

Il y a des mots-poison que je recrache
Il y a des mots-larmes que je verse
Il y a des mots-baume qui m’apaisent

Il y a des mots que j'écris qui m'aident à marcher
Qui m'aident à courir
Qui m'aident à voler

Il y a des mots d’amour qu’on m’a dits un jour
Mes mots-or
Mon trésor

mercredi 26 avril 2006

Wash Bar, un soir

- Vous êtes au courant : il paraît qu'Elle arrête ?!

- Non, c’est pas vrai ?!!! Mais c’est pas possible !!! Pas Elle !!!

- Moi je dis que c’est des conneries, un canular, j’en suis sûr…

- Ouais, ouais… Tu l’as lu son billet d’adieu, ça ne trompe pas, ça… C’est un peu normal après tout ce temps, un ras-le-bol, ça arrive à tout le monde… Tiens, toi Bixiou, pas plus tard que ces derniers temps… Et même Dracula !

- Mais pas à Elle, quand même ! Il y a d’autres enjeux… Elle ne peut pas nous laisser comme ça ! J’ai même pas encore assimilé la nouvelle recette de clafoutis !

- Et l’opéra, moi j’avais envie d’aller à l’opéra encore ! Merde, Elle est bien la seule personne au monde qui peut se vanter de m’avoir fait lever à 6 plombes du mat’ pour aller chercher des billets de concert !!!

- C’est trop affreux… Quand je pense que je venais à peine de la mettre dans l’album « Couettes »…

- Ouais, c’est de la lâcheté, moi je dis ! Et « l’Hôtel » ? Et le « Ping Pong » ? Elle s’en fout du Ping-Pong ? On peut tous crever, alors !

- Moi j’avais bien vu au dernier Paris-Carnet qu’elle avait pas l’air dans son assiette…

- C’est vrai ça... Vous vous rappelez de son pull « South Park » ?…

- Ah, j’aimais bien le pull South Park, moi, c’était rigolo.

- Oui, et bien tu peux m’en croire, quelquefois on met des pulls rigolos spécialement parce qu’on n’a pas très envie de rigoler ! Ha, ha, on me la fait pas à moi, foi de Colomba ! Une Fée ! Avec un pull South Park !

- Qu’est-ce qu’on fait ?

- Ben rien, qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ?... Elle est libre.

- …

- … (soupir)

- …

- Bilbo, tu dis rien…

- Bilbo... tu pleures ?...

Alain Bachellier

Ceci est ma participation au Dyptique d'Akynou (et un clin d'oeil amical à Kozlika dont je jalouse fichtrement le pull South Park, voilà ;-)) sur une photo d'Alain Bachellier.

mardi 25 avril 2006

Un café parisien, un rendez-vous...

Dans ce décor de café parisien, une petite histoire est née. Une fiction.
Je voulais garder un mystère sur les protagonistes : Homme et femme ? Femme et homme ? Hommes ? Femmes ? Je ne sais si j'y ai totalement réussi, mais peu importe... J'aurais presque pu "caler" ce texte sur la photo proposée au nouveau Dyptique de Racontars, mais je l'ai écrit avant alors je ne vais pas tricher, promis Akynou !


Je suis en avance. Une demi-heure avant notre rendez-vous, pour avoir le temps de me préparer, me faire encore un peu à l’idée ; pour choisir une table, « notre » table si elle existe encore. Si le lieu n’a pas été rasé, racheté ou transformé. Il y a si longtemps que nous l'avons déserté. Une chance de retrouver ce vieux café intact, et pas un Mac Do ou un épicier chinois à la place….

Je balaie l’endroit du regard, reconnais les lieux : le vieux bar marron qui serpente autour d’un pilier de métal où s’accrochent les ivrognes en fin de nuit, le carrelage bleu passé et un peu crasseux des murs, le mannequin doré sans bras qui se regarde dans un miroir et dont personne n’a jamais bien su qui l’avait posé là.

Il y a une table libre là-bas, dans le coin opposé à la porte. Ce n’est pas notre table d’autrefois, mais après tout, je n’y tiens pas tant que ça. Je me glisse sur la banquette ponctuée de trous de cigarettes encore un peu plus nombreux que dans mon souvenir. De là, je vois la porte, le trottoir et même le coin de la rue, où je sais que la silhouette familière et attendue va se dessiner dans quelques instants.

Le vieux serveur que nous aimions bien, et dont tous les clients étaient un peu les enfants, a sans doute disparu depuis longtemps. Celui à qui je commande mon demi est jeune et maussade. Il essuie la table d’un coup de torchon mouillé, sans un mot, à peine un regard, avant d’y poser le verre empli d’or et de mousse.

L’heure est calme, un bruissement feutré de conversations flotte dans l’air et l’on dirait presque que le bar entier retient son souffle, dans la même attente que moi. Je ne suis pas fébrile. Il n’y a aucune inquiétude perceptible dans mes gestes, seulement une petite boule étrange et lourde au creux de l’estomac. Rien de grave.

J’ai juste le temps de me poser, mais pas trop. De digérer doucement l’idée que dans quelques instants, nous allons être là, deux, autour d’une table, à parler. Comme avant. Comme il y a si longtemps…... Cinq ans, c’est vite passé…. C’est une éternité.

Depuis quelques jours, j’essaie de ne pas trop y penser. Depuis ce coup de fil inattendu : « Bonjour… tu vas bien… je suis de passage… on pourrait se voir ? Le café de la rue Müller… tu te souviens, bien sûr ?… Tu n’y vas plus ?… ». Le timbre gai de sa voix dans le téléphone. Et cette drôle de petite boule qui s’installe, pas désagréable, non, juste un peu inconfortable.

J’ai dit oui et je suis là. Je bois lentement, et je scrute le trottoir, dans l’attente de… ça y est, un imperméable clair a passé le coin de la rue, voltigeant au rythme de sa démarche saccadée que je reconnaîtrais entre mille, et dans mille ans encore…. Et sa mèche au reflet feu, tombant sur ses yeux tout plissés de sourire parce qu’ils ont attrapé mon reflet dans le miroir en franchissant la porte. C’est comme un vent frais qui envahit le café, éclaircit la lumière. Sa main légère et amicale sur mon épaule, son baiser sur ma joue, et ce parfum jamais oublié qui ne sort d’aucun flacon, qui est le sien, tout simplement.

Nous sommes face à face, banquette moleskine, vieille chaise usée. Nous nous regardons et nous avons envie de rire. Ma petite boule s’est envolée comme par magie, soufflée au loin par ses premières paroles et son rire clair. Sa voix à l’accent chantant commande comme autrefois un « Perrier doré », et bien sûr comme autrefois, le serveur ne comprend pas. Alors c’est moi qui explique : c’est comme ça qu’on appelle le Perrier-rondelle, là-bas dans son pays, à cause du rond jaune du soleil, semblable à une tranche de citron. J’ai des milliers de Perrier dorés dans la mémoire, et les bulles crépitantes viennent se ranger auprès de mon demi. Comme avant.

On se raconte. On se dit « Tu te souviens de… ». On se coupe la parole en riant et l’on s’écoute intensément sans se quitter du regard. J’ai l’impression que ses yeux sont encore plus bleus. Il y a quelques fils blancs dans ses cheveux, quelques rides de plus peut-être au coin de ses yeux mais à peine. Et je connais par cœur l’histoire de cette petite cicatrice presque invisible, là, à la racine des cheveux. Je l’ai embrassée si souvent.

Il y a tant de questions à poser, tant de réponses à écouter, et tout ce qui n’est pas dit à imaginer. On se connaît si bien. Les mots viennent tout seuls. Comme si les derniers étaient hier. Comme si le dialogue n’avait jamais été rompu. Comme si ce n’étaient pas que nos ombres qui hantent ce café depuis cinq années. Des ombres aux doigts emmêlés au-dessus de la table. Des ombres renversant des Perrier dorés pour mieux s’embrasser.

Je pense aux gestes d’autrefois. Je regarde mes mains, les siennes. J’aimerais retrouver leur chaleur perdue. Je regrette de les avoir tant caressées sans même y penser. Je ne savais pas alors qu’elles étaient si précieuses.

Le temps passe comme l’éclair. Par-dessus son épaule, je vois les aiguilles folles de la montre sur le mur tourner, tourner, tourner sans fin. Les couleurs changent, le jour avance, la lumière baisse. D’autres verres sont venus remplacer les premiers et sont déjà vidés. Ne restent qu’une écume de mousse, un reste de citron échoué. Je retiens mon souffle en espérant retenir les minutes aussi. C’est bientôt fini. Un sursaut en regardant sa montre « Il faut vraiment que j’y aille ». A nouveau sa bouche tendre sur ma joue. Son bras qui m’enlace et me serre un peu. « C’était bon de te revoir ». Son sourire encore. Un clin d’œil et puis la porte qui se referme sur un imperméable clair. Une porte qui claque et m’envoie directement sur le cœur une boule énorme et qui pèsera pour un moment.

Je vais rester un peu. Le café s’est assombri. Je ne viendrai plus ici.

Je commande une dernière bière. Non, tiens, un Perrier.

- Rondelle ?
- Oui, s’il vous plaît.

dimanche 23 avril 2006

Un café parisien, une heure, un dimanche

Il y a des éclats de voix. Des langues différentes qui se télescopent et se mélangent avec brusquerie à la voix du chanteur de raï diffusée, comme avec un voile, par le haut-parleur caché derrière une bouteille de Suze à l’envers. On est dimanche, il est trois heures de l’après-midi et les corps sont fatigués. Les voix aussi. Sur les tables, il y a surtout du café et encore quelques croissants. A ma droite, on s’est couché à 3 heures du matin ; à ma gauche à 6 heures et demie à ce qu’on dit.

Les cigarettes sont amères et les volutes de fumée voyagent et se répercutent entre miroirs et vitres, sculptées par un rayon de soleil intermittent.

Il y a quelques barres de néon bleues et vertes, vives et inutiles, oubliées sans doute de la nuit d’avant.

La mosaïque du sol est fissurée par endroits et l’on y écrase ses mégots. Certains ont l’air d’être là depuis toujours, petits fossiles coincés entre les triangles de céramiques bleus, jaunes ou rouges. On les exhumera un jour peut-être, à moins qu’ils ne disparaissent sous d’autres plus vivants, encore crépitants et fumants.

Un homme assis au bar interrompt parfois la lecture d’un roman pour fixer rêveusement la pancarte maladroite qui annonce que le café passe à un tarif supérieur après vingt heures. Il s’y replonge ensuite. L’a-t-il seulement vue ?

Sur la terrasse, on regarde la rue. Dans la salle, on regarde la terrasse. Qui regarde la salle ?

Une fille, très jeune, blottie sur la banquette du fond, croque sans presque faire de gestes les autres consommateurs avec des pastels gras. Son œil est vif, ses gestes courts et précis, sa concentration sans faille. Elle a un petit rire parfois quand un de ses sujets demande à se voir. Elle dessine les gens et moi je l’écris, elle.

Le bar est en S, blanc et marron, et ponctué d’un pilier de métal. La croqueuse a pris un pastel plus foncé pour le représenter. Derrière, il y a un, ou deux, parfois trois hommes qui se relaient, s’échangent, valsent au gré des commandes, des tables à servir ou à débarrasser. Ils ont des visages bleu-néon et des torchons sur l’épaule.

Des boules de Noël pendent encore du plafond sale, elles frémissent parfois ou se balancent doucement dans l’axe de la porte restée ouverte.

Un calendrier coincé sur une étagère, derrière des chopes géantes en verre, indique qu’on est en 2006. Sans lui, on pourrait être n’importe quand, hier, demain ou il y a dix ans. Il y a un vieux tarif des consommations, accroché par une chaîne presque rouillée sur le carrelage bleu passé du fond du bar, qui a oublié de passer en euros ! Sans doute l'a-t-on laissé là pour ne pas dévoiler derrière lui un rectangle plus clair, seul souvenir du grog à 20 francs et du Diabolo à 11 francs. Combien vaut un Viandox en euros ?

Le soleil tombe juste sur l’ovale bleu et rouge de la Licence IV sur la vitre. Bientôt il passera à côté, traversera peut-être les affiches scotchées ici et là , éblouira le jeune homme aux cheveux longs ou bien la fille au T-shirt blanc qui a l’air amoureuse de l’homme en face d’elle dont je ne vois que le dos.

Tiens, un mannequin doré sans bras m’espionne dans le miroir, sans en avoir l’air. Il est sûrement là depuis une éternité et a l’air de s’ennuyer.

Sur le bar, un des valseurs vient de poser un verre empli de rose, qui a sûrement un goût d’enfance. D’autres breuvages pétillent ou se taisent, transparents et bêtes.

Le distributeur de bière, à sept manettes comme un chandelier païen, pleure joyeusement sa mousse et son or.

Les valseurs doivent avoir peur du silence. Ils haussent le son et poussent la voix du chanteur quand le café se vide un peu. Peur du silence. On a alors l’impression que s’accélèrent tous les rythmes : le chuintement de la machine à café, l’eau qui coule de l’évier caché, le tintement des verres qui s’entrechoquent alors qu’on les range comme des petits soldats à la parade.

Les banquettes gardent des traces rondes de brûlures. Le vernis des tables s’est écaillé sous des milliers de verres. Il y a ici des souvenirs de disputes ou de rencontres. Des traces invisibles à l’œil nu d’amitiés ébauchées et de cuites qui ont dû finir dans le caniveau tout proche. Ici ou là, sur cette chaise fatiguée devant moi, quelqu’un a déclaré son amour, un autre est venu faire une pause dans une vie chaotique.

Une vieille dame ouvre sa fenêtre dans l’immeuble d’en face. Nos regards se croisent-ils ? Elle ferme ses volets. Il est quatre heures.

samedi 1 avril 2006

Zanzibar

Je me sens incroyablement feignante, ce matin. Week-end paresseux en perspective. Envie de mettre un billet en ligne, mais pas beaucoup d'écrire. Alors je pioche dans mes archives. Voilà, c'est comme ça !

Il y a quelques temps déjà, nous avions organisé un petit atelier d'écriture amical, avec une amie. Nous étions cinq ou six à nous retrouver régulièrement, en général le soir chez l'un ou chez l'autre. L'un amenait des trucs à grignoter, l'autre une bouteille, une troisième un gâteau, c'était très convivial, très gai. On a même mis un terme à l'atelier parce qu'on était tellement tous bons vivants qu'on passait plus de temps à déguster les mets confectionnés par les uns, les vins apportés par les autres, qu'à vraiment écrire. D'ailleurs, on arrivait difficilement à trouver un coin de table pour ça !

Mais il y a eu quand même beaucoup de moments d'écriture et de vrai plaisir de partager nos textes écrits sur les mêmes thèmes ou avec des contraintes diverses. Mon exercice préféré était celui qui nous voyait écrire sur de petits bouts de papier un nom de personnage, un lieu, un objet, une action (un verbe)... Nous faisions de petits tas de ces papiers et nous piochions au hasard dans chaque tas. Avec tous ces mots rassemblés, il fallait bâtir une histoire. J'aimais la façon dont les récits les plus insolites naissaient à partir de mots auxquels on ne pensait pas quelques minutes auparavant.

Je vous livre ici un texte écrit à partir des éléments suivants (et que personne ne se prive de participer à l'exercice après coup, si le coeur vous en dit, après tout) :

personnage : une vieille personne

objets (on avait tiré plusieurs papiers) : une bonbonnière, un crayon, une horloge, une bouteille

actions : jouir, creuser

lieu : Zanzibar


Elle n’avait pas plus de 13 ans la première fois que je l’ai vue. Son père était le nouvel instituteur du village et nous occupions la maison voisine de l’école. J’aidais mon père à creuser un puits dans le jardin, et chaque coup de pioche me faisait transpirer un peu plus en cette chaude journée de fin d’été. C’est en me redressant pour boire que je la vis qui m’observait par-dessus la clôture. J’avais 18 ans, j’étais grand et fort, mais elle ne semblait pas impressionnée, juste curieuse. Et grave. Et c’est moi qui me sentis un peu intimidé par ce regard.

- Bonjour, dit-elle, comment il s’appelle ?

De la pointe du menton, elle désignait le vieux chien roux qui haletait à l’ombre d’un noisetier en la regardant, mais ne s’approchait pas pour ne pas quitter l’ombre.

- Zigomar, dis-je, un peu honteux tout à coup de ce nom que j’avais trouvé drôle.

- Zigomar, répéta-t-elle, et je me rendis compte qu’elle avait prononcé le z avec un léger et étrange zézaiement, que je trouvais immédiatement délicieux.

- J’aime bien les chiens, dit-elle, et elle s’éloigna avec une ombre de sourire.

A dater de ce jour, tous les chiens que j’ai eu ont porté des noms qui commençaient par Z, parce que j’aimais tellement l’entendre les appeler. Zigomar mourut peu après et fut remplacé par Zéphyr, un bâtard d’épagneul un peu fou qui se jeta dans un ravin invisible un jour de neige. Elle pleura beaucoup, et se consola quand je lui présentais Zouave, un chiot plein de plis qui fut bientôt trop gros pour qu’elle puisse le porter dans ses bras.

Quand je dus partir à la guerre, je le lui confiai. Ils me regardèrent m’éloigner, tous les deux, sa main fine posée sur la tête de la grosse bête. J’étais un peu rassuré, je ne voulais pas la laisser seule, sans protection.

Quand je revins, elle avait grandi, et son regard était plus triste. Les quatre années passées l’avaient vue pleurer sur bien d’autres morts que celle d’un chien. Moi, j’étais un survivant. Mais je ne crois pas que c’est pour cela qu’elle accepta de m’épouser. Pourtant, combien de filles dans ces années-là prirent pour époux « ceux qui restaient », sans goût et sans amour, juste pour ne pas rester filles.

Non, je crois bien qu’elle m’aimait aussi et que c’est pour cela qu’elle accepta, même si elle ne me le dît pas. Elle était même moins grave, presque gaie parfois. J’entends encore son rire clair le jour de notre mariage quand elle contemplait, ravie, les cadeaux étalés sur la grande table en bois de la cuisine.

- Regarde, disait-elle, regarde comme c’est beau ! Regarde, il y a tout, des assiettes et des verres, et des plats ! Oh c’est si beau !

Avec son adorable petit zézaiement, elle disait à Zouave de s’en aller de là, d’éloigner sa grosse truffe et sa queue battante de ces merveilles. Il y avait ce petit paquet dans un coin qu’elle n’avait pas encore ouvert. Elle défit le ruban avec gourmandise et resta muette de plaisir devant la porcelaine fragile ornée d’une scène champêtre avec un couple d’amoureux délicatement peints dans des couleurs nacrées.

- Oh regarde, regarde, répétait-elle, elle est si belle. Je la garderai toujours près de nous……

Cette petite bonbonnière, je ne me souviens plus du tout qui nous l’avait offerte, peut-être même ne l’ai-je jamais su. Mais elle a fait partie de notre paysage quotidien chaque jour de notre vie, posée sur la table de chevet au pied de notre lit. Elle y cachait ses trésors, quelques bijoux, une mèche de cheveux de notre fils liée d’un ruban bleu, un bouton de rose séché….

Quand j’ai appelé le nouveau chiot Zanzibar, elle prit un air offusqué :

- Quand même, deux Z dans le même nom, tu exagères ! avant d’éclater de rire et de le serrer contre elle. C’est vrai qu’elle les aimait.

Elle avait été voir dans le dictionnaire où c’était, Zanzibar. Elle aimait prononcer ce nom de sa drôle de façon. Elle avait même trouvé une grande carte de l’Afrique dans les affaires héritées de son père l’instituteur et l’avait accrochée sur un mur de la cuisine. Elle avait entouré l’île au crayon sous les yeux perplexes du chiot Zanzibar assis de travers sur son derrière.

- Tu vois, c’est toi, lui disait-elle très sérieusement. Et tu sais, peut-être qu’on ira là-bas un jour.

Zanzibar devint notre Amérique, notre rêve de plus tard. Un pays magique, peut-être aussi imaginaire que l’Atlantide, mais qu’importe. Le soir, à la seule lueur de la cheminée, pendant de longues heures ponctuées par les « dong » sonores de la vieille horloge, je lui racontais sans fin des histoires de Zanzibar, et je voyais le plaisir et le feu se refléter dans ses yeux. Alors j’en rajoutais : j’y mettais des fleurs de toutes les couleurs, des plages de sable couleur de crème et la mer bleue ou verte selon les saisons, avec des petits noirs en pagne qui se baignaient dedans et y pêchaient des poissons inventés pour l’occasion. Et elle qui n’avait jamais vu la mer, elle fermait les yeux et je savais qu’elle jouissait de chaque grain de sable et de chaque pétale de ces fleurs-là.

Bien sûr on n’est jamais allés à Zanzibar, sauf à notre façon. Et je crois que c’est celle que j’ai préféré. De toute façon j’aime pas bien la chaleur, même maintenant.

Depuis qu’elle n’est plus là, j’ai eu encore deux autres chiens Zanzibar. Je ne peux plus les appeler autrement. Le troisième est à mes côtés. Il commence à se faire bien vieux lui aussi, mais il écoute mes histoires sans broncher. Même les soirs où il m’arrive d’abuser un peu de la bouteille parce qu’elle me manque toujours.

La bonbonnière est toujours à sa place ; j’y ai mis nos deux alliances, la sienne devenue inutile et la mienne trop grande désormais pour mes doigts décharnés.

Depuis quelques jours, j’ai arrêté le balancier de l’horloge. Le temps ne signifie plus grand chose. Et je sais qu’il ne va pas tarder à s’arrêter définitivement. Ce serait bien que Zanzibar et moi on parte en même temps. Ça m’ennuierait de le laisser tout seul.


Pendant que j'écrivais ce texte, j'avais pensé à ma grand-mère, dont je n'étais pas très proche, et dont je n'ai appris qu'après sa mort qu'elle avait perdu son fiancé à la guerre de 14, quand elle avait 18 ans. C'est ma mère qui m'avait rapporté cette phrase amère et terrible qu'elle avait dite à ses belles-filles (avec qui elle n'était pas très sympa, je crois) : "Vous, vous avez pu choisir vos maris. Nous, après la guerre, on a pris ceux qui restaient."

Alors, tiens, Jeanne, ce texte est pour toi aujourd'hui...

dimanche 27 novembre 2005

Euh... une araignée ?

Ceci est ma participation au Dyptique 6 d'Akynou, sur une photo de Musicorso.

Araignée

Non, mais je déconnais, moi !….. Après, comme ils avaient tous l’air vachement enthousiastes, j’ai fermé ma gueule, j’ai accepté les félicitations, d’un air modeste, ou presque. En plus, Godard avait l’air incroyablement vexé et furieux qu’on ait refusé SON idée à lui, et me fusillait du regard, alors je n’allais pas me priver de ce plaisir-là.

C’était quand ? Il y a un an maintenant, une réunion tard le soir, le maire était de super mauvais poil. La commune d’à-côté, plus petite que la nôtre, venait de faire la une d’un journal NATIONAL à cause d’une fontaine high-tech en forme de nuage, je crois, bricolée par je-ne-sais-quel architecte japonais, chouchou des magazines internationaux de design et en passe de devenir aussi célèbre qu’Andy Warhol dans sa partie….

Le maire voulait qu’on lui trouve une idée « fracassante » pour mettre notre commune à nous à la une des journaux du monde entier. Une sorte de Guggenheim de Bilbao, mais pas avec le même budget, quand même. Alors on a planché toute la soirée. Les idées fusaient, toutes plus insensées les unes que les autres :

« Une fontaine encore plus grande ? », a suggéré Chabrol (pas étonnant, il dit toujours des conneries), le maire l’a fusillé du regard, il s’est recroquevillé dans son coin, comme d’habitude, on ne l’a plus entendu.

« Une statue de Philomène ? » a lancé Renoir. Philomène ! La poétesse locale, qui a pondu un milliard au moins de vers insipides sur la faune et la flore du département, même qu’on oblige les pauvres mômes des écoles communales à en apprendre quelques centaines à l’école primaire. Sa notoriété n’a, Dieu merci, pas dépassé les limites du canton. N’importe quoi !

« Une cathédrale ? » a dit rêveusement Truffaut, qui avait apparemment oublié que notre maire est un vieux mécréant qui bouffe du curé autant qu’il le peut et fait de la résistance passive chaque fois qu’on lui réclame des sous pour réparer la toiture de l’église. Alors, une cathédrale !

« Une horloge monumentale qui compte les secondes jusqu’en l’an 3000 » a sorti Lelouch, qui ne doute de rien….

« Vous êtes tous des cons !!! » a tonné le maire, et tout le monde s’est affaissé d’un cran. “Bordel de merde ! Y’en a pas un qui va avoir une VRAIE idée !!! Un truc moderne, d’avant-garde, surprenant, qui mettra les gens sur le cul, qui nous amènera la presse, des touristes du monde entier, de la NO-TO-RIÉ-TÉ, Bordel de Dieu !!!!! (notre maire est parfois grossier quand il est en colère).

« Un vaisseau spatial stylisé avec un message de bienvenue pour d’éventuels extra-terrestres » a donc énoncé ce con de Godard.

Le maire a levé un sourcil intéressé. « Oui, un vaisseau spatial, pas mal…. Pas mal du tout…. ». Godard s’est rengorgé, tout fier, cet abruti.

Moi, je dois avouer, je suivais les « débats » plus que distraitement. J’étais planqué derrière le gros Besson, bien au chaud à côté du radiateur, en train de me dire qu’à ce train-là, ma femme ne m’attendrait peut-être pas pour le dîner et que l’autre excité qui nous servait de maire avait vraiment une araignée au plafond pour nous convoquer à une heure pareille pour discuter de sujets aussi débiles et inutiles.

J’en étais là de mes réflexions quand il m’a chopé soudainement, d’une voix tonitruante :

« Becker ! Ça ne vous intéresse pas ce qu’on raconte ?! J’attends vos suggestions !!!! »

Je me suis redressé en sursaut. J’ai vu son œil noir, le regard narquois de Godard, et j’ai dit le premier truc que j’avais en-tête à ce moment-là :

« Euh…. Une araignée… ».

Le maire a eu l’air effaré. Godard a commencé à ricaner.

« Euh…géante…. Une araignée géante ?…. »

Le maire m’a regardé un moment, muet de stupeur. Et puis il a éclaté de rire, son rire formidable à faire trembler les murs et de peur le petit Audiard, son adjoint. Godard l’a imité, bien sûr, mais son rire s’est bientôt étranglé quand le maire a brusquement déplacé sa grande carcasse pour venir jusqu’à moi et me serrer (me broyer serait plus juste) dans ses bras. Il m’a plaqué ensuite un violent baiser sur chaque joue. Je ne pouvais plus bouger.

« Ah Becker, Becker, vous êtes bien le plus doué d’entre nous !!! Une araignée géante, quelle trouvaille !! C’est exactement ça qu’il nous faut. En plein sur la grand-place. On ne parlera que de nous ! Vous êtes formidable ! Je vous charge du dossier ! Bravo ! »

Résultat des courses, ça fait un an que je bûche sur cette idée à la con. Et qu’elle a vu le jour…. Depuis un mois, nous avons donc cette saloperie en plein centre ville. Grâce à moi ! Autant vous dire que je ne m’en vante pas. Le jour de l’inauguration, je faisais pour le moins profil bas. Qu’est-ce qu’on n’a pas entendu : « C’est là-dedans que passent nos impôts ?! C’est un scandale ! ». Les petites vieilles avec leur cabas ont peur de passer en-dessous. Les chiens,en revanche, adorent lever la patte sur une des huit du monstre….. Nous allons être la risée du monde entier. L’autre va me tuer.

.........

Hier, le Musée d’Art Moderne de New York a appelé. Ils veulent envoyer quelqu’un pour prendre des photos de la bête….

vendredi 18 novembre 2005

Anniversaire

Ceci est ma participation à la session 5 du Dyptique d'Akynou, d'après une photo de Tatou :


Dyptique5

J’avais dit que je n’irais plus…. Et me revoilà, comme tous les ans, de plus en plus clopin-clopant… Ça devient vraiment ridicule cette histoire, cette fichue tradition ! Cela fait combien de temps maintenant ? Quarante ans bientôt !

Nous sommes moins nombreuses chaque année. Petite armée bientôt décimée. L’année dernière, la grande Suzy est venue en fauteuil roulant. En fauteuil roulant ! Ah, il doit bien rigoler là-haut de nous voir toutes là, années après années, de plus en plus ridées, de plus en plus diminuées, malades, grises, sans formes, vieilles, mortes !

Il nous a toutes aimées, un peu, beaucoup, passionnément ou en passant. Il a connu chacune d’entre nous intimement. A caressé nos peaux qui étaient douces, a respiré nos parfums de femmes-fleurs fraiches alors, a enroulé nos cheveux noirs, blonds ou roux autour de ses doigts joueurs. Il a plié nos corps souples, fermes, ronds, sucrés, blancs ou bruns. Nous avons toutes joué avec lui le jeu de la séduction, mutines ou lointaines, entreprenantes ou timides. Il nous a toutes séduites. Nous l’avons toutes aimé. Nous avons toutes souffert par lui, de le partager, de son abandon, du jeu que nous étions parfois pour lui. De son envol pour ailleurs enfin.

Qui a eu cette idée folle ? Sa femme, bien sûr. Elle seule était assez insensée pour ça. Pour l’épouser. Pour vivre cette attente sans fin, insupportable et délicieuse, sans doute. Et pour décider, lui parti, que nous serions toutes là, les maîtresses et l’épouse, dans une église, pour penser à lui et célébrer sa mémoire, comme on dit, une fois par an. Voilà.

Je crois que certaines d’entre nous n’avaient jamais mis les pieds dans une église avant ça. Est-ce que lui y allait tant que ça ? Finalement tout cela est assez ironique, incongru, saugrenu, et digne d’un énorme éclat de rire. Je crois entendre le sien.

J’y vais, cette année encore, clopin-clopant. L’année prochaine…


Ce texte m'a été - très librement - inspiré par cette "anecdote" qui m'avait tant étonnée : chaque année, les maîtresses (une trentaine) et l'épouse légitime de l'écrivain Pascal Jardin, mort en 1980, se réunissent pour une messe à sa mémoire en l'église Sainte Clotilde à Paris.

mercredi 16 novembre 2005

Dégoussaillons !

Devinez un peu quel est le thème de la semaine sur Coïtus Impromptus ?!......


"Mais ma pauvre fille, tu dégoussailles complètement !!!"

Il a osé me dire ça, à moi ! Excédé, il était, je le conçois, mais il y a des limites à ce qu’on peut dire à une dame, quand même ! Dégoussailler ? Moi ?! Mais il me prend pour qui, à la fin !

J’aurais pas dû m’énerver, je le reconnais, mais quand même : dégoussailler…. Je ne sais pas si vous vous rendez compte, ça, on ne me l’avait encore jamais sorti, même ma sœur au cœur de nos pires peignées d’adolescentes, c’est pour dire ! Alors j’ai vu rouge, j’avoue :

"Je dégoussaille ???! Je dégoussaille !!!! Non, mais ça va pas ! C’est toi qui va dégoussailler pour quelque chose, mon pauvre ami !!!"

Et bing, le coup était parti.

J’aurais pas dû. Je sais.

Mais bon, son œil est déjà beaucoup moins violet.

Et puis, au fond, il l’a pas volé.

mercredi 9 novembre 2005

J'irai pas

Ceci est ma participation au Dyptique 4 d'Akynou, l'illustration de cette oeuvre de Cali :

Attente

Il ne me voit même pas.

Quand il me regarde, il voit la petite fille qui l’amusait il y a 15 ans et qu’il appelait « Gribouille » parce que j’étais tout le temps décoiffée.

Tout à l’heure, il a passé sa main dans mes cheveux en me grattant la tête comme il le faisait à cette époque-là :
« Gribouille, tu viens nous rejoindre à la plage tout à l’heure. Un peu de soleil ne te fera pas de mal, tu es blanche comme un lavabo ! »

Et sa pétasse du moment, blonde, bronzée, délurée, potelée – bref, tout le contraire de moi – de rire bêtement, et de me dire : « A tout à l’heure, Gribouille, mets de la crème ! »

J’ai lissé ma frange et je l’ai reprise plutôt sèchement : « Je ne m’appelle pas Gribouille. Je m’appelle Frédérique. »

Il a ri, lui a entouré les épaules de son grand bras, et ils sont partis sans plus s’occuper de moi.

Je m’en fiche. J’irai pas.

Tout le monde est là-bas. Mes parents, la pétasse, lui, oh lui…. Et aussi son fils qui a dû le rejoindre. Lui, au moins, il me voit. Il ne voit même que moi, son fils. Il est capable de me regarder toute la journée d’un air énamouré, ça fait 20 ans que ça dure. Lui, ça le fait rire, ça l’a toujours fait rire. Depuis qu’on est mômes, il le dit sans arrêt : « Ces deux-là, c’est nos petits fiancés, on va les marier ! ». Il m’emmerde. Ils m’emmerdent tous les deux. Le fiston qui me voit trop et lui, oh lui, qui ne me voit pas, qui ne veut pas me voir, qui fait semblant de ne pas voir.

Si j’avais du courage, je lui dirais. Peut-être qu’il arrêterait de rire. Qu’il me regarderait. Qu’il me verrait ?…

Non, j’irai pas.


vendredi 4 novembre 2005

J'ai un souci...

... Chuis pas très douée en poésie.

Moi, écrire un poème, un vrai ?
En vers, en rimes, un lai ?
Non, non, pas moi !
Tu rêves ou quoi ?
Pourtant j’aimerais ….

Mais j’ai beau essayer,
Depuis tant d’années
Et m’escrimer à rimer
Sur des milliers de feuilles de papier

Rien, rien ne vient,
Pas un quatrain,
Pas un alexandrin
Pas même un refrain
A susurrer dans mon bain

J’te jure
C’est pas mon truc
C’est bien trop dur
Mes vers sont caduques
Je vais droit dans le mur

Alors je triche
Dans l’dico je pêche
J’vise pas la rime riche
Non, mais ma plume reste sèche

Pourtant, ça a l’air facile
Quand c’est Hugo, Nerval
Simple comme un battement de cil
Et hop ! Un « dormeur du val »

Moi, je galère, je sue, je souffre,
J’aligne les mots, je compte, je rature
Dans toutes les impasses je m’engouffre
Des années que ça dure
Au secours, Arthur !

Mais je continue, je persiste
Et je cherche l’inspiration
En mordillant mon crayon
C’est peut-être un tort que j’insiste
Car je vois certains plisser le front
Et penser que si je pondais un poème, un bon
Ce serait vraiment de la science-fiction !

... J'vous avais prévenus.


dimanche 23 octobre 2005

Dis-moi dix mots

Ci-dessous ma contribution au jeu lancé par Kozlika....
Je sais, j'ai encore un léger souci avec ma marge à droite, on s'en occupe, on s'en occupe....


C’est lui qui l’avait surnommée Barbarella. Le film de Vadim venait de sortir et on était tous aller admirer Jane Fonda en petite tenue quelques jours auparavant. Il l’avait apostrophée comme ça dans la cour, bien fort devant toute sa bande « Tiens, voilà Barbarella ! ». Elle avait rougi. Et trébuché. Puis s’était sauvée maladroitement, poursuivie par les rires. Cruels. Aujourd’hui, j’ai honte de dire que j’avais ri moi aussi.

C’était la fin de l’été, le premier jour de la rentrée, et elle avait gardé ce surnom toute l’année. C’est drôle, je ne me souviens même plus de son vrai nom….

Lui c’était la star du lycée, celui dont toutes les filles étaient amoureuses, elle aussi peut-être. Grand, beau, encore bronzé ce jour-là, avec une façon très étudiée de rejeter en arrière la mèche de cheveux qui lui retombait toujours sur le front. On était en 68 et il avait été le premier à laisser pousser ses cheveux noirs, juste pour jouer les provocateurs de cour de récré et asseoir un peu plus son autorité sur nous par cette audace, que beaucoup d’autres allaient suivre un peu plus tard. Les jours où il était de bonne humeur étaient ceux où il exerçait le plus volontiers sa cruauté à l’égard des quelques souffre-douleurs qu’il s’était choisi, et Barbarella était sa « préférée » parmi ceux-là.

Elle n’était peut-être pas la moins jolie des filles de l’école, mais certainement la moins apte à se défendre : maladroite, disgracieuse, rougissante, la tête perpétuellement inclinée vers le sol pour éviter les regards. Un peu trop grosse, mal fagotée, elle était la risée des cours de gym et de l’école en général, incapable qu’elle était de parler à qui que ce soit sans bafouiller, rongée par une timidité hors du commun. Je me souviens qu’elle portait en permanence des gants blancs, à la manière d’une communiante ; elle avait avoué un jour être obligée de les porter pour protéger ses mains sujettes à toutes sortes d'allergies, et cela ne faisait que contribuer aux moqueries qu’elle subissait…

A la fin de cette année-là, nous avons tous quitté le lycée et nous sommes dispersés. Je suis parti à Paris et me suis fait de nouveaux amis. D’après ce que je sais, notre star du lycée est devenu hippie et est parti vivre en Inde dans les années 70. Ou au Népal, je ne sais plus.

J’ai revu Barbarella l’autre jour. J’étais dans une file d’attente pour entrer au cinéma. Il pleuvait. Elle s’était abritée sous le porche, adossée à une affiche de « Wallace et Gromit ». De là où j’étais, on aurait dit que Wallace la regardait et jouait de son drôle de petit accordéon-rance juste pour elle. Je l’ai reconnue tout de suite, pourtant elle avait la tête haute. Trente ans plus tard, je l’ai trouvée mince et plutôt belle. Elle tenait entre ses mains nues une paire de gants en laine. Un homme grand s’est approché d’elle et elle a souri. Je me suis dit qu’autrefois, je ne l’avais jamais vue sourire. L’homme l’a embrassée et ils se sont éloignés tous les deux.