23 décembre*

L’air est pur et froid. Pas un souffle de vent. Soleil de décembre. La mer est turquoise, et verte, et d’un bleu ondulant. La petite digue qui serpente entre les rochers, là au bout de la plage aux cabines de bois blanches, a souffert de la tempête d’il y a quinze jours. Les fissures sont devenues entailles. Les entailles sont devenues gouffres. Quelques bouts de la chaussée de béton sont allés rejoindre les rochers en contrebas. J’enjambe les espaces manquants. Elle sera reconstruite, détruite encore bien des fois, intruse construite par l’homme pour l’homme. Les vagues, elles, considèrent qu’elle n’a rien à faire là, sans doute.

La mer est basse et dégage une partie de digue incrustée d’huitres. Je m’avance jusqu’au bout. Au-delà, les rochers. Je continue. Mes vieilles chaussures s’assurent une prise aléatoire sur la pierre mouillée, sur les bouquets de moules à perte de vue. Je saute, m’agrippe, monte et redescend au gré de la roche grise et brune. Souvenir d’enfance « Maman, je peux aller jouer dans les rochers, dis Maman ?! ». On en revenait les pieds et mains blessés, souvent. Alors, on n’avait pas souvent le droit.

Aujourd’hui, j’ai le droit, je vais jouer. Guette du coin de l’œil la mer qui court plus vite que moi. Un moment de cœur battant, peu de temps pour gagner la prochaine plage avant que la marée ait recouvert mon chemin de roche. Trop tard pour faire demi-tour. J’accélère ma course maladroite, bondis sur des arêtes douloureuses, décroche quelques coquillages sans le vouloir en me rattrapant de mes paumes nues. Le grondement des vagues voisines me dit qu’elles tiennent le pari.

Chemin haletant. J’aperçois l’ile un peu plus loin. Derrière cette barrière de rocher, il devrait y avoir la plage. Non, c’est la prochaine. Encore un effort, une faille à contourner, une mare à éviter, un pas glissant à rattraper. Mon genou proteste un peu. C’était plus facile il y a 30 ans.

Enfin, une petite langue de sable souple m’accueille, réconfortante. Derrière, il y a la plage, encore un effort. Je me réfugie entre deux rochers avant de la rejoindre, pour reprendre mon souffle, les pieds léchés par l’eau, déjà. Ma petite langue de sable va disparaître en un clin d’œil, à peine le temps de savourer mon pari gagné.

Je m’étends sur le sable blanc, si fin, froid sous ma main. Mon cœur joue l’air de la chamade. J’ai enlevé manteau, écharpe, fermé les yeux. Je sais encore le ciel si bleu derrière mes paupières closes.

Retour apaisé vers la maison de pierre, où se prépare un Noël tranquille. Je croise mon père sur le chemin, honteux de sa canne sur laquelle il s’appuie le moins qu’il peut. Il me la désigne d’une grimace « Je marche aussi bien sans, tu sais ». J’acquiesce, bien sûr, mais nous nous souvenons silencieusement tous les deux des bleus et contusions spectaculaires de sa dernière mauvaise chute. Je le laisse poursuivre sa promenade lente, qu’il aime solitaire, comme moi.

Sablée jusqu’aux cheveux, les joues piquantes d’air et de soleil d’hiver, je me réconforte de lampées brûlantes et parfumées, « mon » mug enserré entre mes mains à réchauffer. Il manque une cheminée dans cette maison, j’allume quelques bougies, parle cuisine avec ma mère. On ira au marché demain matin pour les dernières courses du réveillon.


"23 décembre" c'est le titre d'une chanson de Beau Dommage que j'aime beaucoup et dont je me suis rendue compte, après avoir choisi ce titre, que je l'avais déjà citée ici, dans un billet d'il y a deux ans, où je donnais d'autre part la recette d'oignons confits que je m'apprête à cuisiner aujourd'hui...

Commentaires

1. Le lundi 24 décembre 2007, 09:17 par Pablo

Nous on est venus à Marseille, la maison familiale de ma compagne est glaciale, pleine d'absences, comme chez ma mère.... On ira voir la mer nous aussi, plus tard dans la journée. Je te souhaite une belle Pleine Lune pour ce soir et t'envoie de grosses bises.

2. Le lundi 24 décembre 2007, 09:55 par Swâmi Petaramesh

Un billet d'une sensibilité aussi délicate qu'à l'accoutumée...

Passe de joyeuses fêtes, Traou :-)

3. Le lundi 24 décembre 2007, 11:38 par luciole

Passe de bonnes fêtes et bon voyage... plein de bises !

4. Le lundi 24 décembre 2007, 12:54 par Chondre

Oui ouiii ouiiiiiii, joyeux Noel et surtout bon voyage (veinarde)

5. Le lundi 24 décembre 2007, 15:40 par François Granger

Tout pareil que les gens au dessus...

Je t'embrasse,

6. Le lundi 24 décembre 2007, 16:01 par lamo

je n'ai pas de site, je n'ai pas de blog, mais je viens en mercenaire, comme une sauvage, depuis plusieurs mois, incognito, glaner la poésie de tes beaux billets. Quel bonheur de savoir saisir et transmettre les "petites" choses de la vie ! tu le fais vraiment très bien, et je continuerai en 2008 à te visiter régulièrement. bonne fêtes et continue à nous faire réagir,rire et rêver...!

7. Le lundi 24 décembre 2007, 19:10 par Traou

Bonne fête de Pleine Lune à toi aussi, cher Pablo. J'aime beaucoup ton habitude de fêter les évènements de la nature plutôt que les fêtes carillonnées...

Joyeuses fêtes avec les tiens, Swâmi ! Et des bises.

Le voyage c'est pour dans quelques jours, Luciole. Peut-être encore un billet avant de partir. Bon Noël à vous trois et bon anniversaire à la Merveille. Bises

Chondre, rendez-vous pour un truithon de non-Noël (c'est comme les non-anniversaires) à mon retour. Je t'embrasse.

François, tout pareil que pour Luciole et la Merveille, baisers à partager.

Lamo, merci de ta visite et de tes mots. Pas besoin de blog pour être la bienvenue (ceci dit, on commence comme ça, et puis un jour... on ouvre le sien. Je dis ça, je dis rien ;-) )

8. Le mardi 25 décembre 2007, 07:39 par Minum

Je suis allée en Inde il y a très longtemps maintenant. Et si j'y retournais j'aurais peur d'être déçue, à tort certainement.

Si tu le veux bien, j'aimerais que tes yeux, ton coeur, nous la racontent comme tu viens de le faire pour tes rochers. J'aimerais savoir si mon amour pour elle peux s'appuyer sur les mêmes choses qu'avant, savoir si le coeur des hommes, des femmes et des enfants reste lui aussi le même malgré les tempêtes, maritimes ou politiques.

Bises Traou, bon voyage !

9. Le mardi 25 décembre 2007, 15:39 par céleste

comme toujours un billet plein de charme, doux et sensible comme une caresse.

tu sais quoi, j'aime beaucoup Beau Dommage moi aussi.

la complainte du phoque en Alasaka "ça ne vaut pas la peine, de quitter ceux qu'on aime pour aller faire tourner des ballons sur son nez..."

j'espère que tu as passé un bon Noël, calme et serein.

et puis, surtout, bon voyage...


						
10. Le mercredi 26 décembre 2007, 21:18 par telle

Traou, je me sens terriblement nostalgique en te lisant ... cette évocation du temps qui passe, de la canne et de la fierté de ton père, des dangereuses glissades de ton enfance, et ce miroir du billet d'il y a deux ans, refaire les mêmes gestes, aimer les mêmes chansons mais être un (tout) petit peu plus vieux quand même.

Et puis, dans les commentaires du "vieux" billet, retrouver le ton d'Anitta et me dire qu'elle me manque...

Je t'embrasse. Merci de prendre le temps de coucher ces mots.

11. Le jeudi 27 décembre 2007, 10:17 par valclair

Tellement joli billet comme toujours!

On y est avec toi dans cette course avec la marée puis dans la paix de la maison chaleureuse comme dans la mélancolie du temps qui passe.

Mais autre chose: figure toi que pour le repas de Noël, mon beau frère avait fait une délicieuse purée d'oignons rouges pour accompagner le rôti de biche. Je lui ai demandé sa recette mais ça c'est un peu noyé dans le brouhaba ambiant et puis j'ai oublié de lui en reparler, et pof, rentré chez moi, qu'est-ce que je trouve, la recette chez Traou d'il y a deux ans! Si c'est pas magique ça!

Très bonne année 2008, qu'elle t'apporte ce que tu souhaites, et puis d'abord, après les embruns bretons, beau soleil indien...