Premiers pas en Inde (Carnet indien 1)

Par où commencer ?.... Euh, le début, ça peut être pas mal, non ?...

Voici d'abord une petite carte que j'espère lisible pour vous expliquer un peu le parcours :

carte

24 décembre, arrivée très tôt le matin à Bombay. Juste le temps de dormir deux trois heures et de faire les boutiques pour trouver des tenues adéquates pour le mariage. Le lendemain, 25 décembre, départ pour Nausari, dans l'état du Gujarat (4 heures de route au nord de Bombay) pour assister au féérique mariage de Jayana et Adjai (orthographe incertaine du deuxième prénom, celui du marié, il faudra que je le vérifie). Ce mariage, c'est sûrement ce que je raconterai en dernier ici. D'abord parce que c'est peut-être ce que j'ai vécu de plus merveilleux et qui nécessitera le plus d'attention de ma part pour ne rien oublier. D'autre part parce que j'attends l'accord de la famille et notamment des jeunes mariés, qui sont encore en voyage de noces, pour publier ici des photos de ces trois jours fabuleux. Ils nous ont réservé un accueil merveilleux et j'aimerais vous montrer les couleurs, les ors, la chaleur de ce mariage tel que je l'ai vécu. Je crois que j'étais comme une petite fille devant un sapin de Noël, perpétuellement émerveillée par la beauté de ces rituels si beaux et si fervents. Et j'ai été si triste de quitter cette famille dont j'ai eu le sentiment qu'elle m'accueillait comme faisant partie des siens.

Retour à Bombay le 29 décembre, juste pour prendre l'avion pour Goa. Goa, c'est un tout petit état où ont débarqué les hippies dans les années 60/70. Trente ans plus tard, les plages qui ont dû être tranquilles autrefois accueillent aujourd'hui des raves techno et des hordes de touristes, surtout entre Noël et le 1er de l'an.... Après 24 heures, j'ai donc pris la fuite et la route de Hampi, à 600 kilomètres de là (12 heures de route), un minuscule village au coeur d'un site archéologique somptueux : une ancienne cité royale abandonnée depuis le 16è siècle. Des dizaines de temples et de vestiges de palais merveilleusement préservés éparpillés au milieu des bananeraies et des cocoteraies... Une splendeur.

Retour à Goa, où je me suis réfugiée au nord de l'état sur une plage enfin tranquille et préservée, Mandrem, où je m'endormais le soir, dans une paillotte sur la plage, en entendant le bruit des vagues....

Retour à Bombay pour une dernière journée avant le retour sur Paris, et me voilà.....


Le début d'un voyage, c'est dans l'avion. A l'aller, cela participe du plaisir, de l'attente, de l'excitation. Au retour, moins, cela paraît d'ailleurs toujours beaucoup plus long...

Le petit écran, sur le dossier du siège devant moi m'indique que nous sommes au dessus de l'Italie, puis du Liban, puis du Koweit... La ligne d'horizon au-dessus des nuages, par le hublot, dessine le ciel du rouge au bleu nuit en un dégradé arc-en-ciel. Une étoile unique est posée là, au bout de l'aile. Sur l'écran toujours, je ne regarde pas les films, mais suit fiévreusement le parcours qui me mène vers l'Inde rêvée, passionnée par notre altitude, la vitesse de l'avion, le temps qui reste avant l'arrivée. Et régulièrement, un schéma qui indique la position d'une mystérieuse Ka'aba par rapport à l'avion. Je mettrai un moment à comprendre qu'il s'agit de La Mecque. Nous sommes sur Koweit Airways...

Ka'aba

Bombay. Arrivée fatiguée. Six heures du matin. Une voiture, une heure de trajet jusqu'à l'hôtel. Fantomatiques, les bidonvilles s'égrènent dès l'aéroport, tôle, bâches, planches, terre, monticules non identifiables, odeur forte qui monte, et déjà tout un monde éveillé, hommes, femmes, enfants. Première impression difficile, apeurée presque. Et parfois, au dessus d'un abri misérable, une étoile de Noël illuminée dans l'aube.

Quelques heures de repos et sortie à la rencontre de la grande ville, en plein jour, en plein soleil. Le premier contact avec Bombay est d'abord sonore : un concert de klaxons incessant qui résonne dans les rues, où s'entrecroisent sans beaucoup de règles taxis, chariots, vélos, voitures, piétons et rickshaws, en tous sens, se frôlant sans cesse. On se demande comment cet enfant a aterri de l'autre côté de la rue sans être écrasé dix fois, comment ce vélo a survécu à l'irruption d'un camion à quelques millimètres de sa roue...

On a beau avoir lu ou entendu des récits de Bombay, avoir envisagé des choses, on ne peut imaginer "ça", je crois. Première impression terrible, choquante. Je me déteste d'être cette touriste riche et repérée comme telle, regardée, sollicitée, qui ne peut que dire non, se protéger, joindre les mains en un salut pour s'excuser de ne pouvoir choisir à qui donner auprès des dizaines de mômes souriants ou tristes, qui quémandent une roupie ou un chapati. Je me sens nulle de faire semblant de ne pas voir le bébé chétif et crasseux dans les bras d'une "grande" soeur haute comme trois pommes, l'enfant mutilé, les moignons divers qui entrent par la vitre du taxi, s'ouvrant comme ils peuvent pour demander la charité. Sous mon nez de petite occidentale bien propre et dotée d'un appareil photo numérique dont le prix les nourrirait tous pendant des mois. Je ne le sortirai pas. Je ne prendrai pas ces photos-là. Je les ai déjà vues, glacées et colorées dans les magazines. C'est drôlement esthétique la misère par National Geographic. Je les ai vues ces femmes en saris colorés et sales accroupies au milieu de tas d'ordures à trier on ne sait quoi, à préparer à manger sur un feu de fortune pour leur famille, les enfants maigrelettes qui portent d'immenses paniers sur leurs têtes, les coolies qui poussent des charrettes trop lourdes, les vieillards édentés allongés sur les trottoirs, le cul-de-jatte qui me propose de voir danser son singe, d'autres qui poussent devant eux une vache ou une chèvre dont on voit les côtes autant qu'à eux... Je vois tout cela, je le regarde incrédule, assaillie dès que je sors du taxi, mal à l'aise, étrangère, oh combien étrangère.... Et le soir, à l'abri dans ma chambre d'hôtel, je me sens un peu.... misérable, même si le mot est bien mal choisi ici.

Le lendemain, en quittant la ville, je suis soulagée, je l'avoue. Quelque part, au dessus du bidonville géant qui couvre tous les alentours de la ville, j'aperçois un immense panneau publicitaire, les piliers qui le soutiennent fichés dans des tas d'immondices sur lesquels jouent des enfant en loques. Et tout en haut, en couleurs, une très jolie indienne souriante vante les mérites d'un crédit immobilier et interroge le passant "Pourquoi n'achèteriez-vous pas votre logement ?!". Et j'ai le coeur serré.

laverie

Commentaires

1. Le mardi 10 janvier 2006, 22:12 par samantdi

Oups...

En tout cas, chapeau pour le récit. Je dois dire que j'étais dans le taxi et que je voyais ces enfants mutilés, ces petits mendiants, tu nous as vraiment amenés avec toi.

2. Le mardi 10 janvier 2006, 22:27 par Anitta

Je suis d'accord avec toi, Traou. Si une photo en dit plus long, parfois, qu'un long discours, il est des occasions où la sensibilité des mots en dit davantage que le grain d'un cliché... Autrement, je savais déjà, bien sûr, que l'Inde était une destination prisée des hippies ; mais j'ignorais que leur quête de spiritualité avait pris les allures d'une telle colonisation ! Et j'attends, le plus patiemment du monde (c'est faux : en vrai, je gratte la terre avec le pied), la suite de ton odyssée et ton récit du mariage... Bisous.

3. Le mardi 10 janvier 2006, 23:06 par Ursun

Ce voyage, c'est ton voyage, et c'est notre quête initiatique à nous, qui te lisons comme on lit un conte de fées, les yeux écarquillés et la bouche bée, au pied d'un fauteuil d'où s'élève une voix douce et chargée d'émotions...

4. Le mardi 10 janvier 2006, 23:13 par en campagne

Oups ... c'est prenant ! et dépaysant bien sûr : tes mots sont délicats et justes. Je me sens encore plus touriste que toi là devant mon ordinateur, le ventre plein et le radiateur qui m'enveloppe dans une douce chaleur ...

5. Le mardi 10 janvier 2006, 23:15 par en campagne

Désolée ! je viens de voir que j'ai eu le même "oups" de sursaut que Samantdi ...

6. Le mercredi 11 janvier 2006, 00:34 par François Granger

"Je ne prendrai pas ces photos-là"

Merci de ton récit !

7. Le mercredi 11 janvier 2006, 08:48 par alice

Un ami qui connait bien l'Inde me disait que ce qui le perturbe le plus est le fait de ne pas pouvoir marcher dans les rues des grandes villes sans être en contact physique avec les gens que l'on croise ou qui vous abordent. En occident, on est peu habitués à être touchés, d'ailleurs on réagit souvent vivement quand quelqu'un nous bouscule...Alors que là-bas, entre la foule compacte et les sollicitations dont font l'objet les touristes, on ne peut l'éviter, la réalité vous "colle" littéralement à la peau, on ne peut se contenter de voir, on est agrippé. Qu'en penses-tu?

8. Le mercredi 11 janvier 2006, 10:07 par Anne

Mon oncle et sa famille ont vécu quelques années à New Delhi et nous ont rapporté des récits qui ressemblaient au tien, entre magie et horreur absolue. Et des photos qu'ils n'ont pas prises.

Merci de partager avec nous, en tout cas.

9. Le mercredi 11 janvier 2006, 11:09 par Cécile

magique traou ... prends ton temps , detaille nous tout ça.. je me regale.

10. Le mercredi 11 janvier 2006, 12:42 par serge

Piégé! Je me suis fait piégé!
Conquis par l'album texte-image que tu viens de nous ouvrir.
Et me voilà, enfin limier, sur les Traoutraces d'une serial kinder...
...Dans l'attente des autres surprises sur le gateau... ;)

11. Le mercredi 11 janvier 2006, 13:54 par Traou

A tous > J'espère vraiment pouvoir effectivement vous emmener un peu avec moi, vous faire partager ce que j'ai vu, entendu, senti (les odeurs ça va être plus difficile, euh, pour certaines, c'est tant mieux... ;-)

En campagne> les "oups" sont autorisés et bienvenus :-)

Anitta > Dans les années 90, la clientèle de Goa a un peu changé : aux hippies (qui sont encore là mais sont partis se réfugier dans des coins plus calmes que les plages principales de Calangute et Baga) ont succédé leurs "petits-enfants" les ravers (ils fument un peu les mêmes trucs). Et parallèlement les agences de voyages ont commencé à proposer cette destination, des hôtels à se construire...etc... provoquant un raz-de-marée de touristes en shorts ! C'est un peu le syndrome "Costa Brava", malheureusement, ou heureusement car beaucoup de gens en vivent...

Alice > En fait, à part les mendiants qui effectivement t'agrippent parfois par le bras, et les enfants qui viennent te serrer la main en te demandant ton nom, il y a assez peu de contacts physiques avec les indiens. J'ai provoqué la stupéfaction dans la famille de la mariée par exemple en embrassant (j'avais demandé l'autorisation avant) la grand-mère tellement je la trouvais adorable !...

12. Le mercredi 11 janvier 2006, 18:33 par coumarine

Merci Traou, pour ton récit à la fois sobre, mais courageux.
Et de plus si bien écrit qu'on s'y croirait
J'attends la suite avec impatience

13. Le mercredi 11 janvier 2006, 20:14 par Erin

L'Inde n'a jamais été une destination de rêve pour moi. Sans doute le climat... Et puis aussi ce décalage entre les pauvres et les nantis. Je ne sais pas comment je pourrais "supporter" ça. Rien que tes mots m'ont énormément boulversés. Perso, ils ont eu bien plus de portée qu'une simple photo.

Malgré tout, j'ai aussi été transportée. Alors c'est sur je reviendrais te lire. J'espère voir un peu de sari aux couleurs chatoyantes, j'adore. Je rêve d'en posséder un. J'étais fascinée lorsque je voyais une voisine dans la cité où j'habitais, enroulée dans son sari si beau et dansant si élégamment.

14. Le jeudi 12 janvier 2006, 10:51 par alice

Oh oui, des saris! La mère de mon voisin en porte toujours, alors que ça doit faire pas loin de soixante-dix ans qu'elle a quitté Pondichéry! Quelle élégance...

15. Le jeudi 12 janvier 2006, 12:23 par Traou

Dans la suite -surtout le mariage - vous verrez plein de saris. C'est un vêtement très beau, élégant, et les indiennes le portent avec une grâce inimitable....

16. Le jeudi 12 janvier 2006, 19:49 par Vroumette

Tu nous a ramené l'esprit de l'Inde, sa beauté mais aussi sa misère. Toute une atmosphère très bien retrancris qui m'ont fait également sentir "misérable" derrière mon ordi. Merci Traou.

17. Le samedi 4 mars 2006, 17:57 par Joël

Je viens de lire ton carnet indien, cela me rappelle beaucoup d'impressions : la pudeur devant la misère, un sentiment étrange d'être le seul «occidental» à l'intérieur d'une foule, les motos surchargées, les écoliers, le thali... J'avais finalement pris très peu de photos (bien moins jolies que les tiennes...) ; dans certaines situations, j'ai aussi préféré garder pour moi certaines images et les voir directement plutôt que par l'intermédiaire du viseur de mon appareil photo.