dimanche 27 juin 2010

Gay Walkyrie

Il y avait hier soir place de la Bastille la rencontre de deux univers contrastés : ce n'est qu'en piétinant dans la foule qui engorgeait les sorties du métro que je me suis souvenue que c'était la Gay Pride à Paris. Moi je rejoignais l'opéra pour assister à "mon" premier Wagner, deuxième volet de l'épopée Der Ring des Nibelungen, dont L'Or du Rhin est le prologue, joué récemment à Bastille et que j'ai bêtement loupé. J'allais donc découvrir La Walkyrie, dont je ne connaissais rien, en fait, hormis, c'est bête je sais... un célèbre vol d'hélicoptères dans "Apocalypse Now".

Et bien voilà, pour faire mentir mon billet précédent, sans doute, j'ai connu hier soir ma première vraie grande émotion d'opéra ! J'avoue pourtant qu'en cette journée ensoleillée, la perspective d'aller m'enfermer 5 heures d'affilée dans une salle de concert, fut-elle aussi prestigieuse que celle de Bastille, ne m'amusait guère. N'ayant par ailleurs jusqu'à présent jamais connu l'extase en ce lieu, je m'étais intérieurement promis qu'en cas d'ennui mortel, je profiterais d'un des deux entractes pour abandonner l'affaire. Non seulement il n'en fut pas question, mais quand le rideau final s'est baissé, j'étais fort triste d'abandonner les personnages qui m'avaient fascinée plusieurs heures durant et j'aurais volontiers réclamé que l'on continue à me conter leurs aventures ! Je me demande si je ne vais pas faire un tour à Bayreuth, moi...

Pendant qu'en plein soleil retentissait une techno incessante aux basses qui affolent le coeur, que dansaient des corps maquillés, perruqués, tatoués, dénudés, que s'embrassaient à pleine bouche des filles aux cheveux rasés ou des garçons aux yeux fiévreux, dans la salle immense et sombre s'épousaient un frère et une soeur, des corps nus et ensanglantés s'amoncelaient sur le plateau, une femme en robe écarlate, fleur terrifiante, exigeait d'un dieu malheureux la mort de son fils, l'exil de sa fille adorée. Et j'avais le coeur serré.

Ce que j'ai souvent reproché aux quelques opéras qu'il m'a été donné de voir depuis quelques années (une découverte récente pour ce qui me concerne, j'ai entendu mon premier vrai opéra à Berlin en 2006) c'est la plupart du temps leurs livrets improbables et, ce n'est pas pour dire, un rien bêta, tendance roman Harlequin qui finirait mal : amoureux qui s'enflamment en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, pour se soupçonner aussi sec de trahison, sur une simple dénonciation vengeresse ou une posture équivoque, et se passer par le fil de l'épée sans autre forme de procès... Et ça m'a souvent saoulée !

Avec le Ring, on est quand même à un autre niveau de narration : un poème épique, une épopée fantastique, des sentiments humains et divins exacerbés, des thèmes universels, mythologiques, superbes et poignants, j'en ai été transportée. Le tout porté par une musique et des voix somptueuses, leitmotivs cruels et magnifiques du drame en train de se jouer.

Je veux incessamment retrouver le fil de l'histoire, connaître le destin de Siegfried encore à naître, et de Brünnhilde, la Walkyrie bannie, endormie sur un rocher protégée par une barrière de feu, par la volonté de son père Wotan, dieu du malheur des siens, aspirant à la fin, annonçant le Crépuscule des dieux.

Quand je suis ressortie dans la nuit de Bastille, émerveillée, il y avait des détritus innombrables qui jonchaient la place, des drapeaux arc-en-ciel abandonnés ou enveloppant des corps fatigués, et dans la tiédeur du taxi une fade musique qui ne pouvait couvrir celle que j'avais encore au coeur. Je crois que j'aime Wagner, au fait.

samedi 19 juin 2010

Voyageurs immobiles

Il est de ces spectacles qui me laissent frémissante de bonheur, le coeur reconnaissant, les yeux émerveillés, mouillés d'émotion.

Je me suis aperçue parfois, au cours du merveilleux spectacle de Philippe Genty (au Théâtre du Rond-Point jusqu'au 27 juin) que je devais avoir la même tête qu'un enfant écoutant un conte de Noël : bouche ouverte et yeux écarquillés, riant-pleurant tout à la fois, heureuse.

Cette émotion-là, j'avoue ne jamais l'avoir ressentie au théâtre "classique", ni à l'opéra que je fréquente depuis quelques années avec des camarades blogueurs et "prosélytes lyriques" : j'admire, j'apprécie, je passe d'excellents moments, ressens (pas toujours) un plaisir certain, mais jamais au grand jamais je n'y ai été submergée d'une vague de sensations fortes et douces et multicolores comme celles offertes par ces voyageurs-là.

J'ai versé des larmes à la course d'une marionnette, me suis émerveillée de courbes humaines dessinées par de simples feuilles de papier kraft, ai tremblé pour les drôles de naufragés d'un radeau à tiroirs secrets perdu dans une mer de toile bleue, ai ri des facéties de bébés très en formes enfermés dans des boites volantes, ai vogué dans un nuage, rêvé, volé hors de mon fauteuil oublié... moi aussi voyageuse avec eux.

Je suis fille de cirque et de danse. Le travail du corps me parle toujours plus que celui de la voix (et à celles de l'opéra, j'avoue préférer celles, plus suaves et sensuelles à mon oreille, du jazz ou du blues). L'émotion majuscule, je l'ai toujours éprouvée pour des spectacles hétéroclites, sous chapiteau souvent, mêlant danse et pantomime, théâtre et acrobatie, marionnettes et objets fous, et laissant une part au rêve, à l'imagination. A mon rêve, mon imaginaire à moi. J'aime qu'on m'emmène dans un autre part que j'ignore, mais qu'on me laisse y faire ma place, m'approprier des images pour en créer des sensations qui me sont propres.

Il me reste (il vous reste) quelques jours pour aller rendre visite encore à ces voyageurs-poètes, à ces mimes-clowns si tendres et beaux. Et drôles. Tout en musiques (très belles) et en images issues des rêves de leur auteur. Elles resteront dans les miens, éveillés ou non. Merci...

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(c) Pascal François

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(c) Marc Ginot

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(c) Brigitte Enguérand

mercredi 19 mai 2010

Cannes à l’envers, Cannes à l’endroit

Je suis une très piètre festivalière, je dois bien l’avouer. Et les années passant, je « festivale » même de moins en moins, m’acquittant juste de la mission pour laquelle je me dois de passer quelques jours par an à Cannes. Point. Désolée donc de ne pouvoir vous offrir ici une chronique drolatique, festive ou passionnée de cette 63è édition, je ne ressens rien de tel pour ce festival. Je suis désespérément non-mondaine et couche-tôt, que voulez-vous, ce qui fait de moi une sorte d'ermite-ovni dans ce contexte, j'en suis bien consciente (et je m'en fous).

Il faut dire que cette année, j’ai débarqué sur la Croisette armée d’une batterie de mouchoirs, d’antibiotiques et de pastilles pour la gorge, toussant façon caverne et déjà épuisée de dix jours de crève dont j’avais grand peine à venir à bout. Donc encore moins motivée que d’habitude. A peine arrivée, Boss triomphant et gentil m’a mis dans les mains une place pour la projection de « Wall Street » de la soirée, tenue de Scarlett obligatoire, que j’ai regardée d’un œil torve et aussitôt déclinée, peu encline à abandonner mon cache-nez pour une montée des marches inconfortable et aussi réfrigérante que le grand théâtre Lumière du Palais des Festivals. D’autres m’ont confirmé qu’on s’y pelait autant que les autres années. Très peu pour moi. Je me suis collée au lit à l’heure des poules (celles des basses-cours..). Piètre, vous dis-je…

Comme l’an passé, j’ai fui les fêtes et privilégié les rencontres intimistes avec des créateurs : auteurs, réalisateurs, producteurs, dont j’aime à entendre la passion quand ils me parlent de leurs projets, me racontent des histoires que j’ai envie de les aider à mettre sur l’écran dans la mesure de mes petits moyens. Mon rôle se borne le plus souvent à identifier les bons partenaires pour un film à venir et à les mettre en contact. Quand je tombe juste et que la collaboration de deux personnes que j’ai présentée l’une à l’autre mène à quelque chose de concret, j’en suis heureuse, pour eux, pour l’histoire qui va être peut-être contée à d’autres, pour moi qui aime à faire ainsi partie de la ronde infinie de participants à l’histoire d’un film, parfois innombrables, utiles chacun à leur place, un peu ou beaucoup, certains plus essentiels que d’autres.

Cannes cette année encore, le festival veux-je dire, m’a fait l’effet d’un gigantesque barnum peuplé de créatures pour certaines grotesques, d’un bruit incessant à rendre fou, de boustifaille en pagaille, de liquides alcoolisés ou non par flots entiers, de robes très courtes ou très longues et de talons très hauts, toutes choses surdimensionnées en cet espace restreint, trop de foule, trop d’inutile et de cris. Je m’y sens la plupart du temps totalement déplacée et décalée, incapable de me mettre au diapason de ce que certains considèrent comme une fête et que je trouve pour ma part le plus souvent aussi terrifiant que dérisoire.

J’ai été frappée notamment par la débauche de moyens mis en œuvre pour cet art-industrie en mouvement : mon Dieu les quintaux de nourriture déversés là ! Les hectolitres de champagne ! Le décorum et le superflu, le papier gaspillé dans des publications innombrables que personne ne lit ! Je n’ai pas forcément à me plaindre de cette opulence dont je profite aussi : je rentre aujourd’hui lestée de quelques kilos supplémentaires, comme d’habitude, trop nourrie et abreuvée, au bord de la nausée certains jours, ma gourmandise naturelle muée en gloutonnerie parfois, devant l’offre gigantesque et infernale de denrées auxquelles je ne sais résister.

On dirait bien que les festivaliers viennent ici sans s’être nourris depuis des semaines, en prévision du festin. Les abords des buffets ont parfois des apparences guerrières, les smokings et robes du soir cachent des instincts sauvages : se nourrir au péril de tout comportement civilisé est un challenge quotidien pour certains. Je fais sans doute partie de ceux-là, sans m’en rendre compte, au fait ?... J’ai souvenir l’autre jour de plateaux qui circulaient, portés par des serveurs en grande tenue, et que je guettais comme si ma vie en dépendait car il y avait dessus un assortiment de choses délicieuses dont je voulais ma part (notamment un « thon Rossini » à mourir de plaisir : sur un mini-toast, une mini-tranche de thon surmontée de foie gras frais, les deux à peine poêlés et nappés d’un rien de vinaigre balsamique, une tuerie ! Je n’étais pas la seule à les rafler, ceux-là, vous pouvez me croire…). La palme du cocktail-fou revient à un pays d’Asie qui célèbre son cinéma chaque année sur la plage du Carlton en offrant à des centaines d’invités des buffets multiples, de sushis insensés, ou bien de mini-woks ou fritures préparés par des cuisiniers en tenue, et moult autres splendeurs pour lesquels les festivaliers s’organisent en files interminables attendant fébriles (et agressifs aux resquilleurs) leur portion de délices. Ce cocktail–là je l’avoue m’a bluffée : des verrines multicolores suspendues dans les arbres, des tables habillées de feuillages et de fleurs à profusion, un décor délicat pour une grande bouffe indécente…

Ce soir-là, j'ai observée, médusée, un homme en smoking, l’air pénétré et que je n’aurais pas osé interrompre ou déranger, en pleine crise d’une sorte de folie dévorante : debout devant le buffet des desserts, il remplissait méthodiquement une assiette de TOUT ce qui était proposé sur la table, absolument tout, en un monticule insensé, mélangeant l’immélangeable mais peu lui importait visiblement. Il avisa ensuite les diverses sauces sucrées, fruitées, chocolatées qui étaient offertes pour accommoder les desserts et recouvrit le monticule d’une louche de chacune, achevant son œuvre boulimique par une grosse rasade de TOUS les « toppings » proposés, graines, pépites de chocolats, perles diverses, confettis colorés, se moquant visiblement que tout cela ne soit pas fait pour être mangé ensemble… J’ai évité de le suivre pour voir comment il entendait ingurgiter cette mixture folle, il me faisait l’effet d’un vampire s’apprêtant à faire gicler le sang d’une carotide. J’ai moi-même, à sa vue, fait l’impasse sur le dessert ce soir-là, écoeurée.

N’attendez pas de moi un compte-rendu du festival, côté tapis rouge et programmation, j’en ignore à peu près tout, évitant autant que faire se peut les abords du Palais, bondés, où les escabeaux cadenassés aux barrières proches des marches me paraissent finalement plus pathétiques que drôles : penser que des gens passent des journées entières à ne faire qu’attendre la vision fugitive d’un individu un peu ou beaucoup connu m’interloque et me dégoûte un peu, de même que toute la pagaille pailletée qui se donne là en spectacle.

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Certaines figures de la Croisette, cependant, me font rire ou m’attendrissent : les vieilles femmes moulées de léopard de la tête aux pieds, cagoles maquillées arc-en-ciel et la peau tavelée de soleil du Midi, qui s’éclatent pendant la quinzaine, joyeuses et fières de leur vulgarité assumée; j’aime leur liberté et leur indifférence aux regards moqueurs. Je suis touchée de certaines « belles de Croisette », jeunes filles à peine sorties de l’enfance, aux mollets ronds et dorés, vêtues de leurs plus belles robes et trébuchant sur des talons trop hauts juste pour voir un film d’après-midi, agrippées à leur invitation. J’aime la gentillesse de beaucoup de gens du cru, serveurs des bars ou des restaurants, philosophes et serviables avec cette clientèle cosmopolite, bruyante et parfois condescendante qui les fait vivre cette quinzaine-là plus que d'autres. J’aime la ruche des travailleurs du Marché du Film, gigantesque lieu d’achat, de vente et de fabrication de la pellicule imprimée du monde entier, les milliers de gens qui courent d’un rendez-vous à l’autre, badges voltigeant autour du cou, petits ouvriers du cinéma dont je fais partie, affairés et polyglottes.

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Je n’aime pas en revanche, être réveillée à n’importe quelle heure par les soirées et les « afters » sans fin, la rue de Cannes résonnant sans arrêt de musiques déversées là sans que quiconque ait l'air de trouver anormal les basses sourdes envahissantes, de jour comme de nuit. J’avais cette année par ailleurs la malchance de loger dans un immeuble dont l’étage supérieur était occupé par une société friande de fêtes improvisées ou non : mes rêves et mes insomnies ont été ponctués de façon constante pendant mes cinq nuits cannoises par la techno qui venait de là-haut, et surtout par le piétinement ininterrompu des fêtards allant et venant devant ma porte pour atteindre ou revenir du lieu de la fête. Et croyez-moi, des hordes de filles chaussées de Jimmy Choo (ou imitation) sur escalier de marbre, ça fait du boucan. Je rentre fatiguée…

Finalement, mon plus joli moment cannois, c'est un producteur égyptien qui me l'a offert, en détachant de son porte-clés personnel un petit chat d'argent pour me remercier de lui rendre son portable retrouvé par hasard sous une table en terrasse ensoleillée (bien qu'il ait beaucoup plu et fait froid cette année), portable tout cassé et remis à son propriétaire pour qui il avait l'air essentiel, au terme de conversations alambiquées et difficiles avec des interlocuteurs de langue arabe fort surpris de me voir faire le standard anglophone et féminin de leur ami finalement identifié. J'adore ce petit chat porte-bonheur !

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Chroniques cannoises antérieures (plus glamours et rigolotes, j'étais jeune alors... ;-) ) :

Version 2006

Version 2007 (60è anniversaire)

Version express 2008

Je ne sais pas s'ils me réinviteront l'année prochaine...

vendredi 14 mai 2010

Rencontres aléatoires

Je pourrais sans doute écrire une thèse – bon allez, un petit mémoire – sur les sites de rencontres, je l’avoue. J’ai commencé à fréquenter ces pourvoyeurs de cœurs (enfin, il paraît) il y a quelques années, après une séparation qui me plongeait dans une solitude pas bien vécue.
A l’époque, l’internet n’était pas du tout illimité, la ligne téléphonique faisait pppppppppssssszzzzzzzzcccccchhhhhhthhhhhzzzzzzz pendant une plombe avant la connexion et on se faisait salement repérer au bureau, surtout au moment de la facture, d’ailleurs, si on avait eu le malheur d’oublier de cliquer sur « déconnexion » à la fin d’un « chat » avec Mister X… Je crois que nous sommes quelques-un(e)s à avoir vécu de sombres angoisses à ce sujet, et des fins de mois acrobatiques quand ça se passait à la maison et que le montant à acquitter nous donnait un coup au cœur à défaut d’en avoir comblé la solitude…

Finalement, ce n'est pas par l'intermédiaire du net que j'ai rencontré les hommes qui ont le plus compté pour moi : au moment où je commençais à surfer, j'ai rencontré Choul "dans la vie" et c'est tant mieux. Mais c’est là ensuite que j’ai croisé Fox, quand même, et nous avons vécu ensemble une jolie histoire d’un an avant de retourner chacun vers nos plates-bandes personnelles. Et je m’abonne depuis, par intermittence car cela m’exaspère chaque fois rapidement, à ces sites pour esseulés qui ne veulent plus l’être. Ce que je suis, à mon grand dam.

J’avoue y avoir passé de bons moments : j’y ai rencontré quelques garçons charmants dont certains sont devenus des copains, ou des amants, ou des amoureux passagers, et comme j’ai appris très vite à ne pas m’attarder auprès de ceux qui m’apparaissent aussitôt emmerdants, j’ai connu en quelque sorte le meilleur qu’il se pouvait de ces rencontres, éphémères ou non. Hormis qu’à l’heure où je vous parle, le but final - à savoir ne plus fréquenter ces sites parce qu’on y a trouvé l’âme sœur – n’est pas atteint pour ce qui me concerne. A mon grand dam.

Il y a de tout dans ces supermarchés de solos. Des enthousiastes et des timides, des cons et des brillants, des obsédés sexuels ou textuels, des passagers ou des habitués, des représentants de tous milieux sociaux, types physiques, races ou modes de vie, c’en est vertigineux, et en même temps, cela donne une confirmation certaine qu’il y a finalement peu d’êtres avec qui l’alchimie mystérieuse de l’amour peut exister, quelles que soient les affinités de départ affichées. Elles ne veulent tristement rien dire. Ou alors serais-je trop difficile ?

Oui, je me montre très (excessivement ?) sélective parmi tous les messieurs en vitrine de m**tic & consorts, et j’élimine par exemple impitoyablement :

- les vingtenaires qui cherchent une « femme mûre » (p’tits cons !). Les trentenaires itou. Je ne réponds pas.

- les sexa et septuagénaires qui cherchent une jeunette (oui, oui, pour eux je suis en quelque sorte une jeunette, je vous interdis de rigoler) qui pourrait éventuellement se muer en infirmière dans quelques années ? Je ne réponds pas.

- Ceux qui m’envoient un premier mail en guise de prise de contact, en déclarant tout de go qu’ils se verraient bien vieillir à mes côtés (au vu de 10 lignes de présentation et 3 photos…). Je ne réponds pas.

- Les mêmes qui sans plus me connaître s’enquièrent de savoir si nous pourrions adopter un enfant ensemble puisque je suis trop vieille pour en avoir un ? (authentique). Je ne réponds pas

- Ceux qui n’affichent pas leur photo « pour raisons professionnelles ». En général la vraie raison « professionnelle » est qu’ils veulent éviter de se faire gauler par un éventuel client célibataire qui aurait eu la chance d’être présenté à leur épouse… ou par les copines de celle-ci…

- Ceux qui vous envoient un message circonstancié bourré de détails sur eux-mêmes et ne font aucune allusion à votre propre portrait : on se rend parfois compte que ceux-là ne lui ont même pas rendu visite et ont fait un copier-coller de leur message générique au simple vu de votre photo… Je ne réponds pas non plus.

- Ceux qui vous envoient un laconique « Bsr » ou tout message façon langage sms avec éventuellement – cerise sur le mail – un finish en forme de « kikou lol »… dont l’auteur a parfois passé les 50 balais. Je ne réponds pas.

- Plus : ceux qui vous proposent la botte, ceux qui font 10 fautes d’orthographe en 3 lignes (oui, je suis sectaire !), ceux qui veulent « une relation sans prise de tête » et/ou « croquer la vie à pleine dents » (2 expressions qui m’agacent singulièrement et dont la deuxième remporte la palme de la nunucherie à mes yeux), les désespérés qui vous engueulent parce que vous avez quand même répondu poliment que vous ne donnerez pas suite à leur message, les humoureux à deux balles, ceux qui sont très contents d’eux (pseudo : PDGtrèsbelhomme qui se définit comme « de très haut niveau, avec énormément de charisme », allez savoir pourquoi, j’ai pas envie d’aller voir…), bref, au final, il n’y en a pas tant que ça dont on se dit qu’on ferait volontiers la connaissance…

Après, on rencontre éventuellement celui dont on a trouvé le portrait sympathique et/ou intelligent et/ou drôle et/ou pas prétentieux, etc… et qui a trouvé le vôtre suffisamment attirant pour avoir envie de vous répondre aussi, ce qui déjà fait pas mal de conditions à réunir, croyez-moi !

Connaissance, ça veut dire en général un rendez-vous pour prendre un verre. Pour ma part, j’évite les discussions virtuelles interminables par mail, et je ne pratique pas msn. Juste un verre, pas un dîner, oh là ! ça va pas la tête ! Hors de question de se retrouver coincé(e) tout un dîner avec quelqu’un dont on sait parfois au bout de 5 minutes qu’on n’a rien à se dire…

Le « verre de contact » (si j’ose m’exprimer ainsi et si vous me pardonnez ce jeu de mot vaseux, oui je sais) peut donc s’avérer joyeux, ou compassé, ou laborieux, ou intéressant, ou passionnant, ou amical, ou terriblement ennuyeux, ou électrique. J’en ai connu quelques-uns, de toutes ces sortes-là, si, si, et j’ai maintenant pour règle de ne pas m’attarder plus de temps qu’il n’est nécessaire si le courant ne passe absolument pas, ce qui n’est généralement pas rattrapable, il faut être lucide. J’ai parfois abrégé un silence pénible ou une conversation qui n’en était pas une au bout d’un quart d’heure, poliment, souriante mais décidée, le plus souvent au grand soulagement de mon interlocuteur qui ne s’imaginait pas en faire autant. Que voulez-vous, je déteste m’emmerder. J’ai parfois dû faire face quand même à la déception voire à la colère du monsieur si lui se plaisait en ma compagnie ou ne s’imaginait pas si ennuyeux, ou si lourd (valable pour ceux qui essaient de vous embrasser dans le cou, ou ailleurs, au bout de 12 minutes chrono). J’ai même une fois pris littéralement la fuite sous les vociférations et les insultes d’un fou furieux : il avait choisi une terrasse de café dans une petite rue abritée pour plus de discrétion « car il était suivi et surveillé », et – ne cherchant visiblement qu’un auditoire - m’entretenait fébrilement depuis une bonne vingtaine de minutes du livre qu’il préparait depuis 15 ans et qui « allait faire tomber des têtes ». Il envisageait d’ailleurs de quitter la France pour se mettre à l’abri avant la publication de ce brûlot (dont il refusait de me dire le sujet « dangereux »), regardait derrière son épaule toutes les 10 minutes, tics nerveux à l’appui, éclats de voix subits, etc… un fou furieux, vous dis-je. Ce sont des choses qui arrivent…

Si le verre se passe bien, et parfois c’est un plaisir, on se revoit, on dîne ensemble, on sort un dimanche, éventuellement on s’envoie en l’air tout de suite, ça arrive aussi. Et quelquefois on noue une relation, amicale, sexuelle, amoureuse pour un peu de temps ou beaucoup, ou rien du tout, il n’y a pas de règle dans ces relations humaines-là pas plus que dans toute autre. Parfois on souhaite que cela dure et cela s’estompe très vite. Parfois on n’y croit pas vraiment et on se retrouve couple pour un temps, voire vieux amis. J’aime ces surprises-là, j’en ai eu quelques-unes.

Parfois aussi, il y a des déceptions sans coupable : on prend un premier verre qui passe comme l’éclair, alors un deuxième puis un dîner improvisé. Et un autre dîner sans tarder et un troisième et ainsi de suite. La parole est facile, gaie, passionnante, on découvre un autre qu’on aime bien, qu’on a envie de connaître de plus en plus et cela a l’air réciproque. On se surprend à chaque soirée à finir fort tard, les chaises retournées sur les tables autour de la nôtre sans qu’on se soit avisés de l’heure tardive et que le personnel du restaurant nous attend pour fermer. Et l’on se sms en rentrant qu’on a passé un si agréable moment, encore… On partage suffisamment de choses pour se ressembler un peu, et on en découvre des nouvelles chez l’autre qui nous séduisent et nous surprennent, et dont on a envie qu’il nous les fasse découvrir. On lui trouve du charme, de la séduction, on aime ses yeux qui plissent quand il rit et même ses goûts culinaires ou vestimentaires ou sportifs discutables à nos yeux, mais on est prêt(e) à l’indulgence. On se surprend à guetter le téléphone ou le mail et à se dire que c’est bien long cette semaine avant le prochain dîner… On espère cette sensation partagée mais on n’en est pas très sûr(e)… On aimerait un signe, autre qu’amical, et il se fait attendre, alors on doute, et on est un peu triste. A la fin d’une autre bonne soirée où aucun geste équivoque n’a été esquissé (à notre grand dam), où l’on frôle l’autre en se demandant si… un bonsoir tard dans la nuit fait déraper le baiser sur la joue qui finit non loin des lèvres attendues, voire carrément dessus, non on ne l’a pas fait tout à fait exprès mais si quand même un peu, aidé(e) par quelques verres étourdissants, peut-être. Et ces lèvres-là ne répondent pas. Aucunement, sauf en sourire, un peu gêné peut-être ? Alors on rit aussi, on plaisante et on s’éloigne avec un signe de main amical. Et l’on sait que l’alchimie n’a pas fonctionné cette fois encore, sans raison, sans explication, puisque l’alchimie n’en supporte aucune, ni pour ni contre. C’est comme ça, c’est tout.

Alourdi(e) de cette solitude annoncée, renouvelée une fois encore, on ne peut s’empêcher de se demander vaguement si on ne souffrirait pas d’un handicap certain de la relation amoureuse, d’un blocage non identifié qui nous empêche de rencontrer l’Autre. Ou d'un défaut certain de fabrication, à nos yeux invisible ? On quémande l’aide de Miroir qui nous renvoie l’image cruelle d’un être difforme, gros et laid, celui-là même qu’un être sympathique vient de refuser d’embrasser, la preuve. Miroir nous dit qu’on n’est pas fait(e) pour plaire, trop de rides et de bourrelets et de cheveux blancs naissants, sans nul doute, trop de paroles bêtes et de gestes disgracieux, aussi, c’est certain certain, lucide Miroir, meilleur ennemi du solitaire. A l’heure où l’on n’est pas encore capable de se dire que c’est juste une histoire bête : on a rencontré quelqu’un qui nous plaît, on ne lui plaît pas pareillement en retour certes, mais rides et bourrelets et esprit n’ont sans doute rien à voir avec ça. Il est un peu trop tôt pour contredire la méchanceté de Miroir. Un peu trop tôt pour penser clairement que cette histoire-là a eu son pendant parfois : nous aussi il nous est arrivé de ne pas avoir envie d'embrasser quelqu'un qu'on aimait bien. Qu'on n'aimait juste pas de cette façon-là.

On pense malgré tout qu’on va retourner un jour sur le site, parce que la vie « réelle » ne donne pas tant d’occasions finalement de rencontrer de potentiels partenaires. Et qu’on n’a pas pris le parti de la solitude, même si elle semble au fond notre lot. Fatigué(e) pourtant de devoir recommencer cette ronde…Encore. Toujours ?

samedi 24 avril 2010

Drôles de colères

Des colères me submergent dont j'ai le sentiment qu'elles ne m’appartiennent pas.

Boss si brillant et si peu courageux compte sur moi pour asséner mon poing sur les tables quand lui-même ne l’ose pas. Mon intégrité imbécile me fait élever la voix pour défendre des causes dont j’ai l’impression que moi seule en suis préoccupée, justes peut-être mais après tout si dérisoires. J’y défoule mes cordes vocales et en retire des mains fébriles, une nuée de boutons piquante, signe du malaise qui me saisit et dont nul ne se doute. Rançon stupide d’un respect teinté de crainte et d’agacement qu’on accorde à mon « caractère » et à ma langue que je refuse de laisser dans ma poche.

Mes vacances parisiennes ne furent qu'une tentative de repos de ces colères-là, trop vives la semaine passée. Comme le boulot a refusé de m’oublier et que j’ai été sollicitée chaque jour pour des questions et des problèmes à résoudre sans attendre, la colère ne s’est pas apaisée, m’est revenue soudaine de me voir dérangée dans cet espace où j’espérais retrouver le calme. Je me suis entendue encore vociférante au téléphone, pourtant à l’abri de mon balcon ensoleillé, retrouvant des accents cinglants à l’égard d’un imbécile, soit, mais qui n’avait peut-être pas mérité que je le gifle ainsi de mes mots. Je raccroche et je m’en veux, tremblante et insomniaque pour quelques nuits, moi-même effrayée du démon qui me possède ainsi.

Alors, épuisée de mes propres énervements incontrôlables, je me roule en boule sous ma couette fleurie en plein après-midi, incapable de m’oublier ailleurs que dans un sommeil lourd et pétri de rêves éclatés. Mon chat se love contre moi, au plus près de mon visage, de mon cœur, conscient peut-être de mon besoin de sa douceur. Et son souffle régulier, paisible, confiant contre moi, m’aide à oublier les éclats dont je me sens coupable.

Heureusement, il y eut aussi dans ces vacances chaotiques des soirées chaleureuses, rieuses et arrosées, le cœur réchauffé de sentiments impalpables et doux. Une passiflore achetée pour mon balcon, promesse de fleurs délicates et grimpantes. Et les salles quasi-désertes du Louvre à son ouverture du matin, Méroé, Mésopotamie, Egypte, traversées en flânant, apaisée de ces merveilles anciennes, remettant à leur place mes si infimes tracas. Ces figures sereines d’ivoire, de bronze, de calcaire ou de bois ont dû en connaître de semblables, dilués dans quelques milliers d’années d’oubli. Ne reste que leur beauté, ç’en est vertigineux.

Je ressors dans le soleil, Paris est si beau au printemps. Je chausse mes lunettes noires pour protéger mes yeux surpris après la pénombre des voutes de pierre. Un verre s’en est échappé au fond de mon sac, je ne m’en rends compte qu’à la drôle de sensation de soleil persistant sur mon œil droit et à l'éclat de rire d’un petit garçon devant moi qui doit me trouver l’air d’un drôle de pirate. Je retire ma demi-lunette, rit avec lui du trou béant et inutile. Remercie ce rire d’enfant, les beautés millénaires, les bourgeons printaniers qui balaient au loin mes colères passées regrettées, et je l’espère, celles à venir, tout aussi inutiles…

dimanche 18 avril 2010

Vacances à Paname - bis repetita

Il semblerait que L'Amérique ne veuille pas de moi cette année encore ! A l'heure où j'écris ces lignes je devrais être en train de voler au-dessus de l'Atlantique, destination Los Angeles.

Deux journées de rendez-vous professionnels prévus sur place (et pas mal d'intermèdes amicaux en compagnie de californiens avec qui des relations privilégiées se sont nouées au fil de plusieurs années de travail ensemble), puis j'étais censée enchaîner avec quelques jours de vacances à San Francisco. Golden Gate, me voilà !

Nenni, le volcan islandais Eyjafjallajokull (répéter 10 fois à toute allure, et recommencer la même chose à l'envers, vous allez voir, on se sent le roi du monde. Ne pas oublier de prendre une aspirine avant) a décidé de clouer au sol toutes choses volantes au nord de l'Europe, mon bel avion compris. Attentat écolo, moi je dis !

J'avais dû annuler un programme similaire il y a trois ans, cette fois pour cause de grève de nos interlocuteurs aux USA, (si, si, ils font grève aussi), et avais passé du coup une délicieuse semaine de vacances à Paris. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, me voilà les doigts de pied en éventail sur mon balcon parisien, que je vais donc avoir le temps d'arranger et fleurir. Le temps des apéro-copains est arrivé !

Oui, pas question de retourner au bureau à la place de mon intermède ricain. Je m'octroie quelques jours de balades parisiennes, de flânerie sur Seine, de tourisme à la maison. Et j'en suis ravie. Sauf tremblement de terre façon "Big One", Frisco m'attendra bien encore quelques temps.

Bon, je m'en vais derechef pérégriner à Paname ! Récit (peut-être) à venir...

mercredi 14 avril 2010

Cœurs à l’amble

(titre inspiré du magnifique « Nous dormirons ensemble » d’Aragon-Ferrat)

(et après relecture de ce qui suit : attention billet-bazar : j'écris parfois comme je tirerais un fil d'une pelote emmêlée, pour essayer de mettre moi-même de l'ordre dans des pensées en bataille, ma façon à moi d'essayer d'y voir un peu plus clair, je ne sais si je suis très claire moi-même ?)

Quand j’ai commencé à m’exprimer dans mon petit bout de Toile, j’ai tout d’abord eu peur de l’intime. Mon éducation m’avait appris à garder mes émotions secrètes, mes chagrins policés, à me méfier de l’indécente exubérance en toute chose. On m’avait inculqué la réserve et le silence, à taire sans faillir mes histoires par trop personnelles et mes sentiments profonds. A mes oreilles s’égrenait la litanie à apprendre de tout cœur du mystère voué à l’impudeur. Et tout était impudique, ou presque. Rien de ce qui m’était frisson – de joie forte, de peur, de pleur ou d’amour - ne regardait personne d’autre que moi-même.

C’était faux.

J’ai découvert grâce à la lecture d'abord, à l’écriture ensuite, plus intensément encore, qu’au contraire l’intime est universel, intemporel, commun à l’humanité toute entière. Mon intime à moi aussi, oui. Et cette découverte se confirme de plus en plus au fur et à mesure que les années passent et les échanges avec autrui se renforcent.

J’ai été fort surprise en affichant ici des chagrins qui m’apparaissaient infiniment personnels, de découvrir que ce sont eux qui rapprochaient le plus de moi les lecteurs de passage ou confirmés. C’est en exprimant mes perceptions les plus intimes de la vie, mes sentiments les plus profonds, que j’ai connu le plus grand partage, la résonance la plus vive avec autrui. Ce sont les émotions des autres livrées sans pudeur inutile qui m’ont le plus remuée, touchée, bouleversée, et au bout du compte, révélée à moi-même, par le partage ou la découverte de celles-là.

Il y a un diapason en chacun de nous qui vibre identiquement. Il y a un fil ténu et invincible qui nous relie les uns aux autres et qui passe par le plus profond de notre cœur. Les plus intenses de nos émotions, même si elles nous apparaissent les plus personnelles : nos souffrances, nos deuils, la joie, l’Amour, sont le dénominateur commun à tout humain, présent, passé ou à venir. Nous ne sommes ni les premiers ni les derniers à les vivre semblablement. C’est parfois dur à envisager, car il s’agit ainsi de ne plus penser son nombril comme le seul à souffrir ou à aimer, d’autres l’ont expérimenté avant lui pareillement, et oui. Manque de bol pour ceux qui aiment à s’imaginer plus de chagrin que les autres, espoir immense pour ceux qui font des pieds et des mains pour en sortir, il devient d’un seul coup plus relatif, ce chagrin-là, énorme la seconde d’avant… essayez pour voir

Je ne comprenais pas tout à fait, j'avoue, les paroles d'Etty Hillesum, mon amie si chère, quand elle disait vivre à l'unisson de l'humanité toute entière, passée et présente, et "avoir tout vécu". J’appréhende (un tout petit peu) mieux aujourd'hui l'immensité de cette perception, qu'il m'arrive de ressentir un peu moi-même aujourd'hui, mais de façon tellement indéfinissable.

J’ai lu ces jours derniers le journal d'Hélène Berr, sur la recommandation de Telle (au défunt blog regretté). Et je retrouve dans ses mots les mots d'Etty, l'une à Paris, l'autre à Amsterdam, partageant un destin commun à des millions d'humains de ce temps et se retrouvant par delà les terres et l’époque liées par ce fil d'or qui les a menées aussi jusqu’à nous.

Oui, la souffrance de ceux qui nous ont précédé résonne en nous et en ceux qui nous suivront même si on ne lui donnera ni visage ni nom, juste une connaissance, au fond de soi, collective.

Et l’amour naissant d’Hélène est le même que celui de toute jeune fille au cœur ému pour la première fois, le mien, celui de ma mère, de ma grand-mère avant moi, et d’autres mères et grand-mères que les miennes, chaine sans fin de femmes amoureuses puis mères à leur tour. Sauf Hélène et Etty qui n’ont pas vécu, sauf moi et d’autres qui n’avons pas enfanté. Mais peu importe au fond. D’autres ont porté des enfants dont je ressens le poids et la grâce autour de moi, en moi. Etty a transmis sa force à d’autres de par le monde, par sa présence, par sa mort et ses mots. Les deuils ont renforcé ma vie et celles d’autres avant et après moi, par la transmission d’un savoir secret que je m’explique mal, offert par les générations d’avant à celles du futur, impalpable et essentiel, un souffle de vie moquant l’espace et le temps, abolis, ridicules.

Oui, nos cœurs battent à l’amble et sont plus forts, toujours. De le savoir, le mien s’apaise et se réjouit. Je ne suis jamais seule au rythme des battements de milliards d’autres, un peu miens, un peu nôtres, sang commun filant dans des veines jointes ?

Je me sens maille infime d’un immense tricot. Minuscule et essentielle. Si une petite maille manque, trou il y a dans le tout irrémédiablement abimé. La petite maille que je suis vit les tensions et les relâchements du tricot tout entier, participe au dessin – au dessein – de l’ensemble entrelacé, inextricable, indispensable.

Je me sens goutte d’une vague immense, elle-même vague parmi d’autres d’un océan sans limites. Je suis une goutte, et la vague aussi, et l’océan bien sûr. Ma petite tête de goutte-maille est parfois toute retournée de tant d’immensité.

Et je l’avoue, parfois, ça ne m’arrange pas bien, c’t’histoire… C’est vrai quoi, être indissolublement liée au connard du bureau du fond, ou au facho du palier du 4è, ou au violent-ci, à la méprisante-là, vraiment, ça ne me fait pas DU TOUT plaisir. Mais je commence à prendre conscience qu’ils font partie de moi aussi, comme les témoins du chemin que nous avons à parcourir collectivement.

Parce que chaque pas que nous faisons individuellement fait avancer l’ensemble, chaque progrès en tous domaines d’un individu solitaire fait progresser l’humanité, chaque virtuose en sa spécialité donne un challenge supplémentaire à ceux qui lui succèdent. Qui iront plus loin, toujours. Quelle responsabilité. Quelle beauté…

Je ne sais en quel domaine doivent s’exercer mes progrès. Je me sens parfois maladroite à avancer même un pied devant l’autre sur mon petit chemin cahotique. Et mes colères contre les cons (du moins ceux que j’envisage comme tels, on est toujours le con de quelqu'un) me freinent sur le chemin de la croissance, sans doute, la mienne et celle du tout dont je suis une parcelle. Le pire c’est que je les aime bien mes colères… A l’amble d’autres colères venues de plus loin que moi ? Il suffit peut-être que je mette l’intensité de celles-ci au service du cœur, plutôt. (j’ai du boulot, mais une vague idée de l’immensité de la tâche, c’est déjà ça).

PS : Suite à quelques demandes par mail : oui, une avalanche de spams sur d'anciens billets m'a amenée à couper les commentaires sur tous ceux vieux de plus de 30 jours... cela devrait m'inciter à écrire au moins un billet par mois, enfin je m'avance peut-être... Sinon, vous pouvez toujours aller sur la page "Contact" si vous avez un truc à me dire (gentil de préférence, à chaque campagne de pub Invicta, je me prends immanquablement une lettre d'insultes, je les publierai un jour, c'est drôle... les bons jours)

mardi 16 mars 2010

« J’en ai tant vu qui s’en allèrent »

Mes parents n’écoutaient pas ou rarement de musique. Ma mère du violoncelle, exclusivement, instrument superbe qui arrive à me flanquer encore aujourd’hui des cafards noirs, souvenirs de résonances dans la grande maison où je préférais d’autres sons, d’autres rythmes à mon adolescence… Mon père, rien : la musique, toute musique était du « zinzin » et nos disques vinyles l’exaspéraient. Ah si, parfois, il trouvait quelque chose de joli, à dose infinitésimale… les Beatles, je crois, trouvaient un peu grâce à ses oreilles.

C’est ma sœur (Moyenne Sœur) qui faisait entrer dans la maison les sons du monde, les notes à peine tolérées. Grâce à elle j’ai fait connaissance, j’avais 10 ans, 12 ans, puis 14, de chanteurs à textes et à voix particulières, qui ouvraient mes yeux d’enfant puis d’adolescente sur des mondes inconnus, bien loin du mien préservé. Je ne connaissais pas encore l’amour, non plus.

Leny Escudero, François Béranger, Frederik Mey, Graeme Allwright et Leonard Cohen. Et puis Brel et Maxime Le Forestier première époque, Cat Stevens et les quatre scarabées. Aussi Julien Clerc et Marie Laforêt, si gaie.

Un jour, pour toujours, une voix chaude derrière une moustache batailleuse. J’écoutais « Nuits et Brouillards », en boucle, à genoux devant le tourne-disques des années 50, couplé à la belle radio lumineuse en bois verni et boutons de bakélite, qui avaient atterris dans ma chambre par la bizarrerie des attributions de meubles familiaux. Je posais une pièce de 5 francs sur le saphir sautillant pour qu’il se tienne tranquille et laboure sans faillir les sillons enchantés, au grand dam de ma sœur qui renâclait parfois à me prêter les précieuses galettes vite abimées de ce traitement barbare.

Un jour, un jour, un album précieux comme le vieil or de sa pochette où Ferrat m’offrait Aragon, première conscience que les mots pouvaient être trésors. J’écoutais Robert le Diable et l’amour d’Elsa, et ce qui perlait à mes yeux était l’eau de mon cœur, jeune et bouleversé de sentiments inconnus, de tonnerres adultes qui remuaient des émotions intimes encore profondément cachées en moi. Est-ce ainsi que l’on grandit ?

Cette voix-là ne se taira jamais en moi. La moustache, le beau sourire, la voix de Ferrat m’accompagneront ma vie durant. Il m’a donné mes toutes premières poésies. Cette chanson-là est de celle dont les paroles viennent à mes pensées sans que je les y force , quotidiennement, pour rien, pour un geste ou un mot de quelqu'un, parce que ses échos désespérés s'accordent à la vie sous nos yeux, souvent.


Ferrat chante Aragon - "J'entends, j'entends"

mardi 9 mars 2010

En 8 millimètres

Le grain est comme poudré, les traits imprécis, les mouvements un peu plus rapides que dans la réalité. La lumière est délicate, parfois traversée de l’éclair blanc d’une brûlure de pellicule. Je regarde cette vie accélérée avec la mémoire du bruit du projecteur que mon père louait parfois, toute la famille réunie le dimanche après-midi, les fauteuils tournés vers la cheminée de granit. On enlevait les bibelots d’étain qui couraient sur son manteau de pierre et le mur blanc gardait la trace de leurs contours. On fermait les volets, calait le projecteur avec un livre ou deux pour corriger l’oblique du petit rectangle de vie colorée qui tressautait alors devant nous, hilares de se reconnaître là, silencieux et agités.

D’un landau aux larges roues rayonnées émerge une toute petite fille au bonnet blanc-pompon. Il passe de gauche à droite de l’image, une fois, deux fois, trois fois. Avec Maman, avec Papa, avec Grande Sœur, avec Moyenne Sœur. On pose presque comme sur des photos, on marche lentement, on se retourne vers la caméra intimidante, on est très sérieux. Sauf la toute petite fille qui a été moi et qui pointe une langue interloquée devant ce drôle d'oeil noir.

Un jardin dont je ne me souviens pas. Ma mère, belle et fine, jupe étroite, cardigan, escarpins, donne une fleur à la toute petite, écarte d’une main la moyenne qui sautille devant l’objectif, masquant le tableau prévu « la petite et la fleur », dans lequel elle n’a pas sa place à cet instant précis. La petite hume, toute à son rôle d’enfant au jardin, perd la fleur écrasée, la ramasse au sol, derrière en l'air sous la petite robe trop courte, équilibre instable et ravissant. La mère fait un « Oh » muet. Fin du tableau.

Un pique-nique de campagne, une couverture écossaise sur laquelle les grandes font semblant de dormir, rient des galipettes de la plus petite qui refuse de s'allonger, suce son pouce et rit aux éclats dans le cou de sa maman, ravie d'être rebelle. Derrière la caméra 8 millimètres, mon père, fantôme des films, omniprésent et invisible.

Vélo rouge et patins à roulettes aux lanières de cuir cassantes, les bras écartés façon balancier sur la digue de Dinard en hiver. Je regarde mes sœurs aux jambes rapides drapées de jupes grises identiques, petites filles sages des années soixante en chaussettes blanches. J’ai un foulard fleuri noué sous le menton dans la poussette qu'elles ont connue avant moi.

Une maison, "LA" maison aux arbustes miniatures sous lesquels je blottirai mes secrets une décennie après. Un muret d’ardoise mis là exprès pour faire grimper et sauter au sol les petites filles, mouvement perpétuel en robes-corolles claires. Un chiot aux oreilles si gigantesques qu’il marche dessus dans les virages un peu raides de ses courses folles. Il a la langue pendante et roule dans l’herbe sous les chahuts des petites. Pas très loin du poirier à peine planté sous lequel il sera enterré, vieux compagnon perclus, dans 17 ans de là.

Le même jardin sous la neige, cagoules et batailles. La petite pose sur la boule immense roulée à plusieurs dans la pente douce, tenue par les mains de Grande et Moyenne de part et d’autre. Quelqu’un prend une photo aussi, fixée par des coins de plastique racornis dans l’album 69/70, où la neige a pris une teinte trop sombre, ça arrive parfois avec les pellicules de nos Instamatic Kodak.

Un tricycle bleu déjà vu avec Petite Fille transporte maintenant Petite Sœur. Ma mère a 10 ans de moins que moi aujourd’hui et quatre filles. Petite Sœur proteste et grimace au soleil de face. On m’appelle en renfort pour conduire Tricycle Bleu par le guidon vers la caméra. Je m’acquitte de la mission avec un rien de componction, grande soeur devenue à mon tour.

Des jeux de ballon, une balançoire, des allers-retours sans fin debout sur les pédales dans l’allée de goudron. Les petites grimpent sans cesse sur le dos des plus grandes, attentionnées. Les arbres poussent à toute allure, comme les quatre filles de la grande maison. Nous aurons du chagrin quand on la vendra, dans longtemps, abri d'enfance. On est habillées pareilles, par paires, les grandes, les petites. Je déteste ça.

Des communions. La même aube blanche utilisée à travers les années. Et la grosse croix d'argent. Premières photos d’Instamatic : cadeau du parrain avec une Bible. Ou un buvard de voyage. De longues tables de déjeuners sans fin dont on est l'héroïne en blanc, un peu ridicule. La famille réunie pose pour les portraits de groupe dans le jardin. Premiers appareils à retardateur : Parrain court se mettre en place en boutonnant son veston après avoir appuyé sur le déclencheur. Les femmes sont en robes courtes acidulées, jambes fines aux genoux veloutés de collants Dim. Leurs maris n'aiment pas les collants et le disent. Les têtes sont brunes et coiffées 70. Têtes aujourd’hui grises, blanches ou chauves, dodelinantes, égarées ou parties pour une destination inconnue.

Et la plage, et la mer, et les jeux de vagues et de sable. Dinard, omniprésent théâtre de l’enfance. Courbées vers les coquillages à collecter, en courses éperdues vers la mer ou les rochers. Rieuses ou boudeuses tentant de fuir la caméra. Petite Sœur un peu apeurée avance et recule sous l’assaut d’une vaguelette microscopique avant de s’apprivoiser, de s’abandonner à l'eau amie. On la filmera intrépide l'année d'après. Matelas rouge et bleu et un dauphin de plastique. Ma mère s’éloigne pour nager, et je devine dans ses paroles muettes et ses gestes de la main qu’elle interdit qu’on l’éclabousse aujourd'hui. Une paire de maillots rayés identiques pour les grandes, puis les petites, à quelques années d’intervalle qui semblent des minutes. Ou des culottes de bain en vichy faites main, leurs élastiques fâchés avec l’eau de mer dévoilant les fesses blanches sous le dos doré. On a les cheveux courts et mouillés et l’air plus heureux que nulle part ailleurs, les yeux plissés, allongées dans l’eau qui miroite de soleil breton.

Et puis, comme une fulgurance, sur la plage de l’hiver 65 qui accueille mes premiers pas, un homme en noir, fugitivement imprimé sur la pellicule, vient prêter main forte à Moyenne Sœur qui tente de me faire garder l’équilibre. La main de l’homme en noir me remet d’aplomb sur le sable mouillé et s’éloigne en courant. Mon Papi à la rescousse, pour que je tienne debout, hier comme aujourd'hui.

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samedi 20 février 2010

Sens essentiels

J’ai toujours été sauvée par la beauté des choses. Et le plaisir des sens.

Je crois qu’au plus profond de mes chagrins, j’ai toujours gardé un espace pour déguster un verre de vin consolant, en humer les arômes, en admirer la robe et le palais. Au cœur de la plus insupportable de mes souffrances, j’ai réussi à l’oublier au moins quelques secondes au gré d’un fromage odorant partagé avec amitié. J’ai parfois séché des larmes trop amères aux effluves d’une viande tendre aux épices virevoltantes, ou d’une pâte chocolatée à cœur ravissant mes papilles, pourtant enchagrinées la seconde d’avant.

Il m’a été donné de trouver une parcelle de beauté en toute chose, un ange gardien bien avisé veillant à ce qu’apparaissent devant mes yeux-fontaine une goutte de rosée irisée, des pétales en corolle aux couleurs délicates, un ciel mouvant, un fruit mûr à cueillir et à goûter les pieds dans l’herbe, toutes choses admirables comme un vent tiède venant sécher les larmes versées sur une vie parfois difficile à suivre.

J’aime à croire que ceux qui me veillent, invisibles à mes côtés mais que je sens si proches parfois, aiment à placer sur mon chemin des jalons de plaisir, des bribes de beau, comme des nœuds placés sur la corde de ma vie pour me faciliter son ascension (ou sa descente, c’est selon).

Certains s’aident peut-être à vivre par l’argent, le pouvoir, le succès, d’autres par la fête et le bruit, ou la retraite et le silence, que sais-je. J’ai besoin moi, pour avancer, de frissons de plaisir sur ma peau plongeant dans une mer fraiche ou sous la caresse de mains douces, d’odeurs, de parfums, de volutes enivrantes ou chaudes pour me mettre l’eau à la bouche, de couleurs pastels ou explosives et de nature en floraison devant mes yeux émerveillés, de sons subtils et de musiques poignantes pour émouvoir mes oreilles, de saveurs fondantes et renouvelées pour me mettre d’humeur à rire et à vivre.

Combien de fois me suis-je consolée d’un ciel rose du soir ou d’une nuée d’étoiles, d’une odeur d’herbe coupée ou d’une giboulée parfumée de printemps. De combien de chagrins suis-je venue à bout à l’aide du tintement d’un verre contre un autre, de la première gorgée d’or liquide rafraichissant mon palais ravi de l’amitié et du vin partagé, un zinc frais sous mon coude.

Je mourrais de ne plus sentir, ressentir, entendre mon cœur battre au rythme d’un émerveillement passager, d’un rien, d’un souffle d’air, du vol d’un oiseau, de la courbe d’un corps émouvant, d’un fruit rebondi, de l’ombre d’un arbre accueillant, de la nacre d’un coquillage, du dessin mouvant d’une écume de vague, de tout ce qui bouge, de tout ce qui vit et meurt, de toute cette nature éphémère et changeante d’où je viens, où je retournerai.

Il n’entendrait jamais plus mon rire, ne verrait jamais pétiller mes yeux, celui qui me priverait du goût d’une framboise ou d’un grain de chocolat, de ma première gorgée de café du matin qui me rend à la vie savourée par son amertume brûlante et bienvenue.

Quand j’étais enfant, j’aimais la messe familiale du dimanche matin à cause des volutes parfumées de l’encens, du son de l’orgue, de la lumière multicolore du soleil jouant dans les vitraux, et par-dessus tout pour l’odeur de poulet rôti ou de gigot grillé qui régnait dans la maison quand nous en revenions, plaisir annoncé.

Je suis tombée amoureuse pour la première fois d’un garçon qui me faisait rire, mais je l’ai aimé plus que tout pour son odeur mâle et la saveur salée de sa peau.

Je crois que je respire les gens que j’aime autant que je les regarde. Si je pouvais goûter un inconnu, je me laisserais aller à laper sa peau discrètement pour voir s’il peut m’être sympathique.

Je crois qu’au plus profond du plus noir des désespoirs, au bord du gouffre, je pourrais être retenue de sauter par une odeur mouillée de printemps, le fauve insensé d’une feuille d’automne en vol fou.

dimanche 14 février 2010

Fox d'autrefois et des coccinelles qui dansent

De nos jours, les vœux et souhaits prennent des chemins inconnus autrefois. Pour son anniversaire (qui est le 12 de ce mois pour ce qui me concerne, message subliminal à l’attention de F. par exemple), on reçoit des petits glings de sms sur son portable dès minuit le jour J (le 12, donc), des chansons joyeuses en provenance d’Espagne que l’ordinateur vous susurre en y adjoignant des couleurs psychédéliques, des cartes de vœux animées où des coccinelles dansent et clignotent façon feu d’artifice, et parfois même quelques lettres en vrai papier écrites à la main au fond de sa boite à lettres ! Par la grâce de ceux dont le calendrier n’est pas tout à fait à jour, on se l’entend souhaiter un jour avant ou deux jours après (j’ai eu un appel pas plus tard que tout à l’heure), par téléphone ou mail ou commentaire de blog, la technologie moderne nous aime !

Comme je n’étais pas au rendez-vous du facteur le bon jour (le 12, l’avais-je déjà mentionné ?), je me suis rendue hier au bureau de poste du quartier où s’allongeait une file de gens impatients sûrement comme moi de savoir ce qu’étaient leurs cadeaux d’anniversaire parvenus jusque là par la grâce des Colissimos et autres Chronopost (nous sommes de nombreux Verseaux du 12 février dans le 20è, c’est bien connu). J’étais un peu vaseuse du dîner de la veille où mes œufs en meurette n’étaient pas aussi réussis que ceux de ma maman (damned, y arriverais-je un jour ?) mais pas mauvais quand même ; mes invités avaient l’air contents d’être là et moi heureuse de fêter mon 46è printemps (hiver, plutôt) avec ces amis chers.

A quelques mètres devant moi, une silhouette d’homme vaguement familière attendait son tour pour retirer un colis. Je regardais distraitement ce dos, cette nuque, qui bougeaient d’une façon qui me rappelait un peu quelqu’un, mais qui ? L’homme s’est tourné brièvement, et ce profil rond s’est imposé à ma mémoire : Fox, mon « ex », pas revu depuis quelques années (la dernière fois que je l’ai eu au téléphone, il devait me rappeler incessamment pour que nous fixions un déjeuner, et me rendre une écharpe mienne oubliée dans ses affaires, j’attends toujours : Fox n’a jamais su garder de lien avec les femmes dont il est séparé, je ne l’ai pas relancé…). Je me suis souvenu à cette occasion que nous sommes quasi-voisins, suffisamment pour que nous ayons ce bureau de poste en commun, à défaut de quoi que ce soit d’autre. Un vague souvenir de vie commune agréable et sans passion, assez gaie ma foi, Fox est doté d’un humour que j’aimais bien.

Je l’ai regardé parler à la fille du guichet, remercier pour l’énorme colis qui lui était remis. Je me suis dit que c’était peut-être un cadeau de Saint Valentin pour celle qui partage sa vie aujourd’hui, sa vie dont j’ignore tout depuis presque cinq ans. J’ai regardé cet homme désormais inconnu sans émotion particulière, même pas envie de me manifester ou de le saluer. Quand il a remonté la file vers la sortie, marchant vers moi, j’ai perdu mon regard au loin sans envie de croiser le sien. Son gros colis porté à hauteur de son visage lui a masqué ma présence, je préfère.

Dans mon colis à moi m’attendaient des papillons-bougeoirs de métal gris, ravissants, envoyés par ma sœur. Je porte aux oreilles ce jour des boucles d’oreille de verre chatoyant faites pour moi par un ami, j’aime ces témoignages d’amour proche ou plus lointain, les papillons arrivaient de ma Bretagne chérie, bien sûr.

Aujourd’hui, jour de Saint Valmachin, je reste au chaud chez moi avec un matou noir et blanc qui me prodigue des câlins félins, ce qui est déjà beaucoup mieux que pas de câlins du tout ! Il va falloir que je me décide à plonger dans le dossier de 300 pages que je suis censée connaître pour mon séjour à Berlin les deux prochains jours : heureusement qu’il y a les temps d’aéroport et de vol pour mes révisions… je ne sais travailler que comme cela (quand j’étais lycéenne, j’ai toujours commis mes dissertations la veille du jour où j’étais censée les remettre, après le film de la nuit, on ne se refait pas). Pourtant je suis une grande fille, maintenant (pas une « vieille » fille, nuance ! Non, absolument pas !)

Un grand merci à vous pour vos messages et pensées amicales qui me vont droit au cœur, quel que soit le jour de leur envoi ! Je vous embrasse.

mercredi 3 février 2010

Où est l'artiste ?

Une scénariste/écrivain rencontrée professionnellement m’a offert l’autre jour – sachant que j’écris « dans la clandestinité » - un livre qui a selon ses dires changé sa vie… J’ai trouvé sympathique qu’elle veuille ainsi – peut-être – m’aider à changer la mienne. Il est vrai que je souffre parfois depuis quelques temps de consacrer la majeure partie de ma vie professionnelle à aider des créateurs à créer, alors que je me l’interdis moi-même, du moins aux yeux de tous. Je suis parfois ébahie de la facilité de ceux que je côtoie jour après jour à se déclarer auteur, écrivain, conteur d’histoires, sans dissimulation, avec fierté et simplicité. Moi j’avoue parfois péniblement que moi aussi il m’arrive de me servir d’un stylo ou d’un clavier, mais je reste idiotement mystérieuse sur mes « œuvres », la plupart du temps. Et je commence à en souffrir.

Il est vrai que je viens d’une famille où chaque fois qu’il m’est arrivé d’affirmer que j’écrivais, la réaction était quasi aussi gênée que si j’annonçais pratiquer le striptease dans des bars louches pour boucler mes fins de mois. J’ai récemment fait l’expérience à la table familiale d’avouer avoir posé comme modèle (donc nue) pour un peintre il y a quelques années : c’est passé presque comme une lettre à la poste. Je crois que chez moi, il est moins grave et impliquant de montrer ses fesses que ses émotions ! Alors j’ai encore un peu de chemin à faire pour oser les assumer, les affirmer, autrement qu’anonymement.

Alors je lis ce livre chaudement recommandé qui s’intitule en anglais « The artist way », traduit en français par « Libérez votre créativité », de Julia Cameron, dont plusieurs personnes m’ont parlé depuis comme la grande prêtresse du Créateur qui vit – se cache le plus souvent – en chacun de nous. Elle y parle notamment des « artistes fantômes » et déçus que nous pouvons devenir, en ne nous autorisant pas à créer. Et du palliatif que nous trouvons parfois à nous consacrer à la création des autres. Je me suis sentie un rien visée…

J’avoue que son bouquin m’apparaît parfois un peu trop new age et simpliste, voire cucul-la-praline, mais il comporte quelques bonnes pistes à explorer, surtout en ces temps où ma plume me boude quelque peu (ou bien c’est moi qui la boude, peu importe, le non-résultat est le même).

Depuis quelques temps, je m’astreins – selon les instructions de la prêtresse – aux « pages du matin », trois obligatoires, manuscrites, le matin au réveil. On doit noircir trois pages, même si toute inspiration semble encore embuée de sommeil. Et c’est très étonnant.

On a interdiction de les relire. Ou alors beaucoup plus tard, quand le petit artiste intérieur aura émergé. Alors je ne me souviens pas vraiment de ce que j’ai écrit ces matins-là. Des bribes de rêve, des grognements matinaux, des peurs de la journée à venir, les yeux écarquillés de mon chat, attentif et impatient de son petit déjeuner (il lui arrive de traverser mon cahier pour mieux attirer l’attention) ? Je sais que des images émergent, venues d’on ne sait quel recoin de la nuit : le souvenir d’une peur d’enfant le jour de la rentrée devant un préau de bois immense, un geste gracieux de ma mère, un baiser imaginaire ou réel, une question répétitive « que pourrais-je bien écrire pour noircir ces foutues trois pages et aller prendre mon café ». Des mots sans contrôle et sans but, qui donnent au final envie d’autres mots. Quelquefois la fin de la troisième page arrive trop vite, mur contre lequel je me contente de buter, en attendant la suite. Laquelle, on verra. La curiosité des mots me revient doucement. Peut-être un jour offrirais-je ce livre moi aussi ?

jeudi 21 janvier 2010

Poème d'amour métropolitain

Une figure régulière du métro matinal : un homme au cheveux gris qui échange quelques feuillets faits maison contre un peu d'argent.

Ce matin, il nous propose des "poèmes d'amour fou", étrange chose à vendre dans la rame somnolente.

Nous sommes plusieurs à fouiller nos sacs pour en sortir quelques deniers, un ticket restaurant.

Je refuse la feuille photocopiée, dis que ce n'est pas la peine.

Il m'adresse un sourire, la met dans ma main d'autorité. Je souris un merci à mon tour.

Entre Réaumur-Sébastopol et Quatre Septembre, je lis les mots fous d'Apollinaire à Lou, le coeur serré, la foule autour oubliée.

Je ressors dans le froid que je ne sens plus. Peut-être la trace de la larme qui a roulé sur mon nez est-elle un peu plus fraiche au vent du matin...

lundi 11 janvier 2010

Ushuaia – Terre de Feu

Adieu Patagonie, ses icebergs et glaciers azuréens, ses vastes espaces et ses lacs turquoise, je m’envole pour Ushuaia. Moi qui ai une « fin de terre » bretonne dans le cœur, je vais en découvrir une autre, aux antipodes de la mienne.

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Ma première impression d’Ushuaia, c’est une lumière incroyable. Peut-être la jonction de la montagne et de la mer, aux confins du monde, non loin de l’Antarctique, crée-t-elle un espace lumineux différent, comme une grande pureté de couleurs. A peine arrivée, en cette fin de journée où subsistent quelques rayons d’un soleil clair, je descends les rues en pente de la ville vers le port, entre les maisons de tôle peinte ou de bois pour aller regarder les bateaux encerclés de montagnes aux reflets bleus ou roses.

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Le lendemain, on vient me chercher de bonne heure : une heure de route dans un minibus au chauffeur enragé, sur des routes sinueuses, un coup à regretter son petit déjeuner. Quand on nous laisse descendre du bolide, on est un peu pâlichons et contents de retrouver le grand air. Il nous faut reprendre nos esprits rapidement : on nous donne pantalons imperméables, bottes, gilets de sauvetage et pagaies et nous voilà sur l’eau, deux canoës à la suite, à pagayer en rythme et en silence sur les eaux du canal de Beagle, environnés de montagnes grises ou lumineuses selon que le soleil nous visite ou qu’une averse sauvage et brutale nous trempe. Nous approchons des rives rocheuses ou reposent quelques lions de mer solitaires et paresseux, des cormorans qui s’abritent de la pluie ou nous accompagnent de leurs vols rasants.

Nous abandonnons les canoës un peu plus tard, montons à bord d’un Zodiac qui nous emmène sur une île plus lointaine, après moult recommandations : nous sommes sur une réserve naturelle de pingouins et il convient de respecter leur tranquillité. Les petits habitants de l’île ne sembleront guère troublés par notre présence, les seuls qui restent à bonne distance sont les quelques pingouins antarctiques qui vivent là, ceux aux becs et pattes orange, l’emblème d’Ushuaia. Je n’en rapporterai que cette image tremblotante, mon appareil n’est pas fait pour les zooms intenses. Nous ne resterons que peu de temps sur l’île, intrus au cœur de cette communauté. Nous nous amusons des démarches pataudes ou sautillantes des pingouins mais restons admiratifs de la vitesse incroyable de leur nage : une fois sous l’eau ils filent comme des flèches autour du bateau.

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Adieu pingouins, nous allons nous restaurer dans une cabane de tôle au poêle bienvenu pour réchauffer nos mains gelées et faire un peu sécher nos gants trempés. Un poisson grillé et un peu de vin argentin nous remettrons sur pieds pour la randonnée de l’après-midi au milieu des montagnes et des barrages de castors. La petite bête aux dents acérées est invisible, mais quelques ibis nous feront cadeau de leur envol élégant. Le soir, je m’endormirai fatiguée et contente, mes rêves pleins d’images de nature silencieuse et d’animaux en liberté.

Le lendemain, je reprends un bateau pour aller jusqu'au phare des Eclaireurs, drôle de repère marin posé au milieu des montagnes sur le canal de Beagle. Autour de lui, et jusqu'à l'embouchure du canal, un chapelet d'îles minuscules abrite des colonies de cormorans ou de lions de mer, dont les moteurs de bateaux n'ont pas l'air de troubler les lourds sommeils tendrement entremêlés.

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Avant de quitter Ushuaia, je rends visite au musée local, installé dans l'ancienne prison qui a abrité de nombreux criminels et détenus politiques jusqu'à la fin des années 50 (dont peut-être l'idole Carlos Gardel, on en est presque sûr). Une partie des cellules a été transformée pour retracer la vie des prisonniers et l'histoire locale. Ils se sont crus obligés d'y mettre des mannequins de bagnards ou de gardiens, tous assez patibulaires et superflus. Une autre partie de la prison a été conservée en l'état et ça fait froid dans le dos. La boutique du musée, par ailleurs, propose à l'achat des souvenirs d'un goût pour le moins... discutable.

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Une autre partie du musée retrace la découverte et l'histoire maritime de la Terre de Feu, avec d'étonnantes cartes de Magellan, notamment. Un petit espace est réservé à l'évocation des Yamanas, les indiens de la Tierra del Fuego, qui vivaient nus dans ce rude climat, avant l'arrivée des missionnaires. Ceux-ci n'ayant eu comme première "charité" à leur égard que de les habiller par souci de "décence" et de leur donner un habitat auquel il n'était guère habitués, vivant au plein air, leur ont offert par la même occasion maladies et problèmes d'hygiène et d'insalubrité inexistants avant leur arrivée : la population Yamana a été décimée en quelques décennies...

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Je quitte Ushuaia à regrets : j'aurais aimé rester plus longtemps, passer le Cap Horn en kayak. Mais aucune expédition n'était prévue aux dates où je séjournais. Une autre fois, revenir pour faire connaissance avec l'Antarctique aussi... Un jour, un jour, tant de choses à découvrir en ce vaste monde...

Je repars vers Buenos Aires pour une dernière journée avant le retour vers la France, un premier janvier où je serais fort occupée à m'éloigner du barnum du départ du Dakar et à me faire dévorer par les moustiques à Puerto Madero, les anciens docks de Buenos Aires transformés en promenade chic ponctuée d'une enfilade de restaurants.

Je préfère garder et vous offrir comme dernières images de mon séjour un ciel rose du soir et un lion de mer méditatif devant les beautés du bout du monde.

BONNE ET BELLE ANNÉE A TOUS !!!

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lundi 28 décembre 2009

Patagonie

El Chaltén, Patagonie, petit village aux maisons de tôle, de brique ou de bois blotties au pied du Mont Fitz Roy, point de départ des expéditions vers le Cerro Torre. On vient là pour marcher vers les cimes voire les escalader, et il y a intérêt à être équipé : je ne sais comment sont les autres saisons ici mais aujourd’hui 26 décembre, plein été, il souffle un vent glacial et d’une force à décorner les bœufs, comme on dit par chez moi. J’ai renoncé à aller dès mon arrivée découvrir le Fitz Roy en me lançant sur les sentiers de randonnée pour plusieurs heures. Mon expédition d’hier et mon « mini-trekking » de deux heures sur le glacier Perito Moreno, ont laissé mon genou droit maussade et je ne veux pas le contrarier aujourd’hui.

Oui je les ai vus ces deux jours derniers, mes icebergs bleus ! Et beaucoup plus que cela puisque je comprends désormais l’expression « bleu glacier », une merveille de bleu. Illusion d’optique, paraît-il, mais cela m’est bien égal. Bleu il paraît, bleu il est. Point.

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Deux jours à El Calafate, mon premier contact avec La Patagonie après quatre heures d’avion depuis Buenos Aires où il convient d’être du côté droit pour admirer la Cordillière des Andes. D’emblée on est ébahi par l’immensité des paysages, la couleur turquoise et laiteuse du Lago Argentino au pied de montagnes si lointaines au bout d’une steppe verte qu’on croirait ne jamais les atteindre, et des moutons, quelques vaches et des chevaux, qui bénéficient de milliers de kilomètres carrés de pâturage.

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A El Calafate, tout le monde porte des chaussures de randonnée et des sacs à dos. Les nouveaux arrivants sont blancs, les autres un peu rouges. Je le serai moi aussi le lendemain malgré mon écran presque total, grand air et réflexion du soleil sur le glacier obligent. Une journée de bateau, pour circuler entre les icebergs, et admirer d’en bas la paroi du glacier, le lendemain, je retrouve celui-ci des passerelles surplombant sa façade sur le lac. Il est vivant, le Perito Moreno, il craque et gronde, chaque morceau qu’il perd dans l’eau s’accompagnant d’un bruit de tonnerre qui se répercute de longues secondes sur toutes ses parois de glace. Enfin, un peu de marche au milieu de ses percées bleues, chaussés de crampons et accompagnés d’un guide, beau… comme un montagnard argentin. Il y a de ces petits plaisirs du voyage qu’il est bon de goûter des yeux.

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J’ai rejoint El Chaltén ce matin, après quatre heures de bus pendant lesquelles le regard ne sait où se porter au lointain, vers les sommets de plus en plus enneigés. J’ai consacré mon après-midi, puisque, fainéante, j’ai décidé de ne rien faire, du moins rien de fatiguant, à buller et écrire au coin d’une cheminée non allumée, puisque nous sommes en été, je vous dis (renseignements pris, l’hiver la température peut descendre à -20°, mais il n’y a pas de vent, chance). J’ai demandé à goûter le maté traditionnel, que les argentins boivent toujours et partout, armés de thermos d’eau chaude, de mini-calebasses aux rebords argentés dans laquelle trempe une bombilla (prononcer « bombicha »), sorte de cuillère en argent creuse, percée de trous sur la face large et qui se finit en paille, qu’ils se passent pour y aspirer tour à tour l’eau infusée d’herbes âcres. Le maté est un partage. J’avoue ne pas avoir apprécié outre mesure son amertume. Au moins j’aurais essayé. Par ailleurs, tous les magasins de souvenirs vendent ces petits récipients à maté, c’est un joli objet à défaut de s’en servir pour y boire le breuvage trop fort pour mon palais délicat…

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Le lendemain, j’ai décidé de ne pas marcher : mon genou s’y refuse et c’est une activité que je n’aime pas pratiquer en solitaire. On vient me chercher après le petit déjeuner : direction une estancia au-delà du village. On me prête des jambières de cuir pour monter une jument charmante nommée Sandi, et nous partons trois cavaliers au milieu des montagnes. Périple magnifique, impossible aux randonneurs. Nous ne croiserons pas âme qui vive, hormis quelques lièvres de Patagonie affolés, et des familles de canards au grand complet sur les lacs petits ou grands de notre chemin de toutes les couleurs. Nous traversons des sous-bois infiniment verts ou bien de bois morts recouverts de poudre neigeuse. Elle tombe sur nous doucement, comme une pluie de sucre glace. Les chevaux grimpent vaillamment, traversent les rivières, enjambent tranquillement les arbres morts et nous mènent plus haut, là où le regard porte sur le Fitz Roy, qui joue à cache-cache avec les nuages. Je peine à dire mon émerveillement en espagnol, mais mes deux compagnons le comprennent et le partagent.

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Nous redescendons à un rythme plus soutenu : les chevaux sont pressés de rentrer à la maison, on dirait. A l’estancia, c’est l’heure du marquage des veaux. On nous attendait pour le déjeuner : des salades fraiches et un « cordero » : un agneau qui grille devant un feu à l’extérieur. La viande est rendue plus délicieuse par la vue sublime qui nous est offerte au cours de ce repas. Quelques chiens amicaux m’assaillent et se disputent des caresses. J’achèverais mon déjeuner assise dans l’herbe avec trois ou quatre museaux posés sur mes cuisses, au grand amusement des gauchos (? j'ignore totalement si on les appelle comme ça ici ?) qui boivent leur maté autour du feu.

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Je retrouve Sandi pour une petite heure de chevauchée. Les chiens nous entourent et nous accompagnent pour un bout de route, slalomant entre les pattes des chevaux débonnaires. Mon postérieur un rien endolori (mais dont je bénis en cette unique occasion le superflu rembourrage…) est heureux de regagner l’hôtel et sa cheminée accueillante. Je crois que je vais bien dormir cette nuit. Et rêver peut-être du Fitz Roy que j'ai presque vu dégagé au cours de ce périple équestre.

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mardi 22 décembre 2009

Milonga

Fin de troisième jour à Buenos Aires. La ville est immense, chaude, ventée, animée, mélange d’immeubles de verres et de maisons anciennes, très occidentale, ma foi. Comme à mon habitude, j’arpente la ville à pied, des heures durant, plan à la main, une destination en tête mais y arrivant souvent par des chemins de traverse, j’évite la ligne droite. J’évite aussi, autant que faire se peut, le soleil brûlant, ma peau de fille du nord récemment exposée à la neige parisienne brûle aussi vite qu’un papier cigarette. J’aime à me perdre dans des rues aux recoins ombrés, dans des dédales imprévus. Ceci dit, la ville est construite en damier, il n’y a pas ici de ruelles tortueuses au dessin surprenant qui vous ramène là d’où vous venez, il est très facile de s’y repérer.

J’ai donc découvert la Plaza de Mayo, l’Avenida du même nom et l’obélisque (moche) de l’avenida 9 de Julio (un argentin rencontré dans l’avion m’avait dit : « Vous allez voir, Buenos Aires ressemble à Paris, on a un obélisque »… Euh, très franchement, je préfère la Concorde).

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J’ai fait connaissance avec les antiquaires de San Telmo et les boutiques de Palermo, j’ai rendu visite à la sépulture d’Evita au cimetière de la Recoleta, j’ai vu un autoportrait de Frida Kalho au MALBA (Musée des Arts Latinoaméricains de Buenos Aires), et accessoirement une expo Warhol… J’ai mangé du dulce de leche (une tuerie, à mi-chemin entre la confiture de lait et le caramel mou), bu des vins locaux franchement très bons (et qui titrent 13,5° pour la plupart des rouges… avec 31°5 à l’extérieur, j’évite à l’heure du déjeuner) et apprécié l’accent local plus facile à comprendre que l’espagnol d’Espagne. J’ai poussé ce matin jusqu’à Caminito dans le quartier de la Boca, mais c’est la Place du Tertre locale, infestée de touristes, de restaurants à attractions pour lesquelles on vous alpague dans la rue, et quand on essaie de s’éloigner un peu du cœur de la meute, de très gentilles vieilles dames vous font signe que c’est très « peligroso » de s’aventurer dans les rues tout à coup désertes et qu’il convient de rebrousser chemin. J’ai mangé une glace à la cannelle au sublime café Tortoni et apprécié les collections admirables du Museo de Bellas Artes. Trois journées très occupées, pleines d’images et de kilomètres. Mais, très franchement, au cours de ces trois jours, je n’ai pas eu de « coup de cœur » pour la ville. Pas déçue, non, juste pas assez dépaysée, peut-être, cette ville ressemble aux nôtres, au fond.

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Le cadeau de Buenos Aires, c’était hier soir, l’émotion vraie, le grand merci d’être là que l’on ressent parfois en voyage. La raison pour laquelle on part, on va découvrir un ailleurs. Une découverte, une surprise divine. Ce que l’on ramènera avec soi.

Le tango est partout ici, à l’angle d’une rue un bandonéon vous cueille, une planche de bois posée au sol et un couple enlacé, il y en a partout le dimanche, on donne des cours dans la rue. Le portrait de Carlos Gardel sourit dans chaque bar, dans chaque kiosque, plus encore qu’Evita, l’autre star locale incontestée (en outsider, on a évidemment le football en général, Maradonna en particulier… et Mafalda !).

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Je n’avais pas spécialement envie d’aller assister à un dîner-spectacle de tango, sûrement très beau mais c’est le genre de sortie que j’évite de pratiquer en solitaire. Et puis ce tango-là, le spectaculaire, voire l’acrobatique, les danseurs apprêtés et pros jusqu’aux pointes de leurs chaussures, ce n’était pas celui que j’avais envie de voir… Non j’ai poussé la porte de la Confiteria Ideal, un sublime vieux café de la ville (1912) qui propose des « milongas » dans sa salle de danse du premier étage. Le terme milonga désigne à la fois la salle, et la session de danse qui s’y déroule. J’ai payé la modique somme de 18 pesos (environ 3 €) pour passer une paire d’heures fabuleuses dans un lieu magique, à regarder des danseurs, ni pros, ni débutants, mais amateurs connaisseurs, habités par leur danse, évoluer au son de cette musique magique. Ceux-là pratiquent le « milonguero », le tango qui se danse la joue ou le front serré contre celui de son partenaire, où les pas s’accordent sans effets particuliers, naturels comme on respire, comme un cœur bat.

Etonnamment, alors que cette adresse célèbre figure dans tous les guides, il n’y avait pas là hier soir de touristes venant prendre leçon, ou s’essayant pataudement aux figures de base. Non, juste un public d’habitués, jeunes et vieux, qui viennent là pour le plaisir, en fin de journée, faire des tours de piste avec d’autres passionnés. Les femmes sont un peu habillées ou en jean, mais elles portent toutes les chaussures de tango qu’elles ne mettent qu’en arrivant dans la salle, comme une danseuse classique ses pointes. Et les rangent soigneusement, presque religieusement à la fin de la session, remettant leurs sandales plates pour ressortir dans la rue. J’avais l’impression d’être une spectatrice privilégiée, la seule à ne pas danser, et je peux vous dire que je l’ai regretté. Qu’est-ce qu’ils étaient beaux ces couples souples et légers, les yeux fermés pour la plupart, perdus dans le mouvement de la danse sensuelle et chaste, comme dans un rêve. Il y a là comme de la ferveur, palpable.

L’invite se fait d’un bout de la salle à l’autre, muette, comme un rituel connu des seuls initiés, code ancestral. La danseuse invitée indique son acceptation d’un regard, d’un signe de tête et le danseur traverse la salle pour aller la chercher. Certaines, un peu princesses, ne se lèvent que quand le cavalier leur prend la main, d’autres se lèvent à son approche et vont à sa rencontre. Et l’enlacement réciproque, et l’attente parfois pour s’élancer en mesure ensemble. Je ne les vois pas parler, le départ de la danse se donne du corps même, sans doute. Magie.

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J'ai fait un tout petit film avec mon appareil photo, mais je n'arrive pas à vous le mettre ici. Juste un cliché un peu flou, un peu sombre, piètre reflet de la beauté qu'il m'a été donné de voir hier soir, mais il était bien sûr hors de question de troubler le rituel par un flash vulgaire et malvenu.

Je m'envole demain pour El Calafate, en Patagonie. Je suis heureuse de retrouver de grands espaces, la ville m'oppresse un peu. Je reviens à Buenos Aires le 1er janvier. J'espère pouvoir m'y offrir une milonga spéciale pour inaugurer la nouvelle année en toute harmonie, en toute beauté...

lundi 14 décembre 2009

Sophie

J’ai déjà dit ici l’aversion que je ressens pour les réseaux dits « sociaux », FaceTruc et consorts. Pourtant je reconnais que FaceMachin m’a fait l'autre jour un très beau cadeau, et que je suis rentrée chez moi ensuite toute remuée de cette émotion inattendue.

J’avoue avoir créé une fiche lambda sur FaceBidule, à la seule fin d’aller parfois – rarissimement - y chercher la bobine de quelqu’un avec qui je suis en contact professionnel, ce que j’ai fait il y a quelques jours au bureau. Et puis, de fil en aiguille, ayant retrouvé à grand peine mes coordonnées d’accès à FaceMmmm, je m’y suis attardée et suis allée visiter quelques pages et cherché de qui je pourrais bien avoir envie d’avoir des nouvelles dans mes connaissances perdues de vue. Et j’ai atterri – par une chance extrême – sur la page de Sophie.

Sophie, c’est mon amie d’enfance. On s’est connues bébés ou presque. Nous avons partagé nos années de maternelle. Deux maisons séparaient nos maisons et même petites nous avions le droit de nous rendre l’une chez l’autre, un parent attentif surveillant que nous ne quittions pas le trottoir.

Elle était arrivée petite dernière d’une fratrie où la précédaient trois grands frères casse-cous. J’étais la troisième de quatre filles sages. Chez elle régnait un joyeux capharnaüm qui m’émerveillait, où je me sentais maladroite et empruntée, et j’en voulais un peu à mes parents d’être si rigides comparés aux siens. Sa mère, si belle et rieuse, n’était jamais une intruse dans nos jeux, dans mon souvenir, et nous laissait faire mille bêtises inimaginables chez moi : je me souviens d’une après-midi crêpes qui avait totalement dégénéré, chacune imaginant la crêpe la plus immonde à déguster. Et sa mère riait aux éclats avec nous devant nos mélanges camembert/banane, sans s’offusquer le moins du monde.

Chez elle, dans ces années soixante-dix, on écoutait du rock à pleine puissance sur la chaine ultra perfectionnée du salon familial, quand la musique, toute musique, était considérée comme du « zinzin » par mon père, qui en tolérait à peine l’écoute, recluses dans nos chambres.

Avec Sophie, j’ai vécu les cours de danse du mercredi après-midi et les premières cigarettes chipées à ses frères et crapotées en toussant au fond du jardin, les courses dans la campagne et les constructions de cabanes dans les champs de maïs. J’ai connu les premières boums où je faisais tapisserie pendant qu’elle collectionnait les soupirants. Ensemble nous découvrions la féminité, elle entourée de garçons dans une famille où la parole était permise, moi entourée de filles dans un univers silencieux : mes premières règles auraient sûrement été une grande surprise si elles ne m’avaient été expliquées à l’extérieur de chez moi… Petites filles curieuses, nous regardions à la volée, éberluées, l’anatomie exacerbée des filles des « Play Boy » qui trônaient sans se cacher dans les chambres de ses frères, observant nos propres corps qui changeaient sans nous paraître devoir jamais ressembler à celles-là…

Les années de lycée nous ont un peu séparées, nos amis respectifs s’accordant mal de nos styles différents, elle baba-cool, moi BCBG. Nous continuions à nous croiser, différentes mais liées par une enfance commune, des secrets partagés, une mutuelle tendresse, je crois. Et puis ses parents ont divorcé, la maison deux maisons plus loin a été vendue, elle est partie vivre dans la ville d’à-côté, pas très loin mais nous n’étions plus les amies d’avant, déjà un peu éloignées même quand il n'y avait encore que quelques mètres seulement de trottoir entre nous. Je suis partie étudier le cinéma à Paris.

La dernière fois que je l’ai vue, nous avions 20 ans. J’étais de passage chez mes parents pour un week-end, des vacances peut-être. Le téléphone a sonné. "Sophie pour toi", a dit Maman. Sophie a dit « Je voudrais te présenter ma fille. », et j’ai failli tomber par terre : j’ignorais même qu’elle était enceinte.

Je la revois dans le salon de notre maison, avec ce tout petit bébé que je n’osais toucher, incrédule, et Sophie aux yeux pleins d’amour nouveau pour le trésor gigotant, qui m’expliquait avec les mots de notre enfance que c’était rigolo d’être enceinte parce qu’on ne voyait pas ses pieds. Je me souviens de cette phrase-là et de notre rire retrouvé.

J’ai eu des nouvelles de Sophie 15 ans plus tard, elle s’était installée sur une île paradisiaque à l’autre bout de la terre et le trésor avait eu deux petites sœurs.

C’est ce bébé, qui a aujourd’hui presque 26 ans, qui m’a permis de la retrouver. Elle avait donné à sa première fille un nom ancien et inusité dont je me suis toujours rappelé, accolé superbement au nom italien de son papa. Un nom unique et beau, gravé dans ma mémoire, que j’ai tapoté sur FaceB… et qui m’a conduite à des albums photos pleins d’émotions.

Sophie ressemble aujourd’hui à celle que je l’imaginais devenir : belle et libre. Ou en tous cas c’est que les photos m’ont raconté. Elle habite toujours sur son île, ses yeux sont encore plus verts et elle a un tatouage sur l’épaule gauche. Là, dans ce décor de soleil et de mer turquoise, j’ai retrouvé le sourire de la petite fille qui partageait mes jeux dans notre campagne bretonne. Mon amie si chère.

Je ne sais si Sophie garde de moi un souvenir aussi vif que celui que j’ai d’elle. J’ai toujours eu l’impression que notre relation était déséquilibrée, qu’elle m’apportait beaucoup plus à moi qu’à elle.

D’elle, aussi délurée que j’étais raisonnable, j’ai appris qu’il convenait de ne pas l’être trop. Elle m’a offert une fenêtre ouverte dans mon enfance un peu trop régulée, un petit vent de folie possible, qu’on pouvait rêver, et choisir. La part de liberté qu’il y a en moi, je crois bien que c’est grâce à elle qu’elle a pu grandir et se développer parce que c’est au cours de nos courses d’enfants pas sages qu’elle en a semé la graine vivace. Parce que j’ai vécu à ses côtés les années où l’on se forge, où l’on apprend à devenir soi, et que son regard vert, ses refus et nos rires partagés ont immensément compté sur ce chemin-là. J’ai eu depuis d’autres amitiés, plus longues, plus abouties, plus adultes, infiniment précieuses et encore présentes à mes côtés, mais celle-là, la toute première, a le goût des apprentissages dont on fait le ciment pour sa vie. Toute sa vie.

Je lui ai envoyé un petit mot sur FesseBouc, pour lui dire que j’étais émue de l’avoir retrouvée là, que je serais heureuse de savoir si elle est heureuse, ce que je souhaite de tout mon cœur. Je lui ai donné le lien vers ce blog. Peut-être lira-t-elle ceci, peut-être pas. Peu importe, je suis heureuse d’avoir parlé d’elle ici, comme une sorte de merci indicible.

samedi 5 décembre 2009

Retour en Catalogne

J’ai retrouvé Barcelone sous la pluie. La ville vit ce dimanche soir au rythme d’un match de football qui monopolise les bars et fait chanter les aficionados. Je regarde sereine cette agitation qui m’est étrangère.

J’ai atterri ici un peu plus tôt. Un évènement professionnel les deux prochains jours me ramenant à cette ville que j’ai tant aimée, où j’ai vécu mon plus grand amour.

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Il y a 20 ans que Julio m’amenait ici pour la première fois, un jour d’août torride et amoureux, dont je me souviens de chaque minute, du moindre détail. Les trois années suivantes, son travail et notre amour de la ville nous avaient fait revenir souvent ici, et nous parlions parfois de nous y installer. Je n’y étais plus revenue depuis 1992, l’année des Jeux Olympiques qui avaient transformé la capitale catalane en un immense chantier et détruit la Barceloneta et ses petits restaurants de plage si pittoresques et doux à vivre. Nous aimions à y dévorer des petites fritures de poissons et des calamars fondants en nous aimant des yeux, avant d’aller nous dorer sur la plage pas très propre où se retrouvaient des familles bruyantes et gaies le dimanche. A la fin d’une après-midi brûlante, saoulés de soleil et de vin vertigineux, nous rentrions la main dans la main prendre ensemble une douche fraiche à l’hôtel. Le soir, nous errions et nous embrassions dans l’ombre des ruelles du Bario Gotico, que j’ai retrouvées mouillées de pluie, sous un ciel noir, avant le retour du soleil rayonnant de froidure du lendemain.

Je voulais ces quelques jours solitaires, par crainte des fantômes entrelacés que je pensais croiser ici. Je n’en ai vu aucun. La ville m’est apparue bondée de touristes, payant la rançon de sa beauté, sans doute. J’y ai mangé et ri beaucoup, accompagnée parfois de gens du cru ou d’étrangers cosmopolites et bavards. J’ai marché des heures durant, ne m’arrêtant qu’au bruit creux de mon talon droit, qui s’est avéré tronqué de trop de kilomètres catalans, m’OBLIGEANT (si, si !) à racheter des chaussures pour achever ma route du jour.

J’ai fait une cure de tapas et de Gaudi, dont j'avais oublié le foisonnement et les courbes folles, saoulée de mosaïques multicolores et de jambon noir, gras et parfumé. J’aime cet endroit, mais je ne sais pas si j’aurais encore envie d’y vivre. J’entends la langue sans problème, la parle plus difficilement, manque de vocabulaire. Je dois réviser très sérieusement avant mon départ prochain en Argentine.

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L'émotion inattendue, à la fin de ce séjour bref et gai, viendra finalement, comme autrefois, du regard fiévreux et noir et des dessins de génie de Dali, qui nous avait réunis, Julio et moi, il y a vingt ans, et dont chaque trait de crayon, chaque fulgurance de couleur peut me laisser le coeur battant. Du peintre de Port Lligat, j'avais l'image de l'homme fou de mon enfance, dont je ne connaissais que les moustaches un rien ridicules et une publicité pour le chocolat. Je dois à l'amour d'un homme d'en avoir découvert le talent et la grâce. Et en ce jour de décembre 2009, j'ai retrouvé intacte mon admiration, non pour ses peintures monumentales et célèbres ("La girafe en feu"), rarement visibles, mais pour ses dessins innombrables, dont un nombre conséquent est exposé dans un musée récent, tout proche de la cathédrale de Barcelone. J'y ai passé une heure hors du temps et des contingences du quotidien, nourrie de la beauté de la moindre esquisse[1] et mise en joie par les titres iconoclastes dont Dali avait le secret : "Phallus familier, escargot en mouvement transformé en visage anamorphosé devenu base pour une grotesque licencieuse", "Bossu à la cornemuse nourrissant un crocodile"...

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Enfin, pour clore ce séjour émouvant, une minuscule place à l'église abimée, dont la façade garde la mémoire cruelle des fusillés de la guerre d'Espagne...

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Je reviendrai à Barcelone, sans crainte de regrets ou de souvenirs noirs, il y a ici la mémoire et la beauté. Oui, je reviendrai sans crainte.

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Notes

[1] pardon pour la médiocre qualité du dessin publié, il s'agit d'une esquisse minuscule que j'ai photographiée sans flash...

jeudi 19 novembre 2009

Bleu Iceberg

Bon, il serait temps que je donne à ce blog une couleur un peu moins triste que ces derniers temps. A part en ce qui concerne mes (sublimes) bottes (non encore photographiées, je sais, je sais), je reconnais avoir tenu des propos pour le moins moroses depuis quelques temps, amours contrariées et actualité obligent…

Et pourtant tout n’est pas si noir en cet automne doux et clair. Je suis paresseuse, les mots me manquent et mon petit cœur est tout couturé de partout façon marionnette de Tim Burton, mais j’ai des projets et des envies, et ma nonchalance automnale fait naître des rêves dans ma tête dont il faudra bien que je fasse quelque chose à un moment ou à un autre.

Le projet de voyage en Argentine est venu et s’est concrétisé à toute allure. Une envie de ce pays-là, diffuse et indéterminée, des flashs de paysage, la musique d’une langue, un espace vaste et si peu familier, l’envie d’ailleurs, c’est tout. Alors je suis infidèle à l’Inde, Bénarès me manquera encore cette année, mais sera toujours là. Comme la Bretagne (c’est idiot sûrement, mais dans mon cœur, dans mes pensées, Bénarès et la Bretagne sont indissolublement liées, deux facettes de mon univers, deux lieux de la terre où je me sens à ma place, étrange lien à travers l’espace…).

Je m’envole vers Buenos-Aires dans un mois. J’ai des billets d’avion et des points de chute là-bas. On m’a donné quelques noms amis, quelques adresses. J’ai acheté un guide ou deux que je n’ai pas ouverts. Les 14 heures d’avion à venir suffiront à les survoler aussi. La musique des noms chante parfois fugitivement à mes oreilles : El Calafate, El Chalten, Ushuaia, mais je ne prépare pas grand-chose. Il faudra pourtant que j’achète les chaussures et vêtements nécessaires pour faire la connaissance des glaciers de Patagonie. J’ai tout juste entré dans mon téléphone portable la météo de ces noms lointains, et je regarde parfois rêveusement les petits soleils ou nuages qui s’inscrivent, mes yeux effleurent les températures indiquées sans y prêter vraiment attention. Pour l’instant le voyage est irréel, j’ai envie d’ouvrir les yeux simplement sur ce pays inconnu et de me laisser porter, de prendre ce qu’il voudra m’offrir, sans rien en préjuger.

Des images flottent dans mon esprit, devant mes yeux perdus dans le plafond blanc de ma chambre, vraies ou fausses, je le découvrirai bientôt : je vois des chevaux, des bateaux, des montagnes, et un iceberg bleu turquoise qui me poursuit de sa lumière irréelle car j’en ai croisé l’image l’autre jour dans un reportage sur la Patagonie, côté chilien. J’ignore tout à fait s’il me sera donné de croiser l’un de ses semblables, mais pour l’instant, la couleur de mon voyage est celle-là : un bleu insensé fait de lumière et de glace, merveille cristallisée, promesse de beauté.

Je n’ai pas hâte d’y être. L’attente du voyage en fait partie, sans impatience, tourbillon d’images rêvées qui deviendront des souvenirs, ou pas. Frissons de désirs sans nom, imaginer ce que l’on ne sait, tout est permis. J’aime infiniment ce voyage-là aussi. Immobile, plein d’espoir et de couleur. Bleu iceberg.

mardi 17 novembre 2009

Jocelyn Q, 30 ans

J'avoue avoir trainé hier toute la journée une tristesse diffuse à l'annonce de sa mort. Je ne savais rien de cet homme jeune, hormis que je le trouvais sympathique et bon acteur. Et j’appréciais tout autant sa compagne, qui, non contente d’être sublime, avait l’air tout à fait charmante.

Il s'est tué dimanche soir brutalement, au volant de sa voiture, et l’annonce de cette mort subite réveille, comme chaque fois que j’en apprends une similaire - qu'elle frappe des gens connus ou non - le souvenir de stupeurs anciennes, la mémoire de jours noirs. Je sens dans ma bouche le goût de métal amer de la mort de l’Autre. Oui, chaque fois revient ce méchant goût-là. J’ai envie de cracher au loin cette salive empoisonnée comme j’avais envie de le faire il y a… il y a longtemps, pour ce qui me concerne, mais de ces souvenirs-là je ressens encore les sensations physiques, c’est insensé. Comme si la moindre de mes cellules avait imprimé en elle la mémoire de cette souffrance et la revivait - de façon beaucoup plus légère, Dieu merci - à chaque évènement similaire qui vient à ma connaissance et appelle mon étrange et sincère chagrin.

Je sens en moi depuis hier une compassion absolue pour celle qui reste, dont j’imagine de loin l’étau qui l’enserre, l’incrédulité hébétée, dont je sais le poids cruel que pèseront au creux de sa poitrine les jours, les semaines, les mois à venir de sa vie jamais pareille.

Parce je me souviens de l’inéluctable cauchemar dont on ne se réveille pas ou si longtemps après, de l’infini gouffre dont il est interminable de s’extirper, de la nausée de chagrin dont on pense – on espère, parfois - qu’on va mourir aussi.

Parce que je sais les images qui se bousculent, les dernières et les anciennes, se télescopant en un patchwork insoutenable de bonheurs disparus. Je sais les minuscules choses qui se feront les pires pour rappeler l’absent. Le chagrin s’accroche à une brindille, à une tête d’épingle, à un petit rien qui peut vous écorcher vif.

Parce que je sais la vision inadmissible d’une caisse de bois où gît un corps qu’on a serré dans ses bras, avec qui on a fait l’amour, quelques jours auparavant. Et qui va brûler. Ou être dévoré. Et les éveils trempés de sueur et de peur des nuits à suivre où les cauchemars se font dignes d'un film d'horreur et de désespoir.

Parce que je sais les regrets infinis de ne pas avoir assez... Pas assez dit, fait, montré, profité, aimé, réalisé, vécu chaque bribe des instants ensemble. Parce que je sais le reproche absurde que l'on se fait de ne pas avoir soupçonné, deviné, que ces mots échangés, ce baiser distrait peut-être, étaient les derniers. Comment n'a-t-on pas senti l'urgence de ce moment unique qui ne sera suivi que de jamais plus ? Comment ??!! Et la colère abattue qu'on en ressent.

Je ne sais pas, en revanche, la douleur ou l'espoir que représente un enfant dans cette terrible équation-là. Ce doit être plus terrible encore ? Ce doit être plus facile de se raccrocher à la vie ? Je l'ignore. Je n'ai pas connu cette joie terrifiante.

Je sais aussi le temps-baume et la tendresse souriante des souvenirs qui ne font plus souffrir, un jour, bien après. Heureusement, je sais cela aussi. Mais pour ceux, si nombreux, qui sont dans l'oeil du cyclone de la perte d'un amour, là, aujourd'hui, le savoir n'est même pas un espoir. Je le sais aussi. Et je suis infiniment triste.

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