Roma, bellissima

Je commence à avoir mes habitudes à Rome – comme dans quelques villes où mon boulot m’amène annuellement[1]. Arrivée sans encombres bien qu’un jeudi de grève, un monsieur m’attend à l’arrivée avec mon nom écrit maladroitement sur une pancarte. On roule vers la ville – pas trop Fangio, c’est rare, la dernière fois, le chauffeur conduisait à 180, volant tenu au genou, les mains trop occupées par deux telefoninos dans lesquels il criait en même temps. Un salut au Colisée sur le chemin, on passe par des petites rues charmantes aux façades ocres et roses. A peine le temps de poser mon sac dans une chambre d’hôtel simili-antique au confort très 21è siècle, je fonce vers ma petite trattoria préférée, nichée au fond d’une cour ombrée de feuillage, pleine d’italiens en famille et de vieux magnifiques qui s’engueulent en jouant aux cartes. On s’interpelle d’une table à l’autre, je comprends parfois quelques échanges, c’est très gai. Rituellement, je choisis le premier plat de pâtes de la liste du jour, illisible, et que personne ici ne sait me traduire. Je fais confiance et c’est toujours délicieux. Je commence par quelques gressins croustillants, une mozzarella joufflue que j’agrémente de poivre et d’huile d’olive odorante, d’un verre de vin blanc frais. Et je crois bien que je suis heureuse. Tout à l’heure, je me poserai sur le rebord de marbre lisse d’une fontaine exubérante pour offrir ma paresse post-pasta au tiède soleil d’automne, chanceuse…

Le lendemain : matin boulot. Je rencontre une foultitude d’italiens bruyants qui m’étourdissent de projets par milliers, paroles chantantes et mains expressives. Quelquefois, je ne les écoute pas beaucoup ; je les regarde et les aime bien. Une italienne sublimement belle et ronde m’expose avec passion un scénario dont elle est l’héroïne, inspiré de sa vie : les aléas d’un corps détesté, rejeté, malmené, puis accepté et sublimé, façon comédie à l’italienne. J’adore. Aujourd’hui, la belle aux formes généreuses les expose pour éduquer les yeux, les cœurs, changer les préjugés. Elle est connue ici, il parait, grâce à l’association qu’elle a créée qui montre dans toutes les écoles d’Italie, par le biais d’un petit fascicule éducatif et salutaire, des corps de femme différents pour lutter contre les troubles alimentaires adolescents. Elle publie aussi chaque année un calendrier où posent de « vraies femmes » (donna, donna !), m’offre celui de 2010 bientôt obsolète et me propose tout de go de faire partie des modèles 2011. J’accepte, enthousiaste et honorée. Nous tombons dans les bras l’une de l’autre à l’issue d’un rendez-vous professionnel devenu intime. Bon sang, que j’aime mon métier et les gens magnifiques qu’il me permet de rencontrer ! (Cependant, je ne sais pas si je ferai vraiment partie des modèles de l’année à venir : les prises de vues ont lieu à Rome et je ne suis pas sûre de pouvoir y retourner pour l’occasion.)

Après-midi libre et vagabonde, de la place d’Espagne à Santa Maria in Trastevere, en passant par la Piazza Navona, le Campo de Fiori, retour furtif par la Trevi aussi assiégée que si une horde d’Anita Ekberg se baignait encore dedans… Mes jambes fatiguées se réconfortent à la pensée des nouvelles bottes souples trouvées en chemin qu’elles arboreront dès demain (oui, je sais, j’en ai déjà 72 paires au bas mot, mais c’est ici la tentation permanente, des bottes toutes plus sublimes les unes que les autres me guettent à chaque coin de rue, et je suis très faible en ce domaine…). Quelque part au gré de quelques ruelles colorées, je me pose sur une piazza minuscule, devant une église de poupée, pour déguster une glace à la réglisse (à la réglisse !!!) à mourir de plaisir, et je comprends pourquoi une amie m’a dit récemment m'avoir reconnue à chaque ligne du livre « Mange, Prie, Aime », best-seller un peu new age/neu-neu mais néanmoins sympathique, récemment adapté façon comédie romantique américaine typique, et dont la recherche désordonnée du bonheur s'apparente, je ne peux le nier, à la mienne. Oui, j’avoue avoir expérimenté pas mal de formes de méditation et de quêtes spirituelles de tous ordres à certaines époques de ma vie, mais franchement, bien mieux qu’après une séance de zazen torturante ou une heure de méditation ponctuée de « Om » convaincus, quand je suis dans un lieu sublime, le cœur en paix, à déguster une époustouflante glace à la réglisse (à la réglisse !!!), je communie pour de bon avec l’univers tout entier et je crois que Dieu et le Bonheur existent (enfin, j’en suis persuadée la plupart du temps, mais là j’en ai la preuve…et si Javier Bardem ou assimilé est au bout du chemin, je prends, et j'y croirais plus encore !)

Néanmoins, malgré – ou à cause de – toutes ses beautés, Rome me fait parfois irrésistiblement penser à une vieille femme qui ressasserait sans fin ses succès d’antan, ses amants disparus, ses courbes divines désormais ridées et oubliées. J’ai l’impression qu’on ne parle jamais ici que de la splendeur de l’Empire ou de la Dolce Vita. Et que le temps s’est arrêté ensuite… J’avoue en être toujours surprise et parfois agacée. La Ville est peut-être Eternelle mais s’apparente à un grenier, à mes yeux. Un grenier splendide et bourré de merveilles, mais grenier quoi qu’il en soit. J’arrive ici pour un festival récent, et les films dont on parle toujours le plus ce sont « Vacances Romaines », omniprésent, et – éternellement – la « Dolce Vita », dont on fête le 50è anniversaire cette année. J’ai l’impression que – presque - tous les producteurs et réalisateurs que je croise ici se réfèrent sans fin à Fellini. Peut-être faudrait-il les informer qu’il est mort et qu’il conviendrait de passer à autre chose… sans pour autant être coupable de crime de lèse-majesté (à mon humble avis).

J’avoue me plaire parfois plus dans le mouvement de Londres l’excentrique où j’étais la semaine dernière, de Madrid où tout est plus fou et iconoclaste qu’ici, de Berlin dont l’histoire douloureuse s’est faite levier de créativité. J’aime que Paris n’ait pas hésité à construire Beaubourg au centre d’un quartier ancien et à marier une pyramide de verre au Louvre. Rome est à mes yeux un peu trop confite dans la dévotion au passé… mais infiniment belle. J’ai des sentiments partagés à l’égard de cette vieille dame qui m’a offert néanmoins cette année un bien joli séjour.

Notes

[1] C’est pour cela que je renonce aujourd’hui à migrer en Bretagne : mon avenir professionnel serait trop fade comparé à mon actualité passionnante en ce domaine. On verra plus tard.

Commentaires

1. Le samedi 30 octobre 2010, 21:09 par Pierre

Tsss, tu écris toujours avec une élégance subtilement drôle qui me rend jaloux ;o)

Belle description d'ambiance et de ressentis personnels !

2. Le dimanche 31 octobre 2010, 10:41 par Fajua

Mais qu'irais-tu donc faire dans un calendrier de rondes

3. Le dimanche 31 octobre 2010, 11:05 par Traou

Tsss, tsss, Pierre, jaloux ? Mais quelle idée ! Il m'arrive moi d'être jalouse de la profondeur de tes écrits, sais-tu... ;-)

Hello Fajua, heureuse de te lire. Non il ne s'agit pas d'un calendrier de "rondes" mais de femmes "de la vraie vie", peut-être me suis-je mal exprimée : des jeunes, des vieilles, des rondes, des maigres, souriantes et bien dans leur peau. Tiens, voici la version 2010 en ligne : http://blog.panorama.it/culturaesoc...

4. Le dimanche 31 octobre 2010, 11:41 par Sel

J'ai l'occasion assez souvent d'aller à Rome, et j'y ressens exactement la même chose que toi. Cette impression d'une très belle ville, mais enlisée dans son passé...
Merci de l'avoir si bien mis en mots
(je ne pense pas avoir déjà commenté, mais je te lis assez régulièrement:))

5. Le dimanche 31 octobre 2010, 15:18 par Fajua

Je viens chaque fois, sans forcément le dire ... ;)

6. Le dimanche 31 octobre 2010, 15:22 par Fajua

J'ai suivi le lien, en effet, plein de femmes de toutes sortes :) Le thème rouge, juste un peu trop présent à mon sens. Mais, de toute façon, si j'ai bien compris, nous ne t'y verrons jamais... ;)

7. Le mardi 2 novembre 2010, 07:26 par Anne

Cette liste de noms de villes me laisse toute rêveuse. Ah Rome. Un jour. Quand même. Saluer l'aïeule-ville :)

8. Le mardi 2 novembre 2010, 12:14 par Fauvette

Un jour, je crois que je te demanderai tes bonnes petites adresses romaines, et zou quelques jours en Italie !
C'est un chouette boulot que tu as, et précieux aussi !
Des bises

9. Le lundi 22 novembre 2010, 15:58 par Fauvette

Tu ne vas quand même pas oublier ton billet mensuel, celui de novembre ?