Hadrien

Paris se tait. Paris reste immobile de trop de chaleur. Comme mon chat étendu autant qu'il peut cherche la petite fraicheur du carrelage de la salle de bains. Il y laisse des poils par paquets, aurait envie d'être nu sûrement autant que moi. Le plus fin des voiles se fait pelisse aujourd'hui, la peau moite est déjà une trop chaude couverture. Je rêve de mer. Plus que quelques jours. La marée m'attend à 10h26 jeudi prochain. J'ai noté dans mon agenda ce rendez-vous essentiel. Je prendrai la route au petit matin pour l'honorer.

Ne pas bouger. Etendue à l'ombre, j'ai achevé la lecture des "Mémoires d'Hadrien" de Marguerite Yourcenar, dans une sorte d'extase calme. Je ne sais pourquoi, ce livre m'attendait depuis 30 ans dans ma bibliothèque. Je le savais là pourtant, mais remettais toujours son approche à plus tard. Peut-être en avais-je besoin seulement maintenant ? Je dois à l'ami Chondre de l'avoir ouvert il y a quelques temps, lu très lentement, chaque mot virtuose méritant d'être savouré, réfléchi, aimé. Il n'est pas de ces livres qui se lisent comme on se désaltère avec désinvolture, il est un nectar précieux dont chaque mot fait sens, riche même de sa simplicité.

J'ai parcouru parfois des pages en soulignant des mots, des phrases, des paragraphes d'un trait de crayon dans la marge, pour y revenir, pour m'en nourrir encore. Du roman lui-même, de cette vie d'Hadrien, empereur de Rome, racontée par lui à l'orée de la mort, sage et lucide, mais aussi des notes de l'auteur publiées à la fin de l'édition de poche, réflexions brillantes sur l'écriture elle-même, les choix et les doutes d'un auteur face à son oeuvre.

J'ai été impressionnée et touchée qu'elle ait écrit une première version de ce roman érudit entre sa 20è et sa 25è année ! Texte entièrement détruit par elle-même et dont elle affirma qu'il "méritait de l'être"... Les "Mémoires d'Hadrien" seront finalement publiées en 1951, elle avait 48 ans et dit du texte premier : "En tous cas, j'étais trop jeune. Il est des livres qu'on ne doit pas oser avant d'avoir dépassé quarante ans. On risque, avant cet âge, de méconnaître l'existence des grandes frontières naturelles qui séparent, de personne à personne, de siècle à siècle, l'infinie variété des êtres..."

Je crois que je reviendrai souvent rendre visite à Hadrien, goûter à nouveau ses mots apaisés de vieil homme qui parlent de la vie, du mystère du sommeil, de l'approche de la mort, du pouvoir, des hommes, de l'amour, du deuil de l'être aimé, du labyrinthe de la douleur, de la foi, de tout ce qui compose l'aventure humaine, intemporelle.

"Ne jamais perdre de vue le graphique d'une vie humaine, qui ne se compose pas, quoi qu'on dise, d'une horizontale et de deux perpendiculaires, mais bien plutôt de trois lignes sinueuses, étirées à l'infini, sans cesse rapprochées et divergeant sans cesse : ce qu'un homme a cru être, ce qu'il a voulu être, et ce qu'il fut."

Marguerite Yourcenar

Commentaires

1. Le dimanche 11 juillet 2010, 11:27 par Matoo

J'ai aussi été drôlement marqué par le bouquin. Je te conseille "Julien" de Gore Vidal si tu ne connais pas. C'est moins bien écrit évidemment mais fabuleux à sa manière. ;)

2. Le dimanche 11 juillet 2010, 23:25 par Fajua

La citation dernière est un nectar

3. Le mardi 13 juillet 2010, 07:37 par Anne

C'est toujours un grand moment dans la vie quand on "rencontre" un livre (ou une œuvre, quelle qu'elle soit, d'ailleurs), qui nous devient majeur.

4. Le mardi 20 juillet 2010, 12:47 par Fauvette

Je partage ton goût pour Marguerite Yourcenar. Mais je ne me souviens pas d'avoir lu Hadrien, et ça m'inquiète un peu !

Et l'eau, elle est bonne ?