Milonga

Fin de troisième jour à Buenos Aires. La ville est immense, chaude, ventée, animée, mélange d’immeubles de verres et de maisons anciennes, très occidentale, ma foi. Comme à mon habitude, j’arpente la ville à pied, des heures durant, plan à la main, une destination en tête mais y arrivant souvent par des chemins de traverse, j’évite la ligne droite. J’évite aussi, autant que faire se peut, le soleil brûlant, ma peau de fille du nord récemment exposée à la neige parisienne brûle aussi vite qu’un papier cigarette. J’aime à me perdre dans des rues aux recoins ombrés, dans des dédales imprévus. Ceci dit, la ville est construite en damier, il n’y a pas ici de ruelles tortueuses au dessin surprenant qui vous ramène là d’où vous venez, il est très facile de s’y repérer.

J’ai donc découvert la Plaza de Mayo, l’Avenida du même nom et l’obélisque (moche) de l’avenida 9 de Julio (un argentin rencontré dans l’avion m’avait dit : « Vous allez voir, Buenos Aires ressemble à Paris, on a un obélisque »… Euh, très franchement, je préfère la Concorde).

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J’ai fait connaissance avec les antiquaires de San Telmo et les boutiques de Palermo, j’ai rendu visite à la sépulture d’Evita au cimetière de la Recoleta, j’ai vu un autoportrait de Frida Kalho au MALBA (Musée des Arts Latinoaméricains de Buenos Aires), et accessoirement une expo Warhol… J’ai mangé du dulce de leche (une tuerie, à mi-chemin entre la confiture de lait et le caramel mou), bu des vins locaux franchement très bons (et qui titrent 13,5° pour la plupart des rouges… avec 31°5 à l’extérieur, j’évite à l’heure du déjeuner) et apprécié l’accent local plus facile à comprendre que l’espagnol d’Espagne. J’ai poussé ce matin jusqu’à Caminito dans le quartier de la Boca, mais c’est la Place du Tertre locale, infestée de touristes, de restaurants à attractions pour lesquelles on vous alpague dans la rue, et quand on essaie de s’éloigner un peu du cœur de la meute, de très gentilles vieilles dames vous font signe que c’est très « peligroso » de s’aventurer dans les rues tout à coup désertes et qu’il convient de rebrousser chemin. J’ai mangé une glace à la cannelle au sublime café Tortoni et apprécié les collections admirables du Museo de Bellas Artes. Trois journées très occupées, pleines d’images et de kilomètres. Mais, très franchement, au cours de ces trois jours, je n’ai pas eu de « coup de cœur » pour la ville. Pas déçue, non, juste pas assez dépaysée, peut-être, cette ville ressemble aux nôtres, au fond.

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Le cadeau de Buenos Aires, c’était hier soir, l’émotion vraie, le grand merci d’être là que l’on ressent parfois en voyage. La raison pour laquelle on part, on va découvrir un ailleurs. Une découverte, une surprise divine. Ce que l’on ramènera avec soi.

Le tango est partout ici, à l’angle d’une rue un bandonéon vous cueille, une planche de bois posée au sol et un couple enlacé, il y en a partout le dimanche, on donne des cours dans la rue. Le portrait de Carlos Gardel sourit dans chaque bar, dans chaque kiosque, plus encore qu’Evita, l’autre star locale incontestée (en outsider, on a évidemment le football en général, Maradonna en particulier… et Mafalda !).

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Je n’avais pas spécialement envie d’aller assister à un dîner-spectacle de tango, sûrement très beau mais c’est le genre de sortie que j’évite de pratiquer en solitaire. Et puis ce tango-là, le spectaculaire, voire l’acrobatique, les danseurs apprêtés et pros jusqu’aux pointes de leurs chaussures, ce n’était pas celui que j’avais envie de voir… Non j’ai poussé la porte de la Confiteria Ideal, un sublime vieux café de la ville (1912) qui propose des « milongas » dans sa salle de danse du premier étage. Le terme milonga désigne à la fois la salle, et la session de danse qui s’y déroule. J’ai payé la modique somme de 18 pesos (environ 3 €) pour passer une paire d’heures fabuleuses dans un lieu magique, à regarder des danseurs, ni pros, ni débutants, mais amateurs connaisseurs, habités par leur danse, évoluer au son de cette musique magique. Ceux-là pratiquent le « milonguero », le tango qui se danse la joue ou le front serré contre celui de son partenaire, où les pas s’accordent sans effets particuliers, naturels comme on respire, comme un cœur bat.

Etonnamment, alors que cette adresse célèbre figure dans tous les guides, il n’y avait pas là hier soir de touristes venant prendre leçon, ou s’essayant pataudement aux figures de base. Non, juste un public d’habitués, jeunes et vieux, qui viennent là pour le plaisir, en fin de journée, faire des tours de piste avec d’autres passionnés. Les femmes sont un peu habillées ou en jean, mais elles portent toutes les chaussures de tango qu’elles ne mettent qu’en arrivant dans la salle, comme une danseuse classique ses pointes. Et les rangent soigneusement, presque religieusement à la fin de la session, remettant leurs sandales plates pour ressortir dans la rue. J’avais l’impression d’être une spectatrice privilégiée, la seule à ne pas danser, et je peux vous dire que je l’ai regretté. Qu’est-ce qu’ils étaient beaux ces couples souples et légers, les yeux fermés pour la plupart, perdus dans le mouvement de la danse sensuelle et chaste, comme dans un rêve. Il y a là comme de la ferveur, palpable.

L’invite se fait d’un bout de la salle à l’autre, muette, comme un rituel connu des seuls initiés, code ancestral. La danseuse invitée indique son acceptation d’un regard, d’un signe de tête et le danseur traverse la salle pour aller la chercher. Certaines, un peu princesses, ne se lèvent que quand le cavalier leur prend la main, d’autres se lèvent à son approche et vont à sa rencontre. Et l’enlacement réciproque, et l’attente parfois pour s’élancer en mesure ensemble. Je ne les vois pas parler, le départ de la danse se donne du corps même, sans doute. Magie.

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J'ai fait un tout petit film avec mon appareil photo, mais je n'arrive pas à vous le mettre ici. Juste un cliché un peu flou, un peu sombre, piètre reflet de la beauté qu'il m'a été donné de voir hier soir, mais il était bien sûr hors de question de troubler le rituel par un flash vulgaire et malvenu.

Je m'envole demain pour El Calafate, en Patagonie. Je suis heureuse de retrouver de grands espaces, la ville m'oppresse un peu. Je reviens à Buenos Aires le 1er janvier. J'espère pouvoir m'y offrir une milonga spéciale pour inaugurer la nouvelle année en toute harmonie, en toute beauté...

Commentaires

1. Le mardi 22 décembre 2009, 23:49 par Pablo

Là bas, dans le grand Sud, tu vas avoir besoin de te réchauffer un peu, j'ai l'impression ! : tu n'auras plus besoin de glace, mais il te faudra plutôt du mate (la boisson nationale argentine), j'espère que quelqu'un t'offrira la possibilité et le plaisir d'en partager un... En tout cas, c'est tout un privilège de pouvoir lire cette chronique presque en direct de là bas ! Bonne fin d'année !

2. Le mercredi 23 décembre 2009, 12:37 par Madeleine

Bonnes fêtes de fin d'année à toi Traou ! Et merci merci pour ce récit qui me fait voyager si loin sans bouger les fesses de la chaise du bureau :)
Encore !

3. Le jeudi 24 décembre 2009, 10:17 par Fauvette

Trois jours intenses à Buenos-Aires, j'aime ces balades avec toi, j'aime découvrir la ville, Buenos-Aires grâce à toi ! Merci.
Quand même c'est une autre ambiance que Paris !

Tu dois maintenant être dans les grands espaces de la Patagonie, je suis curieuse de lire ton prochain billet !

Je t'embrasse Traou.

4. Le vendredi 25 décembre 2009, 12:27 par Akynou

Joyeux noël à l'autre bout du monde :-)