Retour en Catalogne

J’ai retrouvé Barcelone sous la pluie. La ville vit ce dimanche soir au rythme d’un match de football qui monopolise les bars et fait chanter les aficionados. Je regarde sereine cette agitation qui m’est étrangère.

J’ai atterri ici un peu plus tôt. Un évènement professionnel les deux prochains jours me ramenant à cette ville que j’ai tant aimée, où j’ai vécu mon plus grand amour.

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Il y a 20 ans que Julio m’amenait ici pour la première fois, un jour d’août torride et amoureux, dont je me souviens de chaque minute, du moindre détail. Les trois années suivantes, son travail et notre amour de la ville nous avaient fait revenir souvent ici, et nous parlions parfois de nous y installer. Je n’y étais plus revenue depuis 1992, l’année des Jeux Olympiques qui avaient transformé la capitale catalane en un immense chantier et détruit la Barceloneta et ses petits restaurants de plage si pittoresques et doux à vivre. Nous aimions à y dévorer des petites fritures de poissons et des calamars fondants en nous aimant des yeux, avant d’aller nous dorer sur la plage pas très propre où se retrouvaient des familles bruyantes et gaies le dimanche. A la fin d’une après-midi brûlante, saoulés de soleil et de vin vertigineux, nous rentrions la main dans la main prendre ensemble une douche fraiche à l’hôtel. Le soir, nous errions et nous embrassions dans l’ombre des ruelles du Bario Gotico, que j’ai retrouvées mouillées de pluie, sous un ciel noir, avant le retour du soleil rayonnant de froidure du lendemain.

Je voulais ces quelques jours solitaires, par crainte des fantômes entrelacés que je pensais croiser ici. Je n’en ai vu aucun. La ville m’est apparue bondée de touristes, payant la rançon de sa beauté, sans doute. J’y ai mangé et ri beaucoup, accompagnée parfois de gens du cru ou d’étrangers cosmopolites et bavards. J’ai marché des heures durant, ne m’arrêtant qu’au bruit creux de mon talon droit, qui s’est avéré tronqué de trop de kilomètres catalans, m’OBLIGEANT (si, si !) à racheter des chaussures pour achever ma route du jour.

J’ai fait une cure de tapas et de Gaudi, dont j'avais oublié le foisonnement et les courbes folles, saoulée de mosaïques multicolores et de jambon noir, gras et parfumé. J’aime cet endroit, mais je ne sais pas si j’aurais encore envie d’y vivre. J’entends la langue sans problème, la parle plus difficilement, manque de vocabulaire. Je dois réviser très sérieusement avant mon départ prochain en Argentine.

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L'émotion inattendue, à la fin de ce séjour bref et gai, viendra finalement, comme autrefois, du regard fiévreux et noir et des dessins de génie de Dali, qui nous avait réunis, Julio et moi, il y a vingt ans, et dont chaque trait de crayon, chaque fulgurance de couleur peut me laisser le coeur battant. Du peintre de Port Lligat, j'avais l'image de l'homme fou de mon enfance, dont je ne connaissais que les moustaches un rien ridicules et une publicité pour le chocolat. Je dois à l'amour d'un homme d'en avoir découvert le talent et la grâce. Et en ce jour de décembre 2009, j'ai retrouvé intacte mon admiration, non pour ses peintures monumentales et célèbres ("La girafe en feu"), rarement visibles, mais pour ses dessins innombrables, dont un nombre conséquent est exposé dans un musée récent, tout proche de la cathédrale de Barcelone. J'y ai passé une heure hors du temps et des contingences du quotidien, nourrie de la beauté de la moindre esquisse[1] et mise en joie par les titres iconoclastes dont Dali avait le secret : "Phallus familier, escargot en mouvement transformé en visage anamorphosé devenu base pour une grotesque licencieuse", "Bossu à la cornemuse nourrissant un crocodile"...

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Enfin, pour clore ce séjour émouvant, une minuscule place à l'église abimée, dont la façade garde la mémoire cruelle des fusillés de la guerre d'Espagne...

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Je reviendrai à Barcelone, sans crainte de regrets ou de souvenirs noirs, il y a ici la mémoire et la beauté. Oui, je reviendrai sans crainte.

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Notes

[1] pardon pour la médiocre qualité du dessin publié, il s'agit d'une esquisse minuscule que j'ai photographiée sans flash...

Commentaires

1. Le samedi 5 décembre 2009, 18:51 par Fajua

J'aime, moi aussi, Barcelone, depuis un séjour de quatre jours en compagnie d'un fin connaisseur. Mon jeune guide, mon cousin, mon filleul qui, lui aussi, et donc sans relation amoureuse, m'a ôté toute envie d'y retourner, moins bien guidée... Tu vois, la vie est étrange !

2. Le samedi 5 décembre 2009, 22:16 par telle

pour faire excuser la médiocre qualité de la photo, tu peux proposer une autre photo bien nette, de tes bottes par exemple. et de tes nouvelles chaussures que tu as été contrainte (pauvre petite chose) d'acheter ?

3. Le dimanche 6 décembre 2009, 17:37 par Akynou

J'ai du mal à retrouver la Barcelone de mon adolescence. Le barrio chino que je connaissais a disparu et plein d'autres choses encore. Mais je reste attachée à cette ville, à Gaudi, etc.
Cela dit, si tu y a entendu de l'espagnol (j'imagine que c'est de cela dont tu parles quand tu mentionne la langue que tu entend et que tu dois réviser avant ton séjour en Argentine), tu as de la chance. Cela fait longtemps que le catalan est redevenu LA langue de la ville. Aun point que c'en est parfois agaçant. Même les Espagnols non locaux ont été obligés de s'y mettre pour trouver du boulot. Et certains des étudiants en Erasmus ont quelques problèmes car ils croyaient suivre des cours en espagnol et les entendent en catalan, qu'ils ne comprennent pas.
C'est évident que les Catalans ont souffert des années de centralisme dictatorial franquiste, mais je trouve qu'ils vont parfois un peu loin.

4. Le lundi 7 décembre 2009, 07:07 par Traou

J'avais découvert cette ville joliment guidée, comme toi, Fajua. J'ai aimé aussi ces derniers jours la parcourir en solitaire, me perdant dans des rues inconnues et demandant mon chemin (quand ce n'étaient pas des japonais qui me demandaient le leur !)

C'est en cours, Telle ;-) Promis juré : le billet est presque écrit, il ne reste que les photos à faire !

En fait, Akynou, la réunion pour laquelle je venais était très internationale, donc bien sûr le catalan en était exclu. Et dans les rues, j'entendais beaucoup de castillan. Mais il est certain que le régionalisme militant qui règne dans beaucoup de régions d'Espagne peut apparaître un peu outré : par exemple, je travaille aussi bien avec Madrid qu'avec Barcelone et il est totalement exclu de faire une réunion conjointe avec des professionnels des deux régions... Ceci dit ça m'arrange : deux séjours en Espagne au lieu d'un ! :-)

5. Le lundi 7 décembre 2009, 08:21 par Pablo

Le plaisir de te lire !

6. Le lundi 7 décembre 2009, 08:38 par Anne

Le plaisir de te lire, l'envie de mettre mes pas dans les tiens...