Bonheur, bonheurs ? (propos désordonnés)

Une vaste question circule sur les blogs, que Fajua m’envoie aujourd’hui : ‘C’est quoi le bonheur ? ». Heureusement qu’il est spécifié qu’on peut y répondre « à sa façon », après tout, c’est très personnel, le bonheur, enfin je crois.

J’avoue que « le » Bonheur, avec un grand B, s’il existe, je l’ignore tout à fait. Je suppose que c’est réservé à de grands mystiques, des chanceux qui ont trouvé leur place dans ce monde pas facile, des miraculés ayant échappé aux épreuves classiques de la vie, ou des inconscients. Bienheureux les simples d’esprit…

Moi je ne sais que les petits bonheurs, mes préférés. Les moments de bien-être fulgurants ou tranquilles, le cœur transporté pour un instant fugace, éphémère, mais dont les effluves se prolongeront, avec un peu de chance. J’ai déjà écrit ici, souvent, mes bonheurs, que d’aucuns qualifieront peut-être de simples plaisirs, qui passent pour moi souvent par les sens : bonheur(s) chaque jour de sentir, goûter, voir, entendre, toucher, caresser, respirer la vie. Plus forts, au bout du compte, que tous les désespoirs.

C’est drôle, en réfléchissant à cette immense notion, je me suis rendue compte que je suis très douée pour le bonheur à contretemps : le bonheur de l’attente, le bonheur rêvé, le bonheur du souvenir. Avant le bonheur, c’est déjà le bonheur, après le bonheur, c’est encore le bonheur. Je le jure !

Un autre blogueur, il y a quelques temps, m’interrogeait sur mon « petit bonheur » préféré (ou était-ce « petit plaisir » ? Les deux notions sont si liées pour moi…) Je n’avais le droit d’en donner qu’un seul, et de ne pas trop y réfléchir. Et celui qui m’est venu immédiatement à l’esprit (et que je savoure plus encore désormais quand il m’arrive de le vivre, d’ailleurs), c’est ce bonheur/plaisir que j’éprouve d’arriver la première à un rendez-vous, dans un bar ami, et d’y attendre quelqu’un que j’aime, de savoir qu’il sera là bientôt. Ces quelques minutes sont parmi les plus heureuses de celles que j’ai la chance de vivre, c’est drôle. Commander un verre et savourer en solo une première gorgée de vin blanc frais, lever mon verre à la beauté de l’instant présent, si consciente du privilège d’avoir un ami, un être aimé à attendre, heureuse de savourer l’écoulement des minutes, confiante, à ne rien faire d’autre qu’être là pleinement, sans impatience, ces moments-là sont des trésors.

Je jouis tout autant du bonheur rêvé, imaginé, projeté. En le sachant du domaine de l’irréel, sans me leurrer sur son incertitude, mais heureuse à l’avance d’un hypothétique avenir, heureuse de savoir que je pourrais l’être… C’est ce que j’ai vécu ces derniers mois, en rêvant ma vie bretonne, une maison près de la mer, une nouvelle vie, j’en voyais les couleurs, j’en goûtais les saveurs, et ce voyage mental m’a rendue heureuse. Absolument. Aujourd’hui le rêve a cédé la place à l’incertitude, une certaine déception sans doute, mais ces semaines d’imagination de ma nouvelle vie à venir ont été du bonheur quoi qu’il en soit. Et l’espoir est toujours là. Finalement, il m’arrive d’être heureuse tout simplement d’espérer qu’un jour je vais l’être.

Je sais aussi que, finalement, mes bonheurs passés ont laissé une trace indélébile en moi. Ils sont aujourd’hui peut-être mon meilleur remède aux jours difficiles, aux douleurs à venir. Oui, se souvenir du bonheur, c’est heureux, encore. La mémoire des moments magiques, le souvenir d’une peau chaude à l’odeur aimée contre la mienne, le souvenir de l’amour dans les yeux d’un autre, c’est un peu de mon bonheur à moi. Le bonheur c’est aussi, apaisée, s’en souvenir quand il appartient au passé.

A l’heure où j’écris ces lignes, je suis au cœur d’un week end familial. Une vaste maison envahie, mes parents si heureux de me voir. Ce matin, j’ai acheté du pain craquant au village, suis revenue à la maison par le chemin des écoliers, le long de la côte. Me suis assise sur un vieux banc de pierre moussue pour regarder les bateaux aux mâts cliquetants, les reflets du soleil et des nuages dans la mer émeraude, avant de retrouver la maison embaumée des parfums du repas dominical. L’empreinte de mes pas dans le sable, les fous-rires de mes neveux, les petites nouvelles échangées, le vin dans les verres entrechoqués, le plaisir de se retrouver, c’est du bonheur avant, c’est du bonheur maintenant, c’est du bonheur plus tard, de savoir que ça existe quelque part. Et même si je me laisse aller parfois à la mélancolie de me retrouver seule, je sais que cette vie coule en moi comme un cœur battant, plus forte que les maux de l’âme, et que le bonheur, si ce n’est pas ça, ça y ressemble drôlement. Le mien en tous cas.

Commentaires

1. Le lundi 13 avril 2009, 07:34 par Boutoucoat

petit bonheur ? à l' instant présent ...l' odeur du pain grillé qui monte et me fera descendre prendre mon p'tit dèj.
Bonne fin de week-end avec les tiens et en choquant les verres " Yec' hed mad " !

2. Le lundi 13 avril 2009, 08:47 par Fajua

Que de douce mélancolie dans tes bonheurs… Ton tableau est très touchant. Merci d'avoir poursuivi la chaîne…

3. Le lundi 13 avril 2009, 11:36 par Pierre

Petit bonheur de te lire, Traou, et de retrouver dans tes lignes ma façon de vivre le bonheur. « Je me suis rendue compte que je suis très douée pour le bonheur à contretemps : le bonheur de l’attente, le bonheur rêvé, le bonheur du souvenir. Avant le bonheur, c’est déjà le bonheur, après le bonheur, c’est encore le bonheur ». Oui, c'est tout à fait ça ! Et pendant le bonheur c'est encore meilleur ;o)

Une question qui me titille de temps en temps : Ya t'il une aptitude au bonheur ? Est-ce une orientation choisie, volontaire ?

4. Le lundi 13 avril 2009, 17:02 par John USHANT de KELLER

Hello ...

Content t'avoir de vos nouvelles ...
Toujours aussi sympa ici...

TRAOUement Vôtre

@ John USHANT de KELLER
Guard of sheeps in Ushant Island

48°28'; Nord

5°06'; Ouest
5. Le mardi 14 avril 2009, 11:02 par Anne

Je partage avec toi ce bonheur du juste avant, j'en avais fait un billet, me semble-t-il...

Merci de tes petits bonheurs, ils sont doux à lire.

6. Le mardi 14 avril 2009, 18:20 par Valérie de Haute Savoie

Les magnolias qui lentement cèdent la place aux feuilles vert tendre, les lilas qui pas encore éclos, laissent déjà un parfum délicat doucement se répandre... Mais celui de s'asseoir sur un banc moussu, entendre cliqueter les mats, laisser ses empreintes sur une plage déserte... ce bonheur me fait fondre rien qu'à te lire !

7. Le jeudi 16 avril 2009, 16:04 par azuleanne

Ah comme le sujet est délectable. Et comme le bonheur aime venir frapper à ta porte, par tous les pores de ta peau Traou. Donc en te lisant, j'ai savouré tes bonheurs à toi si contagieux...Je crois que le bonheur s'appelle bonheur car il est du domaine du fugace, du fugitif, évanescent qui en fait toute la magie! Le bonheur à contre-temps, c'est aussi doux et terriblement intense, c'est vrai.

8. Le vendredi 17 avril 2009, 10:35 par Céleste

Traou, ton texte est beau, il te ressemble.

J'aime beaucoup cette idée de bonheur à contre-temps, c'est très juste.

Avant de m'endormir, très souvent, je me rappelle de beaux moments et le matin, quand, parfois, je n'ai pas envie de me lever, j'imagine les petits instants de bonheur que j'aurais dans la journée, les petites choses qui la rendront plaisante et qui valent la peine de sortir du lit.

baci :-)

9. Le vendredi 17 avril 2009, 14:56 par Fauvette

Un texte si simple, et si bon à lire... Merci Traou.

Et merci encore, j'ai suivi ton conseil, qui me procure un p'tit bonheur très agréable : je " sens" Petite Chérie de chez AG !

10. Le samedi 18 avril 2009, 10:06 par mikado

Le bonheur n'est jamais là où on l'attend. D'une certaine façon, c'est un grand malappris. Il est mal coiffé - et dans son sourire éclatant on peut lire autant l'angoisse que le désir.

11. Le samedi 18 avril 2009, 12:02 par Kab-Aod

Chaque fois que je songe au bonheur, je me revois aussitôt siroter une tasse de café, tôt le matin, dans le soleil cévenol, mon conjoint non loin, même si j'ai connu des bonheurs bien plus intenses que cela. Alors, le bonheur ? : ce serait les meilleurs tessons du passé qui tapisseraient la crique secrète du futur :)

12. Le lundi 20 avril 2009, 00:50 par Le Yéti

"Je n’avais le droit d’en donner qu’un seul"

En donner un seul... et, comme tu peux le constater dans les commentaires, en recevoir tout une flopée en écho !
Salut à toi, très belle Traou !

13. Le lundi 20 avril 2009, 10:20 par vieil anar

Ce matin, moi je serais plutôt dans un trip: "Laissez moi tranquille, avec votre bonheur..!", comme ça..., l'humeur..., mais bon, comme disait Léo Ferré, dans je ne sais plus quelle chanson:
"Le bonheur, c'est pas grand chose, Madame ?

C'est du chagrin qui se repose, alors...
Il ne faut pas le réveiller,
Le bonheur..."

Oui, allez j'arrête de plomber l'ambiance, contrairement à toi, moi, j'aurais plutôt une certaine délectation à arriver...en retard...! :-)

14. Le mercredi 22 avril 2009, 17:28 par Pablo

Le bonheur de certaines lectures qui nous emmènent à d'autres bonheurs inattendus. (Comme celle-ci).