Nuit blanche

Dimanche 7h30 du matin. Les volutes vertes et roses des sièges du métro dansent un peu devant mes yeux. Je rentre me coucher. J’essaie d’identifier ceux de mes compagnons de rame qui se lèvent, eux. Dans les stations, des formes endormies sous des duvets, nombreuses, si nombreuses. J’ai bu beaucoup de bière, ri et parlé avec tant d’inconnus, saouls et saoulants parfois, rieurs et grandiloquents, insouciants pour quelques heures au moins.

Doux vertige. Cacophonie de sourires et de regards. On danse serrés quelque part au bout du bar. Des filles aux cheveux épars qui lèvent des bras fins et nerveux au rythme des basses affolées. Des garçons jeunes aux yeux vifs, des hommes aux traits usés que j’ai l’impression d’avoir déjà croisés là il y a des années, l’empreinte de leur coude moulée dans le zinc du bar. Le frisson du froid du dehors qui accompagne les fumeurs désormais. Je vole une taffe de blonde, souvenir de plaisir, aujourd’hui écoeuré mais si tentant. On rentre dans le chaud et le bruit amical et grouillant. La mousse dorée coule dans des verres qu’on entrechoque, heureux. Rien n’a trop d’importance, les promesses de se revoir n’engagent que la seconde où elles sont prononcées. On s’oubliera aussitôt la porte franchie. Restera le souvenir d’une jolie soirée, d’un rire clair, de mots bizarres et gais, incohérents sûrement, d’un cou embrassé, d’une peau à l’odeur peu familière qu’on ne respirera plus jamais. Et quelques numéros de téléphone griffonnés sur des bouts de papier froissés mouillés, échoués au fond de mon sac, et dont je ne me souviendrai plus si ce Fred maladroitement écrit était ce beau gars aux yeux clairs qui voulait que l’on goûte le lever du jour ensemble, ou bien ce Richard cyclothymique que j’ai laissé les yeux égarés devant sa 100è bière, qui suggérait d’aller écouter du Bach en buvant un café.

Dans un couloir à République, une créature moulée de cuir rouge chavire en chantonnant sur des talons aiguilles fatigués, la perruque désordonnée. J’entends mes veines battre, avides de sommeil. La fatigue galope vers mes paupières. Je la retiendrai jusqu’à la porte fermée, à peine le temps d’ôter mes vêtements chauds pour me glisser dans les draps qui me berceront sans rêves. Une dernière vision fugitive de l’au revoir aux amis chers, la main embrassée avec une chaleur un peu ivre, la joue piquante pressée contre la mienne, les épaules entourées d’amitié. On s’appellera demain pour se dire que c’était bien.

Commentaires

1. Le dimanche 7 décembre 2008, 18:28 par pomme

C'est tellement ça... merci Traou ! Tes mots se font rares mais ils n'en ont que plus de saveur.

2. Le lundi 8 décembre 2008, 07:41 par La Sardine MAsquée du Port

Les gens normaux après une nuit blanche, soignent leur gueule de bois et n'écrivent pas de petites pépites brillantes et tendres sur leurs compagnons de beuverie d'un soir. Il y a très longtemps que je n'ai pas vécu ce genre de nuit. Mais j'ai de bons souvenirs...

(c'était tout pareil sauf que je n'étais pas sage et que je rentrais un peu trop souvent avec un Fred ou un Richard sous le bras :-)

Ps : tu viendrais pas faire un tour dans le sud cet hiver ? nan, pasque la bretagne c'est bien hein, j'peux pas dire, mais c'est un peu loin de chez moi et j'aimerai bien te voir par ici...

3. Le lundi 8 décembre 2008, 11:15 par Le Yéti

Souvenirs réanimés, par ce billet, de ces traversées nocturnes de Paris que j'aimais tant. Mon bar favori, mon port pendant si longtemps, il y a si longtemps : Au Rêve, rue Caulaincourt dans le 18e (j'habitais dans le 15e, de l'autre côté, je faisais l'allée-retour à pied !).
J'y suis retourné récemment, après tant d'années. Hélyette, l'inamovible et si adorable patronne, m'a reconnu.

4. Le lundi 8 décembre 2008, 11:18 par Traou

Oh, bonjour Pomme, cela fait bien longtemps que je ne t'ai pas croisée par ici, cela me fait plaisir ! Fais-moi signe si tu passes par Paris. Bises (te lire me manque...)

Bonjour belle Sardine, cela faisait très longtemps moi aussi que je n'avais pas vécu une telle nuit (aussi longue surtout !). Mais comme j'ai moi aussi des souvenirs de retours pas sages, je me contente désormais d'admirer les belles gueules de Fred ou Richard au coeur de la nuit. Je sais trop les réveils amers où l'on se trouve beaucoup moins beau/moins belle le jour venu... Je garde ainsi seulement le meilleur de ces petits vertiges-là.
Sinon, oui oui je viendrais volontiers te voir, tu me ferais découvrir ta ville que je ne connais pas, et on irait choquer des verres ensemble !

5. Le lundi 8 décembre 2008, 11:22 par Traou

Hello Yéti, nos comm se sont croisés. C'est fou ça, j'ai habité à deux pas du Rêve pendant quelques années et j'aimais moi aussi m'accouder à son zinc charmant. Peut-être y avons-nous trinqué à l'époque ?... (j'y ai vécu parfois mon "petit plaisir" favori, que je t'ai conté récemment et dont je vais faire un billet sous peu, grâce à toi)

6. Le lundi 8 décembre 2008, 11:47 par Le Yéti

Oh, mais c'est que je suis vieux, ma petite Traou ! Moi, au Rêve, j'y allais dans les années soixante-dix, début quatre-vingt. Si je t'y ai croisée, c'est sur les genoux de ta môman ;-)

7. Le lundi 8 décembre 2008, 13:06 par Aude

J'aime beaucoup te lire. Ton style me rappelle celui de Memorandhomme, même si le fond est légèrement plus érotique ! Mais qu'est-ce qu'il écrit bien !

8. Le lundi 8 décembre 2008, 16:58 par Anne

Tes nuits blanches ont plus d'allure que les miennes (fort rares, au demeurant !) !

9. Le mardi 9 décembre 2008, 21:27 par Le Gabian

Ce qui est bien avec toi, Traou, c'est que tu pourrais nous raconter n'importe quoi, on se laissera toujours embarquer avec bonheur dans tes images, tes bagages et ta poésie.

Oh Sardine, si Traou elle descend, tu te la garde pas pour toi toute seule, hein ? Tu préviens les copines !

10. Le mardi 9 décembre 2008, 21:36 par La Sardine MAsquée du Port

bon, on verra, si t'es sage, j'te la prêterai :-)

11. Le mercredi 10 décembre 2008, 13:42 par Fauvette

Est-ce bien la même Traou qui me disait récemment à un Paris-Carnet "Je suis très couche-tôt moi) ! Il est vraiment beau ce billet, un voyage de nuit, merci.

12. Le mercredi 10 décembre 2008, 15:51 par Traou

Mais non mon Yéti, t'es pas vieux ! (et ma môman ne traîne pas dans les bars, j'te f'rais dire) ;-) Viens donc trinquer au Rêve avec moi la prochaine fois que tu passes à Paris, tiens.

Merci Aude, je suis passée chez Memorandhomme pour voir, c'est sûr, c'est plus que légérement plus érotique que chez moi ! :-)

Mes nuits blanches sont assez rares aussi, Anne, c'est pour ça que je l'ai bloguée, celle-là !

Ca c'est drôlement gentil, Gabian, et si on descendait ensemble voir Sardine ?

Hein qu'est-ce que tu en penses, belle Sardine, un petit mini-Vazy en perspective par chez toi ?

Non mais Fauvette, les lendemains de Paris-Carnet, j'ai école ! Tandis qu'une veille de jour sans, je me lâche :-)

13. Le mercredi 10 décembre 2008, 21:40 par Le Gabian

@Traou et Sardine : ouiiiiiiiiiiiiiiiiiii !!! vive les micro-vazy !

14. Le vendredi 12 décembre 2008, 08:29 par La Sardine MAsquée du Port

@Traou et Gabian : c'est quand vous voulez les filles :-)

15. Le vendredi 12 décembre 2008, 17:46 par Fajua

Ben et moi alors ? :-(

16. Le samedi 13 décembre 2008, 07:16 par La Sardine MAsquée du Port

rhô la la mais toi, c'est pas pareil, on n'a même pas à organiser ! t'es la plus voisine des voisines ! Alors toi bien sûr, tu viens quand tu veux, sans prévenir et sans chichis :-)

17. Le samedi 13 décembre 2008, 22:26 par telle

Traou, il y a des expressions de toi qui s'échappent de l'écran et mènent leur petite vie paisible par la suite... il en allait ainsi de sbracelets de froidure du premier bain de mer, il en sera ainsi de l'empreinte du coude moulée dans le zinc du bar.

A quand le recueil ? et dis, tu me le dédicaceras ?!

Bises

18. Le lundi 15 décembre 2008, 11:49 par le gabian

C'est vrai ! Je me souviens très bien des bracelets de froidure, c'était en pleine canicule et l'image m'avait beaucoup marquée ! :-)

19. Le samedi 20 décembre 2008, 18:32 par celeste

Quelle belle évocation d'une nuit de fête...

Moi aussi je veux venir au mini vazy :-)

Baci ma belle, et que d'autres fêtes t'emportent...

20. Le vendredi 26 décembre 2008, 11:34 par Nicolas Bleusher

N'était plus venir te lire depuis une éternité. Très bon billet ! Te souhaite d'excellentes fêtes, ma belle brune ! :)

21. Le jeudi 1 janvier 2009, 14:37 par Boutoucoat

D' après un certain com. lu sur la blogosphère, je te sais pas loin de chez moi .....puisse tes rêves se réaliser en cette année neuf , je te le souhaite .