Tourbillon d'automne

Je commence à en avoir l'habitude : depuis quelques années, l'automne m'est une ronde endiablée. Jusque fin novembre au moins, je suis entrainée dans un manège affolé qui me laissera l'impression essoufflée de n'avoir rien fait d'autre que de travailler d'arrache-pied durant trois mois.

Aujourd'hui je fais une pause, laisse de côté mes dossiers multicolores et rebondis, et m'octroie le temps d'un billet de blog, un luxe. (édit en fin de billet : ce n'est pas tout à fait vrai, sa rédaction m'a pris des heures, entrecoupée d'appels, de mails, de questions à résoudre et de sollicitations diverses).

Et encore, j'ai troqué cette année le festival de San Sebastian et celui de Dinard contre un séjour à l'hôpital et une convalescence bellevilloise. Presque trois semaines d'absence du bureau que je paie aujourd'hui d'efforts accrus pour régler les affaires en cours et en retard au mieux et au plus vite. J'ai fait un saut de puce à Rome la semaine dernière, qui m'a permis de constater avec plaisir que ma cheville et mon genou étaient presque tout à fait réparés puisque j'ai pu y trottiner sans trop de gêne. Je devais être à Madrid aujourd'hui et demain mais j'ai annulé ce séjour, à regret car j'aurais aimé y croiser mon blogami Pablo (avec qui nous n'aurions parlé qu'espagnol, si, si), mais avec soulagement car le(s) devoir(s) me retien(nen)t ici.

Pour enjoliver l'affaire, se sont enchainés dans mon appartement depuis début septembre moult travaux : changement total des alimentations d'eau de tout l'immeuble, puis plomberie, carrelage, peinture et rénovations diverses, variées et nécessaires après le remplacement sauvage de tous les tuyaux possibles et imaginables de mon sweet home. Depuis six semaines, je vis dans les gravats et la poussière, soulève des bâches pour accéder à la moindre petite cuillère et me lave dans la cuisine. Pendant ma convalescence, selon le programme du chef de chantier, il m'arrivait de béquiller jusque chez un voisin-copain de l'immeuble d'à côté pour m'y reposer sans bruits de perceuses et de marteau. Pas trop confortable d'être en arrêt maladie avec 5 péquins au turbin dans son appartement et l'eau coupée toute la journée... J'étais plus tranquille à Saint Louis !

Enfin, ça y est, c'est fini depuis lundi. Grand ménage compris. Ma soirée d'hier ressemblait au paradis. On a fêté ça avec Charouk, catmilk pour lui, vin pour moi. Et dodo dans des draps sans poussière d'enduit, la fête !

Quelquefois je me réveille la nuit. Je pense au boulot, griffonne des trucs à ne pas oublier sur le petit bloc au pied de mon lit. J'aurais envie d'écrire aussi, si je n'épuisais mes insomnies qu'à tenter de retrouver le sommeil, la tête traversée de pensées grises et folles. Des billets se sont écrits dans ma tête mais ont zappé le clavier (mon ordinateur prend la poussière aussi, il y a des jours où je ne l'allume même pas) : la mort de Guillaume Depardieu sur laquelle j'aurais aimé mettre des mots tendres, et dire ma colère d'une journaliste imbécile qui a qualifié sa vie de "gâchis". Le Cirque Invisible de Jean-Baptiste Thierrée et Victoria Chaplin, bijou de poésie vu au Théâtre du Rond-Point, qui m'a rappelé pourquoi j'aime tant le cirque quand il réinvente le mot magie et me renvoie à des émerveillements d'enfance.

Je laisse passer les jours comme du sable dans mes doigts ouverts. Ne me préoccupe guère du lendemain. La Bretagne m'échappe, pas le temps de m'occuper d'y rechercher du travail. Au bureau on programme déjà Berlin en février, Cannes en mai, et je me demande si je serai encore là, sans savoir si j'en aurai du regret ou pas. J'ai l'impression de me laisser manger par le temps, le boulot, mes américains en résidence annuelle à Paris qu'il faut materner voire servir, envahissant ma vie soir et week-end inclus. Et, comme d'habitude, je me demande comment elles font, celles qui ont comme moi un boulot prenant, mais aussi une famille, des enfants, des engagements, et qui arrivent à FAIRE des choses, encore et encore. Je me sens assez incapable, parfois.

Maintenant que mon logis a retrouvé un semblant d'ordre, je me dis que peut-être ma vie elle aussi va retrouver un fil perdu, des projets autres que celui de simplement parvenir jusqu'au jour d'après en ayant fait de mon mieux. Depuis quelques jours, je peux reporter mes bottes hautes en cuir doux, retrouve le plaisir féminin des talons hauts, cela suffit à mon bonheur du jour. Chaque sensation prend sa place en désordre et j'ai de chacune la conscience aiguë. Accomplir les tâches quotidiennes, parer au plus pressé, se nourrir rapidement, penser fugitivement, lire admirative des bribes des "Années" lucides d'Annie Ernaux entre deux stations de métro, m'endormir parfois auprès de mon amant préféré du moment, partager le sommeil et l'étreinte, parfois un petit déjeuner comme un havre, plus souvent fuir au petit matin et me dire que j'aimerais qu'il m'apprenne la guitare, un jour.

Le front collé contre la vitre de la rame de métro hurlante, essayer de ne pas trop me dire que ça fait très très longtemps que je n'ai pas été amoureuse. Me demander si mon coeur saurait battre encore.

Commentaires

1. Le mercredi 29 octobre 2008, 16:40 par Anne

Oh, je voulais voir Le Cirque Invisible... et mon complice de sorties habituel a le même rythme que toi, du coup, pof, c'est passé à la trappe.

Comment elles font les ceusses qui ont en plus famille, bambins, etc ? Pareil. Y a des jours où on se sent incapables. Et pourtant, ça passe, toujours ou presque.

(Je suis sûre que oui, ton coeur saurait. Ton cerveau le laisserait-il faire ?)

2. Le mercredi 29 octobre 2008, 19:17 par Gamacé

J'ai vu le Cirque invisible aussi. Dans un état bizarre, à cause de mon petit coeur aussi. Mais c'était drôlement beau, étrange et muet, avec l'esprit de la danse à l'intérieur...

3. Le mercredi 29 octobre 2008, 19:46 par céleste

D'abord je suis contente que tu ailles mieux :-)

ensuite, par expérience, mettre de l'ordre chez moi m'a souvent aidée à mettre de l'ordre dans ma vie.

mais je ne sais pas si c'est une règle générale...

la mort de Guillaume Depardieu m'a attristée, beaucoup.

attachant, sensible, rebelle...mais aussi à mes yeux un enfant

que les enfants meurent avant les parents est une chose terrible...illogique

c'est le pire qui puisse arriver, perdre un enfant.

je t'embrasse, belle Traou et te souhaite de tendres amoureux

4. Le mercredi 29 octobre 2008, 22:26 par Le Yéti

Hello Miss Traou,

Jean-Baptiste Thiérrée, Victoria Chaplin... Connais-tu le fils de ces deux-là, James Thierrée, fondateur de la compagnie du Hanneton, et créateur de LA SYMPHONIE DU HANNETON, un spectacle superbe de "théâtre circassien", ou de "cirque théâtral", c'est comme tu veux ? Sinon, courzyvite (disponible en DVD).

Le père, la mère, le fils Thierrée, des personnages frondeurs comme on les aime. La mère surtout, pas mal (je ne parle pas — pas seulement — de sa configuration physique). Ses rapports avec son Charlie de père était tumultueux.

5. Le jeudi 30 octobre 2008, 00:54 par trefle

si mon coeur saurait battre encore ... comme la formule est belle ! merci ...

6. Le jeudi 30 octobre 2008, 07:41 par Le Gabian

Ouf ! Effectivement, quel automne ! Je t'en souhaite d'autant plus d'instants à savourer, tendres, culturel ou épistolaire (pour notre bonheur à nous !)

De notre côté aussi, la Bretagne a du plomb dans l'aile...

7. Le jeudi 30 octobre 2008, 12:24 par Madeleine

Le tourbillon de la vie ... en automne mais aussi à d'autres moments ! Se poser ... ne rien faire ... on le voudrait tous mais on ne s'en donne pas (ou on ne veut pas s'en donner) les moyens, non ?!

A bientôt ...

8. Le jeudi 30 octobre 2008, 16:46 par Pablo

Oui, c'est plein de vents d'automne qui soufflent dans toutes les directions, ton billet ! Tellement plein d'émotions ! (Ne t'en fais pas, Madrid sera toujours là...)

9. Le jeudi 30 octobre 2008, 17:40 par Pablo

Ta mention au Cirque Invisible m'a fait penser à un spectacle que j'avais vu il y a longtemps ; après avoir lu le petit billet que Fauvette lui consacre dans son blog, j'en suis certain : c'est bien Jean-Baptiste Thierrée et Victoria Chaplin que j'avais vus alors, mais son spectacle s'appelait le Cirque Imaginaire et c'était en décembre... 1983 (!!!). Je suis content de les retrouver, il m'est arrivé des fois de penser à eux pendant ces années !

10. Le jeudi 30 octobre 2008, 17:56 par Traou

Anne, je crois que c'est jusqu'à fin novembre, le Cirque Invisible, et ça vaut le coup de redébaucher ton compagnon de sorties !

Gamacé, j'espère que le Cirque Invisible a mis du baume sur ton petit coeur (c'est aussi très drôle, en plus de la poésie et de la virtuosité)

Céleste, tu as raison, d'être dans un appartement propre et rangé depuis deux jours me donne l'impression d'être moi-même plus "au net". Quant à Guillaume Depardieu, je vais peut-être l'écrire à retardement ce billet...

Oui, Yéti, je connais aussi James Thierrée (qui ressemble étonnamment à son grand-père, c'est fou). Je l'ai vu dans un film intitulé "Bye Bye Blackbird", dans lequel il jouait un artiste de cirque et il était magnifique. Mais je n'ai jamais pu voir l'un de ses spectacles. J'ai acheté le DVD de la "Symphonie du Hanneton" l'autre jour.

Merci trefle de ton passage et de ce petit mot...

Le Gabian, il faut que nous "attaquions" la Bretagne de front, et en force, peut-être... A bientôt là-bas, j'espère (en marinière à rayures multicolores).

Madeleine, à un moment, on n'a d'autre choix que de se laisser porter par la vague en attendant une accalmie... Je me poserai avec vous dimanche, déjà, jolie perspective !

Pablo, Madrid est remis au mois de juin, pour l'instant (si je ne suis pas partie d'ici là...). Quant à ton souvenir du Cirque Imaginaire, c'est drôle, j'ai découvert l'autre soir au spectacle que Jean-Baptiste Thierrée était le fondateur (en 1971 je crois) du Cirque Bonjour. Or, le Cirque Bonjour est sans doute l'un des premiers que j'ai vu lorsque j'étais petite et celui qui m'a donné l'amour du cirque, je m'en souviens encore. La roue tourne...

11. Le jeudi 30 octobre 2008, 18:47 par Fabienne

Aaahhh Annie Ernaux, nous voilà un point commun ! Tiens bon, Traou !

12. Le jeudi 30 octobre 2008, 19:12 par telle

Traou... quel plaisir de te lire ! Je suis toute contente d'apprendre que tu vas mieux et que tu retrouves les sensations qui ont précédé tes soucis de santé.

Les Années, oui, je crois qu'il faut le lire par petits bouts et laisser les images revenir à nous quand nous levons les yeux du livre.

Un dernier petit mot en rapport avec la fin de ton texte : amant préféré du moment ou amoureux, la frontière est parfois bien mince et à vouloir sans cesse s'y rapporter, à vouloir comparer, mesurer, on traverse parfois la vie avec des lunettes embrumées... Je t'embrasse fort.

13. Le jeudi 30 octobre 2008, 20:35 par La Sardine MAsquée du Port

ouais, masi avec tout ça, faut que tu trouves le temps de surveiller ta boite aux lettres, j'm'inquiètes moi, pis le colis-là, il est tout plein ce qui faut pour le remonte-moral :-)

14. Le vendredi 31 octobre 2008, 09:46 par Anne

Moui, j'y crois moyen avec lui, ces jours-ci, il faut que je trouve une autre victime !

15. Le vendredi 31 octobre 2008, 12:31 par C6l

on dirait une feuille emportée par le vent...

16. Le samedi 1 novembre 2008, 11:22 par Fauvette

Bonne nouvelle tu vas mieux, autre bonne nouvelle tes travaux sont terminés, tu vas pouvoir te "retrouver". La Bretagne cela se fera, il faut laisser agir le temps... Je suis moi aussi encore sous le charme du Cirque invisible, je crois qu'ils partent ensuite en tournée ce qui est une bonne nouvelle pour nos amis blogueurs ! Bises amicales.

17. Le vendredi 7 novembre 2008, 07:53 par Patrick

Ah ! c'est bien d'avoir envie d'apprendre la guitare. C'est qu'on va mieux, assurément ;-))

18. Le mardi 11 novembre 2008, 21:07 par @tous

Oh attaquer la Bretagne, peut être faudrait-il éviter "la marinière avec rayures tricolores" parce que là çà fait vraiment touriste et les autochtones ils n'apprécient pas.

Bon voilà j'y suis retournée, après 18 ans en France, juste changé de département mais je ne suis pas d'ici, alors comme une touriste, sans la marinière, là on n'ose plus (la marinière je veux dire).

Aller voir le cirque invisible, yes, respirer les odeurs du métro, yes, cela fait tellement longtemps, çà existe encore ???

19. Le dimanche 23 novembre 2008, 17:55 par Pénélope

Je comprends ta frustration, notre océan est magnifique c'est sûr mais d'autres horizons ça change un peu ! Bises de la bretonne rencontrée au NOURA, moment inoubliable !

20. Le dimanche 23 novembre 2008, 17:56 par Pénélope

Bises