Boulet

Je suis en colère. Une colère qui ne date pas d’hier, mais se trouve réactivée constamment par les circonstances. J’ai hésité à en faire part ici car j’essaie de me montrer discrète sur ma vie professionnelle. Et comment la dire sans trop en dire…

Je travaille depuis 4 ans (mon record personnel de longévité dans une même boite) avec bonheur dans une société dont l’activité me passionne, qui m’a permis de m’épanouir professionnellement comme jamais auparavant, avec un Boss en or et une petite équipe sympathique. Sauf que…

Sauf que dans cette petite équipe efficace, bosseuse et passionnée, nous trainons un boulet… Un inutile qui me met perpétuellement en fureur mais dont nous ne pouvons nous débarrasser car il bénéficie de « protections » contre lesquelles il pourrait nous être préjudiciable de nous élever.

Au début, je ne me suis pas bien rendue compte de la situation. J’ai été une des premières arrivée dans l’équipe mais Boulet était déjà là. Je n’ai su qu’après qu’il avait été imposé à Boss et lui avait été remis avec la direction de la boite, sans discussion possible « Au fait, Monsieur Boulet va travailler avec vous, à tel poste et tel salaire. Point. »

Au début, Boulet a peut-être même été utile, je l’avoue. Le fait de bien connaître les actionnaires de la boite qui l’avaient placé là nous a facilité les relations avec eux pendant la mise en place de l’activité, je ne le nie pas. Ensuite, je me suis un peu étonnée qu’il connaisse si mal le secteur dans lequel il était amené à travailler, et j’ai dû le former sur de nombreux points pour qu’il puisse être au moins au courant des préoccupations des professionnels avec lesquels nous travaillons. Puis nous avons recruté une jeune femme brillante et fraichement diplômée qui est devenu son assistante, et là les choses ont commencé à se révéler.

D’abord Boulet a une autre activité et donne beaucoup d’importance à celle-ci. Il prétend que cette activité parallèle est fort utile à notre boite et c’est donc l’excuse qu’il a trouvé pour lui donner la priorité et s’y consacrer la majeure partie du temps, sans s’en cacher ou fort peu, profitant de l’infrastructure de la boite pour cela, et à nos frais… Combien de fois l’un d’entre nous s’est agacé de devoir attendre à la photocopieuse que Boulet ait fini de sortir les douze exemplaires d’un dossier volumineux consacré à son activité n° 2…

Pendant ce temps-là, c’est son « assistante » qui assure 95% du boulot, la plupart du temps, lors de nos réunions d’équipe, il a à peine l’air au courant des dossiers qu’ils sont censés traiter tous les deux. En revanche, les 5% qu’il assure (je suis peut-être même généreuse sur ce pourcentage), il nous en fait tout un tintouin, théatralisant ses compte-rendus au conseil d’administration avec force « Moi, je… », « Grâce à mon intervention… », etc… Boulet est un as pour se faire mousser.

Mais Boulet est aussi une feignasse. Il arrive fréquemment après tout le monde le matin, ou ne vient carrément pas car le pauvre chéri a fait une insomnie, alors il rattrape son sommeil (véridique)… Il ne vient pas au bureau pour un mal de tête ou un rhume (il envoie alors des mails d’anthologie où il explique sans rire à quel point il est à l’article de la mort, Boulet est hypocondriaque). Et quand il ne s’occupe pas de son activité n°2, il lui arrive aussi de passer des journées entières sur Fesse Bouc (il est accro), voire à mater des photos de cul sur son ordinateur.

Il y a des périodes, quand son activité n° 2 connaît des périodes plus intenses, où nous le voyons à peine. Il nous est même arrivé d’en rire, peut-être pour oublier notre exaspération :

- Ah, mais au fait, il est où Boulet ?
- Qui ça ?
- Ben, Boulet, tu sais bien..
- Non, je ne vois pas…
- Mais si, le gars qui vient de temps en temps dans le bureau du fond, qui parle fort !
- Ah oui, je crois me souvenir, mais il fait quoi ici, ce gars ?
- Ah, je sais pas, je crois qu’il nous sous-loue un bureau, non ?

Et ainsi de suite... les jours où nous sommes de bonne humeur, au moins.

Les jours où je suis de très mauvaise humeur, c’est chaque fin de mois, quand notre comptable me transmet les salaires pour que je les valide : Boulet gagne beaucoup plus que tout le monde, et notamment beaucoup plus que moi (nous avons quasiment le même âge, j’ai beaucoup plus d’expérience professionnelle que lui et mes fonctions dans la maison sont plus essentielles à la bonne marche de l’entreprise mais mon salaire est égal à 2/3 du sien… je ne bénéficie d’aucune protection, moi…). Malgré cela, Boulet se plaint perpétuellement d’être sans le sou (il est rémunéré également pour son activité n°2), et accessoirement déclare régulièrement regretter que nos bureaux ne soient plus sur les Champs parce que c’était quand même plus pratique pour lui d’être proche de l’avenue Montaigne pour faire son shopping fringues…

Alors, voilà, depuis quelques temps, je rue dans les brancards. J’ai d’abord fait en sorte que son assistante obtienne une augmentation substantielle de salaire et une prime conséquente en fin d’année dernière (alors que lui-même ne doit même pas savoir combien elle est payée et s’en fout royalement, pas de danger qu’il réclame pour elle la moindre gratification alors qu’elle se tape tout le boulot). J’ai déjà fait quelques remarques bien senties à Boulet qui change un peu de trottoir quand il me voit et m’évite autant qu’il peut (Boulet n’est pas un courageux). Et je fais le siège du bureau de Boss pour lui demander d’intervenir, dans les limites du possible, mais quand même. Boss acquiesce toujours à mes doléances d’un air navré mais a peur d’affronter la « tutelle » qui est la nôtre et redoute les conséquences d’un remontage de bretelles de Boulet.

Il a quand même, récemment, demandé à Boulet de cesser d’exercer sa deuxième activité au sein de nos locaux, celle-ci prenant de plus en plus d'importance, arguant de la mauvaise influence que ceci avait sur l’humeur de l’ensemble de l’équipe, et a proposé à Boulet de travailler 4 jours sur 5 pour consacrer une journée par semaine à son autre activité, salaire au pro-rata. Boulet a poussé des cris de putois et a refusé (baisser son salaire ! Et son shopping avenue Montaigne, vous n’y pensez pas !). La négo est redescendue jusqu'à ce qu'il prenne des 1/2 journées le vendredi après-midi sur ses RTT... Il refuse également. La chose est remontée jusqu’à nos actionnaires. Boss m’a demandé de participer à une réunion sur le sujet auprès d’un représentant de ceux-ci, pour exprimer mes doléances au nom de l’équipe sur cette situation. Je me suis entendue répondre d'un air embarrassé qu’on n’ignorait pas le problème, qu’on comprenait fort bien que cette situation soit préjudiciable à la bonne marche de la société et à l’humeur de l’équipe, et qu’en conséquence on allait demander à Boulet de se montrer discret sur ses activités parallèles…

Discret. C’est tout. Je suis en colère.

Commentaires

1. Le dimanche 29 juin 2008, 18:16 par Fauvette

Oh p... je partage ta colère, je te comprends... Boulet doit bien avoir un point faible, tu vas finir par trouver le truc.

Courage Traou, et méfiance.

2. Le dimanche 29 juin 2008, 20:34 par Pablo

Il faut vite écrire un scénario qui imagine comment en finir (professionnellement) avec ce Monsieur Boulet. Et l'éxecuter (ce scénario, je veux dire : il ne faut surtout pas me mal inerpréter). C'est bon marché ces deniers temps, il paraît (1), ce genre d'activité (professionnelle). Bon courage entre temps, Traou.

(1) De notre service de documentation

3. Le dimanche 29 juin 2008, 21:20 par claude

y s'appelle pas Gaston, Gaston Lagaffe, par exemple, ton boulet?

4. Le dimanche 29 juin 2008, 22:52 par gilda

Ne soit pas colère, c'est une grande victoire :

- Boulet sait enfin que certains trouvent qu'il abuse (de ce que tu peux être certaine il estime son bon droit) ; - tu ne t'es pas fait virer pour avoir oser dire quelque chose de l'ordre de l'équité ; dans pas mal de boîtes, même reconnue compétente, efficace et difficilement remplaçable tu aurais dégagé, éventuellement avec un bon chèque de silence (1) ; - apparemment Boss ne s'est pas trop démonté puisqu'il a tenté quelque chose.

Au temps jadis j'ai réussi grâce à une cheffe courageuse et un collègue pas du genre "couille-molle" à me sauver des griffes d'un type brillant, carriériste mais peu courageux physiquement. Il y a peut-être à l'usure quelque chose à réussir par là. Si Boulet change de couloir chaque fois qu'il te croise, si d'autres de l'équipe peu à peu manifestent pas nécessairement très ostensiblement, mais juste assez pour qu'il le sente, leur hostilité à son égard, Boulet ira sûrement pleurer auprès de ces parrains que vraiment là où il est c'est tous trop des méchants. Avec un peu de chance il ira bouleiller ailleurs. (et pour encore plus cher, ce qui te laissera colère aussi mais bon au moins ton travail quotidien n'en sera pas plombé). En plus vous y gagnerez peut-être une paix relative sous l'étiquette d'un mauvais placard peu propice aux emplois fictifs, d'où un risque moindre d'hériter trop rapidement d'un Boulet2

(1) ou alors c'est que les appuis de Boulet ne sont ni si solides ni si élevés qu'on a voulu vous le faire croire (ou qu'il prétend).

5. Le lundi 30 juin 2008, 08:59 par Anne

Ah tu as ton Face de Cul perso ? Pas de chance. S'il y a de l'embauche, fais-moi signe, je viendrais faire front commun avec toi, yé souis oune spécialisté des boulets :)))

6. Le lundi 30 juin 2008, 09:25 par Anne

Ben où qui n'est, mon commentaire où je te disais toute ma compassion et que si vous embauchiez, je viendrais faire front avec toi ?

7. Le lundi 30 juin 2008, 09:45 par Traou

Oui, Fauvette, tu as raison, méfiance... car il ne manquerait plus que l'animal fasse jouer ses relations contre moi...

Pablo, tu as raison, ça va me défouler, je vais écrire un scénario avec un tueur en série spécialisé dans le meurtre sauvage et sanguinolent de boulets... (mais j'ai peut-être pas tout bien compris à ton lien... il est grand temps que je vienne te voir à Madrid, je perds tout mon espagnol ! C'est prévu à la rentrée sans doute)

Claude, si au moins c'était Gaston Lagaffe, on rigolerait, mais il n'est même pas drôle l'animal ! (ou du moins, je suis désormais incapable de le voir comme tel)

Gilda, le pire c'est que j'ai parfois l'impression que c'est MOI qui fout une sale ambiance. Si je n'avais pas ouvert ma gueule, il vivrait tranquillement sa vie dans le bureau du fond sans être embêté par personne...

Anne, ça doit être Face de C.. que mon anti-spam n'a pas aimé, il est d'un pudibond ! ;-) (même moi je ne l'écris pas, il est cap' de me spamplemousser aussi)

8. Le mardi 1 juillet 2008, 10:24 par Cécile

personne pour le pousser dans les escaliers? radicale moi? tsssss

9. Le mercredi 2 juillet 2008, 18:02 par anita

Une tête de merlu dans le tiroir du bas de son bureau? Pour l'été?

de la glu à paillette sur son siège? Pour les fringues de l'avenue Montaigne?

Des puces de chat dans ses coussins?

Une tarentule dans sa plante verte?

10. Le lundi 7 juillet 2008, 18:46 par Chondre

Ah qu'il est difficile de parler du travail sans trop en dire...

11. Le jeudi 10 juillet 2008, 18:57 par La Dame de Nage

Quand je lis ce texte, ça me rappelle des personnes avec qui je travaille … Par bonheur, les caractéristiques sont sur plusieurs personnes et non sur une seule … Mais ça fait autant de collègues à supporter … Bon il/elles en disent sûrement plus de moi !

12. Le mardi 26 août 2008, 17:47 par sprite

et ben dis donc! je sais qu'il n'y a aucune equipe parfaite (je travaille dans la Sante) et qu'il y en a toujours un ou une ... mais la chapeau! je te felicite de ne pas etre encore plus en colere.... c'est meme encore bien qu'il soit en vie...