"Les Chansons d'Amour"

Cela faisait très longtemps que je n’avais été à ce point submergée d’émotion au cinéma.

Quand je suis entrée dans la salle, il faisait beau dehors. Quand j’en suis sortie, le ciel gris ne justifiait pas mes lunettes noires. Mes yeux gonflés de larmes, si.

Christophe Honoré est un conteur du deuil. Il m’avait déjà bouleversée il y a quelques années avec « 17 fois Cécile Cassard », dans lequel Béatrice Dalle incarnait une jeune veuve qui tente de retrouver un chemin de vie. Et je me rends compte qu’il est également l’auteur de « Après lui », le film de Gaël Morel qui traite de la mort d’un fils, sorti au même moment que ces « Chansons d’Amour » qui m’ont fait pleurer comme rarement au cinéma.

Le principe du film était casse-gueule : parler du deuil, de l’absence de l’être aimé, en mots, en images mais aussi en chansons. Et parvenir à n’être jamais ridicule, toujours émouvant. Et drôle. Et vivant.

Oh, comme je les connais bien, les personnages de ce film. Comme je leur ressemble, à tous ou presque. J’ai reconnu leur peine, je me suis reconnue en elle, en eux, un peu ou beaucoup.

Je me suis sentie fraternellement proche d’Ismaël (Louis Garrel) qui cache sa vérité de souffrance derrière une apparente nonchalance et des réparties ironiques, content sans doute de parvenir à faire rire la famille au cours d’un déjeuner « d’après », leurs premiers rires « depuis », sûrement. Et quand Jeanne (Chiara Mastroianni) referme la porte sur lui en lui disant « Je suis contente, tu as l’air d’aller bien », je me le suis pris en pleine poire, moi, autant que lui qui s’en retourne pleurant dans les rues de Paris.

Parce que Jeanne confond silence et indifférence. Parce que Jeanne ne peut pas comprendre, elle qui a le chagrin plus voyant, affirmé, envahissant, voulant à tout prix le partager, le vivre à plusieurs, trouver le soutien dans l’autre. Ismaël ne veut pas, lui. Ne peut pas. Ceux qui ont du mal à dire « Je t’aime » sont souvent les mêmes qui n’arrivent pas à dire « J’ai mal ». Se tenir droit est leur bouée de sauvetage. S’effondrer leur est un acte solitaire. Pas solidaire. Et leur façon d’essayer de continuer à vivre peut apparaître choquante à Jeanne ou d’autres. Parfois, on se perd dans des bras, beaucoup de bras, quels qu’ils soient, on froisse des draps, étrangers ou siens, on erre, on boit des verres, trop de verres, juste pour s’étourdir, se réchauffer d’une peau ou d’un baiser, pour oublier une autre peau, d’autres étreintes disparues. On sait que c’est impossible, mais…

Et parfois, au cœur de cette quête éperdue de l’oubli, on se heurte au sentiment amoureux d’un autre qui n’était censé être que de passage et auquel on ne peut répondre. Ou mal. On en est à la fois encombré et malheureux. Et malheureux de savoir qu’on va rendre malheureux sans doute. Qu’il est touchant et juste le jeune Erwann (Grégoire Leprince-Ringuet) qui tombe amoureux, et qui sans doute va au casse-pipe, parce qu’Ismaël, là, maintenant, a juste besoin d’une peau. Pour sauver la sienne.

Jeanne, elle, parsème son deuil d’actes héroïques ou symboliques : brûler les vêtements de l’absente, hanter un parc empli de souvenirs. S’y confronter chaque jour à la morsure du jamais plus.

J’aime le ton décidé – presque enjoué, pourrait croire un observateur extérieur - sur lequel sa petite sœur Jasmine (Alice Butaud) répond à la question d’Alice (Clotilde Hesme) « Ah non, je ne m’en sors pas du tout ! », parlant de son chagrin comme de ses révisions d’examens. Et ses pas en off qui s’éloignent discrètement du cimetière parce qu’il y a déjà quelqu’un devant la tombe et que ce moment-là, pour elle comme pour Ismaël, ne peut se vivre que seul. Et le seul accès de panique affiché de Jasmine à l'enterrement, c'est quand elle croit avoir égaré son livre...

Les acteurs des « Chansons d’Amours » sont des merveilles. Tous. La partition étant plus « gratifiante » pour ceux de l’après, bien sûr. L’humanité du réalisateur nourrit ses personnages à petites touches quotidiennes, et ces comédiens mêlent le grave au léger, au gré de sentiments et d’émotions auxquels je me suis identifiée, comme beaucoup, je crois.

C’est drôle, il y a un plan qui m’a rappelé mon film fétiche. Je ne sais si c’en était réellement une « citation ». J’aimerais croiser Christophe Honoré pour lui poser la question (j’aimerais croiser Christophe Honoré tout court, pour lui dire merci, ou rien du tout d’ailleurs, je ne sais pas bien faire ça) : Est-ce que ce très gros plan de Julie (Ludivine Sagnier) chantant et couvant du regard Ismaël errant dans un Montparnasse qui ressemble à Las Vegas ne serait pas une référence au « Coup de Cœur » (« One from the Heart ») de Coppola, où Nastassja Kinski chantait pareillement au-dessus d’un Frederic Forrest minuscule ? (cela me fait penser que je n’ai jamais parlé ici de ce film qui m’est essentiel, il faudra que j’y songe).

Voilà, j’écris ces lignes à 18 heures et quelques. Je suis sortie du film il y a deux heures et j’en suis encore sonnée. J’avoue que j’ai vu hier « Le scaphandre et le papillon » et que le week-end a donc été riche en émotions tristes. Mais « Les Chansons d’Amour » me parle personnellement, au cœur, à la mémoire. C’est un film dans lequel j’ai retrouvé mille petites et grandes choses de ma vie, lointaines ou récentes. Essentielles. Je sais que je suis toujours plus à fleur de peau que je ne le devrais au coeur de mes dimanches solitaires, mais la première chose à laquelle j'ai pensé pendant le générique de fin, c'est que si tous ces personnages ne le savaient pas encore à ce stade du récit, ils allaient s'en sortir. Tôt ou tard, plus ou moins heureusement. Mais sûrement. Je suis toujours éberluée de ce à quoi l'on survit.

Les chansons d'amour

Commentaires

1. Le dimanche 3 juin 2007, 20:00 par Shaggoo

N'ayant pas encore vu le film je partage néanmoins ta dernière phrase. La mort c'est l'affaire des vivants.

2. Le dimanche 3 juin 2007, 23:21 par cecile

donc je surveille les sorties ciné ... patience.. ( scaphandre et papillon: je lis ou je vais voir?)

3. Le lundi 4 juin 2007, 01:39 par Matoo

J'aime bien quand tu parles comme ça d'un film qui a tant suscité l'émotion. Moi aussi j'ai été très remué à certains moments... ;-)

4. Le lundi 4 juin 2007, 03:47 par Pablo

(Je les vois avec des mois de retard (ou jamais) les films dont tu parles... il m'est arrivé avec Babel ou Shortbus... et finalement j'étais assez d'accord avec tes opinions).

Ça me semble très émouvant, la façon dont tu parles de ce film qui t'a ému à ton tour (l'émoi transitif). Tu avais déjà parlé des dimanches et de Christophe Honoré un autre dimanche, en octobre, mais je ne m'en souvenais pas (je viens de le vérifier parce qu'en te lisant j'ai reconnu quelque chose... l'émotion sans doute).

Coup de coeur : oui, il faudrait que tu en parles ! ; je l'ai revu en novembre quand on avait parlé ici du DVD : j'avais acheté une édition en 2 disques et maintenant que j'y pense, je n'ai pas encore vu les bonus du deuxième... il faut d'ailleurs que je pense à faire une copie de sauvegarde au plus vite parce que je suis sûr que ça t'intéresse !

5. Le lundi 4 juin 2007, 07:34 par Traou

Shaggoo, je ne partage pas absolument la formulation de ta dernière phrase à toi, mais... j'ai écrit un billet sur ce sujet - inachevé à ce jour - que je mettrai peut-être en ligne...

Cécile, tu fais l'un et l'autre en tous cas, mais dans quel ordre ?... Je ne sais trop. Tu peux sans problème voir le film en premier, il est très fidèle au récit, Mathieu Amalric est magnifique (je suis présidente du fan-club d'Amalric de toute façon, c'est le plus grand acteur français, peut-être du moooonnnnde ! Farpaitement). En plus la mise en scène de Schnabel est extraordinaire.

J'ai bien sûr lu ta chronique sur le film, Matoo (après l'avoir vu moi-même, je préfère), et les autres que tu cites. J'ai été très frappée des regards différents sur ce film. Par exemple, beaucoup insistent sur le regard libre que pose Honoré sur le couple, les couples, tous les couples et même les trios amoureux ;-) Pour ma part, cela m'est apparu tellement naturel dans l'histoire que j'y ai prêté peu d'attention...

Tiens, Pablo, j'y pense, je n'ai jamais recu le DVD de "Coup de Coeur" commandé sur ce site que tu m'avais indiqué. Ils semblent me l'avoir envoyé trois fois sans succès et font la sourde oreille maintenant que je réclame mes sous... Heureusement qu'il n'était pas cher ! (et oui, il m'arrive souvent de parler des dimanches... une fois par semaine, au moins :-) )

6. Le lundi 4 juin 2007, 08:11 par luciole

L'actualité de ce festival de Cannes à réveiller mes envies de cinéma. Morte faim je suis dans ce domaine à vrai dire... Te lire n'a fait qu'aiguiser d'avantage mon appétit ;-)). Bises !

7. Le lundi 4 juin 2007, 09:02 par gilda

Je crois à te lire qu'il faudrait que j'aille voir ce film toutes affaires cessantes (hélas c'est à l'usine qu'il faut que je file ainsi).

Pour ce qui est de dire à Christophe Honoré si jamais ensuite on le croise, je pense que tu pourrais compter sur moi, dire ce qui a fait du bien ou était juste, c'est quelque chose que mes mauvaises fréquentations et par ailleurs mon fils m'ont appris.

8. Le lundi 4 juin 2007, 10:25 par Pablo

Aïe, Traou ! La première fois que j'ai commandé quelque chose sur ce site (dont on ne m'avait dit que du bien) l'envoi ne m'est pas parvenu non plus, mais au bout d'un mois je l'ai réclamé, ils l'ont renvoyé et je l'ai reçu sans problème. Les fois suivantes (cinq en tout entre 2004 et 2007 : 4 DVDs et 1 livre, je viens de le vérifier sur mon compte chez eux) je n'ai eu aucun problème, t'as eu vraiment pasdechance :-( Du coup, je vais faire tout de suite une copie de sauvegarde des deux disques de mon pack One From The Heart, juste au cas où mes DVDs à moi souffriraient des dégâts (ce serait seulement lors d'une éventualité pareille que tu pourrais les regarder). (Et parler des dimanches et de Christophe Honoré à la fois, ça t'arrive toutes les semaines aussi, eh, eh, eh ?! ;-) - ;-) - ;-)

9. Le lundi 4 juin 2007, 19:22 par Fauvette

J'ai vu la bande-annonce, lu les critiques, mais je ne sentais pas pas le "coup de coeur", il me manquait un petit quelque chose...Et là, toi avec ta sincérité, ton amour de la vie, j'ai vraiment envie maintenant d'aller voir ce film. Et je sais pourquoi j'irai. Traou merci.

10. Le mardi 5 juin 2007, 00:32 par nuages

"Je sais que je suis toujours plus à fleur de peau que je ne le devrais au coeur de mes dimanches solitaires".... Oh que oui !

11. Le mardi 5 juin 2007, 08:10 par Traou

Je t'invite, Luciole, à aller lire 'avant ou après l'avoir vu, d'ailleurs) les autres et nombreuses critiques sur ce film. Les angles "d'attaque" en sont multiples : analyses cinéphiliques (références à Demy et à la Nouvelle Vague, Garrel en Léaud, "La Maman et la Putain", etc...) d'où sont absentes toute références aux sentiments, ou d'autres - comme chez moi - qui ne parlent que du ressenti profond. C'est toujours une question de parcours personnel. J'ai beau avoir été étudiante en cinéma et connaître ma petite Nouvelle Vague illustrée sur le bout des doigts, je n'ai absolument pas prêté attention à cela... cette fois-ci.

Gilda, tu as raison, je vais d'ailleurs essayer de trouver un moyen de "croiser" Christophe Honoré un de ces quatre. (et dis-moi, est-ce que tu classerais ton fils dans les "mauvaises fréquentations" ?... ;-) )

Même conseil qu'à Luciole, Fauvette : tu iras lire les critiques après. Il y a bien sûr quelques assassinats ou constats plus "froids" que le mien... Tu me diras ton sentiment.

... Euh oui, Nuages... Mais j'assume absolument...


						
12. Le mardi 5 juin 2007, 08:24 par Traou

Et tiens, petite mise au point à l'usage de ceux qui viendraient lire ici une "critique" de film. Je ne prétends pas que ce billet en soit une. Ce film m'a parlé à moi, à ma vie, a suscité une émotion qui m'est toute personnelle. J'ai fait autrefois oeuvre de "chroniqueuse" cinéma en radio ou par écrit, où j'essayais d'avoir une analyse cinématographique, stylistique, etc... Aujourd'hui, je m'en fous. Le cinéma ne m'intéresse plus que quand il suscite une émotion réelle en moi. Je revendique toute subjectivité, coup de foudre ou colère, et de passer sous silence des éléments d'une oeuvre qui paraîtront essentiels à d'autres.

13. Le mardi 5 juin 2007, 11:22 par claude

J'y vais, je prends mes kleenex...

14. Le mardi 5 juin 2007, 15:28 par gilda

Non, non, s'il ne tourne pas caillera de sa banlieue de sa race, mon fils est une excellente fréquentation.

Par mauvaises fréquentations j'entends ceux et celles qu'à la fois ma basse extraction non franco-française et ma profession actuelle (lesquelles sont déjà passablement antinomiques si l'on y réfléchi 30 secondes), n'auraient jamais dû me permettre de croiser. Je ne suis donc pas à un Christophe Honoré près :-) :-) (dit en riant car j'avoue que je serais vraiment très heureuse de le croiser - mais je rencontre toujours les gens en faisant pas exprès alors c'est imprévisible - )

15. Le mercredi 6 juin 2007, 13:23 par Madeleine

Ce soir, j'ai le choix entre "les Chansons d'amour" et "Le scaphandre et le papillon". Finalement ce sera le premier pour tout ce que tu en dis et puis j'ai lu livre pour le deuxième !
Je t'embrasse belle Traou

16. Le mercredi 6 juin 2007, 23:01 par nuages

"Je sais que je suis toujours plus à fleur de peau que je ne le devrais au coeur de mes dimanches solitaires".... Oh que oui !...

Je voulais simplement dire que c'était mon cas, aussi !

17. Le jeudi 7 juin 2007, 12:00 par Anna

J'ai vu ce film un dimanche moi aussi, légèrement pluvieux et j'avais aussi des lunettes de soleil ancrées sur le bout de mon nez. Et pourtant, il y avait quelque chose de léger. Tout les films, tous les livres, de Christophe Honoré sont des merveilles. Toujours un deuil quelque part oui, toujours un bout de bretagne aussi, toujours un bout d'homosexualité. Et pourtant, ce n'est jamais la même chose... Ma mère (Madeleine) m'avait dit de passer chez toi pour lire ce que tu avais écrit de ce film pour lequel je fais l'éloge partout, surtout auprès d'elle. Et je viens de lire, et je suis au boulot, et j'ai encore envie de pleurer. Et pourtant, ce n'est pas si triste. Mais la dernière phrase du film... "Aime-moi moins, mais aime-moi longtemps". Elle va me hanter longuement encore je crois... Merci pour cette magnifique note.

Faut que tu vois "Le clan" aussi. De Gaël Morel et aussi scénarisé par Honoré. Ces deux là, ils vont de pairs ;)

18. Le vendredi 8 juin 2007, 14:09 par Traou

Claude, je suis très très très pleureuse au cinéma, faut dire... Et en plus j'adore ça ! ;-)

Gilda, quand tu le rencontres par hasard, donc, tu le salues de ma part ! (et je ne vois pas Stéphanot virer caillera)

Je crois que tu as une double et forte recommandation pour ce film, Madeleine... :-) Mais le scaphandre est à voir aussi !

Ah, j'étais perplexe devant ta formulation, Nuages, je comprends mieux...

Bonjour Anna (j'adore ce prénom ;-) ). Ravie de te voir ici. Je crois que je vais retourner voir le film, pour ma part (et j'ai commandé la B.O. sur internet et elle n'arrive pas et ça m'énerve). "Le clan", je ne connais pas. Il faut que je mette ma vidéothèque à jour ! Bises à toi et à toute la famille !

19. Le dimanche 10 juin 2007, 04:53 par Savannah

Bonjour, C'est ma première visite sur ce blog. Je suis tout à fait ok avec Traou. J'ai revu "Les chansons d'amour" hier soir. J'ai ressenti une émotion encore plus profonde que pourrai mieux expliquer après un... 3ème visionnage...

20. Le samedi 16 juin 2007, 19:45 par Milky

Aah, j'aime qu'on me parle des films que j'aime !... (comme si on m'expliquait pourquoi je les ai aimés, moi qui suis infoutue de me décortiquer, ou si mal, seulement dans les détails...) J'ai très envie de retourner le voir, tout en craignant de moins l'aimer au second visionnage...

21. Le samedi 30 juin 2007, 12:30 par Fiso

C'est étrange, je n'ai pas tellement aimé ce film, mais je dois dire que tu en parles d'une façon merveilleuse.