Anniversaire

Ceci est ma participation à la session 5 du Dyptique d'Akynou, d'après une photo de Tatou :


Dyptique5

J’avais dit que je n’irais plus…. Et me revoilà, comme tous les ans, de plus en plus clopin-clopant… Ça devient vraiment ridicule cette histoire, cette fichue tradition ! Cela fait combien de temps maintenant ? Quarante ans bientôt !

Nous sommes moins nombreuses chaque année. Petite armée bientôt décimée. L’année dernière, la grande Suzy est venue en fauteuil roulant. En fauteuil roulant ! Ah, il doit bien rigoler là-haut de nous voir toutes là, années après années, de plus en plus ridées, de plus en plus diminuées, malades, grises, sans formes, vieilles, mortes !

Il nous a toutes aimées, un peu, beaucoup, passionnément ou en passant. Il a connu chacune d’entre nous intimement. A caressé nos peaux qui étaient douces, a respiré nos parfums de femmes-fleurs fraiches alors, a enroulé nos cheveux noirs, blonds ou roux autour de ses doigts joueurs. Il a plié nos corps souples, fermes, ronds, sucrés, blancs ou bruns. Nous avons toutes joué avec lui le jeu de la séduction, mutines ou lointaines, entreprenantes ou timides. Il nous a toutes séduites. Nous l’avons toutes aimé. Nous avons toutes souffert par lui, de le partager, de son abandon, du jeu que nous étions parfois pour lui. De son envol pour ailleurs enfin.

Qui a eu cette idée folle ? Sa femme, bien sûr. Elle seule était assez insensée pour ça. Pour l’épouser. Pour vivre cette attente sans fin, insupportable et délicieuse, sans doute. Et pour décider, lui parti, que nous serions toutes là, les maîtresses et l’épouse, dans une église, pour penser à lui et célébrer sa mémoire, comme on dit, une fois par an. Voilà.

Je crois que certaines d’entre nous n’avaient jamais mis les pieds dans une église avant ça. Est-ce que lui y allait tant que ça ? Finalement tout cela est assez ironique, incongru, saugrenu, et digne d’un énorme éclat de rire. Je crois entendre le sien.

J’y vais, cette année encore, clopin-clopant. L’année prochaine…


Ce texte m'a été - très librement - inspiré par cette "anecdote" qui m'avait tant étonnée : chaque année, les maîtresses (une trentaine) et l'épouse légitime de l'écrivain Pascal Jardin, mort en 1980, se réunissent pour une messe à sa mémoire en l'église Sainte Clotilde à Paris.

Commentaires

1. Le samedi 19 novembre 2005, 00:26 par samantdi

J'aime beaucoup ton texte ! Je pense que nous avons édité le billet à peu près en même temps, mais cette fois, nous sommes parties dans des directions assez différentes!

Je crois que le fils Jardin vient de publier un livre sur la saga familiale, où l'on retrouve ce genre d'anecdotes. Ils étaient fort loufoques, je crois bien...

Pourquoi pas ?

2. Le samedi 19 novembre 2005, 09:45 par alice

J'adore! J'attendais avec impatience ta participation et celle de Samantdi, je trouve ce petit jeu très amusant! Quel pied de nez, cette idée de réunir épouse et maîtresse...

3. Le samedi 19 novembre 2005, 13:03 par Ursun

Je trouve très en accord avec ce que pourrait ressentir l'une de ces femmes, toujours fidèles au poste malgré les années...

4. Le samedi 19 novembre 2005, 13:45 par obni

J'ai également beaucoup apprécié ton texte. Beaucoup d'élégance dans les mots.

5. Le dimanche 20 novembre 2005, 10:59 par Anitta

Quelle imagination ! Effectivement, Le Roman des Jardin est un terreau fertile... et sacrément déroutant. Bravo !

6. Le dimanche 20 novembre 2005, 17:19 par Cécile

une fois de plus je suis admirative devant ton talent...

7. Le dimanche 20 novembre 2005, 17:35 par Traou

Merci à vous tous... C'est si agréable de raconter des histoires et de lire les vôtres !

8. Le lundi 21 novembre 2005, 10:34 par Shaggoo

Elle a - décidement - bien des personnalités et bien des vies cette petite bonne femme :)