Souvenirs...

Ces mots ont été écrits il y a trois ans. Pendant une période difficile, j’ai noirci fiévreusement des carnets entiers de textes disparates, enfermés depuis au fond d’un tiroir. Je les ai relus et j’ai eu envie d’en livrer de petits bouts ici. Peut-être juste parce qu’enfermés ils (m’)étouffent ?… Ainsi je les disperse au vent du présent, je souffle doucement dessus pour qu’ils voguent vers d’autres horizons que les miens. Ils évoquent une époque révolue, mais parlent du bois dont je suis faite. Les larmes versées ont arrosé la terre dans laquelle je continue de pousser, de guingois, certes, mais je continue ! Mes branches, mes feuilles et mes bourgeons ont cette couleur-là, un peu, et aussi la couleur de mes rires et celle de mes espoirs. Je me revendique multicolore….


Je tombe amoureuse d’hommes imprudents. Pas raisonnables. Insolents avec la chance. Qui vivent vite et fort, connaissent des joies intenses et des désespoirs brûlants. Ils aiment avec passion, en dépit de tout, se moquent des règles et des tabous. Ils vont vite et haut, retombent dans des profondeurs connues d’eux seuls. Ils consument leurs vies de tant d’élans et de vitesse, s’arrêtant parfois pour me regarder tendrement et me trouver digne d’être aimée d’eux. Cadeau.

Pas étonnant qu’ils meurent. Qu’ils dérapent seuls à vive allure dans un vilain virage mouillé de pluie, ou se jettent du bout d’un lacet montagnard au fond d’un ravin assassin. Ils se broient tout seuls, ignorant la sécurité d’une ceinture ou d’une allure modérée. Cela est réservé à d’autres. Ils roulent « à tombeau ouvert » et cette expression a été inventée pour eux. Leurs cercueils les attendent à chaque tournant de leurs vies de têtes et cœurs brûlés, sachant bien qu’un jour ils vont les rejoindre. Aussi sûrement que violemment.

Et me laisser seule. Par deux fois.

(...)

J’ai parfois du mal à me souvenir de vos visages, de vos traits, de vos sourires. Et cet oubli vient si vite. Je regarde vos photos et même celles-là, parfois, ne m’évoquent rien de mouvant, de vivant. Vous êtes juste des visages en couleur ou en noir et blanc, pas plus réels que des mannequins de publicité glacés. Du papier. Je vous tords ou vous chiffonne pour vous faire bouger. Dérisoires dessins animés. Mais rien ne vient. Ce papier-là est plus mort que vous. Je n’aime pas les photos. Celles des vivants, si. Pas les vôtres. C’est un peu comme lorsque l’on répète son propre prénom à l’infini, sur tous les tons. Au bout d’un moment, ce mot si familier ne signifie plus rien, n’est plus « soi », n’évoque rien d’autre que quelques lettres bizarrement assemblées. Des sons, quoi de plus ? Vos photos ne sont plus rien d’autre que des assemblages de traits et d’ombres, vos sourires-mêmes des formes sans vie que je suis du bout des doigts sans parvenir à y adjoindre le moindre souvenir. Quelquefois, si : dans les noirs de ma tête, un flash : un geste, une main, une bribe de rire, un angle de visage, un son, un mot venu de loin, une odeur fugace, un effleurement sur ma peau et vous êtes là, l’un de vous, tout entier, éphémère, mais si présent que je pourrais hurler. Aussi vite disparu qu’apparu. Un cadeau vif. Et cruel. Et doux. Vous êtes toujours avec moi. J’ai juste du mal à vous saisir. Je happe tout ce que je peux de vous. Si lointains, mais toujours en moi.

Commentaires

1. Le jeudi 3 novembre 2005, 10:08 par Ursun

Pas de mot pour compatir, soutenir et encourager à la fois.

2. Le jeudi 3 novembre 2005, 10:17 par alice

La vie est brutale , mais il y a la vie...Bises.

3. Le jeudi 3 novembre 2005, 10:46 par Traou

Oh oui, la vie est là et nous pousse en avant. Et je suis toujours étonnée (et heureuse) en regardant autour de moi ou en lisant les témoignages d'autres blogs ici et là, de voir que, malgré les découragements et les coups d'arrêt que nous inflige parfois la vie, on continue et on avance. Et même un jour l'apaisement vient, alors que cela paraît impossible quand on est au coeur du cyclone, mais il vient.....
Il y a des plaisirs minuscules de la vie qui vous aident en cela, devant lesquels un jour on recommence à s'émerveiller, signe que la "guérison" est en route (comme des rouge-gorges qui viennent nicher dans le jardin, n'est-ce pas, Alice...)
Aujourd'hui, je suis debout, et je pense à eux avec une tendresse devenue souriante, enfin. Et beaucoup d'amour, toujours. Mais cet amour est un moteur pour vivre encore.

4. Le jeudi 3 novembre 2005, 11:27 par alice

Tout à fait entre nous, je serais devenue folle sans ce bout de jardin.

5. Le jeudi 3 novembre 2005, 15:47 par samantdi

Ce texte me touche beaucoup, entre autres parce que j'ai éprouvé cette perte-là aussi, non d'un amoureux mais d"un frère de coeur, qui allait trop vite, trop fort, qui a été une météore, ou une comète, en tout cas une étoile joyeuse dans ma vie.

Je te souhaite pour tes débuts sur la toile autant de joie et de "palpitantes émotions" que j'en éprouve moi-même en tenant mon blog ! Je te croise de ci de là, je pense que nous avons beaucoup de goûts communs (obni, Vroumette, Alice, xuan-lay...) donc à bientôt !

6. Le jeudi 3 novembre 2005, 16:02 par Vroumette

Coucou (eh oui, je ne peux m'empêcher d'essayer de mettre de la gaité là où je lis de la tristesse).
Tu griffones de sacrés beaux textes tu tes cahiers, et l'espace d'un instant ces photos ont repris vie.

7. Le jeudi 3 novembre 2005, 18:38 par laouenanig

bonjour
tu es venue sur mon blog, je viens laisser ma patte d'oiseau sur le tien
quel texte terrible...
mais aussi magnifique
à bientôt

8. Le jeudi 3 novembre 2005, 19:47 par Traou

Samantdi> Je suis heureuse de t'accueillir ici car je visite souvent ton espace à toi et même si je suis loin d'avoir tout exploré (il y a matière !) j'y trouve des mots, des émotions qui me "parlent" et je musarde aussi dans ta blogosphère où tu m'as fait découvrir de bien belles choses. Alors à bientôt ! Et merci de tes voeux.

Vroumette> Tes coucous sont toujours bienvenus. Je ne suis plus triste aujourd'hui, mais heureuse de livrer ces mots pour la première fois. Et s'ils évoquent un temps où je me faisais l'effet d'être une écorchée vive qu'on aurait saupoudrée de sel (avec quelques giclées de citron par-ci par-là pour faire bonne mesure), aujourd'hui j'ai cicatrisé.... Cela reste dans mon "panier" et j'essaie d'en faire quelque chose, quelquefois.

Laouenanig> D'une bretonne "de l'est" à une "de l'ouest" (que j'aime tant aussi)... Merci de ta visite; je retournerai aussi te lire.

9. Le vendredi 4 novembre 2005, 16:36 par Ari

Chère Traou,

Moi aussi, je musarde, et en écho à votre récente apparition, je découvre à mon tour votre blog, et tombe en arrêt devant ce billet (qui me parle plus, allez savoir pourquoi, que votre dernier poème ;-)) joli et sensible.

Promis, je reviendrai vous lire.



10. Le dimanche 14 mai 2006, 03:17 par baïlili

aujourd'hui (cette nuit), je visite ton blog depuis le début et ce texte là me fait pleurer... je t'embrasse.

11. Le lundi 5 juin 2006, 22:11 par Traou

Baïlili, je viens de découvrir ton commentaire, qui avait été spamplemoussé je ne sais pourquoi. Baisers à toi