Dis-moi dix mots

Ci-dessous ma contribution au jeu lancé par Kozlika....
Je sais, j'ai encore un léger souci avec ma marge à droite, on s'en occupe, on s'en occupe....


C’est lui qui l’avait surnommée Barbarella. Le film de Vadim venait de sortir et on était tous aller admirer Jane Fonda en petite tenue quelques jours auparavant. Il l’avait apostrophée comme ça dans la cour, bien fort devant toute sa bande « Tiens, voilà Barbarella ! ». Elle avait rougi. Et trébuché. Puis s’était sauvée maladroitement, poursuivie par les rires. Cruels. Aujourd’hui, j’ai honte de dire que j’avais ri moi aussi.

C’était la fin de l’été, le premier jour de la rentrée, et elle avait gardé ce surnom toute l’année. C’est drôle, je ne me souviens même plus de son vrai nom….

Lui c’était la star du lycée, celui dont toutes les filles étaient amoureuses, elle aussi peut-être. Grand, beau, encore bronzé ce jour-là, avec une façon très étudiée de rejeter en arrière la mèche de cheveux qui lui retombait toujours sur le front. On était en 68 et il avait été le premier à laisser pousser ses cheveux noirs, juste pour jouer les provocateurs de cour de récré et asseoir un peu plus son autorité sur nous par cette audace, que beaucoup d’autres allaient suivre un peu plus tard. Les jours où il était de bonne humeur étaient ceux où il exerçait le plus volontiers sa cruauté à l’égard des quelques souffre-douleurs qu’il s’était choisi, et Barbarella était sa « préférée » parmi ceux-là.

Elle n’était peut-être pas la moins jolie des filles de l’école, mais certainement la moins apte à se défendre : maladroite, disgracieuse, rougissante, la tête perpétuellement inclinée vers le sol pour éviter les regards. Un peu trop grosse, mal fagotée, elle était la risée des cours de gym et de l’école en général, incapable qu’elle était de parler à qui que ce soit sans bafouiller, rongée par une timidité hors du commun. Je me souviens qu’elle portait en permanence des gants blancs, à la manière d’une communiante ; elle avait avoué un jour être obligée de les porter pour protéger ses mains sujettes à toutes sortes d'allergies, et cela ne faisait que contribuer aux moqueries qu’elle subissait…

A la fin de cette année-là, nous avons tous quitté le lycée et nous sommes dispersés. Je suis parti à Paris et me suis fait de nouveaux amis. D’après ce que je sais, notre star du lycée est devenu hippie et est parti vivre en Inde dans les années 70. Ou au Népal, je ne sais plus.

J’ai revu Barbarella l’autre jour. J’étais dans une file d’attente pour entrer au cinéma. Il pleuvait. Elle s’était abritée sous le porche, adossée à une affiche de « Wallace et Gromit ». De là où j’étais, on aurait dit que Wallace la regardait et jouait de son drôle de petit accordéon-rance juste pour elle. Je l’ai reconnue tout de suite, pourtant elle avait la tête haute. Trente ans plus tard, je l’ai trouvée mince et plutôt belle. Elle tenait entre ses mains nues une paire de gants en laine. Un homme grand s’est approché d’elle et elle a souri. Je me suis dit qu’autrefois, je ne l’avais jamais vue sourire. L’homme l’a embrassée et ils se sont éloignés tous les deux.

Commentaires

1. Le lundi 31 octobre 2005, 15:56 par Yves Duel

C'est bien joliement croqué !

Et au total, c'est assez tendre : cette femme que, 30 ans après, on n'avait jamais vu sourire ! ...

2. Le lundi 31 octobre 2005, 16:24 par Traou

Merci pour votre visite et votre gentil commentaire.
Moi je suis déjà passée plusieurs fois chez vous sans y laisser de commentaires (je suis débutante alors je n'ose pas toujours), mais je vais y retourner de ce pas parce que votre contribution à "Dis-moi dix mots" m'a bien fait rire !

La discussion continue ailleurs

1. Le samedi 29 octobre 2005, 10:04 par Carnets de voyages au Mozamblog

C'est lui qui l'avait surnommée Barbarella...

C’est lui qui l’avait surnommée Barbarella. Le film de Vadim venait de sortir et on était tous aller admirer Jane Fonda en petite tenue quelques jours auparavant. Il l’avait apostrophée comme ça dans la cour, bien fort devant toute sa bande...