jeudi 19 janvier 2006

Réveillon à Hampi (Carnet indien 3)

Pas loin de douze heures de route. Départ à 7 heures du soir, le 30 décembre. Je fuis la foule des plages de Baga et Calangute, à Goa. Ce n'est pas l'Inde que j'ai envie de voir... Nous ferons la route presque entièrement de nuit (c'est l'hiver ici aussi, et le soir tombe vite, même s'il fait 32° et un soleil éclatant dans la journée). Le chauffeur qui a accepté de m'accompagner au pied levé dans son petit taxi blanc s'appelle Males. Il m'a juste demandé de s'arrêter quelques instants chez lui pour prendre des affaires de rechange. Une petite maison qu'il partage avec sa mère, ses deux frères, leurs trois épouses, et cinq enfants. Il connaît bien Hampi, me fera visiter demain. Nous prenons la route encombrée, je me suis assise à côté de lui, nous bavardons. Parfois au coeur de la nuit, il me demandera de lui raconter Paris, ma vie, parce que nous avons un petit coup de barre tous les deux, qu'il ne veut pas s'arrêter (je l'y obligerai une fois ou deux) et que c'est mon boulot, de maintenir le chauffeur éveillé !

Devant moi, sur la couverture en fausse fourrure qui recouvre le tableau de bord, clignote gaiement l'arcade lumineuse autour d'un petit Ganesh blanc, un coup rouge, un coup vert. Parfois elle s'affole, parfois s'éteint, un faux contact. Je n'aime pas bien quand Ganesh s'éteint. Il fait un noir d'encre sur cette route, et les camions que nous doublons ont parfois l'air menaçant.

Nous nous arrêterons quelques fois. Pour boire un "chaï" réconfortant (le thé indien, avec du lait et des épices, la cadarmome, la cannelle... et d'autres moins identifiées, c'est délicieux) dans une masure au bord de la route, tenue par trois adolescents qui nous regardent avec curiosité, enveloppés dans des couvertures.

Quatre heures du matin, un pneu crevé. Males est expert en changement de roue, et moi pas mal en assistante, l'éclairant avec mon téléphone portable. Finalement, ça nous aura réveillés. Parfait pour finir la route en toute lucidité (surtout que nous tremblons tous les deux à l'idée qu'un deuxième pneu pourrait lâcher avant l'arrivée, cette route n'est que trous et cahots sur la fin...).

Six heures du matin. Traversée de Hospet, le "grand village" un peu avant Hampi. Des charrettes trainées par des boeufs, un peu partout, déjà au travail, en route vers les champs.

Enfin Hampi. Des silhouettes de temples se dessinent dans le petit jour, à droite, à gauche, là-haut sur la colline. On verra demain. Trouver un lit. Se poser quelques heures avant d'aller voir les merveilles.

Même à cette heure-là, on trouve le moyen de se faire repérer par le tenancier d'une guest-house, la première du village. Je jette un oeil à la chambre. Une moustiquaire rose, des rideaux à fleurs. Très "jeune fille". C'est parfait. Il tente de me vendre d'ores et déjà une visite guidée tout à l'heure : "Je vous attends à neuf heures". Je l'envoie un peu balader je crois. Dormir. Un peu, pas beaucoup, juste le temps de reposer mes yeux, mon dos. Le lit est dur. Super !

moustiquaire

Hampi, c'est dans l'état du Karnataka, l'ancienne cité impériale Vijayanagar, dont les rois ont régné fastueusement sur le sud de l'Inde du 14è au 16è siècle. On disait que l'or y coulait à flots et que l'empereur, quand il revenait de guerre sur son éléphant de combat, jetait des pierres précieuses en récompense à ses guerriers vainqueurs. La prospérité de la cité crée des convoitises. En 1565, elle est attaquée, dévastée et pillée par les musulmans du nord. La ville est abandonnée. Ce n'est que quatre siècles plus tard que ses vestiges fastueux seront redécouverts et classés au patrimoine mondial de l'Unesco : quelques 400 temples dispersés sur 30 km2 de nature tropicale.... Une splendeur.

10 heures du matin. Fraiche et dispose (si !), je sors de ma petite chambre rose. A peine ai-je posé un pied à l’extérieur que le Thénardier local – qui devait me guetter - me saute dessus comme la vérole sur le bas-clergé (c’est comme ça qu’on dit chez moi). Le même qu’il y a trois heures, armé d’un plan et d’un anglais matiné d’hindi pour me proposer à nouveau un guide, une visite, une voiture, et un raton-laveur, sûrement. Je lui explique poliment mais fermement qu’un guide, j’en ai déjà un, et une voiture aussi, d’ailleurs il le sait puisque c’est Males qui a dealé le prix de ma chambre rose à l’arrivée, que pour l’instant j’ai surtout besoin d’un petit déjeuner, et que si j’ai besoin de quelque chose, je ne manquerais pas de le lui faire savoir. Grand sourire. Je crois qu’il me déteste. Pas grave.

Males est parti faire rechapper son pneu en prévision du retour, nous nous retrouverons plus tard. Pour l’instant, je me lance à la découverte du village, hélée sans fin par les conducteurs de rickshaws, les guides, et les enfants qui me demandent invariablement mon nom et d’où je viens, en me tendant leur main à serrer. Ils partent ensuite d’un éclat de rire en tentant de répéter mon prénom dont la consonance est difficile à prononcer pour eux.

Hampi est un village minuscule : la rue principale en terre part du temple de Virupaksha, en activité, et court sur sans doute un kilomètre jusqu’à un autre temple, un vestige celui-là, à l’autre bout. De chaque côté de la rue, des échoppes, des petits restaurants, et même un ou deux cyber-cafés de fortune ! La rue est très large, et tout le monde y circule sans ordre établi : hommes et bêtes (beaucoup de poules et de coqs qui ne cessent de cocoriquer, des chèvres, des vaches), marchands ambulants de fruits, épices ou petites statuettes de Ganesh et Shiva. Des enfants qui vous suivent partout en tentant de vous vendre des cartes postales. Les rickshaws, vélos, charrettes et quelques voitures slaloment entre tout ce petit monde en klaxonnant et sans s’émouvoir le moins du monde de devoir faire un détour pour éviter la chienne qui a choisi le milieu de la rue pour allaiter sa portée de chiots tous plus adorables et poussiéreux les uns que les autres !

A côté du temple, encore des ruelles bordées de petites boutiques de vêtements (toujours une machine à coudre devant la porte : on vous fabrique dans l’heure ce que vous voulez, pas très fignolé, mais bon…), de bijoux en argent ou de tapis. Et des guest-houses plus ou moins avenantes, avec des restaurants parfois sur leurs toits plats.

Je m’installe dans un petit bar à ciel ouvert sur la rue principale. Déguste un lassi à la mangue délicieux, en regardant la foule qui bruisse, et va et vient sans fin devant le temple dominé par sa tour pyramidale gigantesque et majestueuse appelée gopuram. Un peu plus tard, je laisserai mes chaussures à l’entrée contre quelques roupies pour aller le visiter : bas-reliefs, sculptures et plafonds peints. Et un éléphant à demeure, ainsi que quelques familles de singes à qui les visiteurs donnent de la nourriture.
(pointez la flèche sur les photos pour savoir ce que c'est)

gopuram

plafond temple

Le temps de me faire coudre deux pantalons et tuniques longues assorties (ou presque) chez une petite couturière de la rue principale (je me sens mieux ainsi que dans mes tenues occidentales, trop « repérables »), je retrouve Males et nous partons à la découverte des merveilles de Hampi : le temple de Krishna où dort un enfant, la Cité royale avec son Palais d’été et les étables des éléphants, le temple de Vitthala, dont les piliers jouent une sorte de musique quand on les frappe du plat de la main (une forte teneur de la roche en cristal semble-t-il), un char de pierre dont les roues peuvent tourner ( !), et des statues de mon Ganesh préféré, de Shiva, d’Hanuman (le dieu-singe), des palais et temples qui s’élancent élégamment vers le ciel, des bas-reliefs d’une finesse et d’une sensualité sans pareille. Jusqu’au coucher du soleil, inlassablement, Males m’emmène de temple en temple, de palais en salle de bain de la reine (en fait de salle de bain, il s’agissait plutôt de thermes privés, format piscine), beaucoup sont merveilleusement préservés. Le tout en pleine nature, entre cocoteraies et bananeraies. Je respire et n’en crois pas mes yeux !

Temple Krishna

étables des éléphants

Palais d'été

Hampi

Hampi

Krishna

Piliers musicaux

Hanuman

Hampi

Hampi

Au cours de la visite, des indiens m’arrêtent souvent pour me réclamer une photo : soit pour que je les prenne avec mon appareil et leur montre le résultat sur l’écran, ce qui les met en joie, soit pour que je pose au milieu d’eux, avec mon drôle de chapeau blanc qui les fait rire (plusieurs couturières de la rue principale m’ont demandé de l’examiner, si ça se trouve, il va fleurir sur les têtes à Hampi la prochaine saison…). Et peut-être, dans quelques familles indiennes, suis-je désormais posée sur un meuble au milieu d’eux, souvenir fort exotique d’un 31 décembre ensoleillé devant un joyau de pierre à Hampi….

Retour à la guest-house, les yeux pleins de trésors, repos un peu, et puis à nouveau le village. Rendez-vous pour un dîner de « réveillon » avec des italiens et des allemands. Nous nous installons sur le toit-terrasse d’un restaurant tibétain. Une bière : c’est la fête ! L’alcool est interdit ici, et la bière ne figure pas sur les cartes. On la demande l’air de rien, et pas dans les restaurants de la rue principale, tant qu’à faire…

Le réveillon va s’arrêter bien avant minuit en ce qui nous concerne. Nous sommes tous crevés, avons pour la plupart voyagé toute la nuit précédente, qui en bus, qui en train, qui en voiture (les privilégiés comme moi, c’est un luxe). Nous avons aussi en commun les quelques rares heures de repos du petit matin, et le crapahutage sous le soleil au cœur de la cité royale…. Alors quelques délices indiens ou tibétains arrosé de cette bière festive suffiront à notre New Year’s Eve party ! Et au moment où nous trinquons à cette nouvelle année qui ne va pas tarder à commencer, dans le soir qui tombe, tout bleu, juste devant nous passe la procession du coucher de Lakshmi qui revient au temple, des tambours et des porteurs de torches encadrant une divinité dorée sous un dais, éléphant ouvrant la marche. Cette gorgée de bière-là a un goût à nul autre pareil. Magique….

éléphant

Ganesh

PS : Si vous voulez lire de jolis textes sur l'Inde (entre autres), allez donc faire un tour chez Claude. Son blog s'appelle "Du vent aux semelles", tout un programme.... Claude est breton, poète (lire le poème sur Varanasi-Bénarès) et aussi un peu distrait, puisqu'il n'avait pas remarqué que la configuration de son blog interdisait les commentaires... C'est réparé depuis peu, vous pouvez lui rendre visite et lui dire ce que vous en pensez....

vendredi 13 janvier 2006

Arrivée à Goa (Carnet indien 2)

Suite du périple. Après Bombay, le mariage, mais vous n'en saurez rien pour l'instant (tatata !... suspense insoutenable....) Donc retour du Gujarat, aéroport de Bombay. Une heure d'avion direction Goa.

Goa, c'est donc ce petit état sur la côte ouest de l'Inde, sur la mer d'Oman (capitale : Panjim - ou Panaji), qui fut occupé par les Portugais du début du 16è siècle jusqu'en 1961. Goa est donc un état (le plus petit de l'Inde) fortement marqué par le catholicisme : on y trouve de très belles églises toutes blanches, et Noël y est fêté plus que dans tous les autres états. Je garderais de la nuit à Goa le souvenir de milliers d'étoiles lumineuses sur chaque maison et d'églises dégoulinantes de guirlandes de lumière

église

Goa, ce sont aussi de belles maisons d'inspiration portugaise, certaines encore en très bon état, d'autres moins.

maison

maison

maison

Et dans les terres, on trouve des paysans aux champs ou au travail dans les rizières

champ

rizière

Mais Goa, tout au moins sa partie centrale, les plages les plus "célèbres" : Calangute et Baga, ce sont surtout les endroits où sont arrivés les hippies dans les années 60/70, juste après le départ des portugais, donc. A l'époque, ce devaient être de charmants villages, aux belles plages tranquilles bordées de cocotiers....

Dans les années 90, une autre clientèle est arrivée, attirée peut-être par la réputation du lieu quant aux substances illicites qu'on y consommait, je ne sais.... Les "ravers" sont arrivés. Et, surtout en cette période de fêtes, la "trance goa" est reine sur certaines plages jusqu'au petit matin...

Les hippies se sont réfugiés un peu plus loin pour retrouver la tranquillité. On en croise encore quelques-uns à Anjuna, ils sont plus ou moins décatis - plutôt plus que moins - ont l'air d'avoir 120 ans pour certains, que l'on voit fumer des trucs longs comme le bras aux terrasses de certaines plages plus abritées (et quand on fume ce genre de trucs depuis 30 ans, ça abime, forcément). Et j'en ai vu un ou deux accompagner au tambourin d'un air extasié de jeunes danseuses traditionnelles indiennes. Ils avaient trouvé là leur karma, sans nul doute. Tant mieux pour eux....

La troisième clientèle de Goa en cette période de premier de l'an, et bien c'est la même que sur la Costa Brava ou de multiples usines à touristes de par le monde : une clientèle d'agences de voyages, qui arrive bardée de shorts et de marcels, se contrefout d'être en Inde ou à Zanzibar, pourvu qu'il y ait du soleil, des palmiers, des transats, des jus de fruits servis sur la plage, une piscine dans l'hôtel avec la télé dans la chambre, et des boutiques à souvenirs pour rapporter des merdouilles à Tante Suzette et aux copines du bureau pour les faire baver un peu. Et vaz'y que je me mets seins nus sur la plage sous les yeux des indiens dont les femmes ne montrent même pas leurs épaules. Et vaz'y que je déjeune d'un burger dans la paillotte numéro 72 (elles sont à touche touche sur des kilomètres de plage) au son d'une compil' de UB 40 à fond les ballons ! (j'aime beaucoup UB40, mais je ne suis pas venue en Inde spécialement pour les écouter, j'avoue...) Et le restau d'à-côté joue une autre musique, et celui d'à-côté encore une autre encore plus fort, et....

Donc : foule de touristes + musique non stop + "plage" sans un mètre carré de sable tranquille pour y poser sa serviette + perspective d'un week-end de premier de l'an qui allait voir débarquer les indiens de Bombay pour qui Goa est une sorte de Saint Tropez.... J'ai pris la fuite !

Pas le bon jour pour le train, trop tard pour le bus du soir, j'ai trouvé un très gentil chauffeur de taxi qui a accepté de partir avec moi illico et pour trois jours à Hampi, à 600 kilomètres de là. Nous avons quitté Goa à 7 heures du soir le 30 décembre et avons roulé toute la nuit (dont une roue crevée à 4 heures du matin, dont j'ai éclairé le changement avec mon téléphone portable... il m'a plusieurs fois servi de lampe de poche, en Inde...) pour arriver à l'aube dans ce lieu somptueux où j'ai réveillonné et dont je vous parlerai la prochaine fois....

mardi 10 janvier 2006

Premiers pas en Inde (Carnet indien 1)

Par où commencer ?.... Euh, le début, ça peut être pas mal, non ?...

Voici d'abord une petite carte que j'espère lisible pour vous expliquer un peu le parcours :

carte

24 décembre, arrivée très tôt le matin à Bombay. Juste le temps de dormir deux trois heures et de faire les boutiques pour trouver des tenues adéquates pour le mariage. Le lendemain, 25 décembre, départ pour Nausari, dans l'état du Gujarat (4 heures de route au nord de Bombay) pour assister au féérique mariage de Jayana et Adjai (orthographe incertaine du deuxième prénom, celui du marié, il faudra que je le vérifie). Ce mariage, c'est sûrement ce que je raconterai en dernier ici. D'abord parce que c'est peut-être ce que j'ai vécu de plus merveilleux et qui nécessitera le plus d'attention de ma part pour ne rien oublier. D'autre part parce que j'attends l'accord de la famille et notamment des jeunes mariés, qui sont encore en voyage de noces, pour publier ici des photos de ces trois jours fabuleux. Ils nous ont réservé un accueil merveilleux et j'aimerais vous montrer les couleurs, les ors, la chaleur de ce mariage tel que je l'ai vécu. Je crois que j'étais comme une petite fille devant un sapin de Noël, perpétuellement émerveillée par la beauté de ces rituels si beaux et si fervents. Et j'ai été si triste de quitter cette famille dont j'ai eu le sentiment qu'elle m'accueillait comme faisant partie des siens.

Retour à Bombay le 29 décembre, juste pour prendre l'avion pour Goa. Goa, c'est un tout petit état où ont débarqué les hippies dans les années 60/70. Trente ans plus tard, les plages qui ont dû être tranquilles autrefois accueillent aujourd'hui des raves techno et des hordes de touristes, surtout entre Noël et le 1er de l'an.... Après 24 heures, j'ai donc pris la fuite et la route de Hampi, à 600 kilomètres de là (12 heures de route), un minuscule village au coeur d'un site archéologique somptueux : une ancienne cité royale abandonnée depuis le 16è siècle. Des dizaines de temples et de vestiges de palais merveilleusement préservés éparpillés au milieu des bananeraies et des cocoteraies... Une splendeur.

Retour à Goa, où je me suis réfugiée au nord de l'état sur une plage enfin tranquille et préservée, Mandrem, où je m'endormais le soir, dans une paillotte sur la plage, en entendant le bruit des vagues....

Retour à Bombay pour une dernière journée avant le retour sur Paris, et me voilà.....


Le début d'un voyage, c'est dans l'avion. A l'aller, cela participe du plaisir, de l'attente, de l'excitation. Au retour, moins, cela paraît d'ailleurs toujours beaucoup plus long...

Le petit écran, sur le dossier du siège devant moi m'indique que nous sommes au dessus de l'Italie, puis du Liban, puis du Koweit... La ligne d'horizon au-dessus des nuages, par le hublot, dessine le ciel du rouge au bleu nuit en un dégradé arc-en-ciel. Une étoile unique est posée là, au bout de l'aile. Sur l'écran toujours, je ne regarde pas les films, mais suit fiévreusement le parcours qui me mène vers l'Inde rêvée, passionnée par notre altitude, la vitesse de l'avion, le temps qui reste avant l'arrivée. Et régulièrement, un schéma qui indique la position d'une mystérieuse Ka'aba par rapport à l'avion. Je mettrai un moment à comprendre qu'il s'agit de La Mecque. Nous sommes sur Koweit Airways...

Ka'aba

Bombay. Arrivée fatiguée. Six heures du matin. Une voiture, une heure de trajet jusqu'à l'hôtel. Fantomatiques, les bidonvilles s'égrènent dès l'aéroport, tôle, bâches, planches, terre, monticules non identifiables, odeur forte qui monte, et déjà tout un monde éveillé, hommes, femmes, enfants. Première impression difficile, apeurée presque. Et parfois, au dessus d'un abri misérable, une étoile de Noël illuminée dans l'aube.

Quelques heures de repos et sortie à la rencontre de la grande ville, en plein jour, en plein soleil. Le premier contact avec Bombay est d'abord sonore : un concert de klaxons incessant qui résonne dans les rues, où s'entrecroisent sans beaucoup de règles taxis, chariots, vélos, voitures, piétons et rickshaws, en tous sens, se frôlant sans cesse. On se demande comment cet enfant a aterri de l'autre côté de la rue sans être écrasé dix fois, comment ce vélo a survécu à l'irruption d'un camion à quelques millimètres de sa roue...

On a beau avoir lu ou entendu des récits de Bombay, avoir envisagé des choses, on ne peut imaginer "ça", je crois. Première impression terrible, choquante. Je me déteste d'être cette touriste riche et repérée comme telle, regardée, sollicitée, qui ne peut que dire non, se protéger, joindre les mains en un salut pour s'excuser de ne pouvoir choisir à qui donner auprès des dizaines de mômes souriants ou tristes, qui quémandent une roupie ou un chapati. Je me sens nulle de faire semblant de ne pas voir le bébé chétif et crasseux dans les bras d'une "grande" soeur haute comme trois pommes, l'enfant mutilé, les moignons divers qui entrent par la vitre du taxi, s'ouvrant comme ils peuvent pour demander la charité. Sous mon nez de petite occidentale bien propre et dotée d'un appareil photo numérique dont le prix les nourrirait tous pendant des mois. Je ne le sortirai pas. Je ne prendrai pas ces photos-là. Je les ai déjà vues, glacées et colorées dans les magazines. C'est drôlement esthétique la misère par National Geographic. Je les ai vues ces femmes en saris colorés et sales accroupies au milieu de tas d'ordures à trier on ne sait quoi, à préparer à manger sur un feu de fortune pour leur famille, les enfants maigrelettes qui portent d'immenses paniers sur leurs têtes, les coolies qui poussent des charrettes trop lourdes, les vieillards édentés allongés sur les trottoirs, le cul-de-jatte qui me propose de voir danser son singe, d'autres qui poussent devant eux une vache ou une chèvre dont on voit les côtes autant qu'à eux... Je vois tout cela, je le regarde incrédule, assaillie dès que je sors du taxi, mal à l'aise, étrangère, oh combien étrangère.... Et le soir, à l'abri dans ma chambre d'hôtel, je me sens un peu.... misérable, même si le mot est bien mal choisi ici.

Le lendemain, en quittant la ville, je suis soulagée, je l'avoue. Quelque part, au dessus du bidonville géant qui couvre tous les alentours de la ville, j'aperçois un immense panneau publicitaire, les piliers qui le soutiennent fichés dans des tas d'immondices sur lesquels jouent des enfant en loques. Et tout en haut, en couleurs, une très jolie indienne souriante vante les mérites d'un crédit immobilier et interroge le passant "Pourquoi n'achèteriez-vous pas votre logement ?!". Et j'ai le coeur serré.

laverie

dimanche 8 janvier 2006

De retour (Carnet indien)

Arrivée hier soir, longue journée d'avion, de ciels. Je me suis promenée un peu en arrivant, chez les uns, chez les autres. Tellement de choses à lire !

Moi, il va falloir que je trouve les mots, que j'en invente peut-être pour dire l'Inde, le petit peu de l'Inde immense qu'il m'a été offert de découvrir. Quel cadeau...

Dans mes bagages de retour, des images, des émotions, des sensations, des couleurs, des odeurs, des rencontres, des goûts, des parfums, des regards, des sourires, des serrements de coeur, des éclats de rire, des souvenirs pour toute la vie, l'envie de repartir...

L'Inde je l'ai seulement effleurée. Mais l'Inde, elle, m'a touchée, infiniment. Et aussi bousculée, choquée, bouleversée, émue, ravie. Je m'y suis sentie tellement étrangère, et tellement chez moi.

Aujourd'hui, trop tôt pour raconter encore, il faut que j'ouvre mes valises, que j'en sorte les étoffes soyeuses, les ingrédients épicés, les poudres colorées des récits à venir. Dans le désordre peut-être, sûrement mélangés et imparfaits. Conter l'Inde que j'ai vue, que j'ai humée, que j'ai caressée... Pour l'instant les mots et les émotions sont un peu en vrac à l'intérieur de ma tête, de mon coeur. Il faut que je saisisse le bout du fil de l'histoire, que je dévide la pelote petit à petit, en essayant de ne rien oublier.

En attendant, à tous, je veux souhaiter une année 2006 colorée,

couleurs

épicée,

épices

pimentée juste ce qu'il faut,

piments

que votre ciel ne soit pas trop nuageux (ou alors que du rose),

Ciel

et la mer étale et bleue,

Goa

que le sympathique Ganesh, dieu de la chance, vous accompagne pendant les douze prochains mois et au delà !

Ganesh

Belle et Heureuse Année 2006 !!!

Mandrem

dimanche 11 décembre 2005

Invitation au voyage

Le départ approche.... Je m'envole le 23 décembre, direction Bombay. Et cela m'apparaît toujours aussi irréel ! Heureusement, d'ailleurs. Je crois que je ne "projette" rien sur ce voyage. Je ne m'attends pas à ci ou ça. Je vais tout simplement me laisser porter par l'immense vague que doit être l'Inde, et cela deviendra une réalité quand j'y aurai posé un pied.

En attendant, j'essaie de m'y plonger un tout petit peu, d'en avoir un - minuscule - avant-goût.

L'autre soir, je suis allée voir le très beau spectacle de danse indienne du danseur Ragunath Manet et sa troupe de 6 danseuses et 5 musiciens à l'Institut du Monde Arabe (je n'étais jamais allée voir un spectacle là-bas : très belle salle, les fauteuils les plus vastes et confortables que j'ai jamais connu. Quand le spectacle est chiant, on doit y dormir divinement).

Etonnant, cette danse appelée Bharata natyam, la danse classique de l'Inde du Sud. Une danse vigoureuse et virile pour le danseur, plus gracieuse et féminine pour les danseuses, aux postures symétriques qui reprennent celles des statues et bas-reliefs des temples de Shiva, le dieu-danseur. Cette danse faisait partie des cérémonies religieuses et était pratiquée dans les temples et les cours royales. La plupart du temps, c'est une danse-mime : les mains racontent l'histoire selon un langage codifié, tandis que le visage du danseur exprime tour à tour les différentes émotions dictées par l'histoire. Parfois on se croirait dans un film muet ! Le tout sur une musique principalement composée de cordes (dont la veena, un immense instrument posé à terre, sous lequel se glisse littéralement le musicien, assis en tailleur pour jouer), des percussions virtuoses, et deux chanteurs un homme à la voix douce et pénétrante et une femme à la voix d'une pureté rarement atteinte. C'était très prenant, et à un moment, je me suis sentie transportée un peu dans l'univers de ce pays que je vais connaître bientôt....

            Manet Shiva

Ragunath Manet, vous le connaissez peut-être, il a joué souvent en France, et même à l'Opéra de Paris, et avait fait un spectacle avec Didier Lockwood (que je serais curieuse de voir aujourd'hui, le mariage de cette danse traditionnelle et du jazz au violon....).

Sinon, entre deux dialogues pas toujours évidents avec les indiens qui s'occupent de nos hôtels et vols intérieurs sur place ("Don't worrrry ! Don't worrrrry !" "No prrrrroblem ! No prrrrrroblem !" m'assurent-ils à chacune de nos conversations, avec la plus extrême gentillesse, parlant à toute allure et en roulant les r, avant de m'envoyer un mail pour m'annoncer que finalement nous n'avons plus d'hôtel à l'arrivée pour cause de travaux....) je relis Kipling, et le récit du voyage en Inde de Pasolini et Moravia, KimPasolini
et j'écoute la seule musique "indienne" que j'ai dans ma CDthèque : les anglo-indiens Nitin Sawhney (le premier album, j'aime moins les suivants) et la merveilleuse Susheela Raman. SawhneyRaman

(qualité fort médiocre des images.... il faut que je dise deux mots à mon scanner, excusez-le)

samedi 26 novembre 2005

Irréel....

Costa-Marini
Oui, c'est complètement irréel.... Je suis devant mon ordinateur; il fait bon chez moi. Du jazz doux, un café qui fume et que je vais essayer de ne pas renverser sur mon clavier. Dehors, il neige à gros flocons depuis tout à l'heure, les toits de l'école et des petites maisons d'en face commencent à blanchir. Ça voltige et ça tournoie joliment quelque part dans mon champ de vision alors que sur l'écran défilent des paysages ensoleillés : je suis en pleine session de préparation de mon voyage en Inde; dans 4 semaines je serai à Bombay. Et j'ai encore du mal à y croire. Ça aussi c'est très irréel....

C'était il y a un peu plus d'un mois que JF m'a proposé de l'accompagner à un mariage le 26 décembre à Nausary, à trois heures au nord de Bombay. JF habite dans le quartier indien à Paris, il y connait beaucoup de gens. C'est son coiffeur habituel qui l'a invité au mariage de sa fille. Nous serons logés dans la famille. Après, nous repartons pour Bombay quelques jours, puis Goa et Hampi....

Pourtant, j'ai beau regarder mon billet d'avion sous toutes les coutures, examiner le visa qui trône au milieu de mon passeport depuis quelques jours, me souvenir qu'on m'a planté récemment une aiguille dans le bras pour me vacciner contre la typhoïde, avoir quelques conversations compliquées avec les hôtels de Bombay (nous ne parlons pas anglais tout à fait de la même façon), ce voyage reste encore tout à fait irréel. J'ai du mal à imaginer qu'il va avoir lieu en vrai. L'Inde est un tel rêve pour moi depuis si longtemps que j'y croirais je pense quand je serai dans l'avion, et encore....

Ah si, je commence à faire des rêves à propos de ce voyage : la nuit dernière j'ai passé un moment dans le bus qui me conduisait à l'aéroport pour partir, me félicitant de m'y être prise bien à l'avance pour rejoindre JF là-bas. Et arrivée dans l'aéroport, je me rendais compte que je m'étais trompée, que j'étais à Orly au lieu de Roissy et qu'il était trop tard pour espérer attraper mon avion.... Je me suis réveillée un peu tourneboulée et soulagée de constater que j'étais dans mon lit.

Tout à l'heure ou demain, j'irai faire un tour au "Week-Inde" organisé par "La Pharmacie", un restau-bar-lieu d'exposition et de concerts, ouvert il y a un an par des copains qui connaissent bien l'Inde et s'occupent d'une association pour les enfants, basée à Pondichéry, je crois. L'invitation était en pdf et je n'ai pu la reproduire ici. En voici juste le texte :

L’Inde à La Pharmacie !
INDP en France
(International Network for Development and Peace)
et
Shanti, Enfants de l’Inde
vous proposent un week-end indien
samedi 26 et dimanche 27 novembre 2005 de 14h à 18h
présentation des associations
vente de livres et d’objets artisanaux
samedi à 19h30
contes indiens par Stéphane Ferrandez
et, tout le week-end, cuisine indienne !
du 26 novembre au 11 décembre
exposition-vente de photos sur l’Inde
de Christian Costa-Marini,
au profit des associations.
La Pharmacie
22, rue J.P. Timbaud 75011 Paris
01 43 38 04 99

La photo là-haut fait peut-être partie de celles que Christian exposera. Je l'ai achetée lors d'une de ses dernières expos. Elle me fascine. Je m'étais juste fait confirmer auparavant par le photographe que ce vieil homme ne faisait que dormir....

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