La fenêtre

Chez moi, il y a un petit rectangle ouvert sur la terreur du monde.

Des images de vie et de mort tressautantes et sonores, à la merci de mon index sur un petit bouton de rien.

Depuis des semaines, de la fenêtre ouverte, s’échappent vers moi et le monde entier des pixels d’espoir ou d’effroi, inodores et sans goût, en tous cas pas celui du réel. Et pourtant.

Dans mon salon et si loin de moi, des Autres aux langages étranges et aux teints différents de ma pâleur celte se battent et souffrent et meurent et espèrent et je ne peux que tendre mes doigts impuissants vers les boucles sans fin d’images – véridiques ou menteuses ? - que l’on m’envoie d’eux, frères pourtant, enfermés derrière la vitre minuscule.

La fenêtre me projette dans une dimension irréelle. Moi, devant les images accusatrices et dansantes, tellement vivante, un verre à la main, un chat ronronnant sur les genoux, enfournant un gâteau au chocolat, embrassant un amant, surveillant un risotto, coupable de mon confort et pourtant pas, des larmes dans mes yeux, pour eux.

Il y a eu l’Egypte et l’intense place sur laquelle j’aurais dû me trouver début février, voyage avorté. J’ai retrouvé quelques semaines après à Paris les amis égyptiens que j’aurais dû voir là-bas, enthousiastes et prêts à l’avenir, si beaux et forts, au coeur de l'inimaginable, pas si longtemps auparavant…

Aujourd’hui, le Japon n’a jamais été si près, si loin, si étranger et si familier. Je m’émeus plus que tout à la vision de ces vieillards fragiles et sidérés dont l’univers perdu ne sera jamais retrouvé avant la mort, et j’aimerais leur offrir un abri pour finir moins cruellement une vie. Les plus jeunes reconstruiront, pas eux. Pourquoi suis-je toujours si sensible à la souffrance des personnes âgées alors que j’en ai si peu côtoyées qui m’ont importées ?... Peut-être à cause de cela ?

Aujourd’hui Tobrouk évoque autre chose qu’un camion rempli de nitroglycérine. Quoique.

Le monde a décidé en cette année 2011 de se révolter et de trembler. Terrorisé ou en colère. Et moi je le regarde par la fenêtre. A l’abri. Ou pas. Reliée au monde en proie au chaos que nous avons créé. Comment réparer ? Comment puis-je réparer un tant soit peu, cachée derrière ma fenêtre ? Je cherche la réponse, et n'ai pour l'instant à offrir que ma compassion.

Commentaires

1. Le samedi 19 mars 2011, 00:52 par luce

La compassion c'est déjà bien... le monde est en train de basculer. J'en éprouve toutes sortent d'émotions impossibles à dire vraiment, trop fortes. Oui, la compassion c'est un bon début ...

2. Le samedi 19 mars 2011, 19:12 par Fajua

Nous sommes tous frappés mais pas responsables. N'oublions jamais que personne ne nous a jamais demandé notre avis, ni sur le tout nucléaire, ni pour l'appui aux dictateurs

3. Le dimanche 20 mars 2011, 07:42 par tanette2

On se sent tellement impuissants, on voudrait tellement faire pour les aider, on ne peut que compatir....Je me joins à toi, tu le dis si bien.

Je te souhaite un bon printemps...
4. Le dimanche 20 mars 2011, 07:56 par charlottine

Oui, la compassion , le respect, un regard tendre derrière la fenêtre: tu le dis si bien , Traou .

5. Le lundi 21 mars 2011, 08:21 par Anne

Même sentiment, teinté d'un poil d'espoir : et si nous étions au début d'une nouvelle ère ? Si finalement, c'était possible de changer le monde ?

6. Le lundi 21 mars 2011, 11:20 par Pablo

Impassible aux drames humains, le cycle des saisons continue et aujourd'hui c'est le Shunbun no hi (春分の日), jour de l'équinoxe de Printemps, que je te souhaite joyeux et tranquille.

De la nytroglicérine, oui, bonne image : des fois, on a l'impression que nous réduisons le monde a cela avec nos interventions et notre prépotence.

7. Le lundi 21 mars 2011, 13:59 par Pablo

nitroglycérine, oups

8. Le jeudi 24 mars 2011, 18:44 par Fauvette

Et pas seulement par la fenêtre ! (pour moi...)