Drôles de colères

Des colères me submergent dont j'ai le sentiment qu'elles ne m’appartiennent pas.

Boss si brillant et si peu courageux compte sur moi pour asséner mon poing sur les tables quand lui-même ne l’ose pas. Mon intégrité imbécile me fait élever la voix pour défendre des causes dont j’ai l’impression que moi seule en suis préoccupée, justes peut-être mais après tout si dérisoires. J’y défoule mes cordes vocales et en retire des mains fébriles, une nuée de boutons piquante, signe du malaise qui me saisit et dont nul ne se doute. Rançon stupide d’un respect teinté de crainte et d’agacement qu’on accorde à mon « caractère » et à ma langue que je refuse de laisser dans ma poche.

Mes vacances parisiennes ne furent qu'une tentative de repos de ces colères-là, trop vives la semaine passée. Comme le boulot a refusé de m’oublier et que j’ai été sollicitée chaque jour pour des questions et des problèmes à résoudre sans attendre, la colère ne s’est pas apaisée, m’est revenue soudaine de me voir dérangée dans cet espace où j’espérais retrouver le calme. Je me suis entendue encore vociférante au téléphone, pourtant à l’abri de mon balcon ensoleillé, retrouvant des accents cinglants à l’égard d’un imbécile, soit, mais qui n’avait peut-être pas mérité que je le gifle ainsi de mes mots. Je raccroche et je m’en veux, tremblante et insomniaque pour quelques nuits, moi-même effrayée du démon qui me possède ainsi.

Alors, épuisée de mes propres énervements incontrôlables, je me roule en boule sous ma couette fleurie en plein après-midi, incapable de m’oublier ailleurs que dans un sommeil lourd et pétri de rêves éclatés. Mon chat se love contre moi, au plus près de mon visage, de mon cœur, conscient peut-être de mon besoin de sa douceur. Et son souffle régulier, paisible, confiant contre moi, m’aide à oublier les éclats dont je me sens coupable.

Heureusement, il y eut aussi dans ces vacances chaotiques des soirées chaleureuses, rieuses et arrosées, le cœur réchauffé de sentiments impalpables et doux. Une passiflore achetée pour mon balcon, promesse de fleurs délicates et grimpantes. Et les salles quasi-désertes du Louvre à son ouverture du matin, Méroé, Mésopotamie, Egypte, traversées en flânant, apaisée de ces merveilles anciennes, remettant à leur place mes si infimes tracas. Ces figures sereines d’ivoire, de bronze, de calcaire ou de bois ont dû en connaître de semblables, dilués dans quelques milliers d’années d’oubli. Ne reste que leur beauté, ç’en est vertigineux.

Je ressors dans le soleil, Paris est si beau au printemps. Je chausse mes lunettes noires pour protéger mes yeux surpris après la pénombre des voutes de pierre. Un verre s’en est échappé au fond de mon sac, je ne m’en rends compte qu’à la drôle de sensation de soleil persistant sur mon œil droit et à l'éclat de rire d’un petit garçon devant moi qui doit me trouver l’air d’un drôle de pirate. Je retire ma demi-lunette, rit avec lui du trou béant et inutile. Remercie ce rire d’enfant, les beautés millénaires, les bourgeons printaniers qui balaient au loin mes colères passées regrettées, et je l’espère, celles à venir, tout aussi inutiles…

Commentaires

1. Le samedi 24 avril 2010, 15:29 par Fajua

C'est quand même drôlement joli, ce "je"...

2. Le samedi 24 avril 2010, 17:11 par parvati

Et moi qui guettais chaque jour un billet inspiré de Traou à Paname dont j'espérais qu'ils ne réouvent les yeux sur ce paris printanier dont j'ai perdu le goût paske, comme elle, j'ai depuis quelques temps envie d'autres rythmes et d'ailleurs, les odeurs, les lumières de chez moi après 20 ans de trépidations capitales ...
Raté ! Traou s'énerve, Traou s'indigne et Traou s'en veut ... et tintin les billets !
'fin pas tout à fait... je retiens le Louvre le matin. sourire ...

3. Le samedi 24 avril 2010, 17:48 par cledsol

Je t'envoie plein de soutien et te souhaite plein de courage... et surtout un très joli printemps.
que tu puisses apprécier comme tu le veux toutes ces choses dont j'aime tant ta description :)

4. Le samedi 24 avril 2010, 17:50 par Vroumette

Meuuh dis donc, je ne te connaissais pas "en colère" !
Mais oulà comme je te comprends, on rentre de ces vacances en ayant l'impression de n'être jamais partie et de ne pas avoir décroché du boulot.
J'ai joué à "restée connectée" non stop pendant 3 ans et je découvre pour la première fois depuis le plaisir de la touche "suppr" dès qu'un mail boulot surgit. Ouuuuuuuuuuuh que c'est bon ! Tente en ne décrochant pas le téléphone et en faisant "suppr" sur le message tu vas voir c'est jouissif !

5. Le mardi 27 avril 2010, 22:02 par Pablo

Ma chère pirate,

tu es la reine des mers
et ta furie est à craindre !

(adapté de la Chanson du Pirate du poète romantique José de Espronceda).

C'est parce que tu es toi même une romantique. De plus, il paraît qu'exprimer ses colères prévient les maladies du coeur (enfin, du myocarde). Ne t'en sens pas trop coupable.

Que es mi barco mi tesoro,
que es mi dios la libertad,
mi ley la fuerza y el viento,
mi única patria, la mar (ibid.)

6. Le jeudi 29 avril 2010, 17:43 par Moukmouk

Important de laisser sortir sa colère sinon elle nous pourrit l'intérieur. Il faut juste apprendre à ne pas s'énerver pour rien ( difficile combat jamais terminé) sinon on finit par se mettre en colère contre soi-même et c'est encore plus dangereux.

7. Le dimanche 2 mai 2010, 17:14 par Gilsoub

Le mieux, partir loin, dans un pays où l'utilisation du portable grèverait tellement mo malgrés n budget vacances, qu'il est resté en mode avion juste le WiFi activé... Un message sur la boite vocale que pour le boulot je n'étais contactable que par mél. (ben oui chuis intermittent qd même !), mél. relevé le soir dans le hall de l'hôtel, que du bonheur (et du taf récupéré par mél. — les employeurs jouant le jeu !)

Ben vi les bobo à l'égo, nul n'est indispensable ;-)

8. Le jeudi 6 mai 2010, 10:18 par cultive ton jardin

Moi, j'en ai (presque) fini avec ces colères épuisantes. Mais je me suis rendue compte qu'une angoisse diffuse et pas toujours explicable en était l'origine. Le hic, c'est qu'ayant perdu mon joker (j'explose et l'angoisse se fait la malle, de peur je suppose) je dois maintenant affronter des passages plus ou moins longs de mal-être.

Mais je ne regrette pas mes coups de grisou et leurs dégâts collatéraux.

Et comme Vroumette, j'ai du mal à t'imaginer en colère...