Anniversaire paisible

Je préfère fêter les anniversaires des autres que les miens. Quoi ? J'ai rien dit !

Les anniversaires rythment le temps qui passe. Quelquefois c’est mélancolique. Quelquefois c’est un soulagement. Par exemple, le 19 mars est pour moi un anniversaire à plusieurs titres, une date qui sert à me souvenir que le temps file inexorablement et que c’est tant mieux.

Hier j’ai passé un 19 mars ensoleillé en bonne compagnie. Nous nous sommes extasiées sur la transparence des marbres de Rodin, et ces visages et corps de plâtre ou de bronze qui pourraient se mouvoir ou se mettre à respirer sans que nous en soyons surpris outre mesure. Nous avons aussi brunché et piqué des fous-rires sur des sujets que je serais bien en peine de raconter ici !…

Il y a deux ans, le 19 mars, j’ai mis le mot « Fin » pour la première fois sur un scénario achevé, après deux mois d'écriture intensive, dans un état d'inspiration étrange, jamais connu, le même jour où je signais mon contrat pour le job que j’occupe aujourd’hui, avec bonheur et soulagement, ayant réussi le tour de force de me débarrasser en même temps de la boîte qui m’employait alors et dont je savais qu’elle n’irait nulle part.

Il y a quatre ans, le 19 mars, cette boîte pourtant m’offrait – en tous cas je l’ai cru un moment - l’occasion de revenir vers le cinéma en me sollicitant de façon inattendue pour un rendez-vous. Je me souviens de mon excitation et d’avoir failli appeler Choul illico pour lui annoncer la bonne nouvelle de cette perspective ciné, mais de m’en être empêchée parce que je venais à peine de raccrocher avec lui après une longue conversation et que je lui faisais déjà suffisamment reproche de téléphoner sans cesse de sa voiture. A la place je lui avais envoyé un mail enthousiaste et tendre lui demandant de me rappeler quand il rentrerait. Sauf qu’il ne l’a jamais lu, n’est jamais parvenu chez lui ce jour là, ayant rencontré brutalement un car scolaire dans un virage.

Hier, donc, il y a eu quatre ans que Choul est mort. Et je ne suis pas triste. Pas plus que je n’ai été triste de retrouver le week-end passé chez mes parents des dessins de mes neveux me représentant avec Julio il y a au moins quinze ans de cela, des dessins de maisons entourées de fleurs, avec des cœurs dans le ciel, nos prénoms entrelacés maladroitement, et deux petits-pois superposés avec deux yeux et une bouche ronde qui devaient être censés figurer un bébé, je pense. J’ai le souvenir d’avoir trouvé ces dessins-là sur notre lit parfois quand nous venions passer le week-end, ou bien ils nous les apportaient sur la terrasse à l’apéritif, avant de s’enfuir en riant comme des fous de leur propre audace… Les enfants sont très « une chaumière et deux cœurs » : mes nièces particulièrement rêvaient de tenir la traîne d’une robe de mariée (j’ai plusieurs dessins qui me représentent en grande tenue, y’a de la dentelle partout, vous pouvez me croire, et des kilos de roses sur ma pauvre tête) et de jouer à la poupée avec un petit cousin supplémentaire qu’elles m’ont souvent réclamé. Aujourd’hui, elles commencent à parler de leurs bébés à elles, ça va me faire tout drôle (mais je n’aurais peut-être pas tellement envie de rire) le jour où ça arrivera…

Je suis en paix avec mes morts, je crois. Je pense à eux aujourd’hui avec une tendresse souriante. Leur souvenir ne me vrille plus le cœur ni les tripes. Tout est douceur ou presque. La solitude un peu plus vive ou amère quand je pense à eux, c'est tout.

Finalement, je suis beaucoup moins en paix avec les vivants. Pas envie d'en parler ce soir…

Commentaires

1. Le lundi 20 mars 2006, 20:51 par Swâmi Petaramesh

Très beau billet, Traou.
Mais chut...

2. Le lundi 20 mars 2006, 23:05 par telle

Quelle sérénité émane de ce billet ! Tu as parcouru un sacré chemin, toi...

Les dessins dont tu parles, nous les avons sous les yeux.

Et ne te moque pas des chaumières, j'en habite une ! Oui, je suis un peu Sylvette.

Bises



3. Le lundi 20 mars 2006, 23:12 par samantdi

Ce billet me fait penser au vers de Victor Hugo que j'aime tant : "Oh l'herbe épaisse où sont les morts..."

Que ce printemps te soit fécond, je te le souhaite de tout mon coeur.

4. Le lundi 20 mars 2006, 23:54 par Erin

Emotion... J'y sens un peu l'ombre d'Etty. Elle m'apaise aussi en ce moment... mais c'est pas l'endroit.

Je te souhaite de faire la paix avec les vivants...

Bisous tiens ;-)

5. Le lundi 20 mars 2006, 23:57 par nuages

"une date qui sert à me souvenir que le temps file inexorablement et que c’est tant mieux"...
Gloups ! Sans entrer dans des considérations dramatiques, je dirais que j'ai perdu ma mère l'an dernier (mon père, il y a sept ans), et que, même si elle était vraiment et tristement usée, ça m'a fait prendre conscience de la fuite du temps et du caractère inéluctable et inévitable de la mort. Oui, je le savais, mais là, je l'ai senti, et pour moi aussi !
Parfois, quand je pense aux choses que je n'arrive pas à résoudre chez moi, je me disais "quand vais-je en sortir ? " et à présent, c'est davantage : "pendant combien de temps ce sera encore pas mal, avant que ça se dégrade ?"
Gloups ! (bis). Et j'ajoute que je n'ai que la quarantaine, bien avancée, mais quand même...
J'ai eu aussi une vieille tante, adorable, délicieuse, qui est morte depuis bientôt six ans, en juin. Je l'ai bien connue, tendrement, pendant les dix, douze dernières années de sa vie. J'y pense souvent avec plaisir, douceur... mais à l'époque je ne concevais pas vraiment qu'elle allait disparaître, un jour.
Parfois, souvent, en voyage, dans un lieu que j'aime et où je passe un peu de temps, je touche les choses, une pierre, un mur, un banc, et je me dis "voilà, je suis là, c'est bon, je suis bien ici... mais bientôt, ce sera fini". Je savoure l'instant présent, malgré tout, mais toujours avec l'idée que "bientôt, ce sera fini".
C'est un peu toxique et je ne sais pas comment éviter cela...

Jean (Nuages)

6. Le mardi 21 mars 2006, 08:25 par alice

Tu me sembles d'une grande sagesse, belle Traou, et pourtant que de poids à travers tes mots. C'est bien que tu parviennes à cet apaisement. Mais si quelqu'un s'avise de te chercher des ennuis, tu me le dis, je ne suis peut-être pas grande, mais je lui ferai sa fête, parole de petite Alice! Non mais.

7. Le mardi 21 mars 2006, 09:08 par Cécile

Sage et Sereine Dame Traou( SSDT)...
je suis heureuse d'avoir partagé cette journee là avec toi... et ravie que les larmes cette année n'aient été dues qu'à des fou rires cervidesques.

8. Le mardi 21 mars 2006, 09:17 par Madeleine

Merci une fois de plus de nous faire les dépositaires de tes sentiments ... de nous faire cette confiance ...

9. Le mardi 21 mars 2006, 09:53 par Anne

Juste un mot affectueux et après je retourne écouter tes mots résonner en écho... merci.

10. Le mardi 21 mars 2006, 09:55 par Traou

Swâmi > C'est un très gentil "chut"...

Telle > Je ne suis pas si sereine... du moins pas à propos de tout. Et j'adorerais vivre dans une chaumière !

Samantdi > Grâce à toi, je suis allée relire le poème de Victor Hugo. Merci pour ça et tes souhaits...

Erin > "L'ombre d'Etty" oui, ou plutôt sa lumière d'ailleurs :-) Bises aussi

Nuages > Réaliser que TOUT est éphèmère peut parfois être dur à accepter. Cela peut aussi être rassurant... La solution est de vivre et d'accepter le présent, quel qu'il soit. Pas facile.

Alice > Vraiment je ne crois pas être "sage", mais le temps fait son oeuvre. Ma relation aux vivants est beaucoup plus chaotique, mais "ça aussi, ça passera", comme on dit. Heureusement que je peux compter sur une petite justicière personnelle, au cas où... ;-) Merci

Cécile > Ah oui, ça tu peux te vanter de m'avoir fait pleurer... de rire !
SSDT... J'attendrai un peu avant de le mettre sur ma carte de visite, je ne suis pas sûre de mériter tout à fait l'appellation... ;-)

Madeleine > Nos sentiments aux uns et aux autres tissent une toile d'un blog à l'autre. Cet échange-là est une aide précieuse, je trouve...

11. Le mardi 21 mars 2006, 09:56 par Traou

Anne > Nous nous sommes croisées... affectueusement. Un baiser à toi.

12. Le mardi 21 mars 2006, 10:36 par Rose

WOW!...
.... Je ne sais pas si l'Inde a à voir avec cette sagesse. Je ne sais pas si la vie apprend la vie. Je ne sais pas...
Traou, ce billet me bouleverse...
Alors que je ne te connais pas, ces mots font que je me réjouis de ta journée avec Cécile-Lâcher-de-mots que je découvre ici... C'est dire!!!
...

13. Le mardi 21 mars 2006, 14:02 par Vroumette

Dis moi que le problème avec les vivants ne concernent que ceux avec les souris vivantes et galopantes qui arpentent ton appartement. Si ne n'est pas le cas, dis moi quelles sont les cibles et je m'en vais violemment les attaquer, yahaaaaaa !

14. Le mardi 21 mars 2006, 14:17 par Traou

Rose > Merci de te réjouir de mon dimanche, c'est super gentil (et il était effectivement réjouissant). Sinon, il FAUT que la vie apprenne la vie, sinon ça sert à quoi, l'expérience ?...

Vroumette > Une deuxième justicière ! Alors je m'en vais dire à mes ennemis que s'ils m'embêtent, ils auront affaire à toi et Alice !!! Ça va trembler dans les chaumières ! (euh, non, en fait j'en ai pas, quoique... le grand là... laissez-moi y réfléchir) ;-)

15. Le mardi 21 mars 2006, 15:25 par Ursun

"Que la vie apprenne la vie". Je crois que c'est le mot juste. Un jour après l'autre, une émotion après l'autre, apprendre ce que c'est, vivre.

Merci de nous offrir ce que tu es.

16. Le mardi 21 mars 2006, 16:29 par alice

Vroumette et moi, quelle équipe on va faire! Les fâcheux n'ont qu'à bien se tenir!

17. Le mardi 21 mars 2006, 17:21 par Rose

Traou, c'est un sujet qui me travaille beaucoup et au quotidien... La vie, la leçon de vie... J'ai déjà dû aborder le sujet sur mon blougue/bloog/blog/bloubi-boulga puisque j'y parle de tout et de rien, mais malgré tout, sous couvert de bêtises, je (me) pose beaucoup de questions existentielles, et je pense faire écho à ce billet bientôt.
... Je suis baba (au rhum! Pardon! C'est pour dédramatiser l'émotion!) :)

18. Le mercredi 22 mars 2006, 09:18 par Alauda

J'avais beaucoup aimé lire ton texte sur les envahisseuses et je suis revenue faire un tour... Que ce soit dans l'humour ou dans la gravité, tes mots transmettent une lumière qui touche au coeur. La mort et le deuil sont des sujets difficiles à aborder, tu le fais tout en sensibilité - sans sensiblerie - et en dignité. Belle "leçon" -je sais que ce n'en est pas une mais je ne trouve pas d'autre mot - d'humanité.
Bonne route, Traou...

19. Le mercredi 22 mars 2006, 09:54 par Traou

Ursun > Et jour après jour, choisir... non ?

Alice > Est-ce que vous feriez aussi les demandes d'augmentation à Boss, par hasard ? Je ne suis pas la plus douée du monde pour ça... ;-)

Rose > C'est bien de se poser les questions, peu importe parfois si on n'y trouve pas de réponse (ou pas tout de suite, ou pas celle que l'on souhaiterait), ça fait avancer...

Alauda > Bienvenue ici. Merci de tes visites et de tes mots. A bientôt... :-)

20. Le mercredi 22 mars 2006, 16:46 par Fauvette

Traou tu es une belle personne ; te connaître est un honneur. Je t'embrasse.

21. Le mercredi 22 mars 2006, 17:27 par Traou

Fauvette > Je t'embrasse aussi et je suis toute rouge...

22. Le mercredi 22 mars 2006, 20:19 par Crick

Merci pour ce magnifique billet. Très doux......
Joli reflet de toi même si je ne te connais pas, tes mots te dessinent si bien.

23. Le mercredi 22 mars 2006, 23:00 par Vroumette

@Alice : ouaihhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh, tu veux que je nous couse des panoplies ultra-moulantes de SST (super sauveuse de Traou) ? J'avais pensé à un petit truc dans les bleu et rose, nan ? Qu'est ce que tu en penses ?

24. Le vendredi 24 mars 2006, 11:07 par cactusjo

Alice , au pays , s'émerveille ?
coucouroucoucou j'arrive par chez ma Clopine Copine T.
perso c'est plus le 5 !
je repasserai chaque jour vos beaux dessus si vous , Désirée !

La discussion continue ailleurs

1. Le vendredi 24 mars 2006, 10:53 par Ashram de Swâmi Petaramesh

Les vivants et les morts...

Deux billets d'une rare qualité et profondeur humaine chez Traou: Anniversaire paisible et Les vivants...

2. Le jeudi 13 avril 2006, 09:01 par A moitié moi

13. Porte bonheur ou malheur?

Après avoir lu cette pensée de Traou, il y a quelques temps, je me suis demandée: "La vie apprend-elle la vie?" Aujourd'hui, c'est l'anniversaire d'une proche... Une femme qui a traversé une vie chaotique "comme on n'en fait plus", serais-je